Opinion
Le carnage qui a frappé Charlie Hebdo et
l’onde de choc qu’il a soulevée ne
doivent pas nous rendre aveugles
Silvia Cattori
Dimanche 11 janvier 2015
Le carnage qui a frappé Charlie
Hebdo et l’onde de choc et l’émotion
qu’il a soulevés ne doivent pas nous
rendre aveugles. Il convient de se
garder de toute instrumentalisation.
Avec la participation de nombreux chefs
d’Etat, la protestation contre cet
attentat est en train de se transformer
en un sommet de guerre contre un
terrorisme que la politique de ces mêmes
Etats n’a fait qu’alimenter. Des Etats
qui, comme Israël, sont en guerre
permanente contre le peuple palestinien
sous occupation et contre les pays
musulmans qui lui résistent ; ou qui,
comme la Turquie, les Etats-Unis et la
France, arment les groupes de
terroristes « modérés » qui, depuis
2011, décapitent les syriens fidèles au
gouvernement Assad. Dans son livre « Les
Armées secrètes de l’OTAN », l’historien
suisse Daniele Ganser a démontré que des
attentats, comme les guerres « contre le
terrorisme », peuvent être manipulés.
Qu’il ne faut pas céder aux
instrumentalisations visant à susciter
la peur et à faire croire que les
« terroristes » sont toujours les
musulmans. Que la stratégie de la
tension est une réalité. Pour preuve,
durant 50 ans, dans le cadre de leur
guerre contre le communisme, les
États-Unis se sont appuyés sur l’OTAN
pour organiser en Europe des attentats
meurtriers qu’ils ont faussement
attribués à la gauche. Cette stratégie
visant à susciter la peur de l’islam et
à justifier de nouvelles guerres
n’est-elle pas en train de se remettre
en place ? Nous reproduisons ici
quelques extraits des propos, tenus par
le Dr. Ganser en décembre 2006,
recueillis par la journaliste suisse
Silvia Cattori.
Dr. Daniele Ganser
Le terrorisme non revendiqué de l’OTAN
Silvia Cattori : Votre
ouvrage consacré aux armées
secrètes de l’Otan [1], s’attache
à expliquer ce que la « stratégie
de la tension » [2] et
les « False flags » [3]
comportent de grands dangers. Il
nous enseigne comment l’Otan, durant la
Guerre froide – en coordination avec les
services de renseignement des pays
ouest-européens et le Pentagone – s’est
servi d’armées secrètes, a recruté des
espions dans les milieux d’extrême
droite, et a organisé des actes
terroristes que l’on attribuait à
l’extrême gauche. En apprenant cela, on
peut s’interroger sur ce qui peut se
passer aujourd’hui à notre insu.
Daniele Ganser :
C’est très important de comprendre ce
que la stratégie de la tension représente
réellement et comment elle a fonctionné
durant cette période. Cela peut nous
aider à éclairer le présent et à mieux
voir dans quelle mesure elle est
toujours en action. Peu de gens savent
ce que cette expression « stratégie
de la tension » veut dire. C’est
très important d’en parler, de
l’expliquer. C’est une tactique qui
consiste à commettre soi-même des
attentats criminels et à les attribuer à
quelqu’un d’autre. Par le terme « tension » on
se réfère à la tension émotionnelle, à
ce qui crée un sentiment de peur. Par le
terme « stratégie », on se
réfère à ce qui alimente la peur des
gens vis-à-vis d’un groupe déterminé.
Ces structures secrètes de l’Otan
avaient été équipées, financées et
entraînées par la CIA, en coordination
avec le MI6 (les services secrets
britanniques), pour combattre les forces
armées de l’Union Soviétique en cas de
guerre, mais aussi, selon les
informations dont nous disposons
aujourd’hui, pour commettre des
attentats terroristes dans divers pays.
