Syrie
Cinq raisons pour lesquelles les frappes
de Trump en Syrie sont une erreur
monumentale
Alexander Mercouris
Mardi 11 avril 2017
Source :
http://theduran.com/trumps-missile-strike-massive-blunder
Traduction :
http://sayed7asan.blogspot.fr
En lançant ses
missiles contre la Syrie, le Président a
détruit sa réputation de cohérence,
encouragé ses ennemis et consterné ses
amis.
Après l’assassinat
du duc d’Enghien par Napoléon en mars
1804, le ministre de la police de
Napoléon, Joseph Fouché, a déclaré à ce
sujet : « C’est pire qu’un crime, c’est
une faute. » Les missiles du Président
Trump lancés sur la base aérienne de
Sharyat en Syrie étaient comme le
meurtre du duc d’Enghien, pas seulement
un crime mais une faute.
Les raisons
invoquées pour lesquelles le Président
Trump a ordonné le lancement des
missiles varient.
Le Président Trump
lui-même affirme que c’est en raison de
sa révulsion face à l’horreur de
l’attaque chimique contre Khan Sheikhoun,
qu’il affirme – mais sans qu’aucune
enquête indépendante ne l’ait confirmé –
avoir été effectuée par l’armée de l’air
du Président Assad.
Le secrétaire
d’État américain Tillerson et le
conseiller général à la sécurité
nationale de Trump, H. R. McMaster,
disent la même chose, mais
ils disent aussi que la frappe
constituait un signal de la fermeté du
Président et de son refus de tolérer
que ses lignes rouges soient franchies.
D’autres encore,
plus cyniquement, disent qu’elles
visaient à distraire l’attention du
Russiagate et à assurer la position du
Président à Washington.
Il y a probablement
du vrai dans toutes ces allégations.
Cependant, aucune d’entre elles ne
change le fait que ces frappes
constituaient une grossière erreur.
Voilà pourquoi :
(1) Toutes
les données suggèrent que les frappes
étaient une simple démonstration de
force et que le Président n’a pas
l’intention d’escalader son intervention
en une campagne de changement de régime
en Syrie.
Non seulement ce
que Tillerson et McMaster ont déclaré
lors de leur
conférence de presse commune, mais
les frappes elles-mêmes – avec les
Russes et les Syriens en étant informés
par les Etats-Unis des heures avant
qu’elles ne se produisent, et avec des
frappes elles-mêmes limitées et menées à
une échelle beaucoup plus petite
que celle que le Président Obama
semblait envisager en 2013 –
suggèrent la même chose.
Cela suggère que le
Président ne veut toujours pas être
entrainé dans une guerre pour un
changement de régime en Syrie.
Si c’est le cas, il
se rendra bientôt compte qu’il s’est
engagé sur une pente très dangereuse.
De même que le
renvoi du général Flynn
a encouragé les critiques du Président
dans l’affaire du Russiagate, amenant le
scandale à des proportions qui
dépassaient largement son ampleur
originale, l’attaque de missiles contre
la base aérienne de Sharyat a donné le
gout du sang aux tenants de la ligne
dure de changement de régime à
Washington et ailleurs. Ils reviendront
certainement à la charge pour obtenir
davantage, et leur ayant jeté de la
viande rouge une première fois, le
Président est maintenant dans une
position beaucoup plus faible pour leur
en refuser.
En outre,
indépendamment de ce qui s’est passé
exactement à Khan Sheikhoun, les
djihadistes en Syrie savent maintenant
que tout ce qu’ils ont à faire est
d’organiser une attaque chimique, et que
le Président américain les obligera en
lançant des missiles sur les forces du
Président Assad, sans enquête et sans
chercher à obtenir l’accord du Congrès
ou du Conseil de sécurité de l’ONU. Cela
ne fait que garantir que la mise en
scène de davantage d’attaques chimiques
est précisément ce que les djihadistes
vont maintenant faire.
Nul besoin d’être
prophète pour voir comment cette
situation pourrait escalader dorénavant,
même si ce n’est pas le souhait du
Président, et comment il est maintenant
dans une position beaucoup plus faible
pour empêcher que cela se produise.
(2) Trump a
commencé sa présidence en disant vouloir
améliorer les relations avec la Russie.
Non seulement a-t-il causé la fureur des
Russes, rendant les relations avec la
Russie encore pires qu’elles ne
l’étaient déjà, mais les Russes vont
certainement percevoir les frappes comme
un défi et répondront en conséquence.
Ils parlent déjà de renforcer les
défenses aériennes de la Syrie et ont
fermé la ligne directe entre leurs
militaires en Syrie et ceux des
États-Unis.
Non seulement cela
va-t-il compliquer les opérations anti-Daech
des États-Unis en Syrie, mais cela
augmente le risque d’une confrontation
dangereuse avec les Russes en Syrie, ce
qui est précisément ce que le Président
et son équipe – comme en témoigne leur
notification aux Russes avant les tirs
de missiles – veulent évidemment éviter.
(3) Ensuite,
il y a la question clé de la confiance.
En seulement une
semaine, après des rapports évoquant une
seule attaque, le Président a fait
marche arrière, passant d’une position
où il semblait accepter la réalité que
le Président Assad resterait le
dirigeant de la Syrie à une position
où il l’attaque et où les membres de son
gouvernement
parlent à nouveau de l’importance de le
renverser.
Non seulement les
Russes concluront-ils que ce Président
est quelqu’un à qui on ne peut pas faire
confiance, mais les gouvernements du
monde entier – y compris plusieurs des
principaux alliés européens des
États-Unis – seront choqués par la
facilité avec laquelle ce Président fait
volte-face et fait le contraire de ce
qu’il avait dit, et le fait en outre
sans discussion ou consultation
appropriée, et
sans même prétendre observer les formes
du droit international et des lois
américaines.
