LE CRI DES PEUPLES
‘Accord du Siècle’ ou ‘Casse du Siècle’
?
Les Palestiniens relégués au statut
d’esclaves de la sécurité d’Israël
Amira Hass
Mardi 4 février 2020 Source :
Haaretz, le 1er février 2020
Traduction :
lecridespeuples.fr
Des lignes
directes peuvent être observées entre «
l’Accord du siècle », les accords d’Oslo
et leur mise en œuvre frauduleuse, qui a
conduit à la création d’enclaves
palestiniennes distinctes.
La métaphore
humiliante – mais juste – de l’Autorité
palestinienne en tant que «
sous-traitant » des agences de sécurité
israéliennes est révolue. Maintenant,
elle doit laisser place à celle de «
l’esclave de la sécurité d’Israël » :
c’est ce que le plan nommé d’après
Donald Trump exige du pseudo-Etat
palestinien.
« L’Accord du
siècle » piège les dirigeants
palestiniens dans les sections sur la «
sécurité », simplement parce qu’elles
sont basées sur la logique de la
coordination de la sécurité avec Israël
à laquelle les dirigeants de l’Autorité
Palestinienne (AP), notamment le
Président Mahmoud Abbas, ont adhéré
pendant de nombreuses années, et ce
ouvertement.
Les dirigeants de
l’AP ont justifié cela comme une mesure
vitale pour progresser vers un État
indépendant, sur la base de leur
interprétation naïvement positive des
accords d’Oslo au début et d’un
raisonnement sans fondement plus tard.
Cette persévérance est précisément ce
qui a permis aux hauts responsables du
Fatah et à leurs associés de
devenir une nomenklatura (une
classe restreinte qui lègue son statut
dominant et ses privilèges à ses
enfants) et de mener une vie confortable
– dans certains cas avec ostentation –
sous la botte israélienne et avec le
patronage d’Israël.
Mises à part les
tactiques diplomatiques habituelles et
les critiques envers les institutions
des États arabes, musulmans et neutres,
cette nomenklatura n’a pas de
plan solide en réserve contre les
dangers immédiats et à long terme du
plan Trump. Les services de sécurité
palestiniens ont été formés pour opérer
contre leur propre peuple, pas pour le
défendre contre les attaques des colons
ou les raids nocturnes de l’armée. Même
si c’est une société qui n’est pas très
forte pour garder les secrets, il est
difficile d’obtenir beaucoup
d’informations des Palestiniens sur les
détails de la coopération sécuritaire
entre l’AP et Israël (rappelons que le
Hamas a
accusé l’AP d’aider Israël à
assassiner les cadres de la Résistance),
mais le désir de l’establishment
sécuritaire israélien de la préserver
montre à quel point il l’apprécie.
La nomenklatura
et la coordination sur les questions de
sécurité vont de pair et sont
interdépendantes. La nomenklatura
s’est tellement habituée à son style de
vie qu’il est difficile d’imaginer
qu’elle y renonce. Et même si elle
essayait de le faire, il est difficile
de voir comment elle pourrait regagner
la confiance de la population
palestinienne – qui a maintenant été
complètement brisée –, même si Abbas a
ordonné l’arrêt de toute coopération en
matière de sécurité aujourd’hui. Et le
fait même qu’il soit sincère est loin
d’être une certitude. Dans les cercles
de sécurité israéliens, qui sont en
contact constant avec les Palestiniens,
le sentiment est qu’il ne fera rien de
tel, et que ce ne sont que de vaines
rodomontades.
Rétablir la
confiance du public palestinien dans son
leadership revient à passer de la «
coordination sur les questions de
sécurité » à un plan de « rébellion
civile non armée » (semblable à ce qui a
été proposé il y a quelques années par
Qadura Fares, membre du Fatah
poussé à la marge par Abbas). Il est
également essentiel de rétablir cette
confiance pour espérer mettre un terme
aux appels à la lutte armée qui couvent
dans des organisations comme le Hamas,
le Jihad Islamique et le Front populaire
de libération de la Palestine, ainsi que
parmi les partisans du Fatah et
la jeunesse.
Les dirigeants
palestiniens qui veulent bloquer le plan
Trump doivent convaincre leur peuple
qu’il ne doit pas se contenter d’une
réponse pavlovienne d’attaques armées
contre des Israéliens (armés et non
armés). Après tout, l’expérience des 20
dernières années montre que les actions
armées facilitent simplement la
poursuite des saisies de terres
colonialistes par Israël et
affaiblissent le peuple dépossédé.
[Le Cri des Peuples récuse ce paragraphe
: la Résistance armée est le seule voie
pour libérer la Palestine, à condition
d’être sérieuse et non un simple moyen
d’obtenir des concessions ; la
Résistance a échoué jusque-là car elle
n’était pas exclusive, le Hamas aspirant
à remplacer le Fatah dans son rôle de
sous-traitant d’Israël ; le Hezbollah a
montré la voie à suivre].
