Monde
Norman Finkelstein dénonce
l’imposture
de l’antisémitisme
Norman G. Finkelstein
Dimanche 28 octobre 2018
Source :
http://normanfinkelstein.com/2018/08/25/finkelstein-on-corbyn-mania/ Traduction :
sayed7asan.blogspot.fr
L’hystérie actuelle
qui fait rage autour du parti
travailliste britannique se base sur
deux prémisses interdépendantes, quoique
discrètes : l’antisémitisme dans la
société britannique en général, et au
sein du parti travailliste en
particulier, aurait atteint des
proportions critiques. Si aucune de ces
prémisses ne peut être admise, alors
cette hystérie est une pure fabrication.
En réalité, aucun élément de preuve n’a
été fourni pour étayer l’une ou l’autre
; au contraire, toutes les preuves vont
dans la direction opposée. La conclusion
rationnelle est que tout ce brouhaha
n’est qu’une mystification calculée
–oserons-nous dire un complot ?–
visant à chasser de la vie publique
britannique Jeremy Corbyn et la
politique de gauche attachée à des
principes qu’il représente. Mais même si
les allégations à son encontre étaient
vraies, la solution ne serait pas de
limiter la liberté de pensée au sein du
parti travailliste. À son apogée, la
tradition de la gauche libérale a
attaché une valeur unique et primordiale
à la Vérité ; mais la vérité ne peut pas
être connue si les dissidents, si odieux
qu’ils soient, sont réduits au silence.
Du fait de l’histoire lourde de
l’antisémitisme, d’une part, et de sa
manipulation éhontée par les élites
juives, d’autre part, une appréciation
objective et sans parti pris peut
sembler irréalisable. Mais il faut tout
de même essayer. Sinon, la perspective
d’une victoire historique de la gauche
pourrait être sabotée, car jusqu’à
présent, les partisans de Corbyn, que ce
soit par crainte, calcul ou souci du
politiquement correct, n’osent pas
désigner le mal qui se trame par son
nom.
Le degré d’antisémitisme qui infecte la
société britannique a fait l’objet de
nombreux sondages sur une période
prolongée. Ces enquêtes ont conclu de
manière uniforme, cohérente et sans
ambiguïté que l’antisémitisme (1) est
depuis longtemps un phénomène marginal
dans la société britannique, touchant
moins de 10% de la population, (2) est
beaucoup moins saillant que l’hostilité
envers les autres minorités
britanniques, et (3) est moins prononcé
au Royaume-Uni que presque partout
ailleurs en Europe. On pourrait supposer
que ces données règlent la question.
Mais en 2017, l’Institut Britannique de
Recherche sur les Politiques Juives
(RPJ) a publié
une étude qui prétend affiner les
idées reçues en mesurant « l’élasticité
» de l’antisémitisme, c’est-à-dire en
mesurant non seulement le pourcentage
d’antisémites confirmés, mais également
la prégnance des stéréotypes qui
stigmatisent les Juifs [1]. Cette étude
a conclu que bien que l’on ne puisse
considérer que 2 à 5% de la population
britannique comme antisémite, 30%
nourrissent au moins un stéréotype
antisémite.
Avant d’analyser les données de l’étude,
deux truismes doivent être rappelés.
Premièrement, une généralisation est
quelque chose qui est généralement
considéré comme vrai, mais comporte
évidemment des exceptions. Bien que le
riche propriétaire d’usine Engels ait
généreusement subventionné son
impécunieux camarade, cela n’a pas
empêché Marx de faire des
généralisations sur les « vampires »
capitalistes. Sans la valeur heuristique
des généralisations larges, la
sociologie en tant que discipline
devrait mettre la clé sous la porte. Son
mandat est de cartographier et de
prédire le comportement, dans
l’ensemble et globalement, des
multiples groupes et sous-groupes
transversaux qui composent la société.
Deuxièmement, chaque groupe
national ou ethnique est sujet à des
généralisations: « Les Français sont...
