Réseau Voltaire
De la Fondation Saint-Simon à Emmanuel Macron
Thierry Meyssan
Henry
Hermand, l’un des principaux créateurs
de la Fondation Saint-Simon, a parrainé
la carrière d’Emmanuel Macron. Il fut
son témoin, lors de son mariage en 2007.
Il le fit entrer en 2012 à l’Élysée et
créa son parti politique à l’Institut
Montaigne, en 2016.
Dimanche 16 avril 2017
La subite apparition d’un nouveau parti
politique, En Marche !, sur la scène
électorale française, et la candidature
de son président, Emmanuel Macron, à la
présidence de la République ne doivent
rien au hasard. Les partisans de
l’alliance entre la classe dirigeante
française et les États-Unis n’en sont
pas à leur coup d’essai.
Il est impossible de
comprendre la soudaine apparition sur la
scène politique partisane d’Emmanuel
Macron sans connaître les tentatives qui
l’a précédée, celles de Jacques Delors
et de Dominique Strauss-Kahn. Mais pour
comprendre qui se tient dans les
coulisses, un retour en arrière est
nécessaire.
1982 : la Fondation
Saint-Simon
Des universitaires et des directeurs
de grandes entreprises françaises
décidèrent, en 1982, de créer une
association afin de favoriser « la
rencontre entre les chercheurs en
sciences sociales et les acteurs de la
vie économique et sociale, [et] de
diffuser auprès du public les
connaissances produites par les sciences
humaines et sociales ». Ce fut la
Fondation Saint-Simon [1].
Durant près de vingt ans, cet
organisme imposa le point de vue de
Washington en France, créant ce que ses
détracteurs appelèrent « la pensée
unique ». La Fondation décida de se
dissoudre, en 1999, après les grèves de
1995 et l’échec de la réforme du système
de retraite.
La Fondation organisa 70 séminaires
annuels auxquels participèrent chaque
fois une quarantaine de personnes. Elle
publia 110 Notes mensuelles et
une quarantaine de livre. Enfin, plus
discrètement, elle organisa un dîner
mensuel réunissant des universitaires,
des chefs d’entreprises du CAC40, et les
principaux patrons de presse du pays.
Durant ces dîners, non seulement les
points de vue se rapprochèrent, mais les
patrons de presse décidèrent des sujets
qu’ils aborderaient et la manière dont
ils les traiteraient. Progressivement,
le pluralisme de la presse s’effaça
devant le « devoir d’informer », puis
devant le « pouvoir de former » les
esprits.
La Fondation avait été créée par d’un
côté l’historien François Furet et le
sociologue Pierre Rosanvallon, de
l’autre le lobbyiste Alain Minc,
l’industriel Roger Fauroux, le banquier
Jean Peyrelevade, et enfin l’éditeur
Yves Sabouret et l’intellectuel
Jean-Claude Casanova. Son financement
avait été imaginé par Henry Hermand, une
éminence grise de la gauche
non-communiste.
Toutes ces personnalités étaient
alors connues pour leurs liens avec un
puissant groupuscule états-unien : les
néo-conservateurs. Ces intellectuels
trotskistes venaient de rejoindre le
président républicain Ronald Reagan.
Dépassant les concepts de « droite » et
de « gauche », ils affirmaient combattre
le stalinisme et vouloir
« démocratiser » le monde par tous les
moyens. Ils ne cachaient pas leur
admiration pour le philosophe Leo
Strauss, théoricien d’une dictature
globale éclairée. Certains d’entre eux,
créèrent la National Endowment for
Democracy (NED) et le United States
Institute of Peace. Malgré les
apparences, ces deux fondations ont été
conçues comme des instruments au service
des « Cinq yeux », c’est-à-dire de
l’accord entre les services secrets de
l’Australie, du Canada, des États-Unis,
de la Nouvelle-Zélande et du
Royaume-Uni.
Au départ, la Fondation Saint-Simon
bénéficia de subventions de la John
M. Olin Foundation, qui avait invité
François Furet à enseigner à Chicago.
Cet organisme états-unien, marqué très à
droite, avait déjà financé les
trotskistes néo-conservateurs.
