De Trump à Macron,
les grands cimetières
sous la « une »
Thierry Deronne
Vendredi 15 février 2018
Lorsqu’il remonte
ce 13 février les couloirs feutrés du
Congrès jusqu’aux aux lambris du
House Committee on Foreign Relations,
Elliot Abrams, l’envoyé
spécial de Donald Trump pour le
Venezuela, a de quoi se réjouir. Le
leurre des caisses à moitié vides a
fonctionné. L’opinion publique
occidentale s’est aussitôt étranglée:
“pourquoi Maduro refuse-t-il l’aide
humanitaire alors que son peuple meurt
de faim ?”.
Convoyées par
l’USAID, l’ONG de la CIA, jusqu’à une
région de Colombie en proie à une
pauvreté extrême, ces caisses que ni la
Croix Rouge ni Caritas ne veulent
distribuer car elles n’y voient pas
d’“aide humanitaire” (1), ne
concerneraient en fait que 20 mille
vénézuéliens pour quelques jours, selon
l’autoproclamé “président” Juan
Guaido. Ce cheval de Troie,
entouré d’une nuée de médias, a une
fonction plus plausible : servir de
décor à un incident militaire, voire à
une invasion.
Depuis près de deux
ans le gouvernement bolivarien résiste à
la hausse des prix pratiquée par les
oligopoles privés de l’alimentation. Via
des Comités Locaux
d’Approvisionnement et de Production
(CLAP), il distribue une à deux fois
par mois des caisses de nourriture à six
millions de familles des classes
populaires. Le prix des aliments est
symbolique : 1 % de celui du secteur
privé. Le gouvernement verse également
des allocations pour tenter de défendre
un salaire attaqué de toutes parts. En
fait, au grand étonnement des voyageurs,
on, n’observe nulle “crise
humanitaire” au Venezuela, comme l’a
expliqué l’expert dépêché sur place par
l’ONU, Alfred de Zayas. Pour qui “l’aide,
la seule, serait de lever le blocus et
de cesser la guerre économique”. (2)
Tout cela a
été occulté par les médias occidentaux.
Mais ce 13 février, lors de son audition
par le Congrès, malgré l’avantage du
“sens commun” construit par les
journalistes, Elliot Abrams est mis sur
le grill par la ténacité d’une
représentante démocrate, issue du
mouvement féministe:
Ilhan Omar. Celle-ci rappelle à
Abrams son passé d’organisateur et de
financeur des escadrons de la mort dans
l’Amérique Centrale des années 80. Elle
prononce le nom qui fait mal : El
Mozote. Le 10 décembre 1981, le bataillon
de réaction immédiate Atlacatl,
formé aux États-Unis, a torturé, violé,
dépecé plus de 800 civils, hommes,
femmes et enfants de cette communauté
paysanne du Salvador. 136 des restes
identifiés par les médecins-légistes
argentins correspondent à des enfants de
moins de six ans. “Propagande
communiste” s’était alors gaussé
Abrams. « Allez-vous appuyer des
groupes criminels et le génocide au
Venezuela comme vous l’avez fait au
Nicaragua, au Salvador et au Guatemala,
si cela favorise les intérêts des
Etats-Unis? » insiste la membre du
Congrès. “Je refuse de répondre à ce
qui n’est pas une question” rétorque
Abrams. Ilhan Omar lui répond dans les
yeux : “Savoir si, alors qu’un
génocide a lieu, vous détournerez le
regard car cela sert les intérêts
américains, est une question légitime
pour le Congrès et pour le peuple
états-unien”. La représentante du
Minnesota sait de quoi elle parle : à
l’âge de dix ans, elle a dû quitter la
Somalie, un pays qui a subi une
intervention militaire des Etats-Unis
soucieux d’y acheminer leur “aide
humanitaire”.
Dans les
années 80, lorsque le Congrès décida de
ne plus leur octroyer de budget officiel
aux paramilitaires antisandinistes, Abrams
organisa le financement clandestin des
opérations meurtrières de la
« Contra » et leur fit livrer des
armes camouflées en « aide
humanitaire ». Abrams mentit au
Congrès à deux reprises sur son rôle,
plaidant coupable avant d’être grâcié
par George W. Bush. Défenseur
enthousiaste de l’invasion de l’Irak, il
oeuvrait de nouveau à la Maison Blanche
au moment du coup d’Etat avorté de 2002
contre Hugo Chávez. « Je n’arrive pas
à comprendre« , assène Ilhan Omar,
« pourquoi les membres de ce Comité ou
le peuple américain devraient considérer
comme véridique tout témoignage que vous
donnez aujourd’hui« .
« El Mozote: The
Volumetrics of a Massacre, » Oeuvre de
Romeo G. Osorio en mémoire des enfants
assassinés.
