BDS 34
Face à un ennemi invisible à Gaza
Sarah Algherbawi
Vendredi 3 avril 2020
Sarah Algherbawi – The Electronic
Intifada – 2 avril 2020
Des artistes de la
bande densément peuplée de Gaza ont
lancé, le 30 mars, une initiative pour
encourager les habitants à porter des
masques afin d’aider à enrayer la
propagation du coronavirus. (Ahmad
Hasaballah IMAGESLIVE)
J’écris cet article
pendant la deuxième semaine d’isolement.
Le coronavirus est
arrivé à Gaza le 22 mars, jour où une
information a révélé qu’il avait été
détecté chez deux personnes qui
rentraient du Pakistan.
Depuis lors, et au
moment où j’écris cet article, dix
autres cas ont été signalés – tous,
jusqu’à présent, parmi des personnes en
quarantaine.
La bande de Gaza
est l’une des régions du monde les plus
densément peuplées.
Son système de
santé a été mortellement miné par plus
d’une décennie de sanctions et de blocus
imposés par les Israéliens.
Les militants des
droits de l’homme et les experts de la
santé redoutent une catastrophe
humanitaire si la pandémie s’installe
ici.
Nous avons commencé
à prendre des mesures d’isolement bien
avant d’avoir des cas confirmés. Mais
alors, et longtemps avant que quiconque
n’ait jamais entendu parler de ce
coronavirus, nous, à Gaza, nous avions
déjà été forcés de pratiquer une
distanciation « sociale » ou – comme on
nous demande de l’appeler maintenant –
une distanciation « physique ». Dans
notre cas, c’était une distanciation du
reste du monde.
Le blocus israélien
de Gaza date de près de 13 ans. Plus du
quart des deux millions d’habitants de
Gaza – la nôtre de population est très
jeune – n’auront connu rien d’autre que
des difficultés et un isolement qui leur
sont imposés par une force militaire
implacable et rutilante qui bombarde et
tue à volonté.
De sorte que nous
sommes tous habitués à passer du temps
enfermés, incapables de sortir par peur
des conséquences mortelles.
Lors de la dernière
agression israélienne, la plus
importante, en 2014, je suis restée chez
moi pendant 51 jours alors que les
bombes et les missiles tombaient dru sur
nous, semant la mort et la destruction.
Au 42e jour,
je n’ai plus pu le supporter. J’ai
demandé à mon père – je vivais alors
avec mes parents – de m’emmener en
promenade, ne serait-ce que quelques
minutes. D’abord, il a refusé, craignant
pour notre sécurité. Mais quand il s’est
aperçu de l’urgence et de mon
insistance, il a accepté, à contrecoeur.
Nous nous sommes
promenés dans notre quartier, à l’est de
la ville de Gaza, pendant peut-être 15
minutes. Je voulais de l’air frais mais
j’ai trouvé qu’il était mélangé à
l’odeur de la poudre. Le ciel n’était
pas vide d’avions militaires. Pourtant
j’ai savouré chaque instant.
Cette fois,
l’isolement est différent. Cette fois,
il est silencieux.
Bienvenue à Gaza
Cette fois, je n’ai
pas l’impression de pouvoir briser mon
isolement. Maintenant, je suis mère de
deux enfants. Ma responsabilité est de
rester à la maison, quoi qu’il arrive.
Et je ne peux pas
m’empêcher de penser que le confinement
que le coronavirus inflige à de grandes
parties du monde est en train de montrer
à tous un peu de ce qu’est la vie à
Gaza.
Vous ne pouvez plus
visiter des pays étrangers ni voyager en
avion ? Bienvenue à Gaza. J’ai bientôt
29 ans, et je n’ai jamais pris l’avion.
Vous n’êtes pas
autorisés à vous déplacer de plus de
quelques kilomètres de votre domicile au
risque de subir le courroux des
autorités ? Bienvenue dans la minuscule
Gaza, où les frontières terrestres et
maritimes sont fixées par une armée –
des armées, puisque l’Égypte est elle
aussi impliquée – qui n’a aucun scrupule
à utiliser une force meurtrière pour
vous interdire de tels déplacements.
Vous ne pouvez plus
vous rendre dans un hôpital parce que le
système de santé est submergé par les
urgences ? Bienvenue à Gaza, 2008-09,
2012, 2014. Maintenant.
Vous craignez pour
votre approvisionnement en médicaments,
en eau potable, en nourriture et en
électricité ? Bienvenue à Gaza, où la
moitié des médicaments essentiels ne
sont tout simplement pas disponibles
selon le ministère de la Santé d’ici, et
où l’autre moitié a moins d’un mois de
stock selon les Nations-Unies.
Bienvenue à Gaza,
où l’eau du robinet est impropre à la
consommation humaine, où quelques 70 %
de la population sont en insécurité
alimentaire, et où l’électricité n’est
disponible que par intermittence.
