Amérique latine
Rapprochement Cuba/Etats-Unis:
perspectives et obstacles 1/2
Salim Lamrani
Jeudi 26 février 2015
Al Mayadeen
http://espanol.almayadeen.net/...
Depuis l’annonce historique du
17 décembre 2014, Washington a annoncé
quelques mesures destinées à assouplir
l’état de siège économique qui pèse sur
Cuba. Mais le chemin est encore long.
Le 16 janvier 2015, les mesures
d’assouplissement annoncées par les
Etats-Unis, dans le cadre du processus
de normalisation des relations
bilatérales initié entre les Présidents
Barack Obama et Raúl Castro, sont
entrées en vigueur. Si elles ne mettent
pas un terme aux sanctions économiques,
elles constituent un signal positif et
confirment la volonté de Washington de
mettre un terme à une politique
anachronique, cruelle et inefficace.
Cette polítique constitue en effet le
principal obstacle au développement de
l’île, affecte les catégories les plus
vulnérables de la population cubaine et
suscite la condamnation unanime de la
part de la communauté internationale [1].
La première mesure concerne les
possibilités de voyage à Cuba. Si les
citoyens étasuniens ne sont toujours pas
autorisés à se rendre dans l’île en tant
que touristes ordinaires – alors qu’ils
peuvent se rendre en Chine, au Vietnam
ou en Corée du Nord –, Washington a
décidé de faciliter les déplacements
dans le cadre de 12 catégories
spécifiques autorisées par la loi
(visites familiales, officielles,
journalistiques, scientifiques,
éducationnelles, religieuses,
culturelles, humanitaires,
professionnelles etc.). Ainsi, dans ce
cadre, les agences de voyages et les
compagnies aériennes étasuniennes
peuvent désormais offrir leurs services
sans requérir une licence spécifique de
la part du Bureau de contrôle de biens
étrangers (OFAC, Département du Trésor).
Par ailleurs, les citoyens autorisés à
se rendre à Cuba peuvent désormais
utiliser leurs cartes de crédit dans
l’île et ce, sans limite de montant. Ils
sont également autorisés à transporter
jusqu’à 10 000 dollars, et peuvent
rapporter jusqu’à 400 dollars de
marchandise, dont 100 dollars de tabac
et d’alcool [2].
Au niveau des transferts d’argent à
Cuba, il est aujourd’hui possible
d’expédier 2 000 dollars par trimestre,
contre 500 dollars auparavant.
Néanmoins, selon la loi étasunienne, les
hauts-fonctionnaires du gouvernement et
les membres du Parti communiste ne
peuvent toujours pas bénéficier de
l’aide familiale en provenance des
Etats-Unis. Max Lesnik, directeur de la
revue La Nueva Réplica de Miami,
fustige cette restriction : « Pendant
longtemps, on a accusé le gouvernement
de La Havane d’avoir divisé la famille
cubaine pour des raisons politiques et
idéologiques. Or, il s’avère aujourd’hui
que c’est la politique étasunienne qui
sépare les familles de manière
arbitraire en empêchant un Cubain de
Miami d’apporter un soutien à sa mère à
La Havane au prétexte qu’elle est
militante du Parti communiste ou membre
du gouvernement [3] ».
Par ailleurs, les citoyens étasuniens
peuvent également apporter une aide
financière aux Cubains dans le cadre de
projets humanitaires et de développement
du commerce privé, sans limite de
montant [4].
Dans le domaine des télécommunications,
les entreprises étasuniennes pourront
exporter leur technologie à Cuba, dans
le cadre de licences accordées par le
Département du Commerce. Ainsi, les
Cubains peuvent acquérir des
ordinateurs, logiciels, téléphones
portables, téléviseurs, etc. Le secteur
privé cubain pourra également acheter du
matériel de construction et des
équipements agricoles. Les entreprises
nationales en sont cependant exclues. De
la même manière, il sera désormais
possible d’exporter aux Etats-Unis
certaines marchandises produites par le
secteur privé cubain [5].
Cependant, étant donné que l’immense
majorité de la production de biens et de
services est le fait d’entreprises
d’Etat, l’impact de ces mesures reste
très limité [6].
Dans le domaine financier, les
entreprises étasuniennes,
commercialement liées à Cuba, peuvent
désormais ouvrir un compte bancaire dans
une institution financière de l’île.
Enfin, Washington a annoncé la
suspension d’un aspect de la loi
Torricelli de 1992 qui interdisait à
tout bateau étranger accostant dans un
port cubain de se rendre aux Etats-Unis
durant les six mois suivants [7].
En plus de ces mesures, le 21 janvier
2015, Washington a dépêché une
importante délégation à Cuba emmenée par
Roberta Jacobson, sous-secrétaire d’Etat
pour les Affaires interaméricaines, afin
d’entamer les premières discussions en
vue de rétablir les relations
diplomatiques entre les deux nations. Il
s’agit de la plus importante visite
officielle à Cuba depuis trente ans [8].
La marge de manœuvre de Barack Obama
Dans son discours au Congrès, le
Président Obama a exhorté les
parlementaires à lever les sanctions
économiques contre Cuba. « Concernant
Cuba, nous mettons un terme à une
politique qui a dépassé sa date
d’expiration depuis longtemps. Quand ce
que l’on fait ne fonctionne pas pendant
cinquante ans, il est temps d’adopter
une nouvelle approche », a-t-il déclaré.
« Notre changement de politique
vis-à-vis de Cuba peut mettre fin à un
héritage de méfiance dans notre
hémisphère […] et cette année, le
Congrès doit mettre fin à l’embargo », a
conclu Obama [9].