Mais lorsque les
gens sont frustrés, désespérés et
sceptiques quant aux motivations de
leurs dirigeants, il est plus facile
pour quelques individus de déclencher
une bombe près d’une source que les
colons ont l’intention de voler aux
Palestiniens que de conduire 20 000
personnes à des pique-niques de masse
tous les vendredis près des sources des
villages palestiniens que les colonies
ont accaparé – avec l’aide de
l’administration civile israélienne.
Méthodes
dictatoriales
En tant qu’ «
esclave de la sécurité » d’Israël, la
future entité palestinienne est
également obligée par le plan Trump
d’instituer le type d’oppression
dictatoriale familière dans certains
États arabes. Selon la section très
détaillée sur la sécurité, lors des
négociations que le plan prévoit de
mener entre Israël et les Palestiniens,
« les parties, en consultation avec les
États-Unis, s’efforceront de créer des
mesures initiales acceptables concernant
des critères de sécurité acceptables
pour l’État d’Israël et en aucun cas
moins rigoureux que les paramètres
utilisés par le Royaume hachémite de
Jordanie ou la République arabe d’Égypte
(selon ceux qui sont les plus stricts).
»
Certaines de ces
méthodes dictatoriales sont déjà
utilisées en Cisjordanie et à Gaza.
Elles ne garantissent pas tant la
sécurité que le statut privilégié des
nomenklaturas (y compris celle du
Hamas).
Le récit trompeur
d’Israël est visible dans à ligne du
plan. Si le plan parvenait un jour sur
une autre planète, les lecteurs y
concluraient qu’Israël est un pays
faible et persécuté qui a la chance
d’avoir la protection de la plus grande
superpuissance morale du monde, tandis
que les Palestiniens seraient à
l’origine de tous les problèmes
(d’accord, l’Iran aussi), et qu’ils
concoctent sans relâche des complots
terroristes sans aucune raison. Les
lecteurs extra-Terrestres concluraient
également que les Palestiniens ont
beaucoup d’armes dangereuses et
sophistiquées pour menacer le petit
Israël sans défense et malheureux.
Le plan, bien sûr,
ne reconnaît pas l’existence de
l’occupation, sans parler de la nature
colonialiste de l’État d’Israël qui a
dépossédé le peuple palestinien de sa
patrie.
Mais le plan des
exigences de sécurité imposées aux
Palestiniens – un plan qui est tellement
direct et explicite que cela en devient
écœurant – ne reflète pas seulement la «
vision » de droite de Benjamin
Netanyahou. Il est naïvement erroné de
considérer le soutien de Benny Gantz et
d’Ehud Barak au plan comme rien d’autre
qu’une manœuvre électorale. Comme Barak
l’a dit dans Haaretz, le plan «
satisfait tous les besoins de sécurité
d’Israël ».
Comme son
prédécesseur Yitzhak Rabin (qui
s’attendait à ce que l’AP ne soit pas
entravée par la Haute Cour et le groupe
de défense des droits B’Tselem),
Barak a également exprimé son espoir ou
son attente, à la fin des années 90, que
les dirigeants palestiniens sauraient
opprimer efficacement leur propre
peuple. Le soutien de Gantz et Barak au
projet de Trump est authentique :
l’annexe sur la sécurité du plan Trump
reflète ce à quoi plusieurs générations
de responsables de la sécurité
israéliens – qui sont également devenus
des dirigeants politiques civils – ont
œuvré.
Rabin et Peres ne
soutenaient pas le droit palestinien à
l’autodétermination au point de devenir
un État indépendant. Le deuxième
paragraphe du plan Trump, intitulé «
Oslo », rappelle que Rabin « envisageait
que Jérusalem demeure unie sous la
domination israélienne, avec
l’incorporation à Israël des parties de
la Cisjordanie ayant de grandes
populations juives et de la vallée du
Jourdain ; le reste la Cisjordanie, avec
Gaza, deviendrait soumise à l’autonomie
civile palestinienne dans ce qui serait,
selon ses mots, ‘moins qu’un État’. La
vision de Rabin était la base sur
laquelle la Knesset a approuvé les
accords d’Oslo, et elle n’a pas été
rejetée par la direction palestinienne à
l’époque. » Ici, l’auteur du plan Trump
dit la vérité.
Contrairement à la
légende, les accords d’Oslo n’ont pas
fait d’un « Etat » le point final des
étapes graduelles du plan. Le mot «
occupation » n’était pas non plus
mentionné dans les documents de « paix »
de Peres et Rabin.
