LE CRI DES PEUPLES
Toute la vérité sur Julian Assange : ‘Un
système
assassin est en train d’être
créé sous nos yeux’
Lundi 24 février 2020 Interview de
Nils Melzer, Rapporteur spécial des
Nations Unies sur la torture.
Plutôt que les
gesticulations des saltimbanques Branco
& Dupond-Moretti, qui veulent faire
croire aux nigauds que la France
macronienne, plus que jamais asservie à
Washington, pourrait ne serait-ce
qu’envisager un instant
d’accorder l’asile politique à Assange,
cette même France-esclavissime qui sous
Hollande a
mis en danger la vie d’Evo Morales
et violé son immunité pour s’assurer que
Snowden n’était pas à bord de l’avion
présidentiel, voilà un rappel des faits
nécessaire que ni
Le Monde ni
Mediapart, parties prenantes de la
cabale contre Assange, ne daigneraient
fournir à leurs lecteurs.
« Je n’ai jamais
vu d’affaire comparable » Nils Melzer,
Rapporteur spécial des Nations Unies sur
la torture.
Une
allégation de viol inventée et des
preuves fabriquées en Suède, des
pressions du Royaume-Uni pour ne pas
abandonner l’affaire, un juge partial,
la détention dans une prison à sécurité
maximale, la torture psychologique… et
bientôt l’extradition vers les
États-Unis, où il pourrait faire face à
175 ans de prison pour avoir dénoncé des
crimes de guerre. Pour la première fois,
le rapporteur spécial des Nations unies
sur la torture, Nils Melzer, parle en
détail des découvertes explosives de son
enquête sur le cas du fondateur de
Wikileaks, Julian Assange.
Une interview
réalisée par Daniel Ryser, Yves Bachmann
(Photos) et Charles Hawley (Traduction),
le 31 janvier 2020.
Source :
https://www.republik.ch/2020/01/31/nils-melzer-about-wikileaks-founder-julian-assange
Traduction :
lecridespeuples.fr
1. La police
suédoise a fabriqué de toutes pièces une
histoire de viol
Nils Melzer,
pourquoi le Rapporteur spécial des
Nations Unies sur la torture
s’intéresse-t-il à Julian Assange ?
C’est une chose que
le ministère allemand des Affaires
étrangères m’a récemment demandée :
est-ce vraiment votre mandat principal ?
Assange est-il victime de torture ?
Quelle a été
votre réponse ?
L’affaire relève de
mon mandat de trois manières
différentes.
Premièrement,
Assange a publié des preuves de torture
systématique. Mais au lieu des
responsables de ces actes de torture,
c’est Assange qui est persécuté.
Deuxièmement, il a
lui-même été maltraité au point qu’il
présente maintenant des symptômes de
torture psychologique.
Et troisièmement,
il doit être extradé vers un pays qui
détient des personnes comme lui dans des
conditions de détention qu’Amnesty
International a qualifiées de
torture.
En résumé : Julian
Assange a révélé des actes de torture, a
été torturé lui-même et pourrait être
torturé à mort aux États-Unis. Et un cas
comme celui-ci ne devrait pas faire
partie de mon domaine de responsabilité
? Au-delà de cela, l’affaire a une
importance symbolique et affecte tous
les citoyens des pays démocratiques.
Pourquoi
n’avez-vous pas abordé le cas beaucoup
plus tôt ?
Imaginez une pièce
sombre. Soudain, quelqu’un fait la
lumière sur l’éléphant qui se trouve
dans la pièce, à savoir les criminels de
guerre, la corruption. Assange est
l’homme à l’honneur (qui a permis de
révéler tout cela). Les gouvernements
incriminés sont brièvement sous le choc,
mais ils détournent ensuite l’attention
avec des accusations de viol. C’est une
manœuvre classique lorsqu’il s’agit de
manipuler l’opinion publique. L’éléphant
disparaît à nouveau dans l’obscurité,
derrière les projecteurs. Et Assange
devient le centre d’attention à la
place, et nous commençons à nous
demander si Assange
fait du skateboard à l’ambassade ou
s’il
nourrit correctement son chat.
Soudain, nous savons tous qu’il est un
violeur, un pirate informatique, un
espion et un narcissique (notamment à en
croire
Le Monde et
Mediapart). Mais les abus et
les crimes de guerre qu’il a découverts
s’estompent dans l’obscurité. J’ai
également perdu ma concentration, malgré
mon expérience professionnelle, qui
aurait dû me conduire à être plus
vigilant.
Cinquante
semaines de prison pour avoir violé les
termes de sa libération sous caution :
Julian Assange en janvier 2020 dans un
fourgon de police, en route vers la
prison
de sécurité maximale de Belmarsh
située à Londres.
Commençons
par le commencement : qu’est-ce qui vous
a amené à vous saisir de l’affaire ?
En décembre 2018,
ses avocats m’ont demandé d’intervenir.
J’ai d’abord refusé. J’étais surchargé
par d’autres requêtes et je ne
connaissais pas vraiment le dossier. Mon
impression, largement influencée par les
médias, était également teintée par le
préjugé selon lequel Julian Assange
était en quelque sorte coupable et qu’il
voulait me manipuler. En mars 2019, ses
avocats m’ont approché pour la deuxième
fois car les indications qu’Assange
serait bientôt expulsé de l’ambassade
d’Équateur se faisaient de plus en plus
fortes. Ils m’ont envoyé quelques
documents clés et un résumé de
l’affaire, et j’ai pensé que mon
intégrité professionnelle exigeait que
j’examine au moins le matériel.
Et puis ?
Il est rapidement
devenu clair pour moi que quelque chose
n’allait pas. Qu’il y avait une
contradiction qui n’avait aucun sens
pour moi avec ma vaste expérience
juridique : pourquoi une personne
ferait-elle l’objet d’une enquête
préliminaire de neuf ans pour viol sans
qu’aucune accusation n’ait jamais été
déposée ?
Est-ce
inhabituel ?
Je n’ai jamais vu
de cas comparable. N’importe qui peut
déclencher une enquête préliminaire
contre quelqu’un d’autre en se rendant
simplement à la police et en accusant
ladite personne d’un crime. Cependant,
les autorités suédoises ne se sont
jamais intéressées aux témoignages
d’Assange. Elles l’ont
intentionnellement laissé dans
l’incertitude. Imaginez simplement être
accusé de viol pendant neuf ans et demi
par tout un appareil d’État et par les
médias sans jamais avoir eu la chance de
vous défendre, car aucune accusation
n’avait jamais été déposée.
