Actualité
Le Brésil sur la voie du fascisme ?
Smaïl Hadj Ali
Mardi 9 octobre 2018
Publié sur
Le Soir d'Algérie
147 millions de
Brésiliens ont voté dimanche 7 octobre.
Alors que les sondages lui accordaient
entre 32 et 36% de voix, ce sont 46,03%
d’électeurs qui ont voté pour Jaïr
Bolsonaro, candidat de l’extrême droite,
de la théocratie évangélique
néo-pentecôtiste et des gros
propriétaires terriens. Le candidat du
Parti des travailleurs Fernando Haddad
obtient 29,28%. Le troisième candidat,
de centre gauche, Ciro Gomez du Parti
démocratique travailliste, arrive en
troisième position avec 12, 47%. Cela
s’annonce très mal pour le second tour
pour les forces de progrès et les
démocrates de ce pays.
Candidat de la bête immonde, dont le
ventre est encore fécond, cet ancien
capitaine de 63 ans radié de l’armée en
1988 pour infraction grave au règlement
disciplinaire et menaces d’actions
terroristes à l’explosif, puis
innocenté, est largement favori pour le
second tour qui se déroulera le 28
octobre. Face à lui, le candidat, par
défaut, du Parti des travailleurs
Fernando Haddad, en l’absence de Lula
emprisonné en avril 2018 sans aucune
preuve à charge, de l’aveu même de son
juge inquisiteur Moro, est éliminé de
facto de l’élection présidentielle, dont
il était donné largement vainqueur.
Un psychopathe en politique
Mais arrêtons-nous sur le profil de
Bolsonaro et le projet qu’il porte.
Surnommé Bolsonazi par les forces
démocratiques, député fédéral depuis
1988, il ne connaît ni remords, ni
retenue, attise la haine et les
frustrations, en exaltant les instincts
les plus obscurs et «d’insondables
pulsions » chez ses partisans. Lors du
coup d’Etat parlementaire qui destitua,
en avril 2016 à mi-mandat, la présidente
Dilma Rousseff élue avec 54% des
suffrages en 2014, il s’est distingué
abjectement en dédiant, euphorique, son
vote de destitution au patron de la
police politique et des tortionnaires
brésiliens de la dictature militaire, le
colonel Ustra, qui arrêta en janvier
1970 Dilma Rousseff, et supervisa les
tortures dont elle fut la victime. Dès
l’annonce de sa candidature, il engage
une campagne axée sur le racisme, la
misogynie, l’homophobie, l’ordre moral
le plus réactionnaire, et stigmatise les
étrangers originaires du Moyen-Orient,
d’Afrique, ou d’Haïti en les qualifiant
de «racailles de l’humanité». Son
registre linguistique, élémentaire,
indigent, vulgaire et sordide, se limite
à des propos quotidiens ignominieux,
exaltant la violence, contrôlés et
assumés, contre les progressistes, les
syndicats, les pauvres, les femmes, les
homosexuels,(1) mais aussi les Indiens
et les Noirs qui, ditil, «sont mal
élevés» et «sentent mauvais». Ardent
défenseur du retour de la pratique de la
torture du temps de la dictature
militaire, il regrette que celle-ci
n’ait pas exécuté les opposants
emprisonnés et torturés, et estime que
les militaires auraient dû liquider
trente mille opposants pour pacifier le
pays, et qu’il était prêt à le faire. A
propos de l’apologie de la torture par
cet ancien parachutiste, rappelons que
le Brésil de la dictature a bénéficié
pendant de très longues années de la
coopération «technique »(2) monstrueuse,
très officielle, de la France de
Pompidou et de Giscard avec la
nomination, en tant qu’attaché militaire
à l’ambassade de France au Brésil,
d’octobre 1973 à novembre 1975, du futur
général Aussaresses, parachutiste lui
aussi, tortionnaire-assassin de
patriotes algériens, parmi lesquels
Larbi Ben M’hidi, Maurice Audin, Ali
Boumendjel. Bien avant l’annonce de sa
candidature à la présidence de la
République, encensée par les classes
possédantes, haineuses et revanchardes,
il pose sur des photos en ciblant, arme
de guerre au poing, les adversaires de
son projet liberticide. Au-delà de son
projet de libéralisation du port
d’armes, dans un pays où près de 60 000
personnes sont victimes d’homicides
volontaires par arme à feu chaque année,
il confirme son statut de chef de gang
d’une meute de brutes —parmi lesquels
ses fils —, mais aussi l’image de
sauveur de la nation brésilienne qu’il a
construite au fil des mois avec l’aide
généreuse et militante de l’empire
médiatique Globo d’une part, et de la
chaîne de télévision Record d’autre
part, qui appartient à Edir Macedo. Ce
même Edir Macedo,(3) théocrate patenté,
est le chef des néo-pentecôtistes, un
mouvement théocratique
millénariste-sioniste, importé des USA
dans les années quatre-vingtdix, qui
compte aujourd’hui 42 millions de
fidèles, totalement embrigadés et
aliénés à et par la «théologie de la
prospérité», dont le credo est «plus on
gagne, plus on donne à l’église, et plus
on se rapproche ainsi de Dieu». Ces
médias, dont Globo, qui forment
l’essentiel de ce l’on appelle au Brésil
les médias PIG — porc en anglais —,
sigle que l’on peut traduire par «parti
de la presse golpiste», diffusent
massivement et unilatéralement à
l’échelle de ce pays-continent les
discours de la haine et de la régression
contre les forces de progrès, et
contribuent à la banalisation et à la
naturalisation de la violence et de
l’idéologie fasciste.
