Liban
Les mécanismes
d'el-Qaëda et
l'importance de l'identification des
kamikazes
Scarlett Haddad
Photo: D.R.
Jeudi 21 novembre 2013
Les milieux politiques, diplomatiques et
sécuritaires s’accordent à dire que le
double attentat de Bir Hassan ouvre
une nouvelle étape très dangereuse dans
la confrontation régionale. D’autant que
c’est la première fois qu’un attentat
aussi important est lancé contre des
intérêts iraniens hors d’Iran. Jusqu’à
présent, les agressions contre des
intérêts ou des symboles iraniens se
limitaient à l’intérieur iranien ou à
l’assassinat de personnalités
iraniennes. Mais c’est la première fois
qu’il y a un attentat de cette ampleur,
exécuté exactement selon le modèle des
attentats-suicide qui se déroulent en
Irak et qui sont le fait d’éléments ou
de groupes dans la mouvance d’el-Qaëda.
Une source sécuritaire qui suit de près
le dossier révèle que depuis l’invasion
américaine de l’Irak et la recrudescence
des actes terroristes dans ce pays, il y
avait une sorte d’entente tacite entre
l’Iran et el-Qaëda pour éviter les
attaques contre les intérêts ou les
symboles iraniens. L’Iran devait
probablement détourner les yeux de
certains faits et en contrepartie ses
intérêts n’étaient pas attaqués. C’est
un peu la même équation qui a été
reprise par certains pays du Golfe pour
se protéger de la mouvance extrémiste.
Le secrétaire général du Hezbollah a
aussi tenté d’établir une équation
similaire en disant à ses adversaires :
« Battons-nous en Syrie, mais laissons
le Liban de côté. » Il a visiblement
échoué à les convaincre... L’attentat de
mardi contre l’ambassade d’Iran à
Beyrouth, dans son déroulement et dans
la revendication d’el-Qaëda qui l’a
suivi, montre donc que cette entente
tacite n’est plus respectée et que nous
nous trouvons désormais devant une
nouvelle étape de la confrontation
régionale, sans plafond ni lignes
rouges.
Dans le déroulement, les faits sont
maintenant établis. Selon la source
sécuritaire, le premier kamikaze s’est
fait exploser à quelques mètres de
l’entrée principale de l’ambassade,
fermée par une gigantesque porte noire
en métal. Il voulait ainsi ouvrir la
porte pour permettre à son complice, qui
l’attendait quelques mètres plus loin
dans un 4x4, de la faire exploser dans
l’enceinte de l’ambassade. Toutefois,
après cette première explosion, le
responsable de la sécurité de
l’ambassade, Hajj Reda (Libanais) est
aussitôt sorti dans la rue avec quelques
hommes pour voir de quoi il s’agit. Il a
aperçu une petite camionnette de
distribution d’eau garée au milieu de la
rue et derrière elle, la voiture noire.
Il s’est visiblement douté de quelque
chose et a tiré sur le chauffeur de la
voiture, le contraignant à se faire
sauter dans la rue. Hajj Reda fait
partie des victimes de l’attentat et
ceux qui l’ont connu louent son courage.
Voilà ce qu’ont révélé jusqu’à présent
les caméras de surveillance qui sont
nombreuses dans ce secteur.
Toutefois, s’il ne fait aucun doute
qu’el-Qaëda est pointée du doigt, les
services de sécurité qui mènent
l’enquête précisent qu’el-Qaëda est un
vaste nom pour une mouvance aux
multiples facettes. Une source
sécuritaire révèle ainsi qu’el-Qaëda est
infiltrée par de nombreux services de
renseignements et l’accuser de
l’attentat ne permet pas d’identifier
réellement les commanditaires. Cette
source sécuritaire compare el-Qaëda aux
fameux « Hashishins » qui sévissaient au
Moyen Âge en Iran et accomplissaient les
sales besognes pour le compte de leur
chef qui leur promettait en échange le
paradis. Marco Polo qui avait fait des
recherches sur ce groupe écrit que leur
chef « Alaodin » leur faisait boire un
breuvage qui les droguait. Il les
emmenait ensuite dans un jardin en leur
faisant croire qu’ils étaient au
paradis. Ensuite, il leur demandait
d’aller assassiner telle ou telle autre
personnalité en leur promettant de les
ramener au paradis. Les hommes y
allaient avec enthousiasme et sans la
moindre crainte, parce qu’ils avaient
déjà goûté aux plaisirs du paradis et
ils étaient convaincus qu’après avoir
accompli leur acte, ils y seraient
emmenés... Les « Hashishins » étaient
donc des hommes prêts au sacrifice dans
l’espoir d’accélérer leur arrivée au
paradis. Mais ils ignoraient totalement
les motifs des agissements de leur chef,
se contentant d’exécuter les missions
qui leur étaient confiées. Les kamikazes
d’aujourd’hui reproduisent le même
schéma, estime la source sécuritaire.
Ils exécutent la mission qui leur est
confiée sans savoir pour qui travaille
leur « émir », ses commanditaires, ses
motivations et son allégeance.
Toutefois, précise encore la source
sécuritaire, l’identification des
kamikazes pourrait donner un indice
précis aux enquêteurs. C’est d’ailleurs
sur ce point que se concentrent
actuellement les recherches à travers un
examen minutieux des lieux et des films
des caméras, ainsi qu’à travers les
analyses d’ADN effectuées sur les
dépouilles. Si, par exemple, les deux
kamikazes, ou l’un d’eux, est de
nationalité saoudienne, cela voudra dire
que le commanditaire serait un groupe en
Arabie saoudite et cela équivaudrait à
une sorte de déclaration de guerre entre
les deux pays. La source sécuritaire
estime que le groupe n’a pas en réalité
besoin de confier cette mission à un
kamikaze saoudien. Les exécutants
pourraient donc être syriens, yéménites,
libyens ou palestiniens. Mais le pire
pour le Liban serait qu’ils soient
libanais, parce que cela voudrait dire
qu’el-Qaëda recrute désormais dans ce
pays, y a directement des adeptes et des
foyers, suffisamment organisés pour y
exécuter des missions et encouragés par
les discours extrémistes de certaines
parties, comme par exemple le meeting
d’il y a deux dimanches à Tripoli.
Certes, depuis deux ans, on parle
beaucoup de l’existence de cellules
d’el-Qaëda au Liban, mais c’est la
première fois que ce pays est le théâtre
d’une attaque de cette ampleur contre
une mission diplomatique étrangère. Cela
prouve qu’el-Qaëda s’y sent plus à
l’aise et y agit avec une plus grande
audace... De quoi donner du fil à
retordre aux services de sécurité.
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