», « Les Italiens sont... », « Les
Allemands sont... », etc. Ces
généralisations vont du plus ou moins
flatteur au plus ouvertement
malveillant, du plus ou moins vrai à
l’absolument faux. Il devrait également
être évident que si la plupart des
généralisations positives ne soulèvent
aucun problème, il devrait en aller de
même pour les plus négatives. Le fait
que les stéréotypes sur les Juifs
couvrent toute la gamme n’est guère
alarmant ; il serait surprenant qu’il en
aille autrement.
En fait, le RPJ ne tire pas la sonnette
d’alarme. Alors que certains colporteurs
d’antisémitisme se sont accrochés à ses
conclusions, les chercheurs eux-mêmes
cherchaient à répondre à une question
différente : « Pourquoi les niveaux
d’anxiété élevés constatés au sein de la
population juive britannique du fait de
l’antisémitisme contemporain
semblent-ils si peu en accord avec les
faibles niveaux de sentiment antisémite
observés au sein de la population
générale du Royaume-Uni ? » [2] L’étude
avance que si les Juifs britanniques
expriment une profonde anxiété alors
même que les antisémites sont, comme le
dodo, en voie d’extinction, cela émane
donc de la « diffusion » plus large dans
la société britannique de stéréotypes
antisémites : « Cette diffusion
contribue grandement à expliquer les
inquiétudes contemporaines des Juifs
causées par l’antisémitisme » [3]. Mais
n’est-ce pas là une inférence hâtive ?
Si les habitants de Salem, dans le
Massachusetts, éprouvaient une profonde
anxiété causée par les sorcières ; si
les Américains éprouvaient une profonde
anxiété causée par les communistes ; si
les sudistes blancs éprouvaient une
profonde anxiété causée par les violeurs
noirs ; si les Allemands ressentaient
une profonde anxiété causée par une
conspiration « judéo-bolchevique » ; et
si, à ce sujet, les chrétiens
éprouvaient une profonde anxiété causée
par les meurtres rituels d’enfants
commis par les Juifs... Faut-il en
déduire que toutes ces craintes étaient
fondées ? Si une anxiété est
généralisée, il ne s’ensuit pas
nécessairement, ni même probablement,
que c’est une peur rationnelle. Elle
pourrait tout aussi bien avoir été
induite par des forces sociales
puissantes qui bénéficieraient d’une
paranoïa délibérément créée. Ou, dans le
cas présent, cela pourrait découler de
bien d’autres choses, d’une
hypersensibilité juive –tout à fait
compréhensible à la lumière de
l’expérience historique– à un
antisémitisme fantôme (cf. le film
Annie Hall de Woody Allen).
L’étude du RPJ compile une liste de sept
stéréotypes. Selon ces chercheurs, si
ces stéréotypes sont jugés antisémites,
c’est parce que les Juifs les trouvent
blessants : « Certaines idées sont
réputées antisémites chez les Juifs, et
cette étude adopte une perspective juive
sur ce qui constitue l’antisémitisme. »
[4] Mais une généralisation peut
clairement être à la fois blessante et
vraie, car la vérité est souvent une
pilule amère à avaler. Si la
généralisation blessante est vraie,
alors, dans la mesure où l’épithète
antisémite ne s’applique qu’à une
animosité irrationnelle, elle ne
peut pas être antisémite. Il y a une
vingtaine d’années, Daniel Jonah
Goldhagen a écrit un livre prétendant
que l’holocauste nazi avait pour origine
une prédisposition allemande à tuer des
Juifs. Si elle était vraie, sa thèse ne
pourrait pas être qualifiée
d’anti-Teutonique : « Il n’y a pas de
raison prima facie de rejeter la
thèse de Goldhagen », ai-je observé à
l’époque. « Elle n’est pas
intrinsèquement raciste ou illégitime.
Il n’y a pas de raison évidente pour
laquelle une culture ne pourrait pas
être fanatiquement consumée par la
haine. » Même si les Allemands peuvent
être horrifiés face à cette description
de leur peuple, et même la trouver
singulièrement choquante, si les faits
la justifiaient, alors on ne pourrait
pas affirmer qu’elle soit enracinée dans
une malveillance irrationnelle. En
l’occurrence, les preuves apportées par
Goldhagen ne pouvaient pas soutenir sa
thèse, mais c’est une autre question.