Vous dites
que les autorités suédoises ne se sont
jamais intéressées aux témoignages
d’Assange. Mais les médias et les
agences gouvernementales ont brossé un
tableau complètement différent au fil
des ans : Julian Assange, disent-ils, a
fui le système judiciaire suédois afin
d’éviter de devoir rendre compte de ses
actes.
C’est ce que j’ai
toujours pensé, jusqu’à ce que je
commence à enquêter. Mais c’est
précisément l‘inverse qui est vrai.
Assange a dénoncé les autorités
suédoises à plusieurs reprises car il
voulait être entendu et répondre aux
accusations. Mais les autorités ont fait
la sourde oreille.
Que
voulez-vous dire par là ?
Permettez-moi de
commencer par le commencement. Je parle
couramment le suédois et j’ai donc pu
lire tous les documents originaux. Je
pouvais à peine en croire mes yeux :
selon le témoignage de la femme en
question, un viol n’avait jamais eu
lieu. Et pas seulement cela : le
témoignage de cette femme a ensuite été
modifié par la police de Stockholm sans
son implication afin de faire en quelque
sorte penser à un possible viol. J’ai
tous les documents en ma possession, les
mails, les SMS.
« Le
témoignage de la femme a ensuite été
modifié par la police ». De quelle
manière exactement ?
Le 20 août 2010,
une femme nommée S. W. est entrée dans
un poste de police de Stockholm avec une
deuxième femme nommée A. A. La première
femme, S. W., a déclaré qu’elle avait eu
des relations sexuelles consensuelles
avec Julian Assange, mais qu’il ne
portait pas de préservatif. Elle a dit
qu’elle craignait maintenant d’être
infectée par le VIH et voulait savoir si
elle pouvait forcer Assange à passer un
test de dépistage du VIH. Elle a déclaré
qu’elle était vraiment inquiète. La
police a enregistré sa déclaration et a
immédiatement informé le parquet. Avant
même la fin de l’interrogatoire, S. W. a
été informé qu’Assange serait arrêté
pour des soupçons de viol. S. W. a été
choquée et a refusé de poursuivre
l’interrogatoire. Alors qu’elle était
encore au poste de police, elle a écrit
un SMS à un ami lui disant qu’elle ne
voulait pas incriminer Assange, qu’elle
voulait seulement qu’il passe un test de
dépistage du VIH, mais que la police
voulait apparemment « mettre la main sur
lui ».
Qu’est-ce que
ça veut dire ?
S. W. n’a jamais
accusé Julian Assange de viol. Elle a
refusé de participer à d’autres
interrogatoires et est rentrée chez
elle. Néanmoins, deux heures plus tard,
un gros titre est apparu sur la première
page d’Expressen, un tabloïd
suédois, disant que Julian Assange était
soupçonné d’avoir commis deux viols.
Deux viols ?
Oui, car il y avait
la deuxième femme, A. A. Elle ne voulait
pas non plus porter plainte ; elle avait
simplement accompagné S. W. au poste de
police. Elle n’a même pas été interrogée
ce jour-là. Elle a dit plus tard
qu’Assange l’avait harcelée
sexuellement. Je ne peux pas dire, bien
sûr, si c’est vrai ou non. Je peux
seulement indiquer l’ordre des
événements : une femme entre dans un
poste de police. Elle ne veut pas porter
plainte mais veut demander un test de
dépistage du VIH. La police décide alors
que cela pourrait être un cas de viol et
une affaire justifiant l’intervention du
procureur. La femme refuse de suivre
cette version des événements, puis
rentre chez elle et écrit à un ami que
ce n’était pas son intention, mais que
la police veut « mettre la main sur »
Assange. Deux heures plus tard,
l’affaire sort dans la presse. Comme
nous le savons aujourd’hui, les
procureurs l’ont divulguée à la presse,
et ils l’ont fait sans même inviter
Assange à faire une déclaration. Et la
deuxième femme qui aurait été violée
selon les titres du 20 août n’a été
interrogée que le 21 août.
Qu’a dit la
deuxième femme lorsqu’elle a été
interrogée ?
Elle a dit qu’elle
avait mis son appartement à la
disposition d’Assange, qui était en
Suède pour une conférence. Un petit
appartement d’une pièce. Quand Assange
était dans l’appartement, elle est
rentrée à la maison plus tôt que prévu,
mais lui a dit que ce n’était pas un
problème et qu’ils pouvaient dormir dans
le même lit. Cette nuit-là, ils ont eu
des relations sexuelles consensuelles,
avec un préservatif. Mais elle a dit que
pendant les rapports sexuels, Assange
avait intentionnellement déchiré le
préservatif. Si cela est vrai, il s’agit
bien sûr d’une infraction sexuelle dite
« furtive ». Mais la femme a également
déclaré qu’elle n’avait remarqué que
plus tard que le préservatif était
déchiré. C’est une contradiction qui
aurait dû absolument être clarifiée. Si
je ne le remarque pas, je ne peux pas
savoir que l’autre l’a déchiré
intentionnellement. Pas une seule trace
d’ADN d’Assange ou d’A. A. n’a pu être
détectée sur le préservatif qui a été
présenté comme preuve.
Comment les
deux femmes se connaissaient-elles ?
Elles ne se
connaissaient pas vraiment. A. A., qui
accueillait Assange et était son
attachée de presse, avait rencontré S.
W. lors d’un événement où S. W. portait
un pull en cachemire rose. Apparemment,
elle savait par Assange qu’il était
intéressé par une rencontre sexuelle
avec S. W., car un soir, elle a reçu un
SMS d’une connaissance disant qu’il
savait qu’Assange était chez elle et que
lui, la connaissance, aimerait entrer en
contact avec Assange. A. A. a répondu :
Assange couche apparemment en ce moment
avec la « fille en cachemire ». Le
lendemain matin, S. W. a parlé avec A.
A. au téléphone et a dit qu’elle aussi
avait couché avec Assange et craignait
maintenant d’être infectée par le VIH.
