Palestine
Culpabilisation et intimidation
de la communauté palestinienne
Samah Jabr
© Samah
Jabr
Mardi 10 novembre 2015
Middle East Monitor – 2 novembre 2015
À la différence de
la façon dont les Palestiniens sont
traités, les agresseurs israéliens n’ont
été ni tirés à vue, ni qualifiés de
terroristes ; leurs noms n’ont pas été
rendus publics et leurs maisons n’ont
pas été démolies ; au lieu de cela, nous
avons été informés qu’ils étaient
psychologiquement « tourmentés ».
L’incitation est
une accusation « taillée sur mesures »,
montée spécialement pour effrayer les
Palestiniens qui expriment une
opposition face à un durcissement de la
politique israélienne qui déjà
suffoquait la communauté. Les forces de
sécurité israéliennes, par exemple, ont
mis en place une « section arabe » dans
leur département cybernétique, section
qui est chargée de scanner les médias
sociaux. L’un parmi tous ceux qui ont
été arrêtés en raison de leurs
publications sur leur compte Facebook
est un jeune qui a écrit « Apportez
des oignons avec vous » ; les
oignons étant considérés comme un
antidote contre les gaz lacrymogènes
lancés sur les manifestants par les
soldats et la police.
Le directeur du
ministère israélien de l’Éducation, le
général Michal Cohen, a demandé une
enquête sur un proviseur et enseignant
d’une école primaire de Jérusalem-Est,
qui était accusé d’incitation contre les
soldats. D’après le ministère, l’école
se livrait à une « propagande
politique illégale » en permettant
que soit jouée une pièce de théâtre dans
laquelle un soldat est présenté comme « violent
et meurtrier, (alors qu’) il tire
sur un enfant palestinien ». Le
ministre de l’Éducation, Naftali Bennet,
a prévenu que « les enseignants qui
autoriseront cette pièce seront traités
sans réserve ».
Même si beaucoup
des mises à mort, des arrestations et
démolitions de maisons qui ont lieu en
Palestine visent des enfants en âge
scolaire, il est clair que leurs
conseillers et enseignants ont
l’interdiction de se donner l'occasion
de s’exprimer et d’agir à travers de
telles expériences difficiles. Quand les
enfants reproduisent symboliquement leur
réalité dans un jeu post-traumatique, ou
quand les adultes tentent d’apaiser leur
anxiété en partageant des informations
sur les médias sociaux, ils font le
constat que ces réactions ne sont pas
autorisées par les Israéliens et sont
sanctionnées en tant qu’ « incitation »,
comme si les épouvantables réalités
créées par Israël ne suffisaient pas en
elles-mêmes pour « inciter » la
population à résister à l’occupation.
Quelles sont ces
réalités ? De nouvelles lois et
politiques visant à humilier et à
discriminer les Palestiniens ont été
publiées par le cabinet israélien, telle
« la loi pour l’interpellation et la
fouille » ; la fermeture progressive de
Jérusalem aux Palestiniens venant de
Cisjordanie ; l’ajout de nouveaux
check-points avec des blocs de béton qui
barrent le passage et des détecteurs de
métal ; la restriction de l’accès des
Palestiniens au Noble Sanctuaire d’Al-Aqsa ;
l’intensification des opérations de
police dans les quartiers palestiniens ;
l’assouplissement des restrictions à
l’utilisation des munitions de guerre
contre les manifestants ; la mise hors
la loi des organisations civiles ;
l’interdiction de voyager pour les
militants ; le nombre croissant des
arrestations administratives
arbitraires ; la démolition rapide des
maisons des familles des combattants
palestiniens ; l’autorisation pour de
nouvelles colonies de peuplement juives
illégales en vertu de la législation
internationale ; et les projets pour
révoquer les droits à résidence
d’environ 230 000 Jérusalémites qui
vivent à l’extérieur des limites
nouvellement définies de Jérusalem. Le
maire de Jérusalem, Nir Barkat, se
promène dans Jérusalem une arme à la
main, et les juifs portent de plus en
plus ostensiblement des armes ; les
acquisitions d’armes par les citoyens
israéliens ont augmenté de 5000 % au
cours du mois passé.
Pendant que les
Israéliens débattent de la peine de mort
pour les Palestiniens dans leurs
commissions ministérieles et à la
Knesset, l’armée, les forces de police
et les colons procèdent à la traque des
Palestiniens dans les rues et à leurs
exécutions extra-judiciaires. Puis, avec
l’aide des médias, ils fabriquent des
récits pour expliquer l’assassinat de
nos jeunes. Les soldats israéliens
pratiquent une politique du tirer pour
tuer contre les manifestants sans armes
à la frontière de Gaza, tuant et
blessant des Palestiniens qui ne
présentent aucun danger, ainsi que de
présumés agresseurs, et des passants.