Rapidement, la Fondation Saint-Simon
adhéra à The Hague Club (le Club de La
Haye), une supra-structure de la
Fondation Rockefeller chargée de
financer une trentaine d’associations
européennes atlantistes avec des Fonds
de la CIA, puis de la NED.
C’est donc avec l’argent des services
secrets états-uniens que furent
organisés les dîners mensuels
rassemblant des universitaires de renom
et les patrons du CAC40 autour des
directeurs d’Études, d’Esprit,
d’Europe 1, de L’Expansion,
de L’Express, du Figaro,
de Libération, du Matin de
Paris, du Monde, de M6,
du Nouvel Observateur, de RTL
et des journalistes stars d’Antenne2
et de TF1.
Dans les années 90, lorsque le
sociologue britannique Anthony Giddens
lança la « Troisième voie » pour adapter
la rhétorique socialiste à l’économie de
marché, la Fondation Saint-Simon célèbra
avec enthousiasme ce tour de passe-passe
porté par Bill Clinton et de Tony Blair.
Anne
Sinclair, journaliste vedette de TF1 et
membre de la Fondation Saint-Simon, et
son ami Jacques Delors, candidat
officiel de la Fondation à la présidence
de la République.
1993 : l’opération
Jacques Delors & Martine Aubry
En 1993, les membres de la Fondation
Saint-Simon décidèrent de lancer leur
propre candidat à la présidence de la
République : le président de la
Commission européenne, Jacques Delors.
Simultanément, ils préparèrent la montée
en puissance de la fille de leur
candidat, la ministre du Travail Martine
Aubry, destinée à devenir sa Première
ministre.
Jacques Delors, alors socialiste,
avait débuté sa carrière politique à
droite, au cabinet de Jacques
Chaban-Delmas. Martine Aubry, alors
socialiste, avait débuté comme
responsable des relations publiques du
groupe Pechiney, dont le directeur Jean
Gandois deviendra « le patron des
patrons ».
Tandis que les organes de presse dont
les directeurs étaient membres de la
Fondation commençaient à tresser les
louanges de Jacques Delors et de sa
fille, le trésorier de la Fondation,
Alain Minc, créa dans les locaux de la
Fondation deux organisations
distinctes :
l’Association
nationale des entreprises pour
l’insertion (ANEI), afin d’impliquer de
grandes entreprises dans la campagne
électorale de Delors.
l’Association
des amis de la Fondation Agir contre
l’exclusion (FACE), pour financer
l’ascension d’Aubry.
Après l’échec de François Bayrou au
congrès des Démocrates sociaux (CDS),
Jacques Delors prit acte de
l’impossibilité de créer une nouvelle
majorité rassemblant les socialistes et
les centristes. Il renonça donc à se
présenter à l’élection présidentielle.
L’ANEI fut dissoute et ses actifs furent
transférés à la FACE.
Le programme politique de la
Fondation Saint-Simon et des Delors père
et fille était de faire de la France le
pilier de l’Union européenne. Il
prévoyait de faire de la France le
« hub » européen en y développant les
transports routiers transversaux et de
fonder l’économie sur un accroissement
de la main d’œuvre. Il convenait donc de
maintenir les femmes au travail et
d’augmenter l’immigration. Dans la
période transitoire, afin de contenir le
chômage, il faudrait diminuer le temps
de travail.
Ce programme a été partiellement
appliqué, par la suite, avec le
gouvernement Jospin, bien qu’alors la
conjoncture internationale eut changée.
En 1998 et 2000, la France adopta les 35
heures, cette fois contre l’avis du
patronat qui les soutenait en 1993-95,
et augmenta l’immigration du travail. Le
résultat fut inverse à celui imaginé en
1993 : le chômage crût inexorablement.
Le maintien des femmes au travail posa
de nouveaux problèmes en termes de
crèches, de temps de travail des enfants
à l’école, et finalement de baisse du
niveau des élèves. Dans ce contexte, la
présence massive d’immigrés déstabilisa
l’ensemble du système social.