C’est ainsi que, dès les années 70, les
services secrets italiens ont utilisé
ces armées secrètes pour fomenter des
attentats terroristes dans le but de
provoquer la peur au sein de la
population et, ensuite, d’accuser les
communistes d’en être les auteurs.
C’était la période où le Parti
communiste avait un pouvoir législatif
important au Parlement. La » stratégie
de la tension » devait servir à le
discréditer, l’affaiblir, pour
l’empêcher d’accéder à l’exécutif.
Silvia Cattori : Apprendre
ce que cela veut dire est une chose.
Mais il reste difficile de croire que
nos gouvernements aient pu ainsi laisser
l’Otan, les services de renseignement
ouest-européens et la CIA agir de façon
à menacer la sécurité de leurs propres
citoyens !
Daniele Ganser :
L’Otan était au cœur de ce réseau
clandestin lié à la terreur ; le
Clandestine Planning Committee (CPC)
et l’Allied Clandestine Committee
(ACC) étaient des substructures
clandestines de l’Alliance atlantique,
qui sont clairement identifiées
aujourd’hui. Mais, maintenant que cela
est établi, il est toujours difficile de
savoir qui faisait quoi. Il n’y a pas de
documents pour prouver qui commandait,
qui organisait la « stratégie de la
tension », comment l’Otan, les
services de renseignement
ouest-européens, la CIA, le MI6, et les
terroristes recrutés dans les milieux
d’extrême droite, se distribuaient les
rôles. La seule certitude que nous avons
est qu’il y avait, à l’intérieur de ces
structures clandestines, des éléments
qui ont utilisé la « stratégie de la
tension ». Les terroristes
d’extrême droite ont expliqué dans leurs
dépositions que c’était les services
secrets et l’Otan qui les avaient
soutenus dans cette guerre clandestine.
Mais quand on demande des explications à
des membres de la CIA ou de l’Otan – ce
que j’ai fait pendant plusieurs années –
ils se limitent à dire qu’il a peut-être
pu y avoir quelques éléments criminels
qui ont échappé à leur contrôle.
Silvia Cattori : Ces
armées secrètes étaient-elles actives
dans tous les pays ouest-européens ?
Daniel Ganser : Par
mes recherches, j’ai apporté la preuve
que ces armées secrètes existaient, non
seulement en Italie, mais dans toute
l’Europe de l’Ouest : en France, en
Belgique, en Hollande, en Norvège, au
Danemark, en Suède, en Finlande, en
Turquie, en Espagne, au Portugal, en
Autriche, en Suisse, en Grèce, au
Luxembourg, en Allemagne. On avait
d’abord pensé qu’il y avait une
structure de guérilla unique et que, par
conséquent, ces armées secrètes avaient
toutes participé à la « stratégie de
la tension », donc à des attentats
terroristes. Or, il est important de
savoir que ces armées secrètes n’ont pas
toutes participé à des attentats. Et de
comprendre ce qui les différenciait car
elles avaient deux activités distinctes.
Ce qui apparaît clairement aujourd’hui
est que ces structures clandestines de
l’Otan, communément appelées « Stay
behind » [4],
étaient conçues, au départ, pour agir
comme une guérilla en cas d’occupation
de l’Europe de l’Ouest par l’Union
soviétique. Les États-Unis disaient que
ces réseaux de guérilla étaient
nécessaires pour surmonter
l’impréparation dans laquelle les pays
envahis par l’Allemagne s’étaient alors
trouvés.
[...]
Silvia Cattori : Si
je comprends bien, ces « Stay
behind » dont l’objectif était de se
préparer pour le cas d’une invasion
soviétique, ont été détournées du but
initial pour combattre la gauche. Dès
lors, on peine à comprendre pourquoi les
partis de gauche n’ont pas enquêté,
dénoncé ces dérives plus tôt ?
