Entretien
« Cuba est le seul pays qui est
intervenu
en Afrique pour défendre le droit des
peuples
à l’autodétermination,
à la dignité et à la liberté »
Salim Lamrani
© Salim
Lamrani
Jeudi 8 décembre 2016
Voice of America
http://www.voaafrique.com/a/3619259.html
[vidéo]
Voice of
America, qui a débuté ses émissions
en 1942, est un service multimédias
international financé par le
gouvernement des Etats-Unis à travers le
Broadcasting Board of Governors.
La VOA diffuse environ 1 500 heures de
nouvelles, d’informations, de programmes
culturels et éducationnels chaque
semaine, à l’intention de quelque 125
millions d’auditeurs, de téléspectateurs
et de lecteurs. Lors de cet
entretien avec l’universitaire Salim
Lamrani, VOA évoque le rôle de Cuba en
Afrique, le pouvoir de Fidel Castro, la
relation avec les Etats-Unis et la
question des droits de l’homme.
Voice of America : Salim
Lamrani, pourquoi une telle implication
de Cuba en Afrique ? Les Cubains
cherchaient-il ou cherchent-t-il à
exploiter les ressources naturelles dont
regorgent le continent ?
Salim Lamrani : Je crois qu’il faut
rappeler les trois facettes qui
caractérisent le personnage de Fidel
Castro. C’est d’abord l’architecte de la
souveraineté nationale qui a réussi à
faire de Cuba une nation indépendante.
C’est ensuite un réformateur social qui
a mis au centre de son projet de société
l’être humain en universalisant l’accès
à la santé, à l’éducation, à la culture,
au sport, aux loisirs. C’est enfin – et
c’est là sa troisième caractéristique –
un internationaliste qui a toujours
tendu une main fraternelle aux peuples
du Sud et notamment aux peuples qui
luttaient pour leur émancipation. C’est
ce qui explique l’intervention de Cuba
en Afrique.
Cuba a joué un rôle déterminant dans la
libération de l’Afrique australe. Il
convient de rappeler ce que disait
Nelson Mandela lors de son voyage à
Cuba : « Quel autre pays pourrait
prétendre à plus d’altruisme que celui
que Cuba a appliqué dans ses relations
avec l’Afrique ? ». Je crois que cette
citation de Nelson Mandela répond en
quelque sorte à votre question.
Contrairement aux autres nations qui
sont intervenues en Afrique pour piller
les richesses de ce continent, le seul
pays qui est intervenu pour défendre le
droit des Africains à
l’autodétermination, à la dignité et à
la liberté, c’est la nation cubaine,
c’est le peuple cubain et c’est Fidel
Castro.
Je crois que c’est ce qui explique la
popularité de ce personnage non
seulement en Afrique, mais également en
Amérique latine et en Asie. Fidel Castro
est perçu comme étant l’archétype du
combattant contre l’oppression. Il est
perçu comme étant le vecteur d’un
message universel d’émancipation.
VOA : Oui, mais c’est quand même un
personnage controversé, Salim Lamrani, -
je m’excuse de vous interrompre – parce
qu’en Occident nombreux se disent
indignés par la pluie d’éloges après la
mort de Fidel Castro. Pour eux, il était
l’un des derniers dictateurs communistes
de la planète qui s’était agrippé au
pouvoir pendant près de cinquante ans,
un homme qui a fait régner la terreur
sur son île et qui est accusé d’avoir
soumis les 11 millions de Cuba à la
pauvreté collective.
SL : Aucun dirigeant au
monde ne peut rester 30 ans à la tête
d’un pays – puisque Fidel Castro a été
Président de la République de 1976 à
2006 – dans un contexte d’hostilité, de
guerre larvée avec les Etats-Unis sans
un soutien majoritaire du peuple.
La diplomatie étasunienne installée à
Cuba a été très lucide à ce sujet. Je
fais référence à un mémorandum de 2009
rédigé par Jonathan Farrar, qui était
chef de la Section d’intérêts des
Etats-Unis à La Havane, dans lequel il
dit que « ce serait une erreur de
sous-estimer le soutien dont dispose le
gouvernement particulièrement auprès des
communautés populaires et des
étudiants ». Je crois qu’il faut
rappeler cette réalité.