1995 : l’opération
Juppé-Notat de réforme des retraites
Le projet de loi du Premier ministre
Alain Juppé (droite) sur la réforme des
retraites fut soutenu par la revue
Esprit et le syndicat CFDT
(gauche) ; le tout coordonné par la
Fondation.
C’est durant cette campagne que le
sociologue Alain Touraine émergea comme
porte-parole des Saint-Simoniens.
Cependant, face aux gigantesques
grèves de décembre 95, le projet de loi
dû être retiré. Victime de son échec, la
Fondation Saint-Simon ne tarda pas à se
dissoudre.
2000 : l’Institut
Montaigne
En 2000, le groupe d’assurances AXA
créé un nouveau think-tank, l’Institut
Montaigne. Bientôt, il publie un ouvrage
collectif d’universitaires et de chefs
d’entreprise, Le Courage de réformer.
Puis il prend le journaliste Philippe
Manière comme directeur. Celui-ci a été
formé par la Fondation Rockefeller au
Centre Bellagio qui abrite The Hague
Club.
L’Institut Montaigne milite pour des
réformes économiques et sociales en tous
points identiques à celles que la
Fondation Saint-Simon entendait
réaliser. En 2004, il rédige la
Charte de la diversité en entreprise,
immédiatement soutenue par la FACE et
aujourd’hui adoptée par de nombreux
groupes. En 2012, il publie un second
livre collectif, Réformer par temps
de crise. Après le retrait de Claude
Bébéar de la direction d’AXA, son
successeur à la tête de l’entreprise,
Henri de Castries, en devient président.
Anne
Sinclair toujours, mais cette fois avec
époux, Dominique Strauss-Kahn,
candidat officieux de Terra Nova à la
présidence de la République.
2008 : Terra Nova
En 2008, un collaborateur de
Dominique Strauss-Kahn, Olivier Ferrand,
créé l’association Terra Nova, dans des
locaux prêtés par Henry Hermand. Ce
nouveau think tank vise à faire entrer
la modernité états-unienne dans la vie
économique, sociale et politique de la
France. Il fonctionne sur le modèle du
Progressive Policy Institute créé par
Bill Clinton et le sénateur
pro-israélien Joseph I. Lieberman.
Comme la Fondation Saint-Simon avec
le Crédit Lyonnais, Terra Nova
entretient d’étroites relations avec des
banques, principalement avec Rothschild
& Cie.
En 2011, Terra Nova organisa la
première primaire du Parti socialiste
avec l’aide de la National Endowment for
Democracy qui envoya pour cela à Paris
son spécialiste, Tom McMahon. L’idée
était de faire adopter par d’autres
partis que les socialistes un candidat
unique, Dominique Strauss-Kahn, de sorte
qu’il soit en mesure de passer le
premier tour de l’élection
présidentielle et de l’emporter.
Directeur du Fonds monétaire
international, « DSK » devait faire
entrer les Français dans la
globalisation.
Malheureusement, il fut arrêté aux
États-Unis peu avant la primaire dans
laquelle il fut remplacé par Martine
Aubry. La fille de Jacques Delors passa
le premier tour, mais fut éliminée au
second par François Hollande.
À la mort d’Olivier Ferrand, le
secrétaire général de la CFDT, François
Chérèque, lui succéda à la présidence de
Terra Nova.
Mieux que
Bill Clinton et Tony Blair : Emmanuel
Macron, le gendre idéal.
2016 : l’opération
Emmanuel Macron
Ce long préambule permet de
comprendre le lancement de
l’opération Emmanuel Macron.
À sa sortie de l’ENA, Emmanuel
Macron a débuté, en 2004, au sein du
cabinet de Jean-Pierre Jouyet. Ce
dernier est un ancien collaborateur
de Roger Fauroux (le président de la
Fondation Saint-Simon) et de Jacques
Delors (le candidat présidentiel de
la Fondation). Par la suite Jouyet
est devenu ministre de Nicolas
Sarkozy (droite) puis secrétaire
général de l’Élysée de François
Hollande (gauche).
Emmanuel Macron fait alors un
détour par la banque Rothschild &
Cie. Puis entre à l’Élysée comme
adjoint de Jean-Pierre Jouyet. À
cette fonction, il remplace un autre
associé-gérant de Rothschild & Cie,
François Pérol.
