Entretien
Salim Lamrani : « Les sanctions
économiques sont cruelles car elles
affectent les catégories les plus
vulnérables de la population cubaine »

© Salim Lamrani
Mardi 29 mars 2016
Voice of America
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Voice of
America : Remontons un petit peu
l’histoire. Plus d’un demi-siècle de
rupture diplomatique. Pouvez-vous nous
rappeler les dates-clé de ce blocage
entre les deux pays ?
Salim
Lamrani : il convient de rappeler que le
différend qui oppose les Etats-Unis à
Cuba remonte au XIXème siècle car l’île
a été le premier objectif de la
politique étrangère de Washington. Les
Pères fondateurs ont toujours vu Cuba
comme étant l’appendice naturel à
ajouter à l’Union américaine. Thomas
Jefferson en avait parlé en 1805. Nous
connaissons également la théorie du
« fruit mûr » de John Quincy Adams.
Au XXème
siècle, durant la période républicaine,
les Etats-Unis avaient soutenu la
dictature militaire de Fulgencio Batista
et s’étaient opposés à l’arrivée au
pouvoir de Fidel Castro bien avant 1959.
Permettez-moi de citer Allen Dulles,
alors directeur de la CIA, en décembre
1958 : « Nous devons empêcher la
victoire de Castro ».
Quand Fidel
Castro arrive au pouvoir en 1959, il se
heurte immédiatement à l’hostilité des
Etats-Unis, qui avaient, dans un premier
temps accueilli les dignitaires de
l’ancien régime et qui avaient
immédiatement imposé des sanctions
économiques contre Cuba. Permettez-moi
de rappeler le constat lucide de
l’ancien président John F. Kennedy qui
avait déclaré la chose suivante : « Nous
aurons dû réserver un accueil plus
chaleureux à Fidel Castro car cela nous
aurait évité pas mal de problèmes ».
VOA :
Avançons un peu. On se retrouve très
vite à l’embargo. Comment cela se
passe-t-il à ce moment-là ?
SL : Les
Etats-Unis ont imposé des sanctions
économiques à Cuba dès 1960. Il est
important de rappeler que la rhétorique
diplomatique de Washington pour
justifier l’hostilité vis-à-vis de Cuba
a fluctué au fil des ans. En 1960,
lorsqu’Eisenhower a imposé les premières
mesures de rétorsion économique, il
avait évoqué le processus
d’expropriation et de nationalisation
des entreprises américaines. Ensuite,
Kennedy évoqué l’alliance avec l’Union
soviétique pour justifier l’imposition
de sanctions économiques totales en
1962. Dans les années 1970 et 1980, on a
fait allusion à l’interventionnisme de
Cuba en Afrique en soutien aux
mouvements indépendantistes. Depuis 1991
et l’effondrement de l’Union soviétique,
les Etats-Unis justifient le maintien
d’une politique hostile contre Cuba en
raison de la démocratie et des droits de
l’homme.
Il est donc
important de rappeler que cette
rhétorique diplomatique a fluctué au fil
des ans.
Aujourd’hui,
le Président Obama a fait un constat
très lucide sur la politique des
Etats-Unis. Il s’est rendu compte
qu’elle avait été inefficace. Elle est
obsolète car elle remonte à l’époque de
la Guerre froide.
VOA : Cuba
est-elle encore ce bastion communiste de
la Guerre froide ?
SL :
L’Amérique latine a changé depuis un
demi-siècle. Cuba est évidemment une
société différente avec un système
politique et un modèle de société
distincts de celui des Etats-Unis. Il y
a à l’évidence deux conceptions
complètement différentes de la
démocratie. Les deux présidents l’ont
d’ailleurs souligné lors de leur
conférence de presse.
Je crois que
Washington a compris qu’il fallait baser
les relations avec La Havane sur un
principe de réciprocité, d’entente
cordiale et de dialogue. La politique
d’hostilité a échoué.
Il y a
aujourd’hui une majorité au sein de
l’opinion publique des Etats-Unis qui
est favorable à une normalisation des
relations avec Cuba. Cela dépasse le
clivage Démocrates/Républicains. De
nombreux Etats à majorité républicaine,
notamment dans le Midwest souhaitent
avoir des relations normales avec Cuba
pour des raisons économiques évidentes.
VOA :
L’embargo n’a pas encore été levé et,
sur le plan économique, cela risque de
prendre du temps. Quelles seraient les
conséquences pour l’île si le processus
impulsé par Barack Obama n’allait pas à
son terme ?
SL : Les
sanctions économiques constituent le
principal obstacle au développement du
pays. Elles sont unanimement condamnées
par l’immense majorité de la communauté
internationale. En octobre 2015, pour la
24ème année consécutive, 191
pays sur 193, y compris les plus fidèles
alliés des Etats-Unis, ont exigé de
Washington un changement de politique et
une levée de ces sanctions.
Les raisons
sont évidentes. Ces sanctions sont
anachroniques car elles remontent à la
Guerre froide. Elles sont cruelles car
elles affectent les catégories les plus
vulnérables de la population cubaine, et
non les dirigeants. Enfin, elles sont
inefficaces dans la mesure où l’objectif
initial de renverser la Révolution
cubaine a échoué.
Le constat
actuel est édifiant : au lieu d’isoler
Cuba sur la scène internationale, ces
sanctions ont isolé les Etats-Unis.
Le Président Obama a adopté des mesures constructives
concernant la levée de certaines
restrictions. Mais, malheureusement, les
sanctions sont toujours en vigueur. Il
est vrai qu’il y a l’obstacle du Congrès
mais je crois qu’il reste marginal. Le
Président des Etats-Unis, en tant que
chef de l’exécutif, dispose de toutes
les prérogatives pour démanteler 90% de
ces sanctions. Il y a très peu de
secteurs qu’il ne peut pas atteindre.
VOA :
Etes-vous d’accord pour dire que Barack
Obama a posé un acte historique, même si
l’avenir de Cuba suscite encore beaucoup
d’interrogations ?
SL :
Indéniablement. Le Président Obama a mis
un terme à une anomalie historique. Il a
rétabli le lien avec le peuple cubain.
Il a reconstruit le pont rompu en 1959
et je crois qu’il marquera l’histoire
comme étant le président qui aura adopté
l’approche la plus constructive pour
résoudre un différend qui date de plus
d’un demi-siècle. S’il est une chose que
nous devons retenir de la présidence de
Barack Obama, cela sera le processus de
normalisation des relations avec Cuba.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel
ouvrage s’intitule Cuba, parole à la
défense !, Paris, Editions Estrella,
2015 avec une préface d’André Chassaigne.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
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