Dans les quelques cas où une preuve par
vidéo a été disponible, il a été
possible de réfuter les allégations
portées par la police et les soldats
israéliens. C’est ainsi que
l’organisation israélienne pour les
droits de l’homme, B’Tselem, tire la
conclusion que la fusillade contre Bassel Al-Sider
et Fadi Alloun « soulève une vive
inquiétude avec les forces de sécurité
qui tirent pour tuer, même quand
manifestement les Palestiniens ne
constituent plus une menace et qu’ils
pourraient être appréhendés d’une autre
façon ». Amnesty International a
fait le constat que le meurtre de Hadeel
Hashlamoun constituait une exécution
extra-judiciaire. Nous avons entendu le
témoignage de témoins oculaires et vu
des vidéos de situations où les soldats
israéliens ont placé un couteau près des
corps de jeunes palestiniens après
qu'ils ont été abattus et tués.
La facilité avec
laquelle les Palestiniens sont tués a
débouché sur l’assassinat de
non-Palestiniens qui « ressemblaient à
des Arabes ». Un Israélien juif
possédant un fort accent et l’apparence
d’un « Arabe », Simcha Hodadtov, a été
tué par l’armée à la gare routière
centrale de Jérusalem ; les médias ont
publié aussitôt qu’il s’agissait d’un
Palestinien qui avait tenté de s’emparer
de l’arme d’un soldat. Par la suite
pourtant, les médias ont dû revenir sur
leur première version quand un membre de
l’organisation ZAKA, qui accompagne les
corps des morts, s’est rendu compte que
le défunt était en réalité un juif et il
a dû échanger la housse mortuaire noire
servant à identifier les corps des
Palestiniens contre la housse blanche
réservée aux Israéliens juifs.
Ceci est arrivé une
semaine après le lynchage de Haftom
Zarhum, un immigrant érythréen de 29
ans, par les Israéliens qui avaient
supposé qu’il avait participé ou été
complice dans une attaque à Beersheba.
Juste avant ce meurtre, Ben Tzion
Mutsafi, un rabbin important de
Jérusalem et directeur d’une Yeshiva,
avait déclaré, « pour les terroristes
qui sont arrêtés, il est ordonné de leur
taper la tête contre le sol jusqu’à ce
qu’il n’y ait plus une goutte de vie en
elle ». Telle avait été sa réponse
quand l’un de ses élèves avait demandé
s’il lui était permis de frapper, de
donner des coups de pied ou de tirer sur
un terroriste qui avait été attrapé et
immobilisé, ou s’il y avait une
interdiction biblique et/ou rabbinique
pour de tels actes. Ce qui est arrivé à
l’Érythréen n’a été que la traduction
d’un tel enseignement dans sa pratique ;
nous avons vu un soldat frapper à coups
de pied Zarhum à la tête alors qu’il
était étendu ensanglanté sur le sol de
la gare routière. Un autre homme a
soulevé un banc et l’a laissé retomber
sur la tête de la victime. Apparemment,
la seule erreur commise a été que cet
affreux traitement était destiné à un
vrai Palestinien, afin d’ « effrayer et
dissuader la communauté ».
Dans le cas de
l’Israélien juif orthodoxe qui a
poignardé un autre juif, Uriel Razkan, à
Kiryat Ata en périphérie de Haïfa, et
dans celui des « adolescents
israéliens » poignardant quatre
Palestiniens à Dimona, la police a
seulement retenu un moment les auteurs.
Ils n’ont été ni tirés à vue, ni
qualifiés de terroristes ; leurs noms
n’ont pas été rendus publics et leurs
maisons n’ont pas été démolies ; au lieu
de cela, nous avons été informés qu’il
s’agissait de personnes
psychologiquement « tourmentées ».
Toutes ces formes
d’intimidation sont destinées à créer un
effet dissuasif sur les assaillants
potentiels. Les graves conséquences pour
les familles et les communautés de ceux
qui sont accusés d’être des combattants
visent à induire leur culpabilité et à
aboutir à la condamnation de ceux qui
résistent à l’occupation. Cependant,
Israël est en train de plus en plus de
franchir les limites de l’éthique,
violant toujours plus les droits humains
et devenant toujours plus sanglant et
détesté. Pour rassurer l’opinion
israélienne, le cabinet va promettre de
punir plus encore les Palestiniens.
En recourant à un néofascisme et à une
répression intensifiée, Israël peut,
peut-être, vaincre et tuer quelques
Palestiniens, mais il va s’enfoncer
définitivement et plus encore dans un
échec moral, et il fera de la Palestine
occupée le lieu le moins sûr de la terre
pour les juifs.
Samah Jabr est
Jérusalémite, psychiatre et
psychothérapeute, dévouée au bien-être
de sa communauté, au-delà des questions
de la maladie mentale.
Traduction : JPP
pour les Amis de Jayyous
https://www.middleeastmonitor.com/articles/middle-east/22036-incriminating-and-intimidating-the-palestinian-community
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