Considérons maintenant plusieurs des
stéréotypes rassemblés dans l’étude du
RPJ pour évaluer la prévalence de
l'antisémitisme britannique :
Les Juifs pensent qu’ils sont
meilleurs que les autres. Entre leur
succès séculier d’une part, et leur
caractère théologique de « peuple élu »
d’autre part, les Juifs eux-mêmes
croient en la supériorité de leur
groupe. N’est-ce pas la raison pour
laquelle ils tirent une immense vanité
des origines juives des figures
fondatrices de la modernité –Marx,
Einstein et Freud– ainsi que des 20% de
lauréats Juifs du prix Nobel ? Ce qu’un
enfant Juif hérite, ce n’est « pas un
corps de loi, pas un corpus
d’apprentissage, pas un langage et en
fin de compte pas un Seigneur », a
déclaré l’éminent romancier Juif Philip
Roth, « mais une sorte de psychologie
qui peut être résumée en ces quelques
mots : « Les Juifs sont supérieurs aux
autres ». Un éminent universitaire
Juif-Américain a écrit sans vergogne : «
Les Juifs auraient été moins qu’humains
s’ils avaient évité toute notion de
supériorité », et « il est
extraordinairement difficile pour les
Juifs Américains de se départir
complètement de leur sentiment de
supériorité, quels que soient les
efforts qu’ils fassent pour cela. » [6]
Une publication américaine populaire,
dans un article intitulé « Les Juifs
sont-ils plus intelligents ? », a étudié
les preuves génétiques de cette
supériorité [7]. De peur que cela ne
soit catalogué comme une suffisance
propre aux Juifs Américains, l’éminent
auteur Anglo-Juif Howard Jacobson
considère qu’au cœur de l’antisémitisme
se trouve le ressentiment des Gentils
face à l’intelligence juive : « Freud
soutient que les Juifs... ont sur-évolué
leur côté mental et intellectuel... Nous
avons tous nos arrogances et c’est là
une arrogance juive. Mais l’idée que le
Juif est trop évolué mentalement est
l’une des raisons pour lesquelles
l’humanité est constamment en conflit
avec nous. Nous avons donné au monde
l’éthique, la morale, la vie mentale, et
le monde physique ne nous le pardonnera
jamais. » [8] [Cf. également, pour la
France, « le génie du judaïsme »
célébré par l’inénarrable Bernard
Henri-Lévy, « ce qu’il ajoute au
monde ; de quoi il enrichit le reste de
l’humanité ; cette part de poésie et de
beauté, ce sens de l’éthique, ce sens de
l’humain, dont les humains seraient
amputés si, ce qu’à Dieu ne plaise, il
n’y avait tout à coup plus de Juifs...
Le Juif c’est comme un petit fantôme qui
accompagne les nations en secret dans
leur long cheminement, dans leur
rencontre avec elle-même, peut-être dans
leur épanouissement ou leur
rédemption... [C’est ce] sable qui se
mêlerait au limon des nations pour en
conjurer la ténèbre [sic], la
lourdeur, la part nocturne et
dangereuse. C’est le vrai sens de
l’élection. Elu, en hébreu, veut dire
littéralement trésor. Et je crois que la
singularité juive est le trésor secret
des nations. » Ou encore les Juifs «
à l'avant-garde de la République et de
ses valeurs » pour Manuel Valls,
etc.] Si c’est de l’antisémitisme que de
croire que « Les Juifs pensent qu’ils
sont meilleurs que les autres », alors
il semblerait que la majorité des Juifs
soient infectés par ce virus.
Les Juifs exploitent la victimisation
de l’Holocauste à leurs propres fins.
Le volubile chef de la diplomatie
israélienne, Abba Eban, aurait plaisanté
: « Il n’y a pas de business plus
rentable que celui de la Shoah ». Mais
lorsque j’ai publié en 2000 un petit
livre intitulé L’industrie de la
Shoah: Réflexions sur l’exploitation de
la souffrance des Juifs [9], j’ai
subi un torrent d’attaques ad hominem.
