LE CRI DES PEUPLES
Derrière la propagande, les véritables
raisons
de l’assassinat de Qassem Soleimani
Federico Pieraccini
Samedi 11 janvier 2020
Source :
https://www.strategic-culture.org/news/2020/01/08/the-deeper-story-behind-the-assassination-of-soleimani/
Traduction :
lecridespeuples.fr
Quelques jours
après l’assassinat du Général Qasem
Soleimani, de nouvelles informations
importantes sont révélées par un
discours prononcé par le Premier
ministre irakien. L’histoire qui se
cache derrière l’assassinat de Soleimani
semble aller beaucoup plus loin que ce
qui a été rapporté jusqu’à présent,
impliquant le rapprochement entre
l’Arabie Saoudite et l’Iran, l’avancée
de la Chine sur la scène du Moyen-Orient
ainsi que les dangers qui pèsent sur le
dollar américain en tant que monnaie de
réserve mondiale.
Dans un discours au
parlement irakien, le Premier ministre
irakien, Adil Abdul-Mahdi, a révélé les
détails de ses interactions avec Trump
dans les semaines précédant l’assassinat
de Soleimani. Il a essayé d’expliquer à
plusieurs reprises en direct à la
télévision comment Washington l’avait
rudoyé et intimidé, ainsi que d’autres
parlementaires irakiens, pour qu’ils se
soumettent à la ligne américaine,
menaçant même de recourir à des
opérations sous faux drapeau impliquant
des tirs de snipers ciblant à la fois
des manifestants et du personnel de
sécurité afin d’aggraver la situation,
ce qui rappelle les modes opératoires
similaires observés au Caire en 2009, en
Libye en 2011 et à Maidan (Ukraine) en
2014. Le but d’un tel cynisme était de
plonger l’Irak dans le chaos.
Voici la
reconstitution de l’histoire:[Le Président du
Conseil des représentants de l’Iraq]
Halbousi a assisté à la session
parlementaire alors que presque aucun
des députés sunnites ne l’a fait. En
effet, les Américains avaient appris
qu’Abdul-Mehdi prévoyait de révéler des
secrets sensibles lors de la session et
ont envoyé Halbousi pour l’en empêcher.
Halbousi a interrompu Abdul-Mehdi au
début de son discours, puis a demandé
l’arrêt de la diffusion en direct de la
session. Après cela, Halbousi, avec
d’autres membres, s’est assis à côté
d’Abdul-Mehdi, parlant ouvertement avec
lui mais sans que l’échange soit
enregistré.
Voilà ce qui a
été discuté lors de cette session qui
n’a pas été diffusée : Abdul-Mehdi a
parlé avec colère de la façon dont les
Américains avaient ravagé le pays et
refusaient maintenant de mener à bien
les projets d’infrastructure et de
réseau électrique promis, exigeant en
retour 50% des revenus pétroliers, ce
qu’Abdul-Mehdi a refusé.
Voici les mots
complets (traduits) du discours
d’Abdul-Mahdi au Parlement :
C’est pourquoi
j’ai visité la Chine et signé un accord
important avec eux pour qu’ils
entreprennent la reconstruction à la
place des Etats-Unis. À mon retour,
Trump m’a appelé pour me demander de
rejeter cet accord. Quand j’ai refusé,
il a menacé de déclencher d’énormes
manifestations contre moi qui mettraient
fin à mon poste de Premier ministre.
D’énormes
manifestations contre moi se sont
effectivement matérialisées, et Trump
m’a appelé à nouveau pour me menacer :
si je ne donnais pas suite à ses
demandes, il ferait en sorte que des
tireurs d’élite Marines juchés sur de
hauts bâtiments ciblent les manifestants
et le personnel de sécurité afin de
faire pression sur moi.
J’ai de nouveau
refusé, et j’ai présenté ma démission. À
ce jour, les Américains insistent pour
que nous annulions notre accord avec les
Chinois.
Après cela, lorsque
notre ministre de la Défense a déclaré
publiquement qu’une tierce partie
ciblait à la fois les manifestants et le
personnel de sécurité (tout comme Trump
avait menacé de le faire), j’ai reçu un
nouvel appel de Trump menaçant de me
tuer, ainsi que le ministre de la
Défense, si nous continuions à parler
publiquement de cette « tierce partie ».
Personne
n’imaginait que la menace devait être
appliquée au Général Soleimani, mais il
était difficile pour le Premier ministre
Adil Abdul-Mahdi de révéler la trame de
fond qui s’était tissée depuis plusieurs
semaines derrière l’attentat terroriste.
Je devais le
rencontrer [Soleimani] plus tard dans la
matinée quand il a été tué. Il venait
délivrer un message de l’Iran en réponse
au message que nous avions transmis aux
Iraniens de la part des Saoudiens.
