Amérique latine
Le spectre du fascisme au
Venezuela
Alci Rengifo
Oscar
Pérez, présenté comme le « superman
anti-dictature bolivarienne » par les
grands médias, a mené le 27 juin une
double attaque terroriste (tirs de
rafales et de grenades depuis un
hélicoptère) contre le Tribunal Suprême
de Justice et le Ministère de
l’Intérieur à Caracas.
Samedi 8 juillet 2017
Il était
presque inévitable que la crise
vénézuélienne engendre des spectres du
fascisme. Avec 80 morts au cours
d’affrontements de rue persistants, et
la nation prise entre une bureaucratie
incertaine et une vieille garde de
l’opposition, le terrain est prêt pour
l’apparition de nouveaux acteurs
radicaux. Le 27 juin, la situation déjà
volatile a pris un nouveau tournant
lorsqu’un hélicoptère de police détourné
fut utilisé pour attaquer plusieurs
bâtiments gouvernementaux. Le ministère
de l’Intérieur et de la Justice et la
Cour suprême furent visés par des
attentats à la grenade, sans faire de
blessés. Ce qui devrait attirer plus
d’attention, c’est la vidéo publiée lors
de l’assaut par Oscar Alberto Perez, un
officier de l’Agence de police
criminelle et scientifique du Venezuela.
Perez a non seulement participé à
l’attaque, mais prétend faire partie
d’un réseau souterrain infiltré dans les
forces de sécurité et de l’armée,
déterminé à faire tomber le gouvernement
sous assaut de Nicolas Maduro. Ce fut un
acte qui, par sa méthode de
planification, pourrait être qualifié de
cinématographique. La vidéo de
Pérez a tout d’une déclaration gothique,
avec ombres pesantes et du matériel
militaire. Il regarde d’un air sévère la
caméra avec un froncement de sourcils à
la Mussolini, vêtu d’une tenue de
combat. Derrière Perez se tiennent des
hommes masqués tenant des mitrailleuses.
C’est le travail de quelqu’un qui sait
comment projeter une image précise.
Avant de devenir comploteur, Perez a
également travaillé comme acteur du
série B au Venezuela, dans des rôles
typiquement machistes dans des films
avec des titres tels que Mort Suspendue.
Dans les photos tirées du film, on peut
voir les yeux froids qui aujourd’hui
proclament aux Vénézuéliens que la
délivrance du socialisme
internationaliste en décomposition est à
portée de main.
Une grande
partie de la couverture médiatique s’est
concentrée sur les déclarations
tonitruantes de Perez concernant « la
restauration de l’ordre
constitutionnel ». Mais écoutez
attentivement les autres expressions et
termes que Pérez utilise dans la vidéo.
Ils donnent un aperçu d’une forme de
pensée fasciste qui prévaut en Amérique
latine depuis au moins la guerre civile
espagnole. Dans la vidéo, Perez marie
l’idée de la lutte nationaliste avec
l’idéalisme chrétien. En désignant un
brassard bleu attaché à son bras gauche,
il dit : « Nous utilisons ce signe, qui
est la couleur de la vérité et de
Jésus-Christ, qui est avec nous ». Il
s’identifie explicitement, lui et à ses
camarades, comme « nationalistes,
patriotes et Institutionnalistes « .
Vers la fin, il s’écrie plusieurs fois :
« nous sommes des guerriers de Dieu, et
notre mission est de vivre au service du
peuple. Vive le Venezuela ! » Les
centurions masqués derrière Perez
soulèvent leurs poings en synchronisme
avec le futur libérateur et répètent la
dernière phrase. Le langage employé par
Perez évoque les slogans de dirigeants
fascistes comme Francisco Franco, qui a
déclaré : « Je suis responsable
uniquement envers Dieu et l’histoire. »
Espérons qu’il n’adapte pas le slogan du
commandant franquiste José Millan Astray
qui a popularisé le cri de « Viva la
Muerte ».
Il n’est pas
surprenant que certains de l’opposition
vénézuélienne décrivent maintenant tout
cet épisode comme un faux drapeau
organisé par le gouvernement Maduro pour
justifier des mesures contre les
troubles persistants. Jusqu’à
maintenant, la plupart des dirigeants de
l’opposition étaient des figures de
l’ancienne garde sociale, habillés de
polos, de casquettes de baseball et se
comportant comme des produits typiques
du système d’enseignement privé
latino-américain. Le principal dirigeant
de l’opposition, Henrique Capriles
Radonski, a toujours donné l’impression
d’avoir un minimum de lucidité et du
genre à marcher dans les rues de
Westwood ou de Beverly Hills comme un
avocat ou un étudiant boursier.