Cette préoccupation était apparemment
réelle, car S.W. est même allée à une
clinique pour consultation. A. A. a
ensuite suggéré : allons voir la police
; ils peuvent forcer Assange à passer un
test de dépistage du VIH. Les deux
femmes, cependant, ne se sont pas
rendues au poste de police le plus
proche, mais à un poste assez éloigné où
une amie de A. A. travaille comme
policière. Celle-ci a ensuite interrogé
S. W., initialement en présence d’A. A.,
ce qui n’est pas réglementaire. Jusqu’à
présent, cependant, le seul problème
était tout au plus un manque de
professionnalisme. La malveillance
délibérée des autorités ne s’est
manifestée que lorsqu’elles ont
immédiatement diffusé les soupçons de
viol via la presse à sensation, et ce
sans avoir entendu A. A. et en
contradiction avec la déclaration de S.
W. Cela violait également une
interdiction claire dans la loi suédoise
de ne pas divulguer les noms des
victimes ou des auteurs présumés dans
les affaires d’infraction sexuelle.
L’affaire avait maintenant été portée à
l’attention du procureur général de la
capitale, qui a suspendu l’enquête sur
le viol quelques jours plus tard,
estimant que même si les déclarations de
S. W. étaient crédibles, rien
n’indiquait qu’un crime avait été
commis.
Mais c’est
alors que l’affaire a vraiment pris des
proportions énormes. Pourquoi donc ?
Ensuite, le
superviseur de la policière qui avait
mené l’interrogatoire lui a écrit un
e-mail lui disant de réécrire la
déclaration de S. W.
Les copies
originales des échanges de courrier
entre la police suédoise.
Qu’est-ce que
la policière a changé ?
Nous ne le savons
pas, car la première déclaration a été
directement réécrite dans le programme
informatique et n’existe plus. Nous
savons seulement que la déclaration
d’origine, selon le procureur général,
ne contenait apparemment aucune
indication qu’un crime avait été commis.
Dans le formulaire édité, il est dit que
les deux personnes ont eu des relations
sexuelles plusieurs fois, consenties et
avec un préservatif. Mais le matin,
selon la déclaration révisée, la femme
s’est réveillée parce qu’il a essayé de
la pénétrer sans préservatif. Elle lui
demande : « Tu portes un préservatif ? »
Il répond : « Non » Puis elle dit : « Tu
ferais mieux de ne pas avoir le VIH »,
et elle lui permet de continuer. La
déclaration a été révisée sans la
participation de la femme en question et
n’a pas été signée par elle. Il s’agit
d’un élément de preuve manipulé à partir
duquel les autorités suédoises ont
ensuite fabriqué une histoire de viol.
Pourquoi les
autorités suédoises feraient-elles une
chose pareille ?
Le timing est
décisif : fin juillet, Wikileaks, en
collaboration avec le New York Times,
le
Guardian
et Der Spiegel,
a publié le «
Journal de guerre d’Afghanistan ».
C’était l’une des plus grandes fuites de
l’histoire de l’armée américaine. Les
États-Unis ont immédiatement exigé que
leurs alliés inondent Assange d’affaires
criminelles. Nous ne connaissons pas
toute la correspondance, mais Stratfor,
un cabinet de conseil en sécurité qui
travaille pour le gouvernement
américain, a apparemment conseillé aux
responsables américains de
noyer Assange sous toutes sortes
d’affaires criminelles durant les 25
prochaines années.
2. Assange
contacte le pouvoir judiciaire suédois à
plusieurs reprises pour faire une
déclaration, mais il est rejeté
Pourquoi
Assange ne s’est-il pas livré à la
police à l’époque ?
Il a fait. Je l’ai
mentionné plus tôt.
Veuillez nous
expliquer cela plus en detail.
Assange a appris
les allégations de viol par la presse.
Il a contacté la police pour pouvoir
faire une déclaration. Bien que le
scandale ait atteint le public, il n’a
été autorisé à le faire que neuf jours
plus tard, alors que l’accusation
d’avoir violé S. W. n’était plus
poursuivie par la justice, le procureur
ayant classé l’affaire. Mais les
procédures liées au harcèlement sexuel
de A. A. se poursuivaient. Le 30 août
2010, Assange s’est présenté au poste de
police pour faire une déclaration. Il a
été interrogé par le même policier qui
avait depuis ordonné la révision de la
déclaration de S. W. Au début de la
conversation, Assange a déclaré qu’il
était prêt à faire une déclaration, mais
a ajouté qu’il ne voulait pas la lire à
nouveau dans la presse. C’est son droit
et il a reçu l’assurance que cela serait
accordé. Mais le soir même, tout était à
nouveau dans les journaux. Cela ne
pouvait provenir que des autorités car
personne d’autre n’était présent lors de
son interrogatoire. L’intention était
très clairement de salir son nom.
Le professeur
suisse de droit international, Nils
Melzer,
est photographié près de Bienne,
en Suisse.
D’où est
venue l’histoire selon laquelle Assange
cherchait à éviter la justice suédoise ?
Cette version a été
fabriquée, mais elle n’est pas conforme
aux faits. S’il avait essayé de se
cacher, il n’aurait pas comparu de son
plein gré au poste de police. Sur la
base de la déclaration révisée de S. W.,
un appel a été déposé contre la
tentative du procureur de suspendre
l’enquête, et le 2 septembre 2010, la
procédure d’enquête pour viol a repris.
Un représentant légal du nom de Claes
Borgström a été nommé pour les deux
femmes aux frais du contribuable.
L’homme était un associé du cabinet
d’avocats du précédent ministre de la
Justice, Thomas Bodström, sous la
supervision duquel le personnel de
sécurité suédois avait saisi deux hommes
en plein milieu de Stockholm au simple
prétexte que les États-Unis les
considéraient suspects. Les deux hommes
ont été saisis sans aucune forme de
procédure judiciaire, puis livrés à la
CIA,
qui les a torturés. Cela montre plus
clairement le contexte transatlantique
de cette affaire. Après la reprise de
l’enquête pour viol, Assange a indiqué à
plusieurs reprises par l’intermédiaire
de son avocat qu’il souhaitait répondre
aux accusations. Le procureur
responsable de l’affaire a continué de
repousser cette audition. À un moment,
cela ne collait pas avec le calendrier
du procureur ; à un autre, le policier
responsable était malade. Trois semaines
plus tard, son avocat a finalement écrit
qu’Assange devait absolument se rendre à
Berlin pour une conférence et a demandé
s’il était autorisé à quitter le pays.
Le parquet lui a donné l’autorisation
écrite de quitter la Suède pour de
courtes périodes.
Et puis ?
