Focus
La prévisible défaite de la France au
Moyen-Orient
Thierry Meyssan
Le 6
juillet 2012, le criminel de guerre Abou
Saleh (Brigade Farouk) était l’invité
spécial du président François Hollande
(le jeune homme de face, assis sur le
côté de la tribune, à la droite de la
photo). Il avait dirigé l’Émirat
islamique de Baba Amr et fait égorger en
public plus de 150 personnes.
Lundi 8 juin 2015
Alors que la signature de
l’accord entre Washington et Téhéran
se rapproche, Thierry Meyssan retrace et
analyse la politique de François
Hollande au Proche-Orient de soutien aux
monarchies du Golfe et à l’apartheid
israélien. De manière incontestable, il
montre que cette politique, contraire
aux valeurs de la République et aux
intérêts de la Nation, sert
exclusivement les ambitions personnelles
de quelques individus et du groupe
social qu’ils représentent.
Élu en mai 2012 président de la
République française, François Hollande
aura imposé à son pays une orientation
de politique étrangère entièrement
nouvelle. Le fait qu’il se soit présenté
comme un homme de gauche a masqué aux
yeux de ses concitoyens que ce
haut-fonctionnaire tournait le dos aux
intérêts de la Nation, à son histoire et
à sa culture, et plaçait l’État au
service d’un groupuscule de grands
bourgeois néo-conservateurs.
Le changement du
printemps 2012
Alors
que durant sa campagne électorale, il
avait semblé ouvert à toutes les
analyses, s’entourant de plusieurs
groupes de réflexion concurrents, il
devait mettre bas son masque dès sa
prise de fonction, le 15 mai. Ainsi
plaçait-il son mandat sous les auspices
de Jules Ferry. Avec subtilité, il
affirmait honorer le fondateur de
l’école laïque et obligatoire et non pas
le théoricien socialiste de la
colonisation. Pourtant, la laïcité de
Ferry ne visait pas à garantir la
liberté de conscience, mais à extirper
les enfants des mains de l’Église
catholique et à les former, sous
l’autorité des « hussards noirs », pour
en faire la chair à canon de ses
expéditions coloniales.
Le
6 juillet, il réunissait à Paris une
coalition d’États auto-proclamés « Amis
de la Syrie », pour saboter l’accord de
Genève et relancer la guerre contre la
Syrie. Symboliquement, il saluait les
« démocrates » (sic) du Conseil national
syrien, une organisation fantoche
composée par le Qatar en s’appuyant sur
la société secrète des Frères musulmans.
Il se pavanait aux côtés du criminel de
guerre Abou Saleh qui avait dirigé
l’Émirat islamique de Baba Amr et fait
décapiter plus de 150 de ses
compatriotes. Il prononçait alors un
discours, écrit en anglais par ses
mentors, puis traduit en français.
Dans
la foulée, le 22 juillet, il affirmait
solennellement que la France était
comptable des crimes commis par le
gouvernement illégitime de Philippe
Pétain envers les citoyens juifs. En
d’autres termes, le haut-fonctionnaire
Hollande posait la supériorité de l’État
sur la République.
J’écrivais alors que François
Hollande, prenant la succession de
Philippe Pétain, avait offert la France
aux puissants du moment et renouait avec
la politique coloniale [1].
Considérant que mon exil politique
m’avait fait perdre le sens de la
mesure, beaucoup décidèrent d’ignorer ce
qu’ils considéraient comme une outrance.
Aussi ai-je été soulagé en lisant le
dernier ouvrage du démographe Emmanuel
Todd, Qui est Charlie ?, dans
lequel il s’emploie à analyser comment
et pourquoi l’électorat actuel du Parti
socialiste est l’héritier des
« Maréchalistes » [2].
J’ai toujours éprouvé une forte
admiration pour cet intellectuel qui est
parvenu à montrer l’impact inconscient
des systèmes familiaux sur l’histoire.
Étant étudiant en sciences politiques,
j’avais dévoré sa thèse montrant que la
division du monde durant la Guerre
froide correspondait en réalité aux
structures familiales des peuples.
Cartes à l’appui, il observe
qu’aujourd’hui, l’électorat du Parti
socialiste, largement déchristianisé, a
perdu ses repères et se replie sur
lui-même. Il avait déjà analysé le
ralliement de la classe dirigeante
autour du culte de l’euro, c’est-à-dire
de la loi du plus fort dans l’espace
européen. Il conclue que le Parti
socialiste a vendu le pays à l’étranger
avec l’approbation d’un électorat de
possédants.