Nous pouvons
supposer, à en juger par la
réaction de l’Arabie saoudite,
qu’une sorte de négociation était en
cours entre Téhéran et Riyad :
La déclaration
du Royaume concernant les événements en
Iraq souligne l’opinion du Royaume sur
l’importance de la désescalade pour
sauver les pays de la région et leur
peuple des risques de toute escalade.
Surtout,
la famille royale saoudienne a voulu
faire savoir immédiatement au public
qu’elle n’avait pas été informée de
l’opération américaine :
Le royaume
d’Arabie saoudite n’a pas été consulté
sur la frappe américaine. Compte tenu de
l’évolution rapide de la situation, le
Royaume souligne qu’il importe de faire
preuve de retenue pour se prémunir
contre tous les actes susceptibles de
conduire à une escalade, qui aurait de
graves conséquences.
Et pour souligner
sa réticence à la guerre, Mohammad bin
Salman a
envoyé une délégation aux
États-Unis.
Liz Sly, chef du bureau du
Washington Post à Beyrouth, a tweeté:
L’Arabie
saoudite envoie une délégation à
Washington pour exhorter à la retenue
avec l’Iran au nom des États du golfe
Persique. Le message sera : « Veuillez
nous épargner la douleur de traverser
une autre guerre ».
Ce qui ressortirait
clairement est que le succès de
l’opération contre Soleimani ne devrait
rien à la collecte minutieuse de
renseignements par les États-Unis ou
Israël. Tout le monde savait que
Soleimani se rendait à Bagdad dans une
démarche diplomatique qui reconnaissait
les efforts de l’Irak pour trouver une
solution à la crise régionale avec
l’Arabie saoudite.
Il semblerait que
les Saoudiens, les Iraniens et les
Irakiens étaient en bonne voie afin
d’éviter un conflit régional impliquant
la Syrie, l’Irak et le Yémen. La
réaction de Riyad à la frappe américaine
n’a manifesté ni joie ni célébration
publiques. Le Qatar, tout en n’étant pas
d’accord avec Riyad sur de nombreuses
questions, a également immédiatement
exprimé sa solidarité avec Téhéran,
organisant une réunion à un haut niveau
du gouvernement avec Mohammad Zarif
Jarif, le ministre iranien des Affaires
étrangères. Même la
Turquie et
l’Égypte, en commentant
l’assassinat, ont employé un langage
modérateur.
Cela pourrait
refléter la crainte d’être la cible de
représailles de l’Iran. Le Qatar, pays
d’où serait parti le drone qui a tué
Soleimani, n’est qu’à un jet de pierre
de l’Iran, situé de l’autre côté du
détroit d’Ormuz. Riyad et Tel-Aviv, les
ennemis régionaux de Téhéran, savent
tous deux qu’un conflit militaire avec
l’Iran signifierait la fin de la famille
royale saoudienne.
Lorsque les paroles
du Premier ministre irakien sont reliées
aux accords géopolitiques et
énergétiques dans la région, l’image
inquiétante d’une Amérique désespérée
s’en prenant à un monde qui tourne le
dos à un ordre mondial unipolaire en
faveur de l’émergence multipolaire,
sur lequel j’ai longtemps écrit,
commence à émerger.
Les États-Unis, qui
se considèrent désormais comme un
exportateur net d’énergie à la suite de
la révolution du pétrole de schiste (sur
laquelle aucune décision finale n’a été
prise), n’auraient plus besoin
d’importer de pétrole du Moyen-Orient.
Cependant, cela ne signifie pas que le
pétrole peut désormais être échangé dans
une autre devise que le dollar
américain.
Le pétrodollar est
ce qui garantit que le dollar américain
conserve son statut de monnaie de
réserve mondiale, accordant aux
États-Unis une position monopolistique
dont ils tirent d’énormes avantages en
imposant une hégémonie régionale et même
mondiale.
Cette position
privilégiée de détention de la monnaie
de réserve mondiale garantit également
que les États-Unis peuvent facilement
financer leur machine de guerre, une
grande partie du monde étant obligée
d’acheter ses bons du Trésor, que
Washington est tout simplement capable
de faire apparaître de nulle part.
Menacer cet arrangement confortable,
c’est menacer la puissance mondiale des
Etats-Unis.
Malgré cela, la
tendance géopolitique et économique va
inexorablement vers un ordre mondial
multipolaire, la Chine jouant de plus en
plus un rôle de premier plan, en
particulier au Moyen-Orient et en
Amérique du Sud.