Le fait est que le
jour où Julian Assange a quitté la
Suède, à un moment où il n’était pas
clair s’il partait pour une courte ou
une longue période, un mandat d’arrêt a
été émis contre lui. Il est allé de
Stockholm à Berlin sur un vol de
Scandinavian Airlines. Pendant le vol,
ses ordinateurs portables ont disparu de
ses bagages enregistrés. À son arrivée à
Berlin, Lufthansa a demandé une enquête
à SAS, mais la compagnie aérienne a
apparemment refusé de fournir la moindre
information.
Pourquoi ?
C’est exactement le
problème. Dans cette affaire, il se
passe constamment des choses qui ne
devraient pas être possibles, à moins de
les regarder sous un angle différent.
Assange, en tout cas, a poursuivi sa
route en direction de Londres, mais n’a
pas cherché à se cacher de la justice.
Par l’intermédiaire de son avocat
suédois, il a proposé aux procureurs
plusieurs dates possibles
d’interrogatoire en Suède. Cette
correspondance existe. Ensuite, les
événements suivants se sont produits :
Assange a eu vent du fait qu’une affaire
criminelle secrète avait été ouverte
contre lui aux États-Unis. À l’époque,
cela n’a pas été confirmé par les
États-Unis, mais aujourd’hui nous
savons que c’était vrai. À partir de ce
moment, l’avocat d’Assange a commencé à
dire que son client était prêt à
témoigner en Suède, mais il a exigé
l’assurance diplomatique que la Suède ne
l’extraderait pas aux États-Unis.
Était-ce
seulement un scénario réaliste ?
Absolument.
Quelques années auparavant, comme je
l’ai déjà mentionné, le personnel de
sécurité suédois avait livré à la CIA
deux demandeurs d’asile, tous deux
enregistrés en Suède, sans passer par la
moindre procédure judiciaire. Les abus
ont déjà commencé à l’aéroport de
Stockholm, où ils ont été
maltraités, drogués et transportés par
avion en Égypte, où ils ont été
torturés. Nous ne savons pas s’il s’agit
des seuls cas de ce type. Mais nous
sommes au courant de ces deux cas car
les hommes ont survécu. Tous deux ont
par la suite déposé plainte auprès des
agences des droits de l’homme de l’ONU
et ont obtenu gain de cause. La Suède a
été obligée de payer à chacun d’eux un
demi-million de dollars en dommages et
intérêts.
La Suède
a-t-elle accepté les demandes soumises
par Assange ?
Les avocats disent
que pendant les près des sept ans au
cours desquels Assange a vécu à
l’ambassade d’Équateur, ils ont fait
plus de 30 offres pour organiser la
visite d’Assange en Suède, en échange
d’une garantie qu’il ne serait pas
extradé vers les États-Unis. La Suède a
refusé de fournir une telle garantie en
faisant valoir que les États-Unis
n’avaient pas fait de demande formelle
d’extradition.
Comment
jugez-vous la demande des avocats
d’Assange ?
Ces assurances
diplomatiques sont une pratique
internationale courante. Les gens
demandent l’assurance qu’ils ne seront
pas extradés vers des endroits où il
existe un risque de graves violations
des droits de l’homme, indépendamment du
fait qu’une demande d’extradition ait
été déposée par le pays en question ou
non. Il s’agit d’une procédure politique
et non juridique. Voici un exemple :
disons que la France exige que la Suisse
extrade un homme d’affaires kazakh qui
vit en Suisse mais qui est recherché par
la France et le Kazakhstan pour des
allégations de fraude fiscale. La Suisse
ne voit aucun danger de torture en
France, mais pense qu’un tel danger
existe au Kazakhstan. Ainsi, la Suisse
dit à la France : Nous allons extrader
cet homme vers vous, mais nous voulons
une assurance diplomatique qu’il ne sera
pas extradé vers le Kazakhstan. La
réponse française ne serait pas: « Le
Kazakhstan n’a même pas déposé de
demande ! » Au contraire, ils
accorderaient bien entendu une telle
assurance. Les arguments venant de Suède
étaient au mieux ténus. C’est une partie
de la question. L’autre aspect, et je le
dis sur la base de toute mon expérience
dans les coulisses de la pratique
internationale standard, est que si un
pays refuse de fournir une telle
assurance diplomatique, tous les doutes
quant aux bonnes intentions du pays en
question sont justifiés. Pourquoi la
Suède ne fournirait-elle pas de telles
assurances ? D’un point de vue
juridique, après tout, les États-Unis
n’ont absolument rien à voir avec les
procédures d’infraction sexuelle en
Suède.
Pourquoi la
Suède ne voulait-elle pas offrir une
telle assurance ?
Il suffit de
regarder comment l’affaire s’est
déroulée : pour la Suède, il n’a jamais
été question des intérêts des deux
femmes. Même après sa demande
d’assurance qu’il ne serait pas extradé,
Assange voulait toujours témoigner. Il a
déclaré : Si vous ne pouvez pas garantir
que je ne serai pas extradé, alors je
suis prêt à être interrogé à Londres ou
via une liaison vidéo.
Mais est-il
normal, voire légalement acceptable, que
les autorités suédoises se rendent dans
un autre pays pour un tel interrogatoire
?
C’est une autre
indication que la Suède n’a jamais voulu
découvrir la vérité. Pour exactement ce
genre de questions judiciaires, il
existe un traité de coopération entre le
Royaume-Uni et la Suède, qui prévoit que
les fonctionnaires suédois peuvent se
rendre au Royaume-Uni, ou vice versa,
pour mener des interrogatoires, ou que
ces interrogatoires peuvent avoir lieu
par liaison vidéo. Au cours de la
période en question, de tels
interrogatoires entre la Suède et
l’Angleterre ont eu lieu dans 44 autres
cas. Ce n’est que dans le cas de Julian
Assange que la Suède a insisté sur le
fait qu’il était essentiel qu’il
comparaisse en personne.
3. Lorsque le
plus haut tribunal suédois a finalement
contraint les procureurs de Stockholm à
porter plainte ou à suspendre l’affaire,
les autorités britanniques ont exigé : «
Ne prenez pas froid aux pieds !! »
Pourquoi cela
?
