Palestine
Quand Israël et la Grande-Bretagne
célèbrent
le traumatisme historique des
Palestiniens
Samah Jabr
Des
manifestants palestiniens prient durant
une manifestation contre les colonies
juives dans le village palestinien de
Deir Estia, en Cisjordanie occupée, le 2
avril 2010. (Najeh Hashlamoun/Apaimages)
Vendredi 3 mars 2017
Dr
Samah Jabr – 16 février 2017 – Middle
East Monitor
Après
cent ans, la Grande-Bretagne semble en
être au même stade moral que lorsque le
secrétaire britannique aux Affaires
étrangères, Arthur Balfour, écrivait à
un dirigeant de la communauté juive
britannique, le baron de Rothschild, lui
promettant l’établissement d’un « foyer
national » pour le peuple juif en
Palestine.
Au
lieu de revenir sur cette mesure
injuste et de provoquer des
transformations historiques, des
développements sociaux, et de réparer le
mal fait aux Palestiniens, le Premier
ministre britannique invite le Premier
ministre israélien à une célébration
pour marquer le centième anniversaire de
la Déclaration Balfour. Cette
célébration est en train de déclencher
le traumatisme historique qui a laissé
des cicatrices importantes dans la
mémoire collective palestinienne au
cours d’un siècle de déplacements et
d’une domination militaire qui a démuni
les Palestiniens, politiquement et
culturellement, et les a traités comme
des êtres problématiques et inférieurs.
La
Grande-Bretagne est également
responsable d’avoir imposé une
immigration juive massive en Palestine
et de lui avoir permis de posséder des
armes et des chars de combat, pendant
qu’elle écrasait les Palestiniens qui
aspiraient à leur indépendance après 30
années de mandat. La violence et la
défaite qui ont été imposées au peuple
palestinien, ont été facilitées et
organisées par la Grande-Bretagne. Leurs
effets n’ont pas seulement fait du mal
aux personnes immédiates de cette
génération, qui ont été tuées ou
déplacées ou dont les biens ont été
volés ; mais tous les membres de notre
société, et les multiples générations
qui ont suivi, ont pris sur leurs
épaules le fardeau du traumatisme
historique du vol de la terre
palestinienne, un vol qui a transformé
le passé et l’avenir des Palestiniens.
Aujourd’hui, avec un soutien financier
et politique sans précédent des
États-Unis, le silence ou la connivence
des grandes puissances du monde avec
l’occupation, et les louanges
internationales pour ses criminels (les
funérailles de Shimon Peres en sont un
exemple), les Palestiniens se rendent
compte que nous vivons dans un monde où
l’intimidation l’emporte sur la raison,
et l’hégémonie sur l’éthique. Israël
impose son discours
avec autorité et piétinent les
corps, les sentiments et l’organisation
sociale des Palestiniens avec ses armes.
Des
lois racistes
L’an
dernier, Israël a promulgué cinq lois
racistes : la « Loi d’exclusion »,
qui stipule qu’un membre de la Knesset
peut être exclus du parlement par un
vote majoritaire de 90 législateurs, une
loi destinée à la minorité arabe des
membres de la Knesset ; une autre loi,
sur « l’incitation », incrimine
les opinions politiques et vise à
confisquer le droit d’expression et de
vote à la Knesset à ceux qui manifestent
leur opposition à l’occupation ou qui
s’opposent au caractère d’Israël comme
État juif et démocratique ; la troisième
est le « projet de loi sur les ONGs »,
qui prend pour cible les organisations
des droits de l’homme et impose des
obligations particulières en matière de
rapports aux organisations non
gouvernementales qui reçoivent la
majeure partie de leur financement
depuis des gouvernements étrangers ; la
quatrième, et probablement la pire, est
la « Loi de régulation », qui
permettra finalement l’annexion de 60 %
des terres de Cisjordanie au profit des
colons israéliens ; et, tout récemment,
la « loi du Muezzin », qui veut
étouffer le caractère musulman de notre
terre en interdisant au muezzin
d’appeler à la prière (appel qualifié de
« pollution ») dans les mosquées
de Jérusalem et des villes arabes de
1948.
« Le
traumatisme est la catastrophe de la
vulnérabilité »
Alors
qu’Israël crée un fait accompli et
s’étend géographiquement et
démographiquement aux dépens des
Palestiniens, les dirigeants
palestiniens émettent des condamnations
creuses ; effectivement, la direction
palestinienne coexiste avec les colonies
en réalité, et elle ne les affronte que
dans les médias. Quand les dirigeants
palestiniens se plaignent des colonies
mais qu’ils restent les gardiens de ces
colonies et les bénéficiaires passifs de
la domination coloniale de l’occupation,
alors les amis supposés de la Palestine
ne peuvent que penser, « vous méritez
ce que vous obtenez ».
Blâmer la victime
Une
culpabilisation de la victime rend plus
difficile pour celles et ceux qui
subissent les mauvais traitements de
protester et de rappeler leur
traumatisme au monde. Le monde blâme les
Palestiniens occupés pour leur mauvais
sort et pour troubler la paix de
l’occupation à chaque effort que nous
faisons pour résister à Israël. Il
conforte le récit de l’occupation selon
lequel ce serait de la faute des
Palestiniens si l’occupation a eu lieu,
absolvant l’occupation de sa
responsabilité ou de toute
responsabilisation pour ses actions, et
permettant à Israël de répéter et
reproduire les atrocités qu’il a
commises pour chasser les Palestiniens
de leurs foyers et de leurs villes.