Jacques
Audibert, François Hollande et le
général Benoît Puga en réunion à
l’Élysée.
L’équipe de François
Hollande
Le changement de politique étrangère
voulu par le président de la République
s’appuie sur une analyse simple : les
États-Unis ayant moins besoin du pétrole
du Golfe ont annoncé leur intention de
faire pivoter leur dispositif militaire
vers l’Extrême-Orient. En soutenant
Washington à la manière d’un Tony Blair
sur la scène internationale, François
Hollande pourrait prendre la place que
les États-Unis laissent vacante dans le
Golfe et bénéficier d’argent facile.
C’est en toute logique que le Qatar
—c’est-à-dire Exxon-Mobil, la société
des Rockefeller— a largement financé la
campagne électorale de François
Hollande [3].
Ce don illégal au regard du droit
français ayant été négocié par Laurent
Fabius, M. Hollande, une fois élu, le
désigna ministre des Affaires étrangères
malgré leur vieille rivalité.
La cour effectuée par François
Hollande auprès de ses généreux mécènes
du Golfe s’accompagne d’un soutien
appuyé à l’État d’Israël. On se souvient
que le président Charles De Gaulle avait
rompu avec cet État colonial, en 1967,
affirmant que la France, qui s’était
alliée avec lui pour contrôler le Canal
de Suez et lutter contre l’indépendance
de l’Algérie, ne pouvait plus le faire
une fois qu’elle avait renoncé à son
Empire. Le président Hollande choisit,
au contraire, de déclarer en hébreu lors
de son arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv,
en novembre 2013 : « Tamid écha-èr
ravèr chèl Israël, je suis votre ami
et je le serai toujours » [4].
Pour mettre en œuvre son virage, le
président a constitué une équipe autour
de deux personnalités d’extrême-droite :
son chef d’état-major privé, le général
Benoît Puga, et son conseiller
diplomatique, Jacques Audibert.
Le général Benoît Puga est un ancien
de « la coloniale » (infanterie de
Marine). Chrétien lefebvriste, il ne
fait pas mystère de son admiration de
l’ancien archevêque de Dakar et de sa
détestation de la Révolution française.
Entre deux messes à Saint
Nicolas-du-Chardonnet, il a dirigé les
Opérations spéciales et le Renseignement
militaire. Il avait été nommé à l’Élysée
par le président Nicolas Sarkozy et,
fait sans précédent pour cette fonction,
a été incorporé dans son cabinet par son
successeur.
Jacques Audibert est souvent qualifié
par ses anciens collaborateurs
d’« Américain avec un passeport
français », sa dévotion à l’impérialisme
états-unien et au colonialisme israélien
étant bien plus grande que son respect
pour la République française. Il a joué
un rôle central dans le blocage durant
des années des négociations 5+1 avec
l’Iran. Il espérait être nommé
représentant permanent de la France à
l’Onu, mais a finalement rejoint le
président Hollande à l’Élysée.
Lorsqu’il était directeur des
Affaires politiques au Quai d’Orsay,
Jacques Audibert a systématiquement
éliminé les diplomates arabisants en
commençant par les plus compétents. Les
plus prestigieux ont été exilés en
Amérique latine. Il s’agissait certes
d’éliminer tout soutien aux Palestiniens
pour satisfaire les colons israéliens,
mais aussi et surtout d’en terminer avec
des siècles de « politique arabe de la
France » de manière à laisser tomber les
alliés traditionnels et à se rapprocher
des milliardaires du Golfe, malgré leurs
dictatures et leur fanatisme religieux.
Cette évolution, aussi surprenante
soit elle, correspond à ce que François
Hollande avait annoncé, il y a plusieurs
années. Reçu le 30 novembre 2005 par le
Conseil représentatif des institutions
juives de France (CRIF), il avait alors
déclaré, selon le procès-verbal de
séance : « Il y a une tendance qui
remonte à loin, ce que l’on appelle la
politique arabe de la France et il n’est
pas admissible qu’une administration ait
une idéologie. Il y a un problème de
recrutement au Quai d’Orsay et à l’ENA
et ce recrutement devrait être
réorganisé » [5].
Le fond de la pensée
Hollande
François Hollande a exprimé le fond
de sa pensée en évoquant la Résistance.
Il a défini ce concept lors de la
panthéonisation de quatre grandes
figures de la Résistance française, le
27 mai dernier, en excluant les
communistes de son hommage.