Il n’y a qu’une
seule explication à tout cela (refus
d’accorder des assurances diplomatiques,
refus de l’interroger à Londres…) : ils
voulaient l’arrêter pour pouvoir
l’extrader aux États-Unis. Le nombre
d’infractions à la loi qui se sont
accumulées en Suède au cours des
quelques semaines seulement de l’enquête
pénale préliminaire sont tout simplement
grotesques. L’État a affecté un
conseiller juridique aux femmes qui leur
a dit que l’interprétation criminelle de
ce qu’elles avaient vécu relevait de
l’État, et non plus d’elles. Lorsque
leur conseiller juridique a été
interrogé sur les contradictions entre
le témoignage des femmes et le récit
accepté par les fonctionnaires, le
conseiller juridique a déclaré, en
référence aux femmes : « Ah, mais ce ne
sont pas des avocates ». Mais pendant
cinq longues années, le parquet suédois
évite d’interroger Assange au sujet du
viol présumé, jusqu’à ce que ses avocats
finissent par demander à la Cour suprême
de Suède d’obliger le parquet à porter
plainte ou à clore l’affaire. Lorsque
les Suédois ont dit au Royaume-Uni
qu’ils pourraient être contraints
d’abandonner l’affaire, les Britanniques
ont répondu avec inquiétude : « Ne vous
avisez pas de prendre froid aux pieds !!
»
« Ne vous avisez
pas de prendre froid aux pieds !! »
Courrier du Service des poursuites
judiciaires
de la Couronne (CPS)
à la procureure suédoise Marianne
Ny. Ce
document a été obtenu par la
journaliste d’investigation italienne,
Stefania
Maurizi, dans le cadre d’un
litige FOIA
(requête au nom de la
liberté de l’information) datant de cinq
ans qui est toujours en cours.
Etes-vous
sérieux ?
Oui, les
Britanniques, ou plus précisément le
Crown Prosecution Service (Service des
poursuites judiciaires de la Couronne),
voulaient à tout prix empêcher la Suède
d’abandonner l’affaire. Bien que
vraiment, les Anglais auraient dû être
heureux de ne plus avoir à dépenser des
millions en argent du contribuable pour
garder l’ambassade équatorienne sous
surveillance constante afin d’empêcher
l’évasion d’Assange.
Pourquoi les
Britanniques étaient-ils si désireux
d’empêcher les Suédois de clore le
dossier ?
Nous devons cesser
de croire qu’il y avait vraiment un
intérêt à mener une enquête sur une
infraction sexuelle. Ce que Wikileaks
a fait est une menace pour l’élite
politique aux États-Unis, en
Grande-Bretagne, en France et en Russie
[la Russie est-elle impérialiste &
interventionniste ? Certes pas] dans
une égale mesure. Wikileaks publie des
informations secrètes sur les États, en
opposition à la classification
secret-défense. Et dans un monde, même
dans les démocraties dites matures, où
le secret est devenu endémique, cela est
considéré comme une menace fondamentale.
Assange a clairement montré que les pays
ne sont plus intéressés aujourd’hui par
la confidentialité légitime, mais par la
suppression d’informations importantes
sur la corruption et les crimes. Prenez
le cas archétypal de Wikileaks à partir
des fuites fournies par Bradley Manning
: la vidéo dite du « meurtre collatéral
» (le 5 avril 2010, Wikileaks a publié
une vidéo classifiée de l’armée
américaine qui montrait le meurtre de
plusieurs personnes à Bagdad par des
soldats américains, dont deux employés
de l’agence de presse Reuters.) En tant
que conseiller juridique de longue date
au Comité international de la
Croix-Rouge et délégué dans les zones de
guerre, je peux vous dire ceci : la
vidéo documente indubitablement un crime
de guerre. Un équipage d’hélicoptère a
simplement mitraillé un groupe de
personnes. Il se pourrait bien qu’une ou
deux de ces personnes aient
effectivement porté une arme, mais des
blessés ont été intentionnellement
visés. C’est un crime de guerre. « Il
est blessé », peut-on entendre dans la
bouche d’un américain. « Je tire. » Et
puis ils éclatent de rire. Puis une
camionnette arrive pour sauver les
blessés. Le chauffeur a deux enfants
avec lui. Vous pouvez entendre les
soldats dire : « Eh bien, c’est leur
faute d’avoir amené leurs enfants dans
une bataille. » Et puis ils ouvrent le
feu. Le père et les blessés sont
immédiatement tués, bien que les enfants
aient survécu avec de graves blessures.
Grâce à la publication de la vidéo, nous
sommes devenus des témoins directs d’un
massacre criminel inadmissible.
Que doit
faire une démocratie constitutionnelle
dans une telle situation ?
Une démocratie
constitutionnelle enquêterait
probablement sur Bradley Manning pour
violation du secret officiel parce qu’il
a transmis la vidéo à Assange. Mais elle
ne poursuivrait certainement pas
Assange, car il a publié la vidéo dans
l’intérêt public, conformément aux
pratiques du journalisme d’investigation
classique. Mais plus que tout, une
démocratie constitutionnelle enquêterait
et punirait les criminels de guerre. La
place de ces soldats est derrière les
barreaux. Mais aucune enquête pénale n’a
été ouverte contre aucun d’entre d’eux.
Au lieu de cela, l’homme qui en a
informé le public est enfermé en
détention à Londres avant extradition et
encourt une peine pouvant aller jusqu’à
175 ans de prison aux États-Unis. C’est
complètement absurde. En comparaison,
les principaux criminels de guerre du
tribunal de Yougoslavie ont été
condamnés à 45 ans de prison. Cent
soixante-quinze ans de prison dans des
conditions jugées inhumaines par le
Rapporteur spécial des Nations Unies et
par Amnesty International. Mais
ce qui est vraiment horrible dans cette
affaire, c’est l’illégalité la plus
flagrante qui s’est développée : les
puissants peuvent tuer sans crainte de
punition et le journalisme est
transformé en espionnage. C’est devenu
un crime de dire la vérité.
Nils Melzer : «
Voyons où nous serons dans 20 ans si
Assange est condamné,
ce que vous
pourrez encore écrire alors en tant que
journaliste. Je suis convaincu
que nous
risquons sérieusement de perdre la
liberté de la presse. »
Qu’attend
Assange une fois extradé ?
Il ne recevra pas
de procès conforme à l’état de droit.
C’est une autre raison pour laquelle son
extradition ne devrait pas être
autorisée. Assange recevra un procès
devant jury à Alexandrie, en Virginie,
le fameux « tribunal de l’espionnage »
où les États-Unis jugent toutes les
affaires de sécurité nationale. Le choix
du lieu n’est pas le fruit du hasard,
car les membres du jury doivent être
choisis en proportion de la population
locale, et 85% des résidents
d’Alexandrie travaillent dans la
communauté de la sécurité nationale : à
la CIA, à la NSA, au Département de la
défense et au Département d’État.