Daniele Ganser : Si
on prend le cas de l’Italie, il apparaît
que, chaque fois que le Parti communiste
a interpellé le gouvernement pour
obtenir des explications sur l’armée
secrète qui opérait dans ce pays sous le
nom de code Gladio [5],
il n’y a jamais eu de réponse sous
prétexte de secret d’Etat. Ce n’est
qu’en 1990 que Giulio Andreotti [6] a
reconnu l’existence de Gladio et
ses liens directs avec l’Otan, la CIA et
le MI6.
[...]
Silvia Cattori : Peut-on
penser que, après l’effondrement de
l’URSS, les États-Unis et l’Otan ont
continué de développer la « stratégie
de la tension » et les « False
flags » sur d’autres fronts ?
Daniele Ganser : Mes
recherches se sont concentrées sur la
période de la Guerre froide en Europe.
Mais l’on sait qu’il y a eu ailleurs des
« False flags » où la
responsabilité des États a été prouvée.
Exemple : les attentats, en 1953, en
Iran, d’abord attribués à des
communistes iraniens. Or, il s’est avéré
que la CIA et le MI6 s’étaient servis
d’agents provocateurs pour orchestrer le
renversement du gouvernement Mohammed
Mossadegh, ceci dans le cadre de la
guerre pour le contrôle du pétrole.
Autre exemple : les attentats, en 1954,
en Égypte, que l’on avait d’abord
attribués aux musulmans. Il a été prouvé
par la suite que, dans ce que l’on a
appelé l’affaire Lavon [7],
ce sont les agents du Mossad qui en
étaient les auteurs. Ici, il s’agissait
pour Israël d’obtenir que les troupes
britanniques ne quittent pas l’Égypte
mais y demeurent, aussi pour assurer la
protection d’Israël. Ainsi, nous avons
des exemples historiques montrant que la
« stratégie de la tension » et
les « false flags » ont été
utilisés par les USA, la Grande Bretagne
et Israël. Il nous faut encore
poursuivre les recherches dans ces
domaines, car, dans leur histoire,
d’autres pays ont également utilisé la
même stratégie.
Silvia Cattori : Ces
structures clandestines de l’Otan, n’ont
finalement servi qu’à mener des
opérations criminelles contre des
citoyens européens ? Tout porte à penser
que les États-Unis visaient eux tout
autre chose !
Daniele Ganser :
Vous avez raison de soulever cette
question. Les États-Unis étaient
intéressés par le contrôle politique. Ce
contrôle politique est un élément
essentiel de la stratégie de Washington
et de Londres. Le général Geraldo
Serravalle, chef du Gladio, le
réseau italien Stay-behind, en
donne un exemple dans son livre. Il
raconte qu’il a compris que les
États-Unis n’étaient pas intéressés par
la préparation de cette guérilla en cas
d’invasion soviétique, quand il a vu
que, ce qui intéressait les agents de la
CIA, qui assistaient aux exercices
d’entraînement de l’armée secrète qu’il
dirigeait, était de s’assurer que cette
armée fonctionne de façon à contrôler
les actions des militants communistes.
Leur crainte était l’arrivée des
communistes au pouvoir dans des pays
comme la Grèce, l’Italie, la France.
C’est donc à cela que devait servir
la « stratégie de la tension » :
à orienter et à influencer la politique
de certains pays de l’Europe de l’Ouest.
Silvia Cattori : Vous
avez parlé de l’élément émotionnel comme
facteur important dans la « stratégie
de la tension ». Donc, la terreur,
dont l’origine reste floue, incertaine,
la peur qu’elle provoque, sert à
manipuler l’opinion. N’assiste-t-on pas
aujourd’hui aux mêmes procédés ? Hier,
on attisait la peur du communisme,
aujourd’hui n’attise-t-on pas la peur de
l’islam ?
Daniele Ganser :
Oui, il y a un parallèle très net. Lors
des préparatifs de guerre contre l’Irak,
on a dit que Saddam Hussein possédait
des armes biologiques, qu’il y avait un
lien entre l’Irak et les attentats du 11
septembre, ou qu’il y avait un lien
entre l’Irak et les terroristes d’Al
Qaida. Mais tout cela n’était pas vrai.