En 2006, Emmanuel Macron rejoint
le Parti socialiste et la Fondation
Jean-Jaurès, dont une partie du
financement est assurée par les
trotskistes néo-conservateurs de la
National Endowment for Democracy
(NED). En 2007, il rejoint Les
Gracques, un groupe d’anciens
patrons et de hauts fonctionnaires,
dont Jean-Pierre Jouyet est
l’animateur. Cette association tente
d’organiser une alliance entre le
Parti socialiste et les centristes.
En 2012, Emmanuel Macron devient
Young leader de la
French-American Foundation [2],
dont Philippe Manière (le directeur
de l’Institut Montaigne) et Alain
Minc (le trésorier de la Fondation
Saint-Simon) sont administrateurs.
C’est sur recommandation du même
Alain Minc, qu’Emmanuel Macron
devient Research Fellow à la
London School of Economics,
lorsqu’il quitte l’Élysée, en 2014.
En mai-juin 2014, Emmanuel Macron
est invité à la réunion annuelle du
Groupe de Bilderberg. L’ordre du
jour prévoyait aussi bien la
question de l’échange interétatique
de Renseignement que l’architecture
du Moyen-Orient post-Printemps
arabes. Cette institution a été crée
en marge de l’Otan qui en assure
directement la sécurité, quel que
soit le pays où elle se réunit. Son
président actuel est le Français
Henri de Castries, Pdg d’AXA et
président de l’Institut Montaigne.
En 2016, dans les locaux de
l’Institut Montaigne, Emmanuel
Macron créé son propre parti, En
Marche !, avec l’aide d’Henry
Hermand (un des principaux mécènes
de la Fondation Saint-Simon, puis de
Terra Nova) [3].
Après s’être largement expliqué sur
les plateaux de télévision, l’homme
décéde en novembre 2016, à 92 ans.
L’originalité de ce parti est que,
durant ses huit premiers mois, il
n’aura pas ni programme, ni
proposition, juste un candidat à la
présidentielle. Cela ne l’empêchera
pas d’être rejoint par toutes sortes
de personnalités politiques qui
n’eurent pas besoin qu’on leur
précise ce qu’elles savaient déjà :
le programme de Macron, c’est celui
de Delors et de Strauss-Kahn.
Si la candidature de Jacques
Delors visait à faire de la France
le pilier de l’Union européenne,
celle d’Emmanuel Macron comme celle
de Dominique Strauss-Kahn entend
faire entrer les électeurs (on n’ose
plus dire les « Français ») dans la
globalisation. Le soutien apporté
par les médias est beaucoup plus
facile que deux décennies auparavant
car ils se sont concentrés et que
les six principaux patrons de presse
sont favorables à la globalisation.
Macron étant candidat à la
présidentielle, Aubry renonce cette
fois à se présenter à la primaire
socialiste. En février 2017,
François Bayrou, qui n’avait pu
emmener les Démocrates-sociaux à
soutenir Jacques Delors, apporte son
soutien à Emmanuel Macron.
C’est ainsi que l’on fait du neuf
avec du vieux. Chaque année les
Français célèbrent dans la fête le
« beaujolais nouveau », puis ils
retournent à leurs occupations. Car,
à la différence de la « France
éternelle » de De Gaulle, cette
aimable piquette ne se conserve pas.
Durant une
dizaine d’années, l’auteur a
participé à de nombreux séminaires
de la Fondation Saint-Simon.
[1]
« La
face cachée de la Fondation
Saint-Simon », par Denis Boneau,
Réseau Voltaire, 10 février
2004.
[2]
« Un
relais des États-Unis en France : la
French American Foundation »,
par Pierre Hillard, Réseau
Voltaire, 19 avril 2007.
[3]
« Henry
Hermand : "Mon soutien à Macron ne
doit pas faire plaisir à Hollande" »,
Mathilde Siraud, Le Figaro,
18 septembre 2016.
Thierry Meyssan
Consultant
politique, président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007). Compte
Twitter officiel.
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