The Middle East
Monitor
Quand la médecine est polluée par
l’occupation israélienne
Samah Jabr
Lundi 25 avril 2016
Quand Hillary Clinton a écrit sa lettre
au donateur israélo-américain, Haim
Saban, contre le mouvement populaire et
pacifique de Boycott, Désinvestissement
et Sanctions (BDS), elle a présenté l’« État
juif » comme une « démocratie
dynamique dans une région dominée par
l’autocratie… un miracle des temps
modernes - une fleur pleine de vie au
milieu d’un désert ». Pour faire
bonne mesure, elle a juré que « nous
devions veiller à son développement et
la protéger ». Contrairement à
Clinton, toutefois, nous, Palestiniens,
nous subissons les effets du racisme et
de la discrimination qui s’infiltrent
jusque dans les professions les plus
humaines, sous l’occupation militaire
brutale d’Israël.
Un soldat israélien
a été filmé sur une vidéo le mois
dernier en train d’exécuter un
Palestinien blessé et inconscient. Abed
Al-Fattah Al-Sharif était soupçonné d’« attaque
terroriste » ; une attaque au
couteau qui ciblait non un civil mais un
soldat, sur un check-point militaire de
la ville occupée d’Hébron. L’Israélien
qui lui a tiré dans la tête alors qu’il
gisait à terre n’était pas qu’un soldat,
c’était aussi un personnel médical. Si
son acte a d’abord été condamné par de
nombreux Israéliens, il a depuis été
célébré, et il y a de sérieuses
propositions pour lui décerner une
médaille. La même caméra qui a documenté
l’exécution a filmé également plusieurs
personnels médicaux israéliens qui
apportaient les premiers secours à un
soldat blessé (il avait une blessure
légère à un bras) mais en ignorant le
blessé palestinien inconscient etallongé par terre,
sans chercher à intervenir de la moindre
façon, jusqu’à ce qu’il soit tué. À ce
moment-là, le personnel médical est
intervenu, mais seulement pour emmener
son corps au loin.
L’exécution
extrajudiciaire relève d'une politique
israélienne réservée exclusivement aux
Palestiniens ; environ deux cents
Palestiniens ont été tués par Israël au
cours des six derniers mois. Les forces
de sécurité auraient pu, bien sûr, se
modérer et les désarmer, comme elles
l’ont fait pour Yishai Shlissel, ce juif
ultra-orthodoxe qui a attaqué à deux
reprises différentes des participants à
une Gay Pride, tuant l’un d’eux.
Shlissel n’a pas été tiré à vue ni
exécuté ; il a été arrêté et il sera
confronté à un procès régulier, à la
différence des 200 Palestiniens qui,
eux, ont été tués, et dont beaucoup
étaient des étudiants.
Je suis surprise
que quelqu’un ait réussi à filmer
l’exécution d’Al-Sharif, mais je ne le
suis pas par l’exécution elle-même ; les
soldats israéliens exécutent les
Palestiniens de façon routinière, comme
un exercice de leur pouvoir pour
intimider la communauté. Un scandale,
qui a plus de mal à être reconnu
cependant, est celui de la complicité
du personnel médical israélien qu’on
voit dans la vidéo et de son silence qui
suivra.
Une vague de
soutien au soldat a été lancée par le
tristement célèbre colon Baruch Marzel
(un homme connu pour distribuer des
pizzas aux soldats une fois qu’ils ont
tué des Palestiniens) ; il a organisé un
rassemblement en soutien au soldat à
proximité du tribunal militaire de
Jaffa. Le gouvernement local à Beit
Shemesh a organisé le même rassemblement
pour défendre le personnel
médical assassin ; des affiches l’ont
acclamé comme un « héros national ». Un
sondage réalisé par Channel 2 TV a
révélé qu'à 57 %, l’opinion israélienne
estimait qu’il n’y avait pas lieu
d’arrêter le soldat ou d’enquêter sur
l’incident, pendant qu'à 42 %, elle
qualifiait son acte de « responsable »
; et encore qu'à 24 %, elle soutenait
que sa réaction dans cette situation
était tout à fait naturelle.
Bien qu’odieux, ce
qui précède n’est pas le seul exemple
d’une médecine polluée par la politique
en Israël. De récents rapports par des
hôpitaux de toutle pays, spécialement à
Jérusalem, suggèrent qu’il est fréquent
de séparer les malades arabes israéliens
des Israéliens juifs, en particulier les
nouvelles mamans ; les femmes arabes
palestiniennes sont entassées et reçues
dans des conditions d'une qualité
inférieure. Un membre de la Knesset,
Bezalel Smotrich, a carrément twitté :
« Il est seulement normal que mon
épouse ne veuille pas être couchée à
proximité de quelqu’un qui vient de
donner naissance à un bébé qui pourrait
assassiner le sien dans vingt ans ».
Quant aux
responsables médicaux, soit ils dénientde
tels rapports, soit ils cherchent à les
justifier : « Les femmes arabes sont
contentes d’être affectées à des salles
de réveil de six personnes parce
qu’elles aimentbavarder », disent
certains ; « Les femmes juives ont
besoin de salles de deux personnes parce
qu’elles ne peuvent pas tolérer les
fêtes arabes » affirment d’autres.