Par ces mensonges, on voulait faire
croire au monde que les musulmans
voulaient répandre le terrorisme
partout, que cette guerre était
nécessaire pour combattre la terreur.
[...]
Silvia Cattori : En
somme, ces structures clandestines ont
pu être dissoutes, mais la « stratégie
de la tension » a pu continuer ?
Daniele Ganser :
C’est exact. On peut avoir dissout les
structures, et en avoir formé de
nouvelles. Il est important d’expliquer
comment, dans la « stratégie de la
tension », la tactique et la
manipulation fonctionnent. Tout cela
n’est pas légal. Mais, pour les États,
c’est plus facile de manipuler des gens
que de leur dire que l’on cherche à
mettre la main sur le pétrole d’autrui.
Toutefois, tous les attentats ne
découlent pas de la « stratégie de
la tension ». Mais il est difficile
de savoir quels sont les attentats
manipulés. Même ceux qui savent que
nombre d’attentats sont manipulés par
des Etats pour discréditer un ennemi
politique, peuvent se heurter à un
obstacle psychologique. Après chaque
attentat, les gens ont peur, sont
confus. Il est très difficile de se
faire à l’idée que la « stratégie de
la tension », la stratégie du « False
flag », est une réalité.
Il est plus simple d’accepter la
manipulation et de se dire : « Depuis
trente ans je me tiens informé et je
n’ai jamais entendu parler de ces armées
criminelles. Les musulmans nous
attaquent, c’est pour cela qu’on les
combat ».
Silvia Cattori : Dès
2001, l’Union européenne a instauré des
mesures anti-terroristes. Il est apparu
ensuite que ces mesures ont permis à la
CIA de kidnapper des gens, de les
transporter dans des lieux secrets pour
les torturer. Les États européens ne
sont-ils pas devenus un peu otages de
leur soumission aux États-Unis ?
Daniele Ganser : Les
États européens ont eu une attitude
assez faible à l’égard des États-Unis
après les attentats du 11 septembre
2001. Après avoir affirmé que les
prisons secrètes étaient illégales, ils
ont laissé faire. Même chose avec les
prisonniers de Guantanamo. Des voix se
sont élevées en Europe pour dire : « On
ne peut pas priver les prisonniers de la
défense d’un avocat ». Quand Madame
Angela Merkel a évoqué cette question,
les États-Unis ont clairement laissé
entendre que l’Allemagne était un peu
impliquée en Irak, que ses services
secrets avaient contribué à préparer
cette guerre, donc qu’ils devaient se
taire.
Silvia Cattori : Dans
ce contexte, où il y a encore beaucoup
de zones d’ombre, quelle sécurité peut
apporter l’Otan aux peuples qu’elle dit
protéger si par un autre côté elle
permet à des services secrets de les
manipuler ?
Daniele Ganser : En
ce qui concerne les attentats
terroristes manipulés par les armées
secrètes du réseau Gladio durant
la Guerre froide, il est important de
pouvoir déterminer avec clarté quelle
est l’implication réelle de l’Otan
là-dedans, de savoir ce qui s’est
réellement passé. S’agissait-il d’actes
isolés ou d’actes organisés secrètement
par l’Otan ? Jusqu’à ce jour, l’Otan a
refusé de parler de la « stratégie
de la tension » et du terrorisme
durant la Guerre froide, l’Otan refuse
toute question concernant Gladio.
Aujourd’hui, on se sert de l’Otan
comme d’une armée offensive, alors que
cette organisation n’a pas été créée
pour jouer ce rôle. On l’a activée dans
ce sens, le 12 septembre 2001,
immédiatement après les attentats de New
York. Les dirigeants de l’Otan affirment
que la raison de leur participation à la
guerre contre les Afghans est de
combattre le terrorisme. Or, l’Otan
risque de perdre cette guerre. Il y
aura, alors, une grande crise, des
débats. Ce qui permettra alors de savoir
si l’Otan mène, comme elle l’affirme,
une guerre contre le terrorisme, ou si
on se trouve dans une situation analogue
à celle que l’on a connue durant la
Guerre froide, avec l’armée secrète Gladio,
où il y avait un lien avec la terreur.