« Il est peut-être trop facile de
balayer d’un revers de main un critique
comme Finkelstein en le présentant comme
un Juif ayant la haine de soi », a
déclaré Jonathan Freedland dans le
Guardian, mais cela ne l’a pas
empêché de s’engager à son tour sur
cette voie sordide : « Finkelstein fait
le travail des antisémites pour eux »,
et de fait, « il est plus proche des
gens qui ont créé l’Holocauste que de
ceux qui ont subi » [10]. Sans surprise,
Freedland fait maintenant partie des
personnes qui mènent la charge contre
l’antisémitisme présumé de Corbyn. Quoi
qu’il en soit, près de deux décennies se
sont écoulées depuis la réception
hostile de mon livre, et sa teneur ne
fait même plus froncer les sourcils car
elle est devenue un truisme. Que ce soit
pour justifier une autre guerre
d’agression ou un autre massacre de
civils, que ce soit pour commercialiser
un autre navet sur l’Holocauste, ou un
autre roman insipide sur l’Holocauste,
les Juifs n’ont pas hésité à se draper
du manteau sacré du martyre, bien au
contraire. Un livre de l’ancien
Président du parlement israélien Avraham
Burg dénonçant la fixation israélienne
sur l’Holocauste parle de « l’industrie
de la Shoah » ; elle « convertit la
douleur atroce en fausseté et en kitsch
», observe Burg, et atténue les crimes
israéliens : « Les Juifs Américains,
comme les Israéliens... élèvent la
bannière de la Shoah haut dans le ciel
et l’exploitent politiquement... Tout
est comparé à la Shoah, éclipsé par la
Shoah, et par conséquent tout est permis
–que ce soit des clôtures, des blocus...
la privation de nourriture et d’eau...
Tout est permis parce que nous avons
subi la Shoah, donc personne n’a à nous
dire ce qu’on peut ou ne peut pas faire.
» [11] Burg est-il coupable
d’antisémitisme ?
Les Juifs ont trop de pouvoir en
Grande-Bretagne. Les trois
britanniques les plus riches sont Juifs
[12]. Les Juifs ne représentent que 0,5%
de la population mais 20% des 100
britanniques les plus riches. [13] Par
rapport à la population générale et à
d’autres groupes ethno-religieux, dans
l’ensemble, les Juifs britanniques sont
infiniment plus riches, plus instruits
et réussissent mieux leur vie
professionnelle [14]. De telles
disproportions se retrouvent ailleurs.
Aux Etats-Unis, les Juifs ne
représentent que 2% de la population,
mais 30% des 100 Américains les plus
riches, tandis que les Juifs bénéficient
du revenu par foyer le plus élevé parmi
les groupes religieux. [15] Les Juifs
représentent moins de 0,2% de la
population mondiale, mais, parmi les 200
personnes les plus riches du monde, 20%
sont Juifs [16]. Les Juifs sont
organisés de manière incomparable car
ils ont créé une pléthore
d’organisations communautaires et de
défense interdépendantes, imbriquées et
se renforçant mutuellement, qui opèrent
à la fois dans les arènes nationales et
internationales. Dans de nombreux pays,
notamment les États-Unis et le
Royaume-Uni [et la France], les Juifs
occupent des positions stratégiques dans
l’industrie du divertissement, les arts,
l’édition, les revues d’opinion, le
monde universitaire, la profession
juridique et le gouvernement. « Les
Juifs sont représentés en
Grande-Bretagne en nombre plusieurs fois
supérieur à leur population », note
Anshel Pfeffer, journaliste
anglo-israélien, « dans les deux
Chambres du Parlement, sur le classement
des hommes les plus riches fait par le
Sunday Times, dans les médias, le
monde universitaire, les professions
libérales et sur toutes les marches de
la vie publique. » [17] Il serait
extraordinaire que ces données brutes ne
se traduisent pas par un pouvoir
politique juif hors normes. L’Institut
de planification politique de la
population juive, basé en Israël,
s’extasie du fait que « le peuple juif
d’aujourd’hui est à un zénith historique
de la création de richesse » et « n’a
jamais été aussi puissant que maintenant
». Il est certainement légitime de
sonder l’amplitude de ce pouvoir et