Le président Macron
est connu à l’étranger pour l’usage
disproportionné de la force contre la
population française, avec un bilan
actuel d’une dizaine de morts, de
centaines de personnes blessées,
mutilées à vie, et des centaines de
prisonniers. Mais il faut rappeler que
bien avant la nomination d’Addams par
Trump, il a également reçu à l’Elysée
les “fils cachés de Pinochet” du
Venezuela. On le voit ainsi sourire aux
côtés de Julio Borges et de Freddy
Guevara, organisateurs du coup d’Etat de
2002 contre Hugo Chavez et des
tentatives de coup d’Etat postérieures,
non moins violentes, menées de 2013 à
2017 contre le président Nicolas Maduro (3).
Comme l’extrémiste
de droite Juan Guaido, adoubé
“président du Venezuela » par Trump
et Macron, les hommes de Washington ont
montré leur vrai visage lors de ces
éphémères passages à l’acte : formation
par les paramilitaires colombiens,
attentats terroristes contre des
transports en commun, des ministères,
des maternités, des centres de santé,
sous-traitance de violences par la
pègre, utilisation
d’enfants-mercenaires, assassinats et
tortures. Les photos plus bas montrent
un manifestant de la droite
vénézuélienne éloigner ses comparses
pour brûler vif le jeune Orlando Jose
Figuera après l’avoir tabassé, jeté au
sol et aspergé de combustible. Ces
lynchages d’afrodescendants ont été
commis par les amis de Mr. Macron au
Venezuela en 2017. Comme leurs mentors
Uribe, Duque, Bolsonaro, Abrams ou
Bolton, cette faction radicale rêve
aujourd’hui de s’emparer du pouvoir pour
“finir le travail”: nettoyer
définitivement le Venezuela de tous les
microbes communistes.
Autour du
président français Emmanuel Macron, les
leaders de l’extrême droite
vénézuélienne
Julio Borges (gauche) et Freddy Guevara
(droite), reçus à l’Élysée le 4
septembre 2017.
Julio
Borges (centre) avec Leopoldo Lopez et
Henrique Capriles Radonsky lors du coup
d’État
sanglant d’avril 2002 organisé contre le Président Chavez par le MEDEF
local,
les télévisions privées et des
militaires formés à la School of
Americas.
Freddy
Guevara (en bas à gauche) et ses croisés
« pacifiques », lors de l’insurrection
de 2017.
Le jeune
Orlando Figuera, brûlé vif dans un
quartier chic de Caracas par des
extrémistes transformés
par les médias internationaux en « combattants de la liberté » ».
Voir http://wp.me/p2ahp2-2CO
Si Mr. Macron se
fait prendre en photo à côté d’eux,
c’est aussi parce que l’écrasante
majorité des journalistes a créé un sens
commun : ces violateurs des droits
humains seraient des “combattants de
la liberté”. Sauf que le “peuple”
du Venezuela que montrent les
médias, n’en est pas un. Depuis
plusieurs années, seul l’Est de Caracas,
ses beaux quartiers, ses 10% de classe
moyenne et ses manifestations anti-Maduro,
ont droit de cité à la télé. Cette
minorité sociologique et politique est
constamment transformée par les
journalistes en « peuple ». Et
chaque fois que ses militants d’extrême
droite cherchent l’affrontement, les
télévisions du monde entier sont déjà
sur place pour enregistrer l’image et
inverser la chronologie au montage. La
riposte des forces de l’ordre précède
alors les violences des paramilitaires
et devient par la magie de l’inversion…
la répression à priori d’un Etat contre
le « peuple ». Les éléments
financés et entraînés par l’Empire sont
repeints, une fois de plus, en
« combattants de la liberté ». Par
contre, l’immense Ouest populaire de
Caracas où vivent les 80% des habitants,
tout comme les zones rurales, reste
invisible. Parce qu’il est pacifique et
constitue en grande partie la base
sociale du processus de transformation.
Ce n’est pas tout : à chaque fois, les
médias imputent automatiquement au
« régime » les morts causés par
l’extrême droite, ce qui alimente
l’énergie des tueurs. Ceux-ci savent
parfaitement que chaque mort imputé à
Maduro renforcera le discours en faveur
d’une intervention. Mais qui, de
Médiapart au Soir, de
France Inter au Monde, de
RFI à El Pais, qui, dans la
vaste zone grise (Primo Levi) de l’“actu”
reconnaîtra qu’il encourage des
assassins ?
Comme l’explique
l’ex-rédacteur en chef du Monde
Diplomatique Maurice Lemoine :
“aux pages les plus honteuses de
l’Histoire de France – la reconnaissance
du régime franquiste en 1939 ou le
maintien des relations diplomatiques
avec le Chili, après le « golpe » du
général Augusto Pinochet (1973) – , il
convient désormais de rajouter un
chapitre : l’appui d’Emmanuel Macron à
la tentative de coup d’Etat au
Venezuela” (4). Il est urgent
de dénoncer la complicité de Mr. Macron
et des grands médias avec une extrême
droite qui rêve de faire du Venezuela,
comme la Colombie, un grand cimetière
sous la lune.
Le symbole
de la « main blanche » commercialisé
pour les sympathisants de Juan Guaido
à Caracas ressemble beaucoup au sigle
que les escadrons de la mort du Salvador
peignaient sur les portes de leurs
victimes.
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