Les années à venir diront si l’Otan a
agi en dehors de la mission pour
laquelle elle a été fondée : défendre
les pays européens et les États-Unis en
cas d’invasion soviétique, évènement qui
ne s’est jamais produit. L’Otan n’a pas
été fondée pour s’emparer du pétrole ou
du gaz des pays musulmans.
Silvia Cattori : On
pourrait encore comprendre qu’Israël,
qui a des intérêts à élargir les
conflits dans les pays arabes et
musulmans, encourage les États-Unis dans
ce sens. Mais on ne voit pas quel peut
être l’intérêt des États européens à
engager des troupes dans des guerres
décidées par le Pentagone, comme en
Afghanistan ?
Daniele Ganser : Je
pense que l’Europe est confuse. Les
États-Unis sont dans une position de
force, et les Européens ont tendance à
penser que la meilleure chose est de
collaborer avec le plus fort. Mais il
faudrait réfléchir un peu plus. Les
parlementaires européens cèdent
facilement à la pression des États-Unis
qui réclament toujours davantage de
troupes sur tel ou tel front. Plus les
pays européens cèdent, plus ils se
soumettent, et plus ils vont se trouver
confrontés à des problèmes toujours plus
grands. En Afghanistan, les Allemands et
les Britanniques sont sous le
commandement de l’armée américaine.
Stratégiquement, ce n’est pas une
position intéressante pour ces pays.
Maintenant, les États-Unis ont demandé
aux Allemands d’engager leurs soldats
également au sud de l’Afghanistan, dans
les zones où la bataille est la plus
rude. Si les Allemands acceptent, ils
risquent de se faire massacrer par ces
forces afghanes qui refusent la présence
de tout occupant. L’Allemagne devrait
sérieusement se demander si elle ne
devrait pas retirer ses 3000 soldats
d’Afghanistan. Mais, pour les Allemands,
désobéir aux ordres des États-Unis, dont
ils sont un peu les vassaux, c’est un
pas difficile à faire.
Silvia Cattori : Que
savent les autorités qui nous gouvernent
aujourd’hui de la « stratégie de la
tension » ? Peuvent-elles continuer
comme cela à laisser des fauteurs de
guerres fomenter des coups d’État,
kidnapper et torturer des gens sans
réagir ? Ont-elles encore les moyens
d’empêcher ces activités criminelles ?
Daniele Ganser : Je
ne sais pas. Comme historien, j’observe,
je prends note. Comme conseiller
politique, je dis toujours qu’il ne faut
pas céder aux manipulations qui visent à
susciter la peur et à faire croire que
les terroristes sont toujours les
musulmans…
[...]
Le jour où les gens réaliseront que
ces guerres contre le terrorisme sont
manipulées, et que ces accusations
contre les musulmans sont, en partie, de
la propagande, ils vont être surpris.
Les États européens doivent se réveiller
et comprendre enfin comment la « stratégie
de la tension » fonctionne. Et ils
doivent aussi apprendre à dire non aux
États-Unis. En plus, aux États-Unis
aussi, il y a beaucoup de gens qui ne
veulent pas de cette militarisation des
relations internationales.
[...]
On est manipulable si on a peur ;
peur de perdre son travail, peur de
perdre le respect des gens que l’on
aime. On ne peut pas sortir de cette
spirale de violence et de terreur si on
se laisse gagner par la peur. C’est
normal d’avoir peur, mais il faut parler
ouvertement de cette peur et des
manipulations qui la génèrent. Nul ne
peut échapper à leurs conséquences. Cela
est d’autant plus grave que les
responsables politiques agissent souvent
sous l’effet de cette peur. Il faut
trouver la force de dire : « Oui j’ai
peur de savoir que ces mensonges font
souffrir des gens ; oui j’ai peur de
penser que ce terrorisme dont on parle
est la conséquence de manipulations,
mais je ne vais pas me laisser
intimider ».
