Opinion
Pour se protéger d’Al-Qaïda,
l’Europe doit coopérer avec Damas
Samer R. Zoughaib
Photo:
D.R.
Samedi 10 mai 2014
Après
avoir pratiqué pendant plus de deux ans
la politique du déni, l’Europe reconnait
enfin l’ampleur et la gravité du
phénomène des extrémistes européens
partis pratiquer le soi-disant «jihad»
en Syrie.
Jeudi, les neuf pays européens les plus
touchés par ce problème se sont réunis à
Bruxelles, avec des représentants des
États-Unis, de Turquie, du Maroc et de
Tunisie. Mais des diplomates occidentaux
et arabes en poste à Beyrouth doutent
des résultats de ce type de réunion, car
l’approche adoptée est erronée.
Ces diplomates rappellent qu’ils avaient
averti leurs gouvernements respectifs,
dès le début du conflit syrien, de
l’afflux massif de ressortissants
européens vers la Syrie pour rejoindre
les rangs des groupes les plus
extrémistes de la rébellion: «le Front
al-Nosra», branche locale d’Al-Qaïda,
«l'Etat islamique en Irak et au Levant»
(EIIL), auteur des actes les plus
barbares, et «le Mouvement des libres de
Syrie» (Harakat Ahrar al-Cham)
d’inspiration qaïdiste. Toutefois, les
gouvernements européens, obsédés par
l’objectif du renversement du régime du
président Bachar al-Assad, «ont ignoré
les notes de services des antennes
locales de leurs services de
renseignements à Beyrouth».
Une source de sécurité libanaise
soupçonne même certains Etat européens
d’avoir non seulement fermé les yeux sur
le départ de centaines de jeunes vers la
Syrie, mais de les avoir encouragé sur
cette voie. «La propagande anti-syrienne
hystérique, relayée par la plupart des
médias occidentaux, ne pouvait
qu’aboutir à l’embrigadement de nombreux
jeunes, radicalisés par les prêches de
cheikhs extrémistes qui répandaient une
idéologie obscurantiste», ajoute la
source.
Les Occidentaux irresponsables
L’irresponsabilité des pays occidentaux
a atteint des niveaux inimaginables
lorsque les représentants de ces Etats
aux Nations unies ont systématiquement
bloqué toutes les tentatives de la
délégation syrienne à New York d’avertir
la communauté internationale des
conséquences de la politique occidentale
en Syrie. L’ambassadeur Bachar
al-Jaafari a remis des centaines de
lettres documentées, avec des noms et
des dates, pour attirer l’attention du
Conseil de sécurité sur la gravité du
phénomène de la migration vers son
pays des présumés «jihadistes». Les
preuves fournies par la délégation
syrienne pointaient la responsabilité
des alliés turcs et arabes de
Washington, de Londres et de Paris, dans
l’amplification de ce phénomène. Les
«fatwas» émises par les cheikhs
saoudiens radicaux encourageaient les
jeunes européens à aller se battre en
Syrie, et leur argent finançaient les
filières qui opéraient en Turquie, au
Liban et, parfois, en Jordanie.
Les Européens auraient pu, sans doute,
continuer à se murer dans un silence
complice si des dizaines de
ressortissants occidentaux n’avaient pas
trouvé la mort en combattant dans les
rangs de groupes affiliés à Al-Qaïda.
Plus grave encore, ces «pseudo-jihadistes»
ont, parfois, participé à l’enlèvement
et à la séquestration de certains de
leurs concitoyens journalistes. Le
quotidien Le Figaro écrit, jeudi, que
«les ex-otages de Syrie ont participé à
un exercice de reconnaissance vocale au
siège de la DCRI à Levallois-Perret,
près de Paris. Les experts de
l'antiterrorisme leur ont fait entendre
des voix de «jihadistes» français
-résultats d'écoutes téléphoniques –
«dans l'espoir qu'ils reconnaissent le
timbre d'un ou plusieurs de leurs
geôliers». Le journal ajoute que «pour
la première fois dans l'histoire des
enlèvements, des Français figuraient aux
côtés des terroristes qui détenaient en
otages d'autres Français».
