VENEZUELA INFOS
La capacité du Venezuela à lutter contre
les effets sociaux du blocus états-unien
reste entravée
par le vol de 31 tonnes d’or de son
trésor
Vijay Prashad, Carmen Navas Reyes
Jeudi 5 novembre 2020
Bien qu’ayant réussi à aplatir la
courbe du Covid et à maintenir les décès
à un des taux les plus bas du monde
selon les chiffres de l’OMS,
le combat du Venezuela contre la
pandémie reste affecté par le vol de 31
tonnes d’or par la Banque d’Angleterre.
Le 5 octobre 2020, la Cour d’appel
d’Angleterre et du Pays de Galles a
annulé une décision d’un tribunal
inférieur de juillet qui refusait au
gouvernement vénézuélien l’accès à 31
tonnes d’or stockées dans la Banque
d’Angleterre. Personne ne nie que
l’or appartient au gouvernement
vénézuélien. Cependant, la banque a
refusé de le rendre au gouvernement du
président vénézuélien Nicolás Maduro.
Cet or d’une valeur de 1,95 milliard
de dollars devrait servir à l’achat
d’équipements et de fournitures
médicales essentiels.
Au départ,
suivant l’exemple du ministère
britannique des affaires étrangères, la
banque a déclaré que le véritable
président du Venezuela était Juan Guaidó.
Mais Mr. Guaidó, contrairement au
président Maduro, n’a ni participé ni
remporté d’élection à la présidence, et
n’est pas en voie de devenir président,
sous quelque éventualité que ce soit.
L’onction de M. Guaidó
est venue du gouvernement des
États-Unis, et non du peuple
vénézuélien; le ministère britannique
des affaires étrangères et les tribunaux
inférieurs ont donné raison à Washington
mais la cour d’appel d’Angleterre et du
Pays de Galles s’est appuyée pour sa
décision finale sur les faits et la
logique.
En effet, la
principale conclusion de la Cour d’appel
est que, bien que le ministère
britannique des affaires étrangères a
déclaré qu’il ne reconnaissait pas le
gouvernement du président Maduro, il
continue en réalité à traiter
diplomatiquement avec les représentants
de ce gouvernement. L’ambassadrice Rocío
Del Valle Maneiro González
a présenté ses lettres de créance à
la reine d’Angleterre en 2015 et
représente depuis cinq ans le
gouvernement du président Maduro au
Royaume-Uni. L’actuel ambassadeur
britannique au Venezuela – Andrew Soper
–
a présenté ses lettres de créance au
président Maduro le 5 février 2018; il
reste en poste à Caracas. Ces relations
diplomatiques de base ont donc amené la
Cour d’appel à conclure que le président
Maduro – aux yeux du gouvernement
britannique – « exerce en fait une
partie ou la totalité des pouvoirs du
président du Venezuela ».
L’avocat de M.
Guaidó – Vanessa Neumann –
a déclaré que le gouvernement
vénézuélien voulait les 1,95 milliard de
dollars (selon le prix actuel de l’or)
pour pouvoir « se financer
illégalement » (sic). Mais l’avocat
du gouvernement vénézuélien – Sarosh
Zaiwalla – a fait valoir que ces fonds
seraient utilisés par le gouvernement
pour briser la chaîne d’infection de
COVID-19 et apporter un soulagement à
une population frappée par les sanctions
unilatérales des États-Unis et par les
perturbations causées par la pandémie.
La Banque centrale du Venezuela (BCV)
a déclaré qu’elle voulait vendre
l’or, faire verser les fonds au
Programme des Nations unies pour le
développement (PNUD) et permettre à ce
dernier d’aider le gouvernement à faire
face à la pandémie. Ce canal via le PNUD
a été rejeté par M. Guaidó, par le
gouvernement britannique et par
Washington ; il n’y a aucune raison
probable qu’ils changent de politique en
dehors d’une volonté de punir le peuple
vénézuélien en pleine pandémie.