d’établir s’il a été exagéré [19], mais
il ne peut être acceptable de nier (ou
de supprimer) des faits
socio-économiques ayant une importance
critique. Lorsque presque tous les
membres du Congrès américain agissent
comme un diable à ressort cassé, et
donnent à un chef d’Etat israélien –qui
a fait irruption au Capitole dans un
défi effronté et odieux au Président
américain– une ovation après une autre,
il est sûrement naturel de demander :
Mais qu’est-ce qui se passe ici ? [20]
[Sans parler, en France, de la
toute-puissance du CRIF, de la
pénalisation de l’appel au boycott
d'Israël, des lois mémorielles, de
l’autorisation et de la protection
officielles accordées à la Ligue de
Défense Juive, milice terroriste
interdite aux Etats-Unis et en Israël
mêmes, etc., etc., etc.] Sans le pouvoir
démesuré des Juifs au Royaume-Uni, il
est difficile d’imaginer que la société
britannique se serait lancée dans une
interminable chasse au
hobgoblin. Certes, bien que la lutte
contre l’antisémitisme soit le cri de
ralliement, un large éventail de forces
sociales puissantes et bien enracinées,
œuvrant pour un agenda qui n’est pas si
caché que ça, se sont unies autour de
cette cause putative. On ne peut
toutefois pas nier que les organisations
juives constituent le fer de cette lance
empoisonnée.
On pourrait encore se demander : Mais
n’est-ce pas là « trop » de pouvoir ?
Considérez ces faits. Jeremy Corbyn est
le chef démocratiquement élu du parti
travailliste. Sa montée en puissance a
considérablement élargi et galvanisé les
rangs du parti. Corbyn a consacré sa vie
à la lutte contre le racisme. Comme pour
la
chanson d’hommage à
Joe Hill, le militant du parti des
ouvriers, on peut dire que là où les
travailleurs font la grève et
s’organisent, c’est là que vous
trouverez [Jeremy Corbyn]. Selon les
normes britanniques et même mondiales de
leadership, il fait figure de saint. Du
côté opposé, des corps juifs non élus
pour la plupart [21] ont traîné le nom
de Corbyn dans la boue, le calomniant et
le diffamant. Ils ont refusé de
rencontrer Corbyn, même s’il a à
plusieurs reprises tendu ses rameaux
d’olivier et proposé des compromis
substantiels [22]. Au lieu de cela, ils
donnent des ultimatums à prendre ou à
laisser. En réalité, la majorité des
Juifs ne soutiennent pas les
travaillistes, même lorsque la tête de
liste du parti est un Juif (Ed Miliband
en 2015). Néanmoins, ces dirigeants
communautaires hypocrites et
grandiloquents ne trouvent pas
inconvenant ou même inapproprié de
dicter de loin et d’en haut au parti
travailliste sa politique interne. Ma
défunte mère écrivait: « Ce n’est pas un
hasard si les Juifs ont inventé le mot
Chutzpah. » Le motif transparent
de cette campagne cynique est de
diaboliser Corbyn, non pas parce que
c’est « un putain d’antisémite », mais
parce que c’est un champion intègre des
droits des Palestiniens. Cependant, la
candidature de Corbyn ne concerne pas
seulement la Palestine ou même les
classes ouvrières britanniques. C’est un
phare pour les sans-logis, les affamés
et les désespérés, les méprisés, les
opprimés et les démunis, partout où ils
se trouvent. Si les calomniateurs de
Corbyn réussissent, la lueur de
possibilité qu’il a fait jaillir et
entretenue sera étouffée par une bande
de maîtres-chanteurs et d’extorqueurs.
Est-ce de l’antisémitisme de croire que
« les Juifs ont trop de pouvoir en
Grande-Bretagne » – ou est-ce simplement
du bon sens? (Certes, et c’est là une
question distincte qui n’a pas de
solution simple, on peut se demander
comment il serait possible de remédier à
cette inégalité de pouvoir sans empiéter
sur les droits démocratiques de
quiconque.) Malgré tout, n’est-il pas
antisémite de généraliser que les «
Juifs » ont abusé de leur pouvoir ? Mais
même en admettant qu’une partie ait été
manipulée ou dupée, il semble clair que
les Juifs britanniques en général
soutiennent le rouleau compresseur anti-Corbyn.
