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Religion

Identités multiples :
d’abord français ou musulman ?

Tariq Ramadan


© Tariq Ramadan

Samedi 30 avril 2016

La mondialisation, les migrations, les exils, les changements politiques et sociaux de plus en plus rapides, tous ces phénomènes provoquent des peurs, des angoisses et des crispations. Les anciens repères semblent caducs et ne suffisent plus à apporter la sérénité : qui sommes-nous au cœur de ces bouleversements ? La question de l’identité est née de ces troubles profonds. Quand tant de gens autour de nous, dans notre propre société, ne nous ressemblent plus et paraissent si différents, on ressent naturellement le besoin de se définir. De la même façon, l’expérience du déracinement, de l’exil économique ou politique, pousse à cette quête de l’identité au cœur d’un environnement qui n’est pas naturellement le nôtre. La réaction est compréhensible, mais ce qu’il importe de retenir ici est qu’il s’agit d’abord d’une -action à une présence ou à un environnement qui nous semblent étrangers. On définit ainsi son identité en réaction, par différenciation, en opposition à ce qui n’est pas soi, voire « contre » l’autre. Le processus est naturel et il est tout aussi naturel que la démarche se traduise sur le mode binaire et finisse par opposer « une identité » plus ou moins construite à une autre que l’on projette sur « l’autre » ou sur « la société ». Les identités ainsi définies, les identités réactives, sont, par essence, en vertu même de la nécessité qui les a fait naître, uniques et exclusives : il s’agit de savoir qui l’on est et, clairement, qui l’on n’est pas.

Cette attitude est naturelle et, encore une fois, compréhensible en période de bouleversements rapides, mais elle est malsaine et dangereuse. Pour clarifier, l’on simplifie et surtout l’on réduit. On attend de soi et de ses concitoyens qu’ils répondent clairement : il faut donc être d’abord « italien », « français », « britannique », « hollandais », etc. Ou alors prioritairement « juif », « chrétien » ou « musulman » : toute réponse qui apporte un brin de nuance à cette définition exclusive de soi tend à être perçue comme ambiguë. Plus fondamentalement, elle jette le doute sur la loyauté des individus et c’est particulièrement le cas des musulmans aujourd’hui qui sont sommés de dire s’ils sont d’abord « musulmans » ou « français », « italiens », « britanniques » ou autre. Cette question est explicitement orientée vers la définition qu’ils vont donner de leur identité alors que, implicitement, et plus sérieusement, elle s’intéresse à la loyauté. Comme on ne peut avoir qu’une identité, on ne peut avoir qu’une loyauté. Il faut répondre, clairement et sans nuance… sans ambiguïté !

Or la question n’a pas de sens ! Obsédé par l’idée de se définir par opposition à ce qui n’est pas soi, on finit par réduire son être à une seule identité qui serait censée tout dire de soi. Pourtant, il existe des ordres différents dans lesquels il va falloir se définir différemment. La question de savoir si l’on est d’abord « musulman » ou « italien » ou « français » ou « canadien » oppose deux identités et deux appartenances qui ne sont pas du même ordre. Dans l’ordre religieux et philosophique, celui qui donne sens à la vie, l’être humain est d’abord athée, bouddhiste, juif, chrétien et musulman : son passeport, sa nationalité, ne répondent pas à la question existentielle. Quand il faut voter pour un candidat à des élections, l’individu a une identité citoyenne et il est d’abord un Italien, un Français ou un Britannique s’engageant dans les affaires de son pays. Selon l’ordre ou le champ d’activité, l’individu a donc d’abord telle ou telle identité, sans que cela soit contradictoire.

En m’écoutant un jour en Grèce, à l’invitation de Georges Papandréou, l’économiste Amartya Sen avait signifié son total accord avec ma pensée en l’illustrant de belle façon. Supposez, avait-il proposé, que vous soyez poète et végétarien : si, donc, vous êtes invité à manger, ce n’est ni le moment ni le lieu de décliner votre identité de poète et si, par ailleurs, vous assistez à un cercle de poésie, vous n’allez pas vous présenter comme « végétarien », sauf à passer pour un original déphasé. En d’autres termes, vous avez plus d’une identité et vous donnez la priorité à l’une ou l’autre de ces identités en fonction de l’environnement et de la situation sans que cela remette en cause votre loyauté à l’un ou l’autre des ordres d’appartenance. Celui qui s’affiche végétarien lors d’un repas n’en est pas moins poète ! La démonstration est clarifiante en effet et prouve que la question de savoir si l’on est d’abord ceci ou cela (ou exclusivement ceci ou cela) est une mauvaise question, une question qu’il faut questionner et à laquelle, au fond, il faut refuser de répondre.