Lorsque des gens sont jugés pour
atteinte à la sécurité nationale devant
un jury comme celui-là, le verdict est
clair dès le début. Les affaires sont
toujours jugées devant le même juge, à
huis clos et sur la base de preuves
classifiées. Personne n’y a jamais été
acquitté dans un cas comme celui-là. Le
résultat étant que la plupart des
prévenus parviennent à un accord, dans
lequel ils admettent une culpabilité
partielle afin de recevoir une peine
plus légère.
Vous dites
que Julian Assange ne bénéficiera pas
d’un procès équitable aux États-Unis ?
Sans aucun doute.
Tant que les employés du gouvernement
américain obéissent aux ordres de leurs
supérieurs, ils peuvent participer à des
guerres d’agression, à des crimes de
guerre et à des actes de torture en
sachant très bien qu’ils n’auront jamais
à répondre de leurs actions. Qu’est-il
advenu des enseignements tirés des
procès de Nuremberg ? J’ai travaillé
assez longtemps dans les zones de
conflit pour savoir que des erreurs se
produisent en temps de guerre. Ce ne
sont pas toujours des actes criminels
sans scrupules. Beaucoup d’entre eux
sont le résultat du stress, de
l’épuisement et de la panique. C’est
pourquoi je peux absolument comprendre
quand un gouvernement dit : ‘Nous allons
révéler la vérité et nous, en tant
qu’État, assumerons l’entière
responsabilité du préjudice causé, mais
si le blâme ne peut pas être directement
attribué à des individus, nous
n’imposerons pas de sanctions
draconiennes’. Mais c’est extrêmement
dangereux lorsque la vérité est
supprimée et reprimée, et que les
criminels ne sont pas traduits en
justice. Dans les années 30, l’Allemagne
et le Japon ont quitté la Société des
Nations. Quinze ans plus tard, le monde
était en ruines. Aujourd’hui, les
États-Unis se sont retirés du Conseil
des droits de l’homme des Nations Unies,
et ni le massacre du « meurtre
collatéral », ni la torture de la CIA
après le 11 septembre, ni la guerre
d’agression contre l’Irak n’ont donné
lieu à des enquêtes criminelles.
Maintenant, le Royaume-Uni suit cet
exemple. La Commission de la sécurité et
du renseignement du Parlement
britannique a publié deux rapports
détaillés en 2018 montrant que la
Grande-Bretagne était beaucoup plus
impliquée dans le programme secret de
torture de la CIA qu’on ne le pensait
auparavant. Le Comité a recommandé une
enquête officielle. La première chose
que Boris Johnson a faite après être
devenu Premier ministre a été d’annuler
cette enquête.
4. Au
Royaume-Uni, les violations des
conditions de libération sous caution ne
sont généralement sanctionnées que par
des amendes pécuniaires ou, tout au
plus, quelques jours derrière les
barreaux. Mais Assange a été condamné à
50 semaines dans une prison à sécurité
maximale sans avoir la possibilité de
préparer sa propre défense
En avril,
Julian Assange a été traîné hors de
l’ambassade de l’Équateur par la police
britannique. Quel regard portez-vous sur
ces événements ?
En 2017, un nouveau
gouvernement a été élu en Équateur. En
réponse, les États-Unis ont écrit une
lettre indiquant qu’ils étaient désireux
de coopérer avec l’Équateur. Il y avait
bien sûr beaucoup d’argent en jeu, mais
il y avait un obstacle : Julian Assange.
Le message était que les États-Unis
étaient prêts à coopérer si l’Équateur
livrait Assange aux États-Unis. À ce
moment-là, l’ambassade équatorienne a
commencé à augmenter la pression sur
Assange. Ils ont rendu sa vie difficile.
Mais il est resté. L’Équateur a alors
annulé son amnistie et a donné son feu
vert à la Grande-Bretagne pour
l’arrêter. Parce que le gouvernement
précédent lui avait accordé la
nationalité équatorienne, le passeport
d’Assange a également dû être révoqué,
car la constitution équatorienne
interdit l’extradition de ses propres
citoyens. Tout cela s’est déroulé du
jour au lendemain et sans aucune
procédure judiciaire. Assange n’a eu
aucune possibilité de faire une
déclaration ni de faire un recours
judiciaire. Il a été arrêté par les
Britanniques et traduit devant un juge
britannique le même jour, qui l’a
reconnu coupable d’avoir violé sa
caution.
Que
pensez-vous de ce verdict accéléré ?
Assange n’a eu que
15 minutes pour se préparer avec son
avocat. Le procès lui-même n’a également
duré que 15 minutes. L’avocat d’Assange
a déposé un dossier épais sur la table
et a formellement fait objection à l’une
des juges pour conflit d’intérêts parce
que son mari avait fait l’objet
d’expositions par Wikileaks dans
35 cas. Mais le juge principal a écarté
les préoccupations sans les approfondir.
Il a déclaré qu’accuser son collègue
d’un conflit d’intérêts était un
affront. Assange lui-même n’a prononcé
qu’une seule phrase durant toute la
procédure : « Je plaide non coupable ».
Le juge s’est tourné vers lui et a
déclaré : « Vous êtes un narcissique qui
ne peut pas dépasser son intérêt
personnel. Je vous condamne pour
violation de caution. »
Si je vous
comprends bien, Julian Assange n’a
jamais eu la moindre chance depuis le
début ?
Exactement. Je ne
dis pas que Julian Assange est un ange
ou un héros. Mais il n’a pas besoin de
l’être. Nous parlons des droits de
l’homme et non des droits des héros ou
des anges. Assange est une personne, et
il a le droit de se défendre et d’être
traité avec humanité. Indépendamment de
ce dont il est accusé, Assange a droit à
un procès équitable. Mais ce droit lui a
été délibérément refusé, que ce soit en
Suède, aux États-Unis, en
Grande-Bretagne et en Équateur. Au lieu
de cela, il a été laissé pourrir pendant
près de sept ans dans l’incertitude
d’une pièce. Ensuite, il a été
soudainement traîné et condamné en
quelques heures et sans aucune
préparation pour une violation de
caution qui consistait à avoir obtenu
l’asile diplomatique d’un autre État
membre de l’ONU sur la base de
persécutions politiques, tout comme le
droit international le prévoit et tout
comme d’innombrables dissidents chinois,
russes et autres l’ont fait dans les
ambassades occidentales. Il est évident
que nous traitons ici de persécution
politique. En Grande-Bretagne, les
violations de liberté sous caution
entraînent rarement des peines de
prison, et elles ne sont généralement
passibles que d’amendes. Assange, en
revanche, a été condamné en procédure
sommaire à 50 semaines dans une prison à
sécurité maximale, ce qui est clairement
une peine disproportionnée qui n’avait
qu’un seul objectif : retenir Assange
assez longtemps pour que les États-Unis
montent leur dossier d’espionnage contre
lui.