De l’argent pour
les médicaments
L’Institut
Tricontinental de recherche sociale et
l’Instituto Simón Bolívar
étudient l’impact social de ces
sanctions très sévères imposées par
l’administration états-unienne depuis
2017. Ils ont constaté que les sanctions
primaires et secondaires ont privé le
peuple vénézuélien des moyens de faire
du commerce de base : vendre son pétrole
et acheter de la nourriture, des
médicaments et du matériel éducatif (les
sanctions primaires empêchent
directement les citoyens et les
entreprises du pays sanctionné d’avoir
des relations avec le pays sanctionné ;
les sanctions secondaires empêchent un
tiers – pays ou entreprise – de traiter
avec le pays sanctionné). Des dizaines
de milliers de Vénézuéliens sont
morts inutilement à cause du refus
de faire le commerce de médicaments et
de matériel médical, ce qui a mis à mal
un système déjà fragile pendant la
pandémie. Il est choquant de voir que
ces sanctions unilatérales des
États-Unis, et leur poursuite du
changement de régime au Venezuela,
définissent la manière dont le Venezuela
peut combattre le virus et la maladie.
« Les sanctions collectives », dit la
quatrième Convention de Genève
(1949), « sont interdites ».
La
vice-présidente Delcy Rodriguez en
réunion à Caracas avec les divers
organismes
de l’ONU présents sur place (notamment
l’OMPS/OPS, la FAO et le PNUD)
Que souhaite
acheter le gouvernement vénézuélien avec
les 1,95 milliard de dollars qui
seraient remis au PNUD ? Selon une étude
de l’Institut Tricontinental de
recherche sociale et de l’Institut Simón
Bolívar, la majeure partie de ces fonds
– 600 millions de dollars – devrait
servir à l’achat de médicaments pour 400
000 personnes dans les hôpitaux, de
médicaments obstétriques pour 550 000
femmes enceintes et de médicaments pour
les 243 pharmacies communautaires.
Ensuite, 450 millions de dollars sont
prévus pour l’achat de fournitures
médicales jetables pour 400 000
opérations chirurgicales, pour 245
centres de santé et pour 3 000
stimulateurs cardiaques. Enfin, 250 000
dollars ont été prévus pour la
fourniture de réactifs pour les
laboratoires (pour l’hématologie et la
sérologie) et de pièces de rechange pour
divers types d’équipements médicaux (y
compris les équipements de
radiothérapie). C’est ainsi que le
gouvernement vénézuélien – en
collaboration étroite avec le PNUD –
voudrait « se financer illégalement« .
En mai, trois
rapporteurs spéciaux des Nations unies
ont écrit qu’au Venezuela, « les
hôpitaux signalent une pénurie de
fournitures médicales, d’équipements de
protection et de médicaments ». Ce sont
exactement les matériaux qui figurent
sur la liste du gouvernement vénézuélien
à acheter avec le produit de la vente
des 31 tonnes d’or. Ces experts-Olivier
De Schutter (extrême pauvreté et droits
de l’homme), Léo Heller (eau et
assainissement), et Kombou Boly Barry
(éducation) – a déclaré que « à la
lumière de la pandémie de coronavirus,
les États-Unis devraient immédiatement
lever les sanctions générales, qui ont
un impact sévère sur les droits humains
du peuple vénézuélien ».
Les recherches
indépendantes de l’Institut
Tricontinental de Recherche Sociale et
de l’Institut Simón Bolívar sont en
accord avec les opinions de ces experts
des Nations unies ; les sanctions
états-uniennes ont eu un impact négatif
sur la capacité du peuple vénézuélien à
s’épanouir et à exercer ses droits
humains. Les sanctions unilatérales
doivent être levées. À défaut, nous
estimons que les 31 tonnes d’or du
Venezuela détenues par la Banque de
Londres doivent être vendues, que le
produit de la vente doit être remis au
PNUD et que les fournitures médicales
doivent être expédiées d’urgence au
Venezuela. Toute autre mesure est un
crime contre le peuple vénézuélien.
Cet article a été
produit par
Globetrotter.
Vijay Prashad est un historien,
rédacteur et journaliste indien. Il est
collaborateur de rédaction et
correspondant en chef de Globetrotter.
Il est le rédacteur en chef de
LeftWord Books et le directeur de
Tricontinental : Institute for Social
Research. Il est chercheur principal
non résident à l’Institut d’études
financières de
Chongyang, Université de Renmin en Chine.
Il a écrit plus de 20 livres, dont
The Darker Nations et The Poorer
Nations. Son dernier livre s’intitule
Washington Bullets, avec une
introduction d’Evo Morales Ayma.
Carmen Navas Reyes, politologue
vénézuélienne, est la Directrice
exécutive de l’Instituto
Simón Bolívar à Caracas.
Traduction de
l’anglais par Thierry Deronne
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