Il est vrai que depuis l’adoption de la
loi Helms-Burton en 1996, seul le
Congrès est habilité à abroger les
différentes lois sur les sanctions
économiques et permettre ainsi le
rétablissement de relations
diplomatiques et commerciales normales
avec Cuba. Néanmoins, Barack Obama
dispose de nombreuses prérogatives
exécutives en tant que Président des
Etats-Unis pour assouplir
considérablement l’état de siège
économique imposé au peuple cubain, en
créant des licences spécifiques.
Par exemple, en 2000, en vertu de
ses facultés exécutives, Bill Clinton a
autorisé la vente de matières premières
alimentaires à Cuba, même si les
conditions imposées restent drastiques
(paiement à l’avance, dans une autre
monnaie que le dollar, sans possibilité
de crédit, etc.). De la même manière, en
septembre 2009, le Président Obama a mis
fin aux restrictions des visites
familiales imposées par George W. Bush
en 2004 à la communauté cubaine des
Etats-Unis (un seul voyage autorisé de
14 jours tous les trois ans et seulement
pour rendre visite aux membres directs
de la famille) et a favorisé les voyages
pour les citoyens étasuniens dans le
cadre de missions bien définies (cf. 12
catégories).
C’est également dans ce cadre que la
Maison-Blanche a annoncé un
assouplissement des restrictions en
décembre 2014, lequel est devenu
effectif en janvier 2015. Selon Josefina
Vidal, Directrice générale pour les
affaires étasuniennes du Ministère des
Affaires étrangères cubain, en charge
des négociations bilatérales avec
Washington, « le Président Obama dispose
de prérogatives illimitées pour vider le
blocus de son contenu fondamental
[10] ».
Ainsi, en
vertu des pouvoirs qui lui sont
conférés,
Barack Obama peut parfaitement autoriser
le commerce bilatéral entre Cuba et les
Etats-Unis et permettre aux entreprises
des deux côtés du détroit de Floride
d’établir des relations normales. Il n’y
a aucune nécessité d’accord de la part
du Congrès. En effet, seules les
filiales des entreprises étasuniennes
établies à l’étranger ne peuvent pas
commercer avec l’île de la Caraïbe, sans
un accord parlementaire, en raison de
l’existence de la loi Torricelli de
1992.
Obama peut également permettre à
Cuba d’acquérir sur le marché mondial
des produits contenant plus de 10% de
composants étasuniens. En effet,
aujourd’hui, tout élément produit en
France, au Japon, au Brésil ou en Chine,
contenant plus de 10% de composants
étasuniens ne peut être vendu à Cuba.
Par exemple, aujourd’hui, La Havane est
considérablement gênée dans le
renouvellement de sa flotte aéronautique
car l’immense majorité des avions vendus
sur le marché mondial contiennent des
composants de fabrication étasunienne.
Le Président pourrait également
autoriser l’importation de produits
fabriqués dans le monde contenant des
matières premières cubaines. A l’heure
d’aujourd’hui, cela est impossible.
Ainsi, si l’entreprise Mercedes souhaite
exporter ses véhicules aux Etats-Unis,
elle doit démontrer au Département du
Trésor qu’ils ne contiennent pas un seul
gramme de nickel cubain. De la même
manière, si Danone veut vendre ses
produits laitiers sur le premier marché
au monde, elle doit prouver à Washington
qu’ils ne contiennent pas un gramme de
sucre cubain. Ces limitations
constituent un sérieux obstacle au
développement du commerce de Cuba avec
le reste du monde.
De la même manière, la Maison-Blanche
pourrait consentir à la vente à crédit
de produits non alimentaires à Cuba. En
effet, si la loi de Réforme des
sanctions économiques de 2000 rend
possible la vente de matières premières
alimentaires à Cuba, elle interdit
l’octroi de crédit pour faciliter ce
type de transaction. Obama pourrait
ainsi approuver l’utilisation de
paiement différé pour les secteurs non
alimentaires.
Par ailleurs, Obama pourrait
également accepter que l’île de la
Caraïbe utilise le dollar dans ses
transactions commerciales et financières
avec le reste du monde. En effet, Cuba
est contrainte à une gymnastique
monétaire délicate dans le domaine du
commerce international et doit supporter
le coût substantiel des opérations de
change dans ses relations avec d’autres
nations du monde. Cela a un impact
financier important pour un petit pays
du Tiers-monde aux ressources limitées.
Ainsi, comme on peut aisément le
constater, le Président Obama dispose de
toutes les prérogatives nécessaires pour
vider de sa substance la loi sur les
sanctions économiques contre Cuba et
amener le Congrès à mettre un terme
définitif à une politique d’un autre
temps.
Docteur ès Etudes
Ibériques et Latino-américaines de
l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage
s’intitule Cuba. Les médias face au
défi de l’impartialité, Paris,
Editions Estrella, 2013 et comporte une
préface d’Eduardo Galeano.
http://www.amazon.fr/Cuba-m%C3%A9dias-face-d%C3%A9fi-limpartialit%C3%A9/dp/2953128433/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1376731937&sr=1-1
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[3]
Entrevue téléphonique du 15
février 2015.
[4]
The White
House,
« Fact Sheet : Charting a New
Course on Cuba”,
op. cit.
[5]
The Associated
Press,
« EEUU permitirá importar
algunos productos de Cuba », 13
février 2015.
[6]
The White
House,
« Fact Sheet : Charting a New
Course on Cuba”, op. cit.
[7]
The White
House,
« Fact Sheet : Charting a New
Course on Cuba”, op. cit.
[8]
Agence France
Presse,
“Estados Unidos y Cuba
reanudarán diálogo el 27 de
febrero en Washington”, 17
février 2015.
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