En tant que
Rapporteur spécial des Nations Unies sur
la torture, qu’avez-vous à dire sur ses
conditions de détention actuelles ?
La Grande-Bretagne
a refusé à Julian Assange tout contact
avec ses avocats aux États-Unis, où il
fait l’objet d’une procédure secrète.
Son avocate britannique s’est également
plainte qu’elle n’avait même pas eu
suffisamment accès à son client pour
passer en revue avec lui les documents
et preuves du tribunal. En octobre, il
n’a pas été autorisé à avoir un seul
document de son dossier avec lui dans sa
cellule. Il a été privé de son droit
fondamental de préparer sa propre
défense, garanti par la Convention
européenne des droits de l’homme. À cela
s’ajoute l’isolement cellulaire presque
total et la sanction totalement
disproportionnée pour une violation de
caution. Dès qu’il quitte sa cellule,
les couloirs sont vidés pour l’empêcher
d’avoir le moindre contact avec d’autres
détenus.
Et tout cela
à cause d’une simple violation de
caution ? À quel moment l’emprisonnement
devient-il de la torture ?
Julian Assange a
été intentionnellement torturé
psychologiquement par la Suède, la
Grande-Bretagne, l’Équateur et les
États-Unis. D’abord en raison du
traitement hautement arbitraire des
procédures intentées contre lui. La
manière dont la Suède a poursuivi
l’affaire, avec l’aide active de la
Grande-Bretagne, visait à le mettre sous
pression et à le cloîtrer à l’ambassade.
La Suède n’a jamais voulu découvrir la
vérité et aider ces femmes, mais acculer
Assange dans un coin. Il s’agit d’un
abus des procédures judiciaires visant à
pousser une personne dans une position
où elle est incapable de se défendre. À
cela s’ajoutent les mesures de
surveillance, les insultes, les
indignités et les attaques de
politiciens de ces pays, jusqu’à et y
compris les menaces de mort. Cet abus
constant du pouvoir de l’État a provoqué
un stress et une anxiété graves pour
Assange et a entraîné des dommages
cognitifs et neurologiques mesurables.
J’ai rendu visite à Assange dans sa
cellule de Londres en mai 2019 avec deux
médecins expérimentés et très respectés,
spécialisés dans l’examen médico-légal
des victimes de torture. Le diagnostic
posé par les deux médecins était clair :
Julian Assange présente les symptômes
typiques de la torture psychologique.
S’il ne reçoit pas bientôt de
protection, une détérioration rapide de
sa santé est probable, et la mort
pourrait être l’un des résultats.
Un an et demi
après qu’Assange a été placé en
détention pré-extradition en
Grande-Bretagne, la Suède a discrètement
abandonné l’affaire contre lui en
novembre 2019, après neuf longues
années. Pourquoi donc ?
L’État suédois a
passé près d’une décennie à présenter
intentionnellement Julian Assange au
public comme un délinquant sexuel.
Ensuite, il a soudainement abandonné
l’affaire contre lui sur la base du même
argument que le premier procureur de
Stockholm avait utilisé en 2010,
lorsqu’elle avait initialement suspendu
l’enquête après seulement cinq jours :
alors que la déclaration de la femme
était crédible, il n’y avait aucune
preuve qu’un crime avait été commis.
C’est un scandale incroyable. Mais le
timing n’était pas le fruit du hasard.
Le 11 novembre, un document officiel que
j’avais envoyé au gouvernement suédois
deux mois auparavant a été rendu public.
Dans le document, j’ai demandé au
gouvernement suédois de fournir des
explications sur une cinquantaine de
points concernant les implications de la
manière dont ils traitaient l’affaire
quant au respect des droits de l’homme.
Comment est-il possible que la presse
ait été immédiatement informée des
accusations pesant contre Assange malgré
l’interdiction de le faire ? Comment
est-il possible qu’un soupçon ait été
rendu public alors que l’interrogatoire
n’avait pas encore eu lieu ? Comment
pouvez-vous dire qu’un viol s’est
produit alors que la femme impliquée
conteste cette version des événements ?
Le jour où le document a été rendu
public, j’ai reçu une réponse dérisoire
de la Suède : le gouvernement n’a pas
d’autre commentaire à faire sur cette
affaire.
Que signifie
cette réponse ?
C’est un aveu de
culpabilité.
De quelle
manière ?
En tant que
Rapporteur spécial des Nations Unies,
j’ai été chargé par la communauté
internationale des nations d’examiner
les plaintes déposées par des victimes
de torture et, si nécessaire, de
demander des explications ou des
enquêtes aux gouvernements. C’est le
travail quotidien que je fais avec tous
les États membres de l’ONU. D’après mon
expérience, je peux dire que les pays
qui agissent de bonne foi sont presque
toujours intéressés à me fournir les
réponses dont j’ai besoin pour mettre en
évidence la légalité de leur
comportement. Lorsqu’un pays comme la
Suède refuse de répondre aux questions
soumises par le Rapporteur spécial des
Nations Unies sur la torture, cela
montre que le gouvernement suédois est
conscient de l’illégalité de son
comportement et ne veut assumer aucune
responsabilité pour son comportement.
Ils ont abandonné le dossier et
abandonné l’affaire une semaine plus
tard parce qu’ils savaient que je ne
reculerais pas. Lorsque des pays comme
la Suède se laissent manipuler ainsi,
nos démocraties et nos droits de l’homme
sont confrontés à une menace
fondamentale.
Vous croyez
que la Suède était pleinement consciente
de ce qu’elle faisait ?