En fait, dans la
lettre humiliante que Yasser Arafat a
été contraint d’écrire à Yitzhak Rabin
(le 9 septembre 1993), il a promis que
les Palestiniens renonceraient à l’usage
« de la terreur et d’autres actions
violentes » (propos se référant au
soulèvement populaire de la première
Intifada). C’est comme si la source du
problème n’était pas la violence des
armes et la bureaucratie du régime
d’occupation israélien, mais plutôt la
réponse palestinienne. En échange de
cette humiliation, Rabin a déclaré
qu’Israël reconnaissait l’OLP comme le
représentant du peuple palestinien.
La différence
d’aujourd’hui est qu’il y a 27 ans, de
nombreux partisans du Parti travailliste
et du parti Meretz reconnaissaient le
caractère dangereux et immoral de
l’occupation et soutenaient la création
d’un État palestinien aux côtés
d’Israël. Comme les Palestiniens, ils
voulaient croire à la « dynamique »
positive des accords d’Oslo et
considéraient le document comme une
marche vers un État palestinien
authentique. Pendant trop longtemps, ils
ont ignoré les nombreuses preuves
contenues dans les accords et le
processus de mise en œuvre, qui
indiquaient on ne peut plus clairement
que le contraire était vrai.
Des conditions
draconiennes
Un élément de
preuve était et reste la vallée du
Jourdain. Le nombre de Palestiniens
là-bas (environ 80 000, y compris à
Jéricho) est à peu près le même qu’en
1967, après que des centaines de
milliers de personnes ont fui et ont été
expulsées pendant la guerre des
six-Jours. En d’autres termes, les
nombreuses étapes mises en œuvre par
Israël pratiquement depuis le début,
inspirées du plan Allon, ont atteint
leur objectif et empêché que la
communauté palestinienne se reconstitue.
Ces mesures ont été
mises en œuvre avant les accords d’Oslo
et affinées par la suite : désigner de
vastes régions comme zones de tir
militaires ou réserves naturelles,
bloquer l’accès aux terres agricoles
près du Jourdain, saisir les sources
d’eau et assécher les sources utilisées
par les Palestiniens, harceler les
bergers et les agriculteurs, confisquer
et tuer les moutons, prononcer des
interdictions de construire, empêcher
les connexions aux réseaux d’eau et
d’électricité, et souvent démolir les
bâtiments résidentiels et les
infrastructures.
À tout cela, ces
dernières années, s’est ajoutée la
violence croissante des avant-postes de
bergers israéliens (colonies sauvages)
qui, avec l’aide de l’armée israélienne,
chassent les Palestiniens de leurs
terres. Peu de gens pourraient résister
à ces conditions draconiennes, si bien
que contrairement au reste de la
Cisjordanie, le nombre de Palestiniens
dans la vallée du Jourdain a en fait
diminué.
La vallée du
Jourdain est riche en eau, et les
forages israéliens y détournent une
grande partie des réserves d’eau vers
les colons et leur agriculture
d’exportation intensive ; cela se fait
au détriment de l’eau potable pour les
Palestiniens et de leur agriculture.
Mais malgré les incitations financières,
les Israéliens ne sont pas très enclins
à vivre dans la chaleur extrême de la
vallée du Jourdain, de sorte que leur
nombre là-bas (environ 11 000) n’a pas
beaucoup augmenté non plus. L’annexion
de la vallée du Jourdain au prétexte de
considérations sécuritaires permettrait
à Israël de détourner de grandes
quantités d’eau – équivalant à près d’un
tiers de la quantité consommée par tous
les Palestiniens de Cisjordanie – au
profit d’autres Israéliens.
Bien qu’il s’agisse
du plan Trump, « l’Accord du siècle »
n’est pas stupide. Il manifeste
effectivement de l’ignorance et un
mépris caractéristique pour les faits,
il parle d’une manière néocolonialiste
condescendante de la « croissance »,
rappelant les rapports des agences
internationales de développement. Et
cela montre beaucoup d’astuce – comme
les déclarations soigneusement parsemées
çà et là sur la façon dont il sera bon
pour la Jordanie et toute la région
qu’Israël contrôle la vallée du Jourdain
et protège ainsi le royaume hachémite
des éléments hostiles.
Des lignes directes
peuvent être observées entre le plan
Trump et les accords d’Oslo et leur mise
en œuvre frauduleuse, qui a conduit à la
création d’enclaves palestiniennes dans
l’immensité de la zone C de la
Cisjordanie, et pour laquelle, avant
même Trump, Israël avait promis de créer
une « contiguïté des transports ». Pour
exactement cette raison, ce serait une
erreur de rejeter le plan de Trump comme
une simple aide amicale à Netanyahou ou
quelque chose de forcément voué à
l’échec. Tout comme les accords d’Oslo,
« l’Accord du siècle » pourrait réussir
précisément parce qu’il correspond si
parfaitement au projet colonialiste
israélien.
Voir notre
dossier sur l’Accord du Siècle
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