Dans la cohérence
des relations internationales, la
cohérence est la qualité la plus prisée
de toutes. Les gouvernements doivent
être sûrs qu’une grande puissance comme
les États-Unis suit des politiques
cohérentes. De cette façon, d’autres
gouvernements peuvent ajuster leurs
propres politiques pour prendre en
compte celles des États-Unis.
C’est pour cette
raison, parce que le lancement de
l’attaque a totalement détruit la
réputation de cohérence du Président
dans sa conduite de la politique,
qu’avant l’attaque de missiles,
je doutais qu’une telle chose se
produise.
Les gouvernements
du monde entier – y compris le
gouvernement de la Chine, que le
Président des États-Unis vient
d’accueillir – savent maintenant qu’avec
cette administration, les États-Unis
peuvent inverser leur politique en un
instant. Non seulement cela va les
inquiéter, mais ils savent maintenant
que quoi que dise ce Président, on ne
peut pas y prêter foi car il peut s’en
dédire si rapidement.
Cela va
inévitablement rendre les affaires
internationales plus instables, puisque
les gouvernements savent maintenant
qu’on ne peut pas faire pleinement
confiance à ce Président, ce qui lui
rendra plus difficile la négociation des
accords qu’il souhaite conclure.
(4) Si le
Président croyait, quand il a lancé ses
missiles, que cela mettrait fin aux
critiques portées contre lui et à
l’obstruction de son administration par
ses adversaires, il découvrira
rapidement qu’il n’a rien obtenu de tel.
Les adversaires du Président ont
beaucoup trop investi dans le récit de
« Donald Trump, le nouveau Mussolini ou
Caligula » pour faire marche arrière
maintenant. Je doute même qu’ils
délaissent les allégations de Russiagate,
si absurdes qu’elles soient.
Dans quelques
jours, une fois que les applaudissements
pour les frappes se seront évanouis, le
Président verra rapidement qu’il est
resté le même qu’il a toujours été aux
yeux de ses opposants à Washington, et
qu’en lançant ses frappes sans avoir
préalablement consulté le Congrès, il
n’a fait que leur donner un autre bâton
avec lequel se faire battre. Je note que
Nancy Pelosi, l’une des critiques les
plus véhémentes du Président, demande
déjà un débat approfondi à la Chambre
pour discuter de la question de
l’autorisation de l’action du Président.
(5) En
revanche, si le Président n’a pas gagné
ses critiques, il a sans aucun doute
fâché et démoralisé la partie la plus
intelligente et la plus expressive de sa
propre base politique.
L’un des faits les
plus intéressants quant aux événements
des derniers jours est que bien que les
partisans libéraux de Barack Obama aient
continué de le soutenir alors même qu’il
revenait entièrement sur la position
anti-guerre qu’il défendait avant sa
nomination, les partisans de Donald
Trump prennent leur position anti-guerre
et anti-interventionniste extrêmement au
sérieux et ne sont pas disposés à
compromettre sur ce point. Le résultat
est que loin de défendre le Président
pour ce qu’il a fait, ils se sont
retournés contre lui et se sont sentis
trahis.
Donald Trump
lui-même le sent. Cela s’explique par le
fait que depuis l’attaque de missiles,
loin de prendre un ton triomphaliste, il
n’a mentionné l’attaque que deux fois
dans ses tweets, un
tweet symbolique félicitant les
militaires pour le succès de
l’opération, et un
tweet hautement défensif dans lequel
il a essayé d’expliquer et d’écarter le
manque de dommages infligés à la piste
aérienne. Sinon, sauf dans des
déclarations formelles telles que sa
lettre au Congrès, il a évité d’en
parler.
En effet, il n’est
pas impossible que le résultat de
l’attaque de missiles – surtout si elle
est suivie par d’autres – sera de
relancer un mouvement anti-guerre
moribond qui a presque disparu au cours
de la présidence d’Obama. Il est aisé de
voir comment les ailes droite et gauche
de ce mouvement pourraient maintenant se
conjuguer – comme cela s’est produit
pendant la présidence de George W. Bush
–, dans le cas de l’aile droite du
mouvement anti-guerre parce qu’elle
s’oppose véritablement aux guerres
interventionnistes, et dans le cas de
l’aile gauche du mouvement anti-guerre
parce que certains de ses membres
s’opposent sincèrement aux guerres
interventionnistes, mais surtout parce
qu’elle exècre un Président républicain
de droite.
Il va sans dire que
si une telle chose se produit, les
problèmes politiques du Président se
multiplieront par mille.
La première loi de
la politique – aux États-Unis comme
partout ailleurs – est de prendre soin
de votre propre base. Tous les
politiciens qui ont réussi comprennent
cela. Vendredi, Donald Trump a choqué et
fâché sa base, et une fois que l’éclat
temporaire du lancement de missiles se
dissipera (ce qui se produira
rapidement), il paiera le prix
politique.
Ce que les
événements de la semaine dernière
montrent, c’est que presque cent jours
après son inauguration, Donald Trump
reste un amateur qui continue de perdre
pied. Au lieu de prendre des décisions
soigneusement pondérées, il prend ses
décisions de manière impulsive, pressée
et à la volée.
Parfois, à court
terme, certaines de ces décisions
l’aident. Plus souvent, elles lui
causent des problèmes. Au fil du temps,
en raison de la manière mal avisée et
pressée dont il prend ses décisions,
elles lui causeront de plus en plus de
problèmes. En outre, jusqu’à présent, il
ne semble pas y avoir de preuve qu’il
apprenne de ses erreurs. Les frappes sur
la Syrie ont été de loin la plus
importante d’entre elles, mais il est
fort probable que d’autres pires encore
suivront.
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