Le Venezuela, la
Russie, l’Iran, l’Irak, le Qatar et
l’Arabie saoudite possèdent ensemble la
grande majorité des réserves de pétrole
et de gaz dans le monde. Les trois
premiers entretiennent des relations
étroites avec Pékin et sont très
présents dans le camp multipolaire, ce
que la Chine et la Russie sont
désireuses de consolider davantage afin
d’assurer la croissance future du
supercontinent eurasien sans guerre ni
conflit.
L’Arabie saoudite,
quant à elle, est pro-américaine, mais
pourrait à terme graviter vers le camp
sino-russe à la fois militairement et en
termes d’énergie. Le même processus se
poursuit avec l’Irak et le Qatar grâce
aux nombreuses erreurs et/ou défaites
stratégiques de Washington dans la
région, à commencer par l’Irak en 2003,
la Libye en 2011 et la Syrie et le Yémen
ces dernières années.
L’accord entre
l’Irak et la Chine est un excellent
exemple de la façon dont Pékin a
l’intention d’utiliser la troïka
Irak-Iran-Syrie pour relancer le
Moyen-Orient et le relier à l’Initiative
de la Nouvelle route de la soie
chinoise.
Alors que Doha et
Riyad seraient les premiers à souffrir
économiquement d’un tel accord, la
puissance économique de Pékin est telle
qu’avec son approche gagnant-gagnant, il
y a de la place pour tout le monde.
L’Arabie saoudite
fournit à la Chine la majeure partie de
son pétrole, et le Qatar, conjointement
avec la Fédération de Russie, fournit à
la Chine la plupart de ses besoins en
gaz naturel liquéfié, ce qui correspond
à la vision 2030 de Xi Jinping qui vise
à réduire considérablement les émissions
polluantes.
Les États-Unis sont
absents de cette perspective, avec peu
de capacité à influencer les événements
ou à proposer des alternatives
économiques attrayantes.
Washington voudrait
empêcher toute intégration eurasienne en
déclenchant le chaos et la destruction
dans la région, et tuer Soleimani a
servi cet objectif. Les États-Unis ne
peuvent pas envisager l’idée que le
dollar perde son statut de monnaie de
réserve mondiale. Trump se lance dans un
pari désespéré qui pourrait avoir des
conséquences désastreuses.
Dans le pire des
cas, la région pourrait être engloutie
dans une guerre dévastatrice impliquant
plusieurs pays. Les raffineries de
pétrole pourraient être détruites dans
toute la région, un quart du transit
mondial d’hydrocarbures pourrait être
bloqué, les prix du pétrole monteraient
en flèche (200 à 300 dollars le baril)
et des dizaines de pays seraient plongés
dans une crise financière mondiale. La
responsabilité en serait entièrement
attribuée à Trump, mettant fin à ses
chances de réélection.
Pour essayer de
maintenir tout le monde dans le rang,
Washington doit recourir au terrorisme,
aux mensonges et à des menaces
imprécises de répandre indistinctement
la destruction chez ses amis et ses
ennemis.
Trump a
manifestement été convaincu par
quelqu’un que les États-Unis pouvaient
se passer du Moyen-Orient, qu’ils
pouvaient se passer d’alliés dans la
région et que personne n’oserait jamais
vendre du pétrole dans une autre devise
que le dollar américain.
La mort de
Soleimani est le résultat d’une
convergence des intérêts américains et
israéliens. Sans autre moyen de stopper
l’intégration eurasienne, Washington ne
peut que plonger la région dans le chaos
en ciblant des pays comme l’Iran, l’Irak
et la Syrie qui sont au cœur du projet
eurasien. Alors qu’Israël n’a jamais eu
la capacité ou l’audace de mener
lui-même un tel assassinat, l’importance
du lobby israélien pour le succès
électoral de Trump aurait influencé sa
décision, d’autant plus que nous sommes
en pleine année électorale.
Trump pensait que
son attaque pourrait résoudre tous ses
problèmes en effrayant ses adversaires,
en obtenant le soutien de ses électeurs
(grâce à l’assimilation de l’assassinat
de Soleimani à celui d’Oussama Ben
Laden) et en envoyant un avertissement
aux pays arabes sur les dangers d’un
approfondissement de leurs liens avec la
Chine.
L’assassinat de
Soleimani est le trépignement frénétique
des États-Unis contre leur perte
constante d’influence dans la région. La
tentative irakienne de médiation d’une
paix durable entre l’Iran et l’Arabie
saoudite a été entravée par la
détermination des États-Unis et d’Israël
à empêcher la paix dans la région et à
accroître le chaos et l’instabilité.
Washington n’a pas
atteint son statut hégémonique par une
préférence pour la diplomatie et le
dialogue apaisé, bien au contraire, et
Trump n’a pas l’intention de s’écarter
de cette approche.
Les amis et les
ennemis de Washington doivent
reconnaître cette réalité et mettre en
œuvre les contre-mesures nécessaires
pour contenir cette folie.
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