[...]
Silvia Cattori : Cette
manière de penser et de couvrir les
mensonges qui découlent de la « stratégie
de la tension », ne rend-elle pas
tout un chacun complice des crimes
qu’elle entraîne ? À commencer par les
journalistes et les partis politiques ?
Daniele Ganser : Je
pense, personnellement, que tout le
monde – journalistes, universitaires,
politiciens – doit réfléchir sur les
implications de la « stratégie de la
tension » et des « False
flags ». Nous sommes là, il est
vrai, en présence de phénomènes qui
échappent à tout entendement. C’est
pourquoi, chaque fois qu’il y a des
attentats terroristes, il faut
s’interroger et chercher à comprendre ce
que cela recouvre. Ce n’est que le jour
où l’on admettra officiellement que les
« False flags » sont une
réalité, que l’on pourra établir une
liste des « False flags » qui
ont eu lieu dans l’histoire et se mettre
d’accord sur ce qu’il faudrait faire.
La recherche de la paix est le thème
qui m’intéresse. Il est important
d’ouvrir le débat sur la « stratégie
de la tension » et de prendre acte
qu’il s’agit d’un phénomène bien réel.
Car, aussi longtemps que l’on n’a pas
accepté de reconnaître son existence, on
ne peut pas agir. C’est pour cela qu’il
est important d’expliquer ce que la « stratégie
de la tension » signifie
réellement. Et, une fois que l’on a
compris, de ne pas se laisser gagner par
la peur et la haine contre un groupe. Il
faut se dire que ce n’est pas uniquement
un pays qui est impliqué là-dedans ; que
ce ne sont pas seulement les États-Unis,
l’Italie, Israël ou les Iraniens, mais
que cela se produit partout, même si
certains pays y participent de manière
plus intense que d’autres. Il faut
comprendre, sans accuser tel pays ou
telle personne. La peur et la haine
n’aident pas à avancer mais paralysent
le débat. Je vois beaucoup d’accusations
contre les États-Unis, contre Israël,
contre la Grande Bretagne, ou
alternativement, contre l’Iran, la
Syrie. Mais la recherche sur la paix
nous enseigne qu’il ne faut pas se
livrer à des accusations basées sur le
nationalisme, et qu’il ne faut ni haine
ni peur ; que le plus important est
d’expliquer. Et cette compréhension sera
bénéfique pour nous tous.
[...]
Silvia Cattori | 29
décembre 2006
Lire l’entier de l’entretien ici
[1] Nato’s
secret Armies : Terrorism in Western
Europepar Daniele Ganser, préface
de John Prados. Frank Cass éd., 2005.
ISBN 07146850032005
[2] C’est
après l’attentat de Piazza Fontana à
Milan en 1969 que l’expression
« stratégie de la tension » a été
entendue pour la première fois.
[3] False
flag operations (opérations faux
drapeaux) est l’expression utilisée pour
désigner des actions terroristes, menées
secrètement par des gouvernements ou des
organisations, et que l’on fait
apparaître comme ayant été menées par
d’autres.
[4] Stay
behind (qui veut dire : rester
derrière en cas d’invasion soviétique)
est le nom donné aux structures
clandestines entraînées pour mener une
guerre de partisans.
[5] Gladio
désigne l’ensemble des armées secrètes
européennes qui étaient sous la
direction de la CIA.
[6] Président
du Conseil des ministres, membre de la
démocratie chrétienne.
[7] Affaire
Lavon, du nom du ministre de la Défense
israélien qui a dû démissionner quand le
Mossad a été démasqué comme ayant trempé
dans ces actes criminels
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