Ces personnes
ont réussi à mettre à feu les rues du
Venezuela en raison d’une crise
économique désastreuse et d’un
gouvernement maladroit. Pourtant, ils
ont manqué la vision et le talent
dramaturgique nécessaire pour diriger
une révolution. C’est une raison – en
plus de leur identification avec les
classes supérieures – pour lesquelles
ils ne pourraient jamais rivaliser avec
la figure éloquente et hors normes de
feu Hugo Chavez. Lorsque les prix du
pétrole était au plus haut, et que
Chavez semblait capable de contourner
les structures capitalistes du pays pour
financer son projet, quelqu’un comme
Radonski ne pouvait jamais se comparer
au titan rouge. Avec Chavez mort, et
remplacé par un Maduro moins
charismatique, il semble que le fascisme
révolutionnaire commence à relever la
tête, en utilisant l’image et la
violence pour gagner des convertis.
En tant
qu’acteur, Perez savait comment
planifier l’attaque d’un hélicoptère
pour être plus théâtral que mortelle.
Une bannière pendait sur le côté de
l’hélicoptère qui lisait « Liberté.
Article 350. » Ce fut un geste
dramatique utilisant l’article de la
constitution vénézuélienne qui donne aux
citoyens le droit de se rebeller contre
un régime tyrannique. Ironiquement,
c’était la constitution fondée par
Chavez lui-même après avoir assumé le
pouvoir à la fin des années 1990. Mais
au cœur du drame, ce qui compte, c’est
l’impact de l’image. Jusqu’à présent,
l’opposition vénézuélienne n’avait aucun
sens du romantisme politique. Perez a
compris le besoin de gestes héroïques,
mais avec les arts noirs du fascisme.
La situation
au Venezuela est un étrange mélange
d’escalade et d’impasse. L’opposition a
rassemblé suffisamment de soutien pour
poser au moins une menace électorale au
gouvernement de Maduro, mais ils n’ont
toujours pas pu pénétrer pleinement les
secteurs pauvres et ouvriers – ceux qui
s’accrochent encore aux programmes
sociaux du Chavisme. Si un mouvement
nationaliste radical émergeait avec la
capacité de mordre sur les secteurs des
opprimés, alors l’équilibre des forces
pourrait changer pour le pire.
Il existe
déjà des signes que les mouvements
fascistes traditionnels, mis en sommeil,
profitent de la crise actuelle pour
refaire parler d’eux. Parmi ces
mouvements figurent ORDEN (Mouvement
nationaliste), qui dispose d’un site Web
techniquement bien fait, de vidéos de
propagande léchées et d’un journal. Le
logo du groupe transforme le cheval
blanc du drapeau national en un éclair
équestre. Comme Aube Dorée en Grèce,
ORDEN se drape dans un discours de salut
national tout en organisant une
iconographie classiquement fasciste. Il
est facile de trouver des bannières
ORDEN dans certaines des marches
actuelles de l’opposition. Ils ne sont
en aucun cas représentatifs des
tendances dominantes au sein de
l’opposition, mais si la situation
atteint de nouveaux niveaux de violence,
ils pourraient avoir une opportunité.
L’opposition
a mené des actes de sabotage et de
violence visant des symboles sociaux
spécifiques du gouvernement qui donnent
au conflit son caractère idéologique. Le
site de presse Venezuela Analysis
rapporte que les groupes
anti-gouvernementaux ont mis le feu à 50
tonnes de nourriture dans un centre de
distribution du gouvernement dans l’état
d’Anzoategui. Des graffiti inscrits sur
les murs du centre exclament « Maudits
Chavistas ». Cela vient en plus des
récents assassinats de militants
chavistes, de lynchages et Chavistas
présumés dans les rues et de
l’assassinat du juge Nelson Antonio
Moncada Gomez, qui a été impliqué dans
la condamnation à la prison de la figure
de l’opposition Leopoldo Lopez. Lopez
fut accusé de mener une vague de
violence pendant les manifestations de
2014. Même si des personnages de
l’opposition tels que Radonski, Machado
ou Lopez ne tolèrent pas ouvertement ces
actes de violence, le goût du sang se
développera si le statut quo se
poursuit.
C’est un
terrain toxique, mûr pour la formation
de forces fascistes. Du côté bolivarien,
la situation devient incertaine et
fracturée. Bien que Maduro poursuit son
projet pour une assemblée constituante,
il a déjà prévenu qu’un renversement du
système sera combattu par la lutte
armée. La dissidence dans les rangs
bolivariens est maintenant apparente
avec la rébellion ouverte de la
procureure générale Luisa Ortega, qui a
été frappée par une interdiction de
voyager et un gel des avoirs par la Cour
suprême. C’est une situation surréaliste
qui donne l’image d’un gouvernement
empêtré dans ses propres luttes internes
de pouvoir. L’acteur déterminant sera
les forces armées. Si une figure dans le
style de Perez émerge des échelons
supérieurs, alors ces sont les tanks qui
règleront la situation comme au Chili en
1973 ou en Égypte en 2013. Il est
révélateur que Perez n’a pas été capturé
par les forces de sécurité, malgré la
chasse active du gouvernement. La
question doit être soulevée s’il a
effectivement des alliés au sein des
forces armées ou d’autres secteurs
gouvernementaux qui l’abritent.
