LE CRI DES PEUPLES
Plus que jamais, Netanyahou
instrumentalise l’Holocauste pour
déshumaniser les Palestiniens
Hagai El-Ad
Samedi 25 janvier 2020 Par Hagai El-Ad,
Directeur de B’tselem, organisme
israélien de défense des droits des
Palestiniens
Source :
Ha’aretz, le 23 janvier 2020
Traduction :
lecridespeuples.fr
Benjamin Netanyahou
n’a pas inventé l’idée de tirer parti de
l’Holocauste à des fins politiques.
Pourtant, comme tant d’autres choses
dans la politique israélienne actuelle,
il exploite même cette pratique vile
plus outrageusement que quiconque avant
lui.
Selon Haaretz, le
Premier ministre israélien a l’intention
d’exploiter le cinquième Forum mondial
de l’Holocauste, qui se réunit cette
semaine à Jérusalem pour marquer les 75
ans depuis la libération d’Auschwitz,
pour appeler les dirigeants mondiaux à
soutenir publiquement la position
égoïste d’Israël, qui soutient que la
Cour pénale internationale (CPI) à La
Haye n’a pas de juridiction dans les
territoires palestiniens occupés.
Netanyahou a
commencé cet exercice à peine 48 heures
après que la procureure de la CPI, Fatou
Bensouda, a annoncé le mois dernier,
après cinq ans d’examen préliminaire,
qu’elle était prête à ouvrir une enquête
sur des crimes de guerre potentiels en
Cisjordanie et à Gaza, en attendant une
décision judiciaire de la CPI sur sa
juridiction.
Ne perdant pas de
temps, Netanyahou a répondu que « de
nouveaux décrets sont publiés contre le
peuple juif, des décrets antisémites de
la Cour Pénale Internationale ».
Ce recadrage
cynique est stupéfiant, à la fois
intellectuellement et moralement.
Des Palestiniens
& Palestiniennes se rendent à la prière
du dernier vendredi de Ramadan à la
mosquée
al-Aqsa de Jérusalem, au
checkpoint de Qalandia, en Cisjordanie
occupée par Israël. 31 mai 2019
Les Palestiniens
qui vivent sous l’occupation israélienne
sont un peuple privé de droits. Pendant
des décennies, leur existence a été
régie par les caprices arbitraires de
leurs occupants. Ils ne peuvent pas
voter pour le gouvernement qui contrôle
tous les aspects de leur vie. Ils n’ont
pas d’armée pour se défendre. Ils ne
contrôlent pas les frontières de leur
propre territoire, ni leur capacité à
voyager à l’étranger, ni même le temps
qu’il leur faudra pour se rendre dans la
ville palestinienne la plus proche,
s’ils ont le privilège d’être autorisés
à le faire.
Ils n’ont pas non
plus recours à la justice par le biais
des mécanismes juridiques d’Israël. Les
procureurs et juges israéliens traitent
les Palestiniens des territoires occupés
par le biais d’un « système judiciaire »
qui délivre un taux de condamnation de
près de 100%. Dans le même temps, ce
système vise à assurer l’impunité aux
forces de sécurité israéliennes qui les
tuent, les maltraitent ou les torturent.
Pour les
Palestiniens, littéralement, la Cour
pénale internationale est leur tribunal
de dernier recours. Pourtant,
Netanyahou, soutenu par l’ensemble des
dirigeants politiques d’Israël, essaie
d’écraser même ce faible espoir.
Quelle acte de
déshumanisation que d’insister pour
dénier le dernier recours d’un peuple à
un minimum de justice, même incertain et
tardif ! Combien dégradant est-ce de
faire cela tout en se tenant sur les
épaules des survivants de l’Holocauste,
insistant sur le fait que cela se fait
en quelque sorte en leur nom !
Quel manque de
mémoire historique et de boussole morale
il faut pour ignorer la leçon clé que le
monde a tirée des cendres des années 40
: qu’aucune personne ne devrait jamais,
en aucune circonstance, être laissée
sans droits, précisément parce que comme
le stipule La Déclaration universelle
des droits de l’homme de 1948, « le
mépris et le dédain des droits de
l’homme ont entraîné des actes barbares
qui ont outragé la conscience de
l’humanité. »
Un manifestant
pose avec un drapeau palestinien devant
la Cour pénale internationale
lors d’un
rassemblement exhortant le tribunal à
poursuivre l’armée israélienne
pour crimes de guerre. La Haye, Pays-Bas, le
29 novembre 2019.
Mais Netanyahou va
encore plus loin, arguant que les mêmes
cendres donnent lieu à la conclusion
inverse : il y aurait un peuple, le
peuple palestinien, qui devrait rester
démuni de droits en toutes
circonstances.
Une vie dénuée de
tout, sans terre ni scrutin, sans
tribunal ni justice. Où la liberté de
mouvement ne s’étend que jusqu’au
checkpoint le plus proche. Où les
soldats peuvent entrer dans n’importe
quelle maison, à tout moment, pour la
saccager et/ou en kidnapper n’importe
quel habitant, même mineur, même enfant.
Où la seule constante est le peu de
contrôle que l’on a sur sa vie.
Honte à vous,
Premier ministre Netanyahou. Honte
également à tout dirigeant mondial qui
accepte la parodie d’assimiler la
tentative d’un peuple à obtenir justice
et l’antisémitisme [Macron en premier
lieu, qui assimile odieusement
antisionisme et antisémitisme]. Prendre
cette position lâche ne trahit pas
seulement l’espoir des Palestiniens pour
la liberté et la dignité. Cela contribue
à la mort lente des leçons qui ont guidé
l’humanité pendant les 75 dernières
années et se noient maintenant dans la
marée autoritaire montante dans le
monde.
Ce n’est pas le
monde que l’humanité a essayé de
construire après la Seconde Guerre
mondiale, après l’Holocauste ; mais
c’est le monde raciste de Trump, de Modi,
de Netanyahou et de Bolsonaro. En effet,
nous vivons déjà dans leur nouveau monde
lâche. Pourtant, il nous appartient de
décider si les leçons douloureuses du
passé pourront être renversées afin de
favoriser l’oppression, ou rester
fidèles à une vision de la liberté et de
la dignité, de la justice et des droits,
pour tous.
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