Si c’est vraiment un malentendu, de qui
est-ce la faute ? Le message tacite de
l’éditorial commun sans précédent publié
en première page des principaux
périodiques juifs était le suivant :
Les Juifs britanniques sont unis –
Corbyn doit partir ! Est-il
antisémite de prendre ces organisations
juives au mot ?
Le résultat de tout cela est que l’étude
du RPJ ne prouve pas « l’élasticité » de
l’antisémitisme dans la société
britannique. Deux des propositions
incendiaires qu’elle éprouve sont sans
doute porteuses d’antisémitisme –L’Holocauste
est un mythe, L’Holocauste a été
exagéré– mais seule une infime
partie des britanniques (respectivement
2 et 4%) y adhèrent. L’antisémitisme
existe bien sûr dans la société
britannique, mais le RPJ a ratissé ses «
preuves » de manière beaucoup trop large
et ne saurait être pris au sérieux. Il
n’y a aucune raison de douter des
données des sondages conventionnels qui
estiment l’incidence de l’antisémitisme
à moins de 10% de la société
britannique.
Même si l’étude du RPJ pouvait résister
à un examen sérieux, elle ne prouverait
toujours pas que l’antisémitisme menace
les Juifs britanniques. Face au
spectacle nauséabond et incessant du
nombrilisme solipsiste et narcissique et
de l’auto-apitoiement, un examen
objectif de la situation s’impose. Si
les stéréotypes populaires étaient
représentés sur un spectre allant de
l’inoffensif au malveillant, la plupart
des stéréotypes antisémites seraient
proches de l’inoffensif, alors que les
stéréotypes touchant les minorités
véritablement opprimées se
retrouveraient à l’extrémité opposée.
Oui, les Juifs doivent subir la
réputation d’être radins, arrivistes et
claniques –mais les musulmans sont
catalogués comme des terroristes et des
misogynes, les Noirs sont méprisés comme
des fainéants chroniques et
génétiquement stupides, et les Roms /
Sinté sont honnis comme de vils
mendiants et voleurs. Les Juifs ne
subissent pas non plus les maux causés
par la véritable oppression. Combien de
Juifs, en tant que Juifs, se sont vu
refuser un emploi ou un appartement ?
Combien de Juifs ont été abattus par la
police ou jetés en prison ? Alors
qu’être noir ou musulman ferme les
portes, être Juif les ouvre. S’il est
établi que les Blancs occupant des
postes de pouvoir discriminent en faveur
d’autres Blancs et que les hommes
occupant des postes de pouvoir
discriminent en faveur d’autres hommes,
il serait surprenant que des Juifs ayant
largement réussi ne discriminent pas en
faveur d’autres Juifs. Non seulement
n’est-ce plus un handicap social que
d’être Juif, cela a même un certain
cachet social. Alors que jadis, c’était
un pas en avant pour un Juif que de se
marier dans une famille de l’élite
dirigeante, cela semble maintenant être
un pas en avant pour l’élite dirigeante
de se marier dans une famille juive.
N’est-ce pas un indice fort que la
prunelle des yeux du Président Bill
Clinton, sa fille Chelsea, et la
prunelle des yeux du Président Donald
Trump, sa fille Ivanka, aient épousé des
Juifs ? Faisant le tour des plateaux
télévisés britanniques, Barnaby Raine,
une autorité autoproclamée, grimace : «
Il y a un très grave problème
d’antisémitisme dans la société
britannique » (Hormis le fait qu’il soit
un « fier Juif britannique » et qu’un
jour, quelqu’un l’ait traité de « youpin
», il est difficile de trouver un
fondement à ses pronunciamentos
catégoriques.) Bertrand Russell a un
jour écrit à propos de Trotsky : « Il
est très beau et a d’admirables cheveux
ondulés ; on sent qu’il serait
irrésistible pour les femmes. » On peut
dire quelque chose de semblable, plus ou
moins, de Barnaby le Bolchevik –ou du
moins de l’idéal auquel il aspire. La
question se résume alors à cela :
Préférerait-il être laid et chauve ou
être Juif en Grande-Bretagne aujourd’hui
? Ce n’est pas une question triviale ou
ironique. Le fait est que
personnellement et professionnellement,
ces stigmates physiques sont une croix
dix fois plus lourde à porter que de
naître Juif. Si le non-problème de
l’antisémitisme est classé comme un «
problème très grave » au Royaume-Uni,
alors les Britanniques ont beaucoup de
chance. De fait, si c’était vraiment le
cas, la candidature de Corbyn serait
redondante car ils auraient déjà tous
fui vers la Terre Promise.