Oui. De mon point
de vue, la Suède a très clairement agi
de mauvaise foi. S’ils avaient agi de
bonne foi, il n’y aurait eu aucune
raison de refuser de répondre à mes
questions. Il en va de même pour les
Britanniques : à la suite de ma visite à
Assange en mai 2019, ils ont mis six
mois pour me répondre, dans une lettre
d’une seule page, qui se limitait
principalement à rejeter toutes nos
accusations de torture et toutes les
incohérences soulevees dans les
procédures judiciaires, (sans fournir
aucun élement ou argument). Si vous
jouez à des jeux comme ça, alors quel
est l’intérêt de mon mandat ? Je suis le
Rapporteur spécial sur la torture pour
les Nations Unies. J’ai un mandat me
permettant de poser des questions
claires et d’exiger des réponses. Quelle
est la base juridique pour refuser à
quelqu’un l’exercice de son droit
fondamental de se défendre ? Pourquoi un
homme qui n’est ni dangereux ni violent
est-il maintenu en isolement cellulaire
pendant plusieurs mois alors que les
normes des Nations Unies interdisent
légalement l’isolement cellulaire pour
des périodes dépassant 15 jours ? Aucun
de ces États membres de l’ONU n’a ouvert
d’enquête, ni n’a répondu à mes
questions, ni n’a même manifesté le
moindre intérêt pour le dialogue.
5. Une peine de
prison de 175 ans pour le journalisme
d’investigation : le précédent que
l’affaire Etats-Unis contre Julian
Assange pourrait créer
Qu’est-ce que
cela signifie lorsque les États membres
de l’ONU refusent de fournir des
informations à leur propre Rapporteur
spécial sur la torture?
Cela signifie que
c’est une affaire arrangée d’avance. Une
parodie de procès doit servir à faire un
exemple de Julian Assange. Il s’agit
d’intimider d’autres journalistes.
L’intimidation, soit dit en passant, est
l’un des principaux objectifs de
l’utilisation de la torture dans le
monde. Le message pour nous tous est le
suivant : voici ce qui vous arrivera si
vous émulez le modèle Wikileaks. C’est
un modèle qui est si dangereux parce
qu’il est si simple : les personnes qui
obtiennent des informations sensibles de
leurs gouvernements ou entreprises
transfèrent ces informations à
Wikileaks, mais le dénonciateur reste
anonyme. La réaction montre à quel point
la menace est perçue comme sérieuse :
quatre pays démocratiques ont uni leurs
forces (les États-Unis, l’Équateur, la
Suède et le Royaume-Uni) pour tirer
parti de leur pouvoir afin de dépeindre
un homme comme un monstre, et qu’il
puisse plus tard être brûlé sur le
bûcher sans le moindre tollé. L’affaire
est un énorme scandale et représente
l’échec de l’État de droit occidental.
Si Julian Assange est condamné, ce sera
une condamnation à mort pour la liberté
de la presse.
Que
signifierait un tel précédent pour
l’avenir du journalisme ?
Sur le plan
pratique, cela signifie que vous, en
tant que journaliste, devez maintenant
vous défendre. Parce que si le
journalisme d’investigation est classé
comme de l’espionnage et peut être
incriminé dans le monde, la censure et
la tyrannie s’ensuivront. Un système
meurtrier se crée sous nos yeux. Les
crimes de guerre et la torture ne sont
pas poursuivis. Des
vidéos YouTube circulent dans
lesquelles des soldats américains se
vantent de conduire des femmes
irakiennes au suicide par des viols
systématiques. Personne n’enquête. Dans
le même temps, une personne qui expose
de telles choses est menacée de 175 ans
de prison. Pendant une décennie entière,
Assange a été inondé d’accusations qui
ne peuvent être prouvées et sont en
train de le briser. Et personne n’est
tenu responsable. Personne n’a de
comptes à rendre. Cela marque une
érosion du contrat social. Nous donnons
aux pays le pouvoir et le déléguons aux
gouvernements, mais en retour, ils
doivent être tenus responsables de la
façon dont ils exercent ce pouvoir. Si
nous n’exigeons pas qu’ils soient tenus
responsables, nous perdrons nos droits
tôt ou tard. Les humains ne sont pas
démocratiques de par leur nature. Le
pouvoir corrompt s’il n’est pas
surveillé. La corruption est le résultat
si nous n’insistons pas pour que le
pouvoir soit surveillé.
‘Il s’agit d’un
abus des procédures judiciaires visant à
pousser une personne
dans une position
où elle est incapable de se défendre.’
Vous dites
que le ciblage d’Assange menace le cœur
même des libertés de la presse.
Voyons où nous
serons dans 20 ans si Assange est
condamné, ce que vous pourrez encore
écrire alors en tant que journaliste. Je
suis convaincu que nous risquons
sérieusement de perdre la liberté de la
presse. C’est déjà en train de se
produire : soudain, le siège d’ABC News
en Australie est perquisitionné dans le
cadre du « Journal de guerre
d’Afghanistan ». La raison ? Une fois de
plus, la presse a découvert des fautes
commises par des représentants de
l’État. Pour que la répartition des
pouvoirs fonctionne, l’État doit être
contrôlé par la presse en tant que
quatrième pouvoir. WikiLeaks est
la conséquence logique d’un processus
continu d’élargissement du secret : si
la vérité ne peut plus être examinée
parce que tout est gardé secret, si les
rapports d’enquête sur la politique de
torture du gouvernement américain sont
gardés secrets, et lorsque même de
grandes sections du résumé publié sont
expurgées, à un moment donné, les fuites
en sont le résultat inévitable.
WikiLeaks est la conséquence d’un secret
effréné et reflète le manque de
transparence de notre système politique
moderne. Il y a, bien sûr, des domaines
où le secret peut être vital. Mais si
nous ne savons plus ce que font nos
gouvernements et si nous ne connaissons
plus les critères qu’ils suivent, si les
crimes ne font plus l’objet d’enquêtes,
cela représente un grave danger pour
l’intégrité de la société.
Quelles sont
les conséquences ?
En tant que
Rapporteur spécial des Nations Unies sur
la torture et, avant cela, en tant que
délégué de la Croix-Rouge, j’ai vu
beaucoup d’horreurs et de violence et
j’ai vu à quelle vitesse des pays
pacifiques comme la Yougoslavie ou le
Rwanda peuvent se transformer en enfer.
À l’origine de ces évolutions, il y a
toujours un manque de transparence et un
pouvoir politique ou économique effréné
combiné à la naïveté, à l’indifférence
et à la malléabilité de la population.
Du coup, ce qui est toujours arrivé aux
autres (torture impunie, viol, expulsion
et meurtre) peut tout aussi bien nous
arriver à nous ou à nos enfants. Et
personne ne s’en souciera. Je peux vous
le promettre.
Voir notre
dossier sur Assange.
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