15000 combattants étrangers
Les chiffres les plus modérés indiquent
que 15000 étrangers, venus de 74 pays,
combattent dans les rangs de la
rébellion en Syrie. 80% d’entre eux
viennent de pays arabes et européens.
Les rapports des services de
renseignements occidentaux et les
enquêtes publiées par des journalistes
d’investigation avancent les détails
suivants:
-Au moins 500 Français ont combattu en
Syrie; 21 y sont morts et 250 s’y
trouvent toujours, notamment dans les
rangs du «Front al-Nosra» et de
«l’EIIL». 130 sont revenus en France,
après avoir acquis un entrainement
militaires poussé et une formation
religieuse extrémiste.
-300 Belges ont combattu en Syrie; 20 y
sont morts et 50 sont rentrés au pays.
-Entre 1000 et 1200 Britanniques ont
rejoint les rangs d’«al-Nosra» et de
«l’EIIL». 300 d’entre eux, désormais
dotés d’une grande expérience militaire,
sont revenus. Le Daily Mirror indique
que 10 femmes britanniques combattent
aux côtés de leurs époux en Syrie.
-Des dizaines d'Allemands et
d’Australiens et entre 50 et 100
Américains ont également fait le voyage.
Devant ces faits désormais connus de
l’opinion, les gouvernements européens
ont été contraints de reconnaitre
l’ampleur du phénomène, d’autant que la
«présence d'une base
d'Al-Qaïda aux portes de l'Europe est
l'une des principales préoccupations»,
selon la ministre belge de l'Intérieur,
Joëlle Milquet.
Prisonniers de leurs obsessions et de
leur entêtement, les Européens ne
parviendront pas à mettre leur pays à
l’abri du danger représenté par ces
légions d’extrémistes. En effet,
Bruxelles pense qu’en courtisant la
Turquie, elle parviendra à éloigner le
danger d’un 11-Septembre européen.
Cependant, les faits sur le terrain
prouvent qu’Al-Qaïda et ses affidés sont
les «outils de travail» préférés des
Turcs. On l’a vu lors des offensives
rebelles contre Kassab (Lattaquié) et
les quartiers ouest d’Alep, où les
groupes turkmènes, tchétchènes et
daghestanais, manipulés par les services
de renseignements d’Ankara, ont
étroitement coordonné leur action
militaire avec le Front al-Nosra.
D’ailleurs, la Turquie affiche très peu
d’enthousiasme et de sérieux dans sa
lutte contre les filières qui acheminent
les extrémistes en Syrie via son
territoire. Un expert français cité par
Le Figaro déclare à ce sujet: «Les
Européens vont réclamer davantage
d'efforts d'Ankara, pas forcément en
termes d'arrestation, mais surtout de
repérage des jihadistes de passage. On
ne peut pas surveiller tous les points
de passage illégaux entre notre
territoire et la Syrie, rétorquent les
Turcs.» «Si on se met à les arrêter en
masse, les jihadistes se vengeront en
posant des bombes chez nous», prévient
un officiel turc, cité par le même
journal.
Un diplomate arabe en poste à Beyrouth
affirme que demander à la Turquie de
lutter contre les extrémistes c’est
«comme si l’on chargeait le loup de
garder la bergerie».
Si les dirigeants politiques européens
sont atteints de myopie, les militaires
et les responsables des services de
renseignements connaissent bien, eux, le
meilleur moyen pour lutter contre les
extrémistes. De nombreux services
européens ont envoyé, ces derniers mois,
des émissaires auprès des services
syriens pour tâter le terrain pour une
possible coopération sécuritaire. Mais
les Européens doivent cesser de tourner
en rond. Pour solliciter la coopération
de Damas afin de combattre le monstre
qu’ils ont eux-mêmes créé, ils doivent
accepter de payer le prix politique
adéquat. C’est inévitable, et ils s’y
résigneront tôt ou tard.
Source: french.alahednews
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