« Ceux qui ne peuvent pas se souvenir du
passé sont condamnés à le reproduire ».
Tel est l’avertissement célèbre de
George Santayana. À la lumière de la
catastrophe qu’ils ont subie pendant la
Seconde Guerre mondiale, les Juifs ne
devraient-ils pas envisager le pire et
s’y préparer ? Peut-on vraiment leur
reprocher une hypervigilance ? Même si
les indicateurs sont très faibles pour
l’instant, peut-on nier qu’il est à tout
le moins possible que cela se
reproduise ici ? Si la disponibilité des
ressources, du temps et de l’énergie
était infinie, un tel argument pourrait
entraîner la conviction. Mais ce n’est
pas le cas. « L’économie de temps », a
observé Marx dans les Grundrisse,
« c’est à cela que toute économie se
réduit ultimement. » Tout le temps
dépensé dans une direction est autant de
temps en moins pour les autres
directions. Peut-on sérieusement
affirmer que face aux multiples crises
nationales et mondiales qui déchirent la
société britannique –les sans-logis, la
sécurité sociale, le chômage, le Brexit,
la prolifération nucléaire, le
changement climatique...–,
l’antisémitisme occupe une place
importante dans les affaires urgentes
qui requièrent une attention immédiate ?
Ou que les ressources limitées dont
dispose la Grande-Bretagne pour lutter
contre ces problèmes de vie et de mort
devraient plutôt être réorientées vers
la lutte contre de vagues futurs
scénarios apocalyptiques ? Mais la
vérité est que les élites juives ne
croient pas un seul instant que
l’antisémitisme est une question
brûlante. S’ils craignaient vraiment
qu’il soit un danger clair et présent
maintenant ou dans un avenir prévisible,
ils ne crieraient pas sur les toits que
Corbyn est un « putain d’antisémite ».
Car si le Royaume-Uni regorgeait
véritablement d’antisémites refoulés, en
toute logique, la diffusion de cette
accusation ferait de la publicité
gratuite à Corbyn, car ce serait une
douce musique aux oreilles des électeurs
potentiels. Loin de l’endommager, sa
diffusion ne pourrait que faciliter la
victoire de Corbyn et ouvrir la voie à
un second Holocauste. Au contraire, les
organisations juives savent très bien
que dénigrer Corbyn en tant
qu'antisémite réduira considérablement
son attrait, car l’antisémitisme ne
résonne que parmi les antédiluviens, les
troglodytes et les tarés. En d’autres
termes, la preuve irréfutable que les
lyncheurs de Corbyn ne croient pas un
mot de ce qu’ils disent, c’est qu’en le
qualifiant d’antisémite, ils espèrent et
s’attendent à l’isoler. Cependant, étant
donné que l’accusation est manifestement
une manœuvre de diversion, il est
également possible que l’hystérie
actuelle passe complètement au-dessus de
la plupart des gens, non pas parce
qu’ils ne se préoccupent pas de
l’antisémitisme, mais parce que sa
prévalence leur parait infinitésimale.
Si la controverse a un effet, elle se
limitera à exacerber les divisions au
sein de la direction du parti
travailliste, et peut-être aussi à
généraliser davantage la perception que
les histoires promues par les médias
grand public sont de « fausses
informations ».
Norman Finkelstein
* L’auteur est très reconnaissant à Noam
Chomsky, Maren Hackmann-Mahajan, Deborah
Maccoby, Colin Robinson et Jamie Stern-Weiner
pour plusieurs références et
contributions critiques.
[1] L. Daniel Staetsky, Antisémitisme
en Grande-Bretagne contemporaine : Une
étude des attitudes à l’égard des Juifs
et d’Israël, Institute for Jewish
Policy Research, 2017.