La Résistance française a inspiré des
États et des milices qui, aujourd’hui,
disent non à l’occupation de leur terre
et à la soumission à un régime
d’apartheid. En hommage à leurs
prédécesseurs français, ils ont défini
leur alliance comme l’« Axe de la
Résistance ».
Mais aux Palestiniens, François
Hollande a dénié le droit de résister
et, dans la droite ligne de l’armistice
de 1940 les a enjoints de « négocier »
(sic). Il a fait qualifier le Hezbollah
de « terroristes » par l’Union
européenne, comme Philippe Pétain fit
condamner Charles De Gaulle à mort pour
« terrorisme » [6].
Il a livré la guerre aux Syriens et a
imposé un siège économique aux Iraniens.
Après le
président israélien Shimon Peres par
vidéo-conférence, François Hollande a
été le second chef d’État non-musulman
invité à une séance du Conseil de
coopération du Golfe.
François Hollande et
les dictateurs du Golfe
Durant les trois dernières années, la
France a bénéficié du soutien d’Hillary
Clinton et du général David Petraeus
pour les États-Unis, d’Exxon-Mobil et de
son État privé le Qatar, et enfin de la
famille des Séoud et de l’État privé
auquel elle a donné son nom d’« Arabie
saoudite ».
La France a pu ainsi lancer une
seconde guerre contre la Syrie et l’Irak
en déplaçant des dizaines de milliers de
mercenaires venus du monde entier, dont
quelques milliers de Français. Elle
porte ainsi une responsabilité
primordiale dans les centaines de
milliers de morts qui ont endeuillé le
Levant. Bien sûr, tout cela a été fait
sous couvert d’aide humanitaire à des
populations martyrisées.
Officiellement, cette politique n’a
pas encore donné ses fruits. La Syrie
est toujours en guerre et il est
impossible d’en exploiter le gaz, bien
que les « Amis de la Syrie » (sic) se le
soient déjà répartis, en juin 2012 [7].
Par contre,
la
France a reçu une commande de 3
milliards de dollars en armement de
l’Arabie saoudite pour l’Armée
libanaise. Il s’agissait de remercier
les Libanais de ne pas avoir enregistré
les aveux de Majed el-Majed, l’agent de
liaison entre l’Arabie saoudite et
al-Qaïda et de remercier les Français de
mener la guerre contre la Syrie [8].
la
France a vendu 24 Rafale au Qatar pour
6,3 milliards d’euros.
Mais ces méga-contrats ne profiteront
pas à la France :
les
Israéliens ont opposé un veto à la vente
au Liban d’armes capables de leur
résister. La France n’a donc été
autorisée qu’à fournir pour 700 millions
de dollars d’uniformes, de véhicules de
service et d’armes de poing. Les 2,3
milliards restants seront des armes
dépassées fabriquées en Allemagne de
l’Est.
le
Qatar a certes acheté des Rafales, mais
a exigé en échange que le gouvernement
contraigne Air-France a abandonner
certaines de ses lignes les plus
profitables à Qatar Airways.
De toute manière, même si ces
contrats avaient été honnêtes, ils
n’auraient jamais remplacé ceux qui ont
été perdus par l’acharnement de Jacques
Audibert contre toutes sociétés
françaises travaillant avec l’Iran, tel
Peugeot ou Total, ni par celui du
général Benoît Puga pour faire détruire
toutes les usines françaises installées
en Syrie.
Le 30
juin, malgré l’opposition de Benjamin
Netanyahu et de François Hollande, et
leurs multiples tentatives de sabotage,
John Kerry et Mohammad Javad Zarif
devraient signer d’une part un accord
multi-parties sur le nucléaire et,
d’autre part, un accord bilatéral de
cessez-le-feu régional.
L’accord
Washington-Téhéran
Malgré les efforts de l’équipe
Hollande en général et de Jacques
Audibert en particulier, l’accord
négocié entre les États-Unis et l’Iran
devrait être signé le 30 juin 2015. On
se reportera à mes articles antérieurs
sur les conséquences de ce texte [9].
D’ores et déjà, il apparaît que les deux
grands perdants seront le peuple
palestinien et la France. Le premier
parce que plus personne ne défendra son
droit inaliénable au retour et la
seconde parce qu’elle aura associé son
nom à trois ans d’injustice et de
massacres dans cette région.
Cette semaine, le 2 juin, le
secrétaire d’État adjoint, Antony
Blinken, est venu co-présider à Paris
une réunion des 22 États membres de la
Coalition internationale anti-Daesh.