Pinochet comme modèle
Ayant choisi comme vice-président le
général à la retraite Mourâo, tout aussi
nostalgique de la dictature militaire,
cet admirateur de Pinochet exprime la
synthèse parfaite de la terreur d’Etat,
dans laquelle le Brésil a été maintenu
de 1964 à 1984, et d’un programme
d’oppression économique, sociale,
culturelle, élaboré par son conseiller
économique, l’ultralibéral Paulo Guedes,
un élève des Chicago Boys, sinistre
laboratoire d’économistes dirigé par le
non moins sinistre Milton Friedman, à
qui le Chili doit régression, misère,
milliers de morts, de torturés et de
disparus, lors du golpe de Pinochet
contre le Président Salvador Allende, en
septembre 1973. En accord avec les
politiques ultralibérales, il a voté, au
lendemain de la destitution de Dilma
Rousseff, pour le Projet d’amendement
constitutionnel de gel des
investissements publics pendant vingt
ans, un projet démentiel porté par le
vice-président, et néanmoins usurpateur,
Michel Temer. Qualifié de «projet de fin
du monde» par les démocrates et
progressistes brésiliens, l’entrée en
vigueur au début de 2017 de ce projet
malthusien mortifère, dans les domaines
de la santé et de l’éducation, entre
autres, a plongé des millions de
Brésiliens dans la précarité et
l’extrême pauvreté en quelques mois.
Conséquences immédiates : une
augmentation spectaculaire, pour la
première fois depuis 26 ans, du taux de
mortalité infantile, et le retour des
maladies éradiquées totalement, depuis
deux décennies, suite à l’arrêt du
programme fédéral stratégique de santé
familiale, et à l’interruption de
l’action de plus de quatre mille équipes
de Santé familiale, laissant ainsi sans
accès aux soins de santé de base plus de
15 millions de personnes. La rencontre
de ces deux figures de la régression,
l’économiste ultralibéral et le candidat
fasciste, exprime l’alliance, bénie par
les U.S.A,(4) des classes possédantes,
des fractions réactionnaires des classes
moyennes, des fondamentalistes
religieux, de militaires hauts gradés et
autres nostalgiques de la dictature, et
va amplifier tragiquement les inégalités
sociales, les injustices, la pauvreté,
la misère et le malheur pour le peuple
brésilien, indépendamment de la
destruction des libertés démocratiques.
Symbolisé par ces deux individus, ce
programme porteur d’oppression, de
tyrannie, de terreur, a de très fortes
chances de devenir le quotidien des
Brésiliennes et Brésiliens à compter du
29 octobre 2018. A moins d’un sursaut
vital de toutes les forces
démocratiques, progressistes et
républicaines de ce pays, ce qui pour le
moment est loin d’être acquis.
S. H. A.
1) Il a déclaré que
si son fils était homosexuel il
préférait le voir mourir dans un
accident de voiture.
2) Cette coopération avec la junte
militaire brésilienne ira jusqu’en 1984.
3) Fondateur de l’Eglise universelle, il
est l’auteur d’un livre intitulé Plano
do Poder, publié en 2008 — Plan pour le
pouvoir — qui est considéré comme un
mini Mein Kampf, et qu’il a mis au
service de Bolsonaro à l’occasion de
l’alliance qu’ils ont scellée pour ces
élections.
4) Il bénéficie des conseils du
suprémaciste blanc Steve Bannon, qui fut
responsable de la campagne électorale et
éminence des ténèbres de D. Trump. Ami
et conseiller de tous les mouvements
d’extrême droite en Europe et en
Amérique du Sud, il s’emploie à créer
une internationale fasciste à l’échelle
mondiale. Invité vedette de Marine Lepen,
il prononça un discours au congrès du
Front National en mars 2017, dans lequel
il affirma : «L’Histoire est avec nous».
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