Pour ce qui est de la pauvreté – vous
avez parlé de la pauvreté – je regrette
mais les institutions internationales
contredisent votre point de vue. Selon
l’UNICEF, le seul pays d’Amérique latine
et du Tiers-monde à avoir éliminé la
malnutrition infantile, c’est Cuba.
VOA : Nous nous souvenons de cette
poignée de mains historique entre les
présidents Barack Obama et Raúl Castro
en décembre 2013. C’était à Soweto lors
de la cérémonie d’hommage à Nelson
Mandela, le signe qu’une page était en
train de se tourner. Effectivement, un
an plus tard, le rapprochement était
annoncé. La mort de Fidel Castro
va-t-elle rapprocher davantage Cuba et
les Etats-Unis, d’après-vous ?
SL : Tout dépend, en
définitive, des Etats-Unis parce qu’il
faut rappeler que le conflit entre
Washington et La Havane est asymétrique.
Il y a, d’une part, une puissance, les
Etats-Unis, qui impose des sanctions à
Cuba. L’agression et l’hostilité sont
unilatérales. Ce sont les Etats-Unis qui
occupent de manière illégale et
illégitime une partie du territoire
souverain de Cuba (Guantanamo). Ce sont
les Etats-Unis qui exigent un changement
de régime.
Je crois que le Président Barack Obama a
fait un constat très lucide lorsqu’il a
accepté de dialoguer avec La Havane. Il
s’est rendu compte que la politique
d’hostilité était anachronique car elle
remonte à la Guerre froide. Elle est
cruelle parce que les sanctions
économiques affectent les catégories les
plus vulnérables de la population. En
outre, elle est inefficace puisqu’au
lieu d’isoler Cuba sur la scène
internationale, elle a isolé les
Etats-Unis. Même les alliés les plus
fidèles des Etats-Unis exigent une levée
des sanctions économiques, qui
constituent le principal obstacle au
développement du pays.
Je crois qu’il faudra poser la question
au prochain président des Etats-Unis.
Souhaite-t-il entretenir des relations
cordiales et pacifiques avec Cuba ou
souhaite-t-il revenir à une politique de
confrontation et d’hostilité ?
VOA : Il y a eu cette mise en garde
de Donald Trump. Il a menacé de mettre
fin au rapprochement historique avec
Cuba si La Havane ne donnait pas plus de
contreparties en matière de droits de
l’homme et d’ouverture économique. Qu’en
est-il de l’ouverture économique de
Cuba ?
SL : Un petit mot
rapidement sur la question des droits de
l’homme. Je crois que le Président
Donald Trump qui exige des changements
au niveau de la situation des droits de
l’homme à Cuba serait inspiré de lire le
dernier rapport d’Amnesty International
sur Cuba et de le comparer avec celui
sur les Etats-Unis. En comparant les
deux rapports, on se rend compte que le
plus mauvais élève n’est pas celui que
l’on croit. Donald Trump et les
Etats-Unis ne disposent pas de la
légitimité nécessaire pour disserter sur
la question des droits de l’homme.
Pour ce qui est du modèle économique, il
faut rappeler que Cuba est une nation
souveraine. Il revient donc aux Cubains
de décider de leur système politique, de
leur modèle social et de leur modèle
économique. Ce n’est pas à Donald Trump
ni aux Etats-Unis d’imposer un modèle et
de parler d’économie de marché. Selon le
Droit international, depuis le Congrès
de Westphalie de 1648, il y a une
égalité souveraine entre les Etats. Il y
a un principe qui s’appelle la
non-ingérence dans les affaires
internes. Je crois donc que le système
économique ne doit pas être imposé par
une puissance étrangère.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel
ouvrage s’intitule Fidel Castro,
héros des déshérités, Paris,
Editions Estrella, 2016. Préface
d’Ignacio Ramonet.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
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