Il convient de résister aux tentations de réduire son identité à une dimension exclusive et prioritaire qui se distinguerait de toutes les autres. On comprend que cela puisse être rassurant, mais c’est surtout appauvrissant et, en temps de crises et de tensions, cela peut engendrer des rejets, du racisme et des conflits d’identités, de cultures ou de « civilisations » larvés ou passionnés. Il faut accéder à une vue plus ample de soi et de ses concitoyens : chacun de nous a de multiples identités qu’il doit accepter, nourrir et enrichir. Depuis longtemps, je répète aux musulmans et à mes concitoyens que je suis suisse de nationalité, égyptien de mémoire, musulman de religion, européen de culture, universaliste de principe, marocain et mauricien d’adoption. Il n’y a là aucun problème : je vis avec ces identités et l’une ou l’autre peut devenir prioritaire selon le contexte et la situation. Il faut même ajouter d’autres dimensions à ces identités qui sont le fait d’être un homme, d’avoir un certain statut social, une profession, etc. Nos identités sont multiples et toujours en mouvement[1].

Accéder à cette conscience de la multiplicité mouvante des identités personnelles suppose que l’on acquière une certaine confiance en soi et en autrui. Encore une fois, nous touchons ici à un registre plus psychologique que strictement philosophique et religieux. Ce travail sur soi, sur la multiplicité de ses appartenances et sur la capacité de décentrage vis-à-vis de l’autre exige une connaissance de soi et d’autrui, confrontée à l’exercice de la vie quotidienne : l’enjeu est important. Seuls un travail éducatif, une véritable pédagogie appliquée et critique qui permet aux individus de se réconcilier avec les diverses dimensions de leurs êtres, de leurs origines et de leurs espoirs, peuvent leur permettre de dépasser les tentations frileuses, réactives et passionnées lors de la rencontre avec l’autre. L’initiation naturelle passe par la rencontre au quotidien justement, dans la vie, autour de projets culturels ou sociaux, rencontre qui brise les enfermements et ouvre les horizons. Ce n’est que dans ce vécu, dans cette éducation par l’expérimentation, l’expérience et le dialogue, que l’on peut se faire confiance et faire confiance et, ainsi, mesurer la loyauté de l’autre. Au demeurant, il ne s’agit jamais d’exprimer une loyauté aveugle ou d’avoir à prouver sa loyauté. Dans la confiance, on comprend que les seules vraies loyautés sont critiques : avec son gouvernement, avec ses coreligionnaires ou avec la « umma », il ne s’agit jamais de soutenir « les siens », aveuglément, contre tous « les autres ». Il s’agit d’être fidèles à des principes de justice, de dignité, d’égalité et d’être capables de critiquer et de manifester contre son gouvernement (voire la majorité de sa société) quand celui-ci se lance dans une guerre injuste, quand il légitime l’apartheid ou traite avec les pires dictateurs de la terre. Il s’agit de la même façon d’avoir une loyauté critique vis-à-vis de ses propres coreligionnaires musulmans (ou autres) et de s’opposer à leurs idées ou à leurs actions quand celles-ci trahissent ces mêmes principes, stigmatisent l’autre, produisent du racisme, justifient les dictatures, les attentats terroristes ou le meurtre d’innocents. Cette question ne relève pas du conflit des identités, mais de la cohérence de la conscience qui marie ces dernières autour d’un corps de principes dont l’usage, pour être justes, ne peut être sélectif et doit demeurer critique autant qu’autocritique.

Il est bon d’être patriote, de se sentir appartenir à une société, à une nation ou à une communauté de foi, mais cela ne peut justifier le nationalisme chauvin et aveugle, l’affirmation de l’exception ou de l’élection nationale et/ou religieuse, ou encore le dogmatisme religieux exclusiviste qui défend ses coreligionnaires dans n’importe quelles circonstances. Les attitudes les plus respectables sont celles de ceux qui ont osé se lever contre les leurs au nom de la dignité et de la justice : celles et ceux qui, pendant la seconde Guerre mondiale, ont refusé de livrer des juifs (ou de les renvoyer à la frontière) quand leur gouvernement le leur imposait ; qui ont refusé d’aller combattre au Vietnam et qui en ont payé le prix par la prison ; qui ont résisté aux lois iniques de l’apartheid, et ce, au prix de leur vie ; qui se sont opposés à l’instrumentalisation de la religion pour produire des systèmes autocratiques très islamiques (comme en Arabie Saoudite) ou qui se sont opposés à l’instrumentalisation de sa soi-disant modernisation pour justifier des dictatures « en phase avec la modernité » (comme en Tunisie) ; qui, enfin, ont condamné les attentats terroristes contre les innocents alors que ceux-ci étaient perpétrés au nom de leur religion.

[1]. C’est ce que j’exprimais et analysais dans l’ouvrage Être musulman européen en parlant d’une identité musulmane, toujours ouverte, toujours inclusive, toujours en mouvement.

 

 

   

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Source: Tariq Ramadan
http://tariqramadan.com/...

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