Si les systèmes de
santé les plus avancés du monde sont
incapables de faire face à la pandémie,
imaginez ce qu’il en est pour le reste
du monde où les systèmes de santé ne
sont pas aussi développés.
Ajoutez ensuite
l’occupation militaire.
Bienvenue à Gaza.
Selon moi, il
existe cependant une grande différence
entre le confinement du coronavirus et
ce qui nous est imposé par l’occupation
israélienne : le virus, lui, est
invisible. Mais les conséquences du
blocus israélien sautent aux yeux de
tous.
Vous les voyez,
bien entendu. Mais sans rien ressentir.
Il n’y avait que nous à les ressentir.
Jusqu’à maintenant. Peut-être.
Les préparatifs
Les autorités ici
ont essayé de se préparer au mieux. Les
quelques personnes qui ont pu entrer à
Gaza venant de l’extérieur ont été
placées en quarantaine dès le 15 mars.
Celles qui ont été testées positif ont
été isolées. Le reste d’entre nous est
confiné.
Mais le ministère
de la Santé est douloureusement
conscient des insuffisances.
La véritable
crainte, a déclaré à The Electronic
Intifada, Ashraf al-Qedra, le
porte-parole du ministère, « c’est le
manque de ressources : les médicaments,
les équipements de protection, les
appareils respiratoires, les fournitures
pour les laboratoires, et les outils de
stérilisation ».
Selon les
Nations-Unies, la capacité du système de
santé palestinien en général à faire
face à la propagation « attendue » de la
pandémie est « gravement limitée »,
et en particulier à Gaza.
Le ministère de
Gaza a lancé un appel international pour
une aide en urgence de 23 millions de
dollars. Les Nations-Unies ont calculé
que la cible mobile des besoins
palestiniens, en général, était de 34
millions de dollars au 26 mars.
Dans le même temps,
les établissements scolaires étant
fermés, le ministre a mis sous séquestre
les bâtiments scolaires pour les
utiliser comme centres pour les
quarantaines. Selon al-Qedra, plus de
1700 personnes sont actuellement en
quarantaine, dont 1000 ont besoin de
soins médicaux.
Trois pour cent de
la population de Gaza ont plus de 65 ans
et sont parmi les plus vulnérables. Près
de 8 % souffrent d’hypertension et de
diabète, affirme al-Qedra.
Et la situation
économique à Gaza est peut-être aussi
problématique que celle du secteur de la
santé.
Près de 50 % de la
population de Gaza sont déjà sans
emploi, pendant que les 50 autres % sont
en dessous du seuil officiel de
pauvreté.
Maintenant, les
nombreux travailleurs occasionnels, qui
en avaient à peine assez pour commencer,
ont vu leurs revenus tomber à zéro du
jour au lendemain.
Les anciens
salariés de l’Autorité palestinienne
sont eux aussi en difficulté. En 2017,
l’AP a réduit de moitié son personnel.
Maintenant, comme un ami qui ne voulait
pas donner son nom, ils ont à peine les
moyens de se nourrir.
« Ce qui me
reste de mon salaire ne commence même
pas à couvrir les besoins mensuels de ma
famille ».
Je fais peut-être
partie des personnes chanceuses de Gaza.
J’ai pu jusqu’à présent acheter de la
nourriture, des produits non
alimentaires, et stériliser de l’alcool
et du savon.
Et bien sûr, il
n’existe aucune garantie contre un
manque de considération ou d’éducation.
Si moi et tous ceux que je connais nous
nous isolons, certains ne le font pas.
Un regard sur les
médias sociaux et j’en vois beaucoup qui
continuent à se rassembler avec des amis
ou de la famille, même à organiser des
mariages à la maison – ça ne peut être
qu’à la maison, les salles de mariage
sont toutes fermées.
Je regarde par ma
fenêtre, et je vois des garçons dans la
rue, comme s’ils étaient en congé.
Une telle
négligence – parfois due à un besoin de
travailler, parfois, peut-être,
simplement à celui de ne pas prendre cet
ennemi invisible au sérieux dans un
endroit où les menaces meurtrières ont
un visage trop familier et trop visible
– une telle négligence m’inquiète. J’ai
le sentiment que nous allons peut-être
devoir souffrir de l’isolement encore
longtemps.
Dès 2012, les
Nations-Unies ont prévenu que Gaza
deviendrait invivable d’ici 2020.
Il semble que 2020
ait ses propres projets, non seulement
pour Gaza, mais pour le monde entier.
Sarah Algherbawi
est une écrivaine et traductrice
indépendante.
https://electronicintifada.net/content/facing-invisible-enemy-gaza/29876?fbclid=IwAR0LnIfreet4rPnuCxFnsxvSlQdAJiK_Aqz7PN5enkVZ2v_Oaw63-g47lug
Traduction : BP
pour Campagne BDS France Montpellier
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