Mais,
comme un violateur sournois qu’il est,
Israël utilise des tactiques pour se
garder une bonne image publique ;
récemment, par exemple, il a annoncé
qu’il acceptait que 100 orphelins
syriens viennent résider en Palestine
occupée, pendant qu’il refuse aux
Palestiniens leur droit au retour et
qu’il fait des centaines d’orphelins
palestiniens. Et sur l’avant-poste
d’ « Amona », Israël a diffusé des
scènes dramatiques vers le monde,
montrant Israël comme un État de droit
qui expulse ses colons hors de la terre
privée palestinienne, cela pour occulter
la loi autorisant le vol des terres
privées palestiniennes qu’il allait
promulguer quelques jours plus tard.
Même
les puissances arabes d’aujourd’hui
reprochent aux Palestiniens occupés
d’affronter l’occupation ; mais c’est
une stratégie impuissante pour essayer
d’éviter un sort potentiel comme celui
des Palestiniens, cela donne le
sentiment erroné que si ceux-ci
s’alliaient aux bourreaux, alors
l’occupation ne leur serait jamais
arrivée ; sauf qu’il suffit de regarder
l’Iraq, la Libye, la Syrie, le Yémen,
pour constater l’échec d’une telle
stratégie. La propagande arbitraire
selon laquelle « les Palestiniens ont
vendu la Palestine à Israël », qui
gagne en popularité dans les médias
égyptiens, est une preuve que l’on blâme
l’attitude de la victime et que l’on se
met du côté des bourreaux. En
cataloguant et en accusant les
Palestiniens, ces puissances essaient
désespérément d’arriver à ce que les
peuples arabes nous voient différents
d’eux-mêmes.
Le
déni est un obstacle à la paix
Lorsque le traumatisme historique des
Palestiniens est totalement surmonté, il
devient impossible d’en discuter, de le
pleurer et de l’exprimer symboliquement,
empêchant ainsi d’en réparer les
dommages et augmentant la possibilité
qu’il s’exprime en action/du passage à
l’acte.
La
célébration de Balfour constitue un déni
du préjudice causé aux Palestiniens et
revient à un refus de reconnaissance de
l’existence du traumatisme et de la
souffrance humaine, et d’en assumer la
responsabilité morale ; la
Grande-Bretagne n’a aucune honte de son
histoire impérialiste qui a inclus
l’érosion des Palestiniens. Elle
continue de se comporter d’une manière
hégémonique, considérant les Israéliens
comme culturellement et racialement
supérieurs aux Palestiniens. Si
l’existence même de l’occupation
traumatique est déniée, alors la
responsabilité, les remords et la
solidarité se trouvent rejetés, une
immunité totale pour les violations
commises par Israël continue de lui être
accordée, et la souffrance des
Palestiniens peut difficilement être
reconnue, et encore moins guérie.
L’occupation a toujours espéré briser la
conscience collective palestinienne avec
les massacres et les guerres et en
perpétuant la douleur qui reste fraîche
dans notre mémoire. Aujourd’hui, le
général Yoav Galant, ministre du
Logement et ancien commandant de la
région Sud qui dirigeait la guerre en
2008, parle d’une « quatrième guerre
au printemps prochain ». Sur la
radio israélienne, le ministre de la
Défense israélien, Avigdor Lieberman, a
déclaré que si le gouvernement décidait
de mener une nouvelle guerre, cette
confrontation devra se terminer par une
grande victoire israélienne et
l’écrasement de la résistance
palestinienne à Gaza, et pour toujours.
Mais, en réalité, ce ne sont pas les
préparatifs de la résistance qu’Israël
devrait craindre le plus, mais plutôt la
désensibilisation des citoyens et la
baisse du niveau de leur peur,
conséquences des frappes, des chocs et
des pertes répétés qui ont affecté la
plupart des gens là-bas.
C’est
une reconnaissance et non le déni qui
est capable d’humaniser toutes celles et
ceux qui sont impliqués, en cultivant
l’empathie, la confiance et en ouvrant
la voie à la guérison de l’histoire, à
la réconciliation et à la construction
de la paix. Exhorter Israël afin qu’il
mette un terme à sa politique coloniale,
au lieu de célébrer le vol de la terre
palestinienne, est un domaine important
de l’intervention thérapeutique dans le
traumatisme et du rétablissement de la
paix.
L’histoire ne sera pas écrite par la
force seule, si irrésistibles qu’Israël
et ses alliés semblent être ; certains
Palestiniens ne seront pas réduits au
silence devant l’atroce occupation de la
Palestine. Nous allons exprimer notre
témoignage historique et raconter notre
histoire pour donner un sens aux griefs
insensés du colonialisme ; le
militantisme anti-oppression est notre
remède contre le traumatisme politique ;
et il nous guérira en tant qu’individus,
et il nous aidera à guérir de l’histoire
ternie de notre patrie.
Samah
Jabr est jérusalémite.
Elle
est psychiatre et psychothérapeute, chef
de l'unité de psychiatrie du ministère
de la Santé,
professeur adjoint de clinique à
l'université George Washingfton elle
exerce en Palestine occupée.
Version anglaise :
https://www.middleeastmonitor.com/20170216-when-israel-and-britain-celebrate-the-historical-trauma-of-palestinians/
Traduction : JPP pour Les Amis de
Jayyous
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