Une infirmière palestinienne a observé
que ses collègues israéliennes dans la
salle d’accouchement faisaient des
commentaires tels que « Et voici un
autre terroriste », après la
naissance d’un bébé palestinien.
L’attitude cruelle
du personnel médical israélien envers
les Palestiniens est à la fois banal et
très ancien. Il y a vingt ans, quand mon
neveu est né, je me souviens être allée
avec ma mère et mon beau-frère visiter
ma sœur et voir le bébé. L’équipe de
sécurité de l’hôpital nous a arrêtés
dans le hall, prétendant que ce n’était
pas l'heure des visites ; et au même
moment, elle permettait à des Israéliens
juifs d’entrer au service maternité.
Quand mon beau-frère a demandé pourquoi,
il a été écarté et bousculé, restant
tout meurtri et avec ses lunettes
cassées. Cela se passait à l’hôpital
Shaare Zedek, sous le nez de médecins et
d’infirmières qui sont restés
silencieux.
La pratique
discriminatoire des hôpitaux israéliens
paraît dérisoire en comparaison des
rapports des services médicaux des
prisons israéliennes. Les prisonniers
politiques palestiniens affirment que le
personnel médical et les tortionnaires
sont alliés dans la même mission de
briser leur volonté. Beaucoup de
rapports indépendants ont vérifié de
telles affirmations. Les prisonniers
rapportent que les professionnels
médicaux vérifient s’ils sont bien aptes
à être torturés ou à se rétablir, de
sorte qu’ils peuvent continuer à leur
faire subir la torture. Après sa
libération, un prisonnier m’a dit
qu’un personnel médical de la prison
avait inventé l’histoire qu’il était
suicidaire afin de justifier de
l’avoir suspendu en hauteur, « pour
le protéger contre lui-même ». Le
crâne d’un autre homme a été fracturé
quand un garde l’a délibérément projeté
au sol ; ce prisonnier a été « examiné »
par plusieurs médecins après les faits,
même si aucun d’eux n’a donné
d’informations exactes sur l’incident ou
sur son état physique : certains ont
ignoré l’importante enflure et les
ecchymoses autour de son œil; certains
ont dit que le prisonnier était tombé
dans l’escalier ; certains l'ont
signalée comme la conséquence d’une
piqûre d’abeille.
L’alimentation de
force des prisonniers palestiniens en
grève de la faim est une autre pratique
médicale utilisée à des fins politiques,
violant l’éthique médicale et la dignité
humaine dans le processus. Une
législation a été votée au parlement
israélien qui autorise l’alimentation de
force des grévistes de la faim. Alors
que le principe allégué de la loi est « le
caractère sacré de la vie », la
véritable motivation en est de réduire
au silence et de miner la volonté des
prisonniers palestiniens dans leur lutte
pour être libérés de la détention
administrative (être détenu sans
inculpation ni jugement). Bien qu’il n’y
ait aucune trace d’un seul prisonnier
palestinien mort des suites d’une grève
de la faim, il existe unedocumentation
qui prouve que cinq prisonniers sont
morts du fait d’une alimentation de
force entre 1970 et 1992. Ces malheureux
ont été nourris de force, et tués par le
personnel médical.
La médecine n’est
pas seulement une profession pour gagner
son pain, c’est une vocation. Une
vocation qui traite du bien-être humain
dans des domaines qui dépassent la seule
santé physique. La neutralité et
l’impartialité sont des principes
fondamentaux du code de déontologie du
corps médical, mais nous voyons certains
de nos confrères israéliens capituler
devant la bigoterie populaire, au lieu
de soutenir les droits des malades quand
ils sont palestiniens. Les
professionnels israéliens de la médecine
devraient soutenir leurs confrères
palestiniens qui se font mitrailler dans
les ambulances, et les malades
palestiniens qui se font arrêter aux
check-points ou qui sont obligés de
collaborer en échange d’un service de
santé. Ils devraient condamner le
bombardement des hôpitaux à Gaza, et les
raids dans les hôpitaux palestiniens de
la Cisjordanie occupée en vue d’enlever
des personnes blessées.
De façon décevante
néanmoins, dans sa grande majorité, le
corps médical israélien n’est apte à
réaliser aucune de ces choses. Nous
observons au lieu de cela que
l’occupation érode toutes les
considérations éthiques et que la haine
des Palestiniens l’emporte sur les
préoccupations et le comportement
professionnels. Il ne peut exister de « démocratie
dynamique » dans un système
colonial, Mme Clinton ; il n’y a aucune
pureté, ni même de professionnalisme
médical, dans une domination coloniale.
L’occupation militaire d’Israël pollue
tout.
Samah Jabr est
psychiatre et psychothérapeute,
jérusalémite, elle se préoccupe du
bien-être de sa communauté bien au-delà
des questions de santé mentale. Elle
écrit régulièrement sur la santé mentale
en Palestine occupée.
https://www.middleeastmonitor.com/...
Traduction : JPP
pour les Amis de Jayyous
Le sommaire de Samah Jabr
Les dernières mises à jour
|