Contrairement à ce qu’en a dit la presse
française, il ne s’agissait pas
d’organiser la riposte militaire aux
chutes de Ramadi et de Palmyre ; le
Pentagone n’a pas besoin de réunir ses
alliés pour savoir ce qu’il doit faire.
Non, le sujet était de faire avaler son
chapeau au ministre français des
Affaires étrangères, Laurent Fabius, et
de lui faire accepter l’accord
irano-états-unien. Ce qu’il a été
contraint de faire.
La signature de l’accord était
menacée par la chute de Palmyre qui
coupe la « route de la soie »,
c’est-à-dire la voie de communication
entre l’Iran d’un côté, la Syrie et le
Hezbollah de l’autre [10].
Dans le cas où Palmyre resterait aux
mains des jihadistes (c’est-à-dire des
mercenaires luttant contre l’« Axe de la
Résistance » [11]),
Téhéran ne pourrait pas transporter son
gaz et l’exporter vers l’Europe et
n’aurait donc aucun intérêt à s’entendre
avec Washington.
Le secrétaire d’État adjoint Antony
Blinken a donc informé l’assistance
qu’il avait autorisé l’« Axe de la
Résistance » à amener en Syrie des
troupes fraîches pour vaincre Daesh. Il
s’agit en l’occurrence de
10 000 Gardiens de la Révolution, qui
viendront renforcer l’Armée arabe
syrienne avant le 30 juin. Jusqu’ici les
Syriens se défendaient seuls, uniquement
avec le Hezbollah libanais et le PKK
turc, mais sans troupes russes ou
iraniennes, ni milices irakiennes.
Antony Blinken a également informé
ses interlocuteurs qu’il avait été
conclu avec la Russie un accord
autorisant la tenue d’une conférence de
paix sur la Syrie, sous les auspices des
Nations unies au Kazakhstan. Il a exigé
que Laurent Fabius signe une déclaration
finale acceptant le principe d’un
gouvernement syrien désigné par
« consentement mutuel » entre l’actuelle
coalition au pouvoir (Baas et PSNS) et
ses différentes oppositions, qu’elles
soient à Paris ou à Damas.
Après s’être fait remonter les
bretelles, M. Fabius a ravalé son slogan
« Bachar doit partir », a admis que le
président el-Assad terminerait le mandat
pour lequel son peuple l’a largement
élu, et s’est piteusement rabattu sur un
« Monsieur Bachar (sic) ne sera pas
l’avenir de la Syrie ».
Dans trois semaines, le roi devrait
être nu. En signant ensemble, Washington
et Téhéran réduiront à néant les calculs
de François Hollande, du néoconservateur
Jacques Audibert et du néo-fasciste
Benoît Puga.
[1]
« La
France selon François Hollande »,
par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire,
30 juillet 2012.
[2]
La majorité des Français qui soutinrent
l’armistice de Philippe Pétain n’étaient
pas des fascistes, mais des
« Maréchalistes ». Traumatisés par la
boucherie de 14-18, ils se réfugiaient
derrière l’autorité du vainqueur de
Verdun pour justifier leur refus de
combattre l’envahisseur nazi.
[3]
« François
Hollande négocie avec l’émir de Qatar »,
Réseau Voltaire, 31 janvier 2012.
[4]
« Déclaration
de François Hollande à son arrivée à
l’aéroport de Tel-Aviv », par
François Hollande, Réseau Voltaire,
17 novembre 2013.
[5]
« France :
le Parti socialiste s’engage à éliminer
les diplomates pro-arabes », par
Ossama Lotfy, Réseau Voltaire, 9
janvier 2006.
[6]
« L’UE
assimile la Résistance libanaise à du
terrorisme », Réseau Voltaire,
22 juillet 2013.
[7]
« Les
« Amis de la Syrie » se partagent
l’économie syrienne avant de l’avoir
conquise », par German Foreign
Policy, Horizons et débats
(Suisse), Réseau Voltaire, 14
juin 2012.
[8]
« Le
silence et la trahison qui valaient 3
milliards de dollars », par Thierry
Meyssan, Réseau Voltaire, 15
janvier 2014.
[9]
Voir notamment : « Que
deviendra le Proche-Orient après
l’accord entre Washington et Téhéran ? »,
par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire,
18 mai 2015.
[10]
« La
chute de Palmyre renverse l’équilibre
géopolitique au Levant », par
Thierry Meyssan, Réseau Voltaire,
25 mai 2015.
[11]
« Les
jihadistes au service de l’impérialisme »,
par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire,
1er juin 2015.
Thierry
Meyssan,
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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