Il est
incertain si une assemblée constituante
règlera quelque chose au Venezuela,
alors que Maduro cherche de plus en plus
à faire des concessions au milieux
d’affaires tout en faisant des annonces
populistes sur les consultations de rue
et en augmentant sans cesse le salaire
minimum. L’expérience bolivarienne n’a
jamais eu une théorie ou un cadre clair
et défini – Chavez semblait improviser
et réviser de 1998 jusqu’à sa mort en
2013. En sortant des modèles marxistes
du siècle précédent, Chavez semblait
tenter une transformation progressive
par des étapes qui étaient parfois
inspirées et parfois floues. Vers où le
Venezuela se dirigeait restera une
question sans réponse après la maladie
et la mort de Chavez.
A présent
Maduro se retrouve dans d’étranges
limbes social-démocrates, avec Perez qui
signale l’émergence d’éléments fascistes
très clairs et déterminés à détruire le
projet bolivarien. La monnaie
vénézuélienne a perdu 99,8 pour cent de
sa valeur au cours des cinq dernières
années, et le pays lutte maintenant avec
seulement 10 milliards de dollars de
réserves. Ce n’est pas un échec du
socialisme, comme l’affirme trop
rapidement la classe capitaliste, mais
le résultat d’une tentative improvisée
de réforme radicale du XXIe siècle basée
sur une seule marchandise – le pétrole –
qui n’a jamais transformé le tissu
social du pays.
Le danger est
que le fascisme, élevé dans les classes
dirigeantes et le système économique
mondial dominant, est toujours clair sur
ses intentions. Perez dans sa vidéo
proclame explicitement le nationalisme
et la religion comme base idéologique.
Comme l’explique Enzo Traverso dans Fire
and Blood : La guerre civile européenne
1914-1945, son étude clé sur les guerres
européennes et leurs racines
idéologiques, le franquisme en Espagne a
clairement défini les côtés opposés
comme « la patrie et l’anti-patrie ».
C’est ainsi que Perez et d’autres
groupes comme ORDEN définissent la lutte
au Venezuela, en tant que nationalistes
contre les personnes infectées par
l’idée étrangère (particulièrement
cubaine) du socialisme et de
l’internationalisme, et l’opposition
prend toujours de condamner les
généreuses offres pétrolières
vénézuéliennes aux pays alliés. Si le
Venezuela n’est pas engagé dans une
guerre civile ouverte, il est
certainement au milieu d’une guerre
sociale féroce définie par des
antagonismes idéologiques clairs.
Le drame
terrible du Venezuela devrait être
surveillé de près par les mouvements de
gauche dans les Amériques et au-delà.
Toujours errant dans des brumes
post-guerre froide, des mouvements tels
que Die Linke en Allemagne, Podemos en
Espagne et Syriza en Grèce ont tenté de
manœuvrer dans des eaux sociales agitées
et le reflux à mesure que de nouvelles
forces réactionnaires, basées sur le
culte du sang et de la terre,
s’organisent. Alors que la gauche
cherche à redécouvrir quels programmes
offrir à l’âge de l’austérité et de
Trump, le camp de la réaction violente
offre des options claires et chauvines.
Ils emploieront l’esthétique et les
actions audacieuses, laissant leurs
adversaires ressembler à des
bureaucrates périmés. En ce sens, le
danger ne réside pas tant dans le
fascisme qui deviendrait une force
idéologique dominante au Venezuela, mais
dans comment elle peut profiter d’une
situation fracturée. Les dirigeants de
la révolution doivent se battre pour un
projet qui demeure incertain et
indéfini. Le fascisme peut alors se
glisser par la porte arrière, drapé dans
les symboles rassurants du drapeau et de
la tradition. Le temps nous dira si une
population épuisée par la violence et
l’incertitude va réagir ou préférer
attendre et voir comment la situation
évolue. Perez n’aura peut-être eu que
ses 15 minutes de renommée, mais ce sont
15 minutes qui mettent en garde contre
une tempête qui se prépare.
Alci Rengifo
Alci
Rengifo est un écrivain et critique basé
à Los Angeles qui contribue
régulièrement à Los
Angeles Review of Books et est
rédacteur en chef associé à Brooklyn
et Boyle à l’est de Los Angeles.
Source : https://venezuelanalysis.com/analysis/13224
URL de cet
article 32080
https://www.legrandsoir.info/le-spectre-du-fascisme-au-venezuela-venezuela-analysis.html
Reçu de Thierry Deronne pour publication
Le dossier Amérique latine
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