[2] Ibid., p. 11.
[3] Ibid., p. 25.
[4] Ibid., p. 21.
[5] Norman G. Finkelstein et Ruth
Bettina Birn, Une nation en procès :
la thèse de Goldhagen et la vérité
historique, New York, 1998, pp. 6-7.
[6] Charles Silberman, Un certain
peuple : les Juifs américains et leur
vie aujourd’hui, New York, 1985, pp.
78, 80, 81 (citant Roth).
[7] New York Magazine, 24 octobre
2005.
[8] Liam Hoare, « Short-Listed for the
Booker, Jacobson’s New Book is Judenrein
», Times of Israel, 21 septembre
2014.
[9] Norman G. Finkelstein,
L’industrie de l’Holocauste: Réflexions
sur l’exploitation de la souffrance des
Juifs, New York et Londres,
2000.
[10] Jonathan Freedland, « Un ennemi du
peuple », The Guardian, 13
juillet 2000.
[11] Avraham Burg, L’Holocauste est
terminé. Nous devons renaître de ses
cendres, New York, 2008, pp. 5, 17,
41, 78.
[12] « Jewish Brothers Top Britain’s
2016 Rich List », Times of Israel,
24 avril 2016.
[13] Sandy Rashty, « Les Juifs les plus
riches de Grande-Bretagne sont nés à
l’étranger, révèle une liste des hommes
les plus riches », Jewish Chronicle,
15 mai 2014.
[14] David Graham et al., « Les Juifs en
Grande-Bretagne: un aperçu du
recensement de 2001 », RPJ, 2007, pp.
5-7, 75, 100. Cf. Simonetta Longhi et
Lucinda Platt, « Écarts de rémunération
entre les domaines de l’égalité : une
analyse des écarts de salaires et des
pénalités salariales selon le sexe,
l’ethnicité, la religion, le handicap,
l’orientation sexuelle et l’âge »,
Rapport de recherche 9 de la CEDH, Hiver
2008 ; Panel national sur l’égalité,
Anatomie de l’inégalité économique au
Royaume-Uni: Rapport du Panel sur
l’égalité nationale, 2010, pp. 102,
132, 149, 227-29, 390 ; Karen Rowlingson,
« Inégalité de la richesse : faits
essentiels », Commission de la
politique de distribution de la richesse
de l’Université de Birmingham ,
2012, p. 19.
[15] Hamilton Nolan, « The Forbes 400: A
Demographic Breakdown », Gawker,
23 septembre 2010 ; David Masci, «
Comment le revenu varie parmi les
groupes religieux américains », Pew
Research Center, 2016.
[16] « Les Juifs représentent 19% de la
liste des 200 personnes les plus riches
au monde de Forbes », Jewish
Business News, 7 mars 2018.
[17] Anshel Pfeffer, « Le rapport sur
l’antisémitisme au Royaume-Uni met en
lumière une tendance troublante chez les
Juifs britanniques », Haaretz, 14
janvier 2015.
[18] Institut de planification de la
politique du peuple juif, 2030 :
Futurs alternatifs pour le peuple juif,
Jérusalem, 2010, pp. 18, 19.
[19] Norman G. Finkelstein, Trop en
savoir : Pourquoi la romance juive
américaine avec Israël touche à sa fin,
New York, 2012, pp. 45-84.
[20] « Le discours de Benjamin Netanyahu
au Congrès interrompu par des standing
ovations », Telegraph, 3 mars
2015 ;
https://www.youtube.com/watch?v=0KMVhb57RqI.
[21] David Rosenberg, « Un plaidoyer
adressé à Jeremy Corbyn par un
socialiste Juif qui partage le même
désir de justice sociale », Public
Reading Rooms, août 2018 ;
https://prruk.org/a-plea-to-jeremy-corbyn-from-a-jewish-socialist-who-shares-the-same-desire-for-social-justice-and-human-rights/).
[22] Len McCluskey, « Corbyn a répondu
aux préoccupations concernant
l’antisémitisme, mais les dirigeants de
la communauté juive refusent de
considérer « oui » comme une réponse»,
HuffPost, 16 août 2018.
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