Amérique latine
« Les Cubains ne sont pas prêts à
négocier
la souveraineté nationale »
Salim Lamrani
© Salim
Lamrani
Mercredi 8 février 2017
Jacques Sapir
Sputnik Radio
https://fr.sputniknews.com/radio_sapir/201702031029932667-cuba-castro/
Le récent décès de Fidel Castro
a remis Cuba au centre de l’actualité.
Mais quelle est la situation économique
et politique de l’île? Entretien avec
Salim Lamrani, spécialiste de Cuba.
Jacques
Saphir : Peut-on penser qu’il y aura
moins de répression politique dans les
années qui viennent ?
Salim
Lamrani : Je crois qu’il faut resituer
la réalité cubaine dans la problématique
latino-américaine, notamment en ce qui
concerne la question des droits de
l’homme. Il est vrai qu’en Occident nous
parlons beaucoup de répression
politique. Mais je tiens à rappeler le
contenu du dernier rapport d’Amnesty
International. Selon Amnesty
International, il n’y a aucun pays en
Amérique, du Canada à l’Argentine, qui
présente une meilleure situation des
droits de l’homme que Cuba. Ce n’est pas
moi qui le dis. Ce n’est pas une
affirmation du gouvernement cubain.
C’est le résultat d’une analyse
comparative des rapports d’Amnesty
International. Je crois qu’il faut
rappeler cette réalité dès lors qu’il
s’agit de disserter sur la question des
droits de l’homme.
Ensuite, quand on parle de répression
politique ou de la question de la
dissidence à Cuba, il faut rappeler que
l’un des principaux piliers de la
politique étrangère des Etats-Unis
depuis 1960 est de financer, d’organiser
une opposition interne à Cuba dans le
but de renverser l’ordre établi. Si
cette politique a été clandestine
jusqu’en 1991, c’est une politique
reconnue par Washington depuis 1992 et
l’adoption de la loi Torricelli. Il faut
rappeler que tout dissident qui
recevrait des émoluments d’une puissance
étrangère – et c’est le cas des
opposants politiques qui ont été
emprisonnés par le passé à Cuba – tombe
sous le coup de la loi pénale à Cuba.
Mais ce serait la même chose en France
ou dans n’importe quel pays occidental
qui typifie comme délit le fait de
recevoir un financement d’une puissance
étrangère dans le but de remettre en
cause l’ordre établi.
Une fois que l’on a rappelé cela, la
perspective est différente et l’image de
Cuba change.
Jacques
Saphir : On se demande si Cuba ne va pas
être mise en face d’un défi nouveau.
Regardons la situation. Il y a une
nouvelle génération à Cuba qui n’a pas
connu l’avant-Castro et la situation de
l’île avant 1959. Aujourd’hui, elle a
des attentes d’autant plus importantes
qu’il s’agit d’une population jeune
particulièrement bien éduquée. D’une
certaine manière, le gouvernement cubain
n’est-il pas confronté au défi de
satisfaire aux attentes de cette
nouvelle génération ?
Salim
Lamrani : Vous avez raison de souligner
que Cuba fait face à un nouveau défi. Je
dirais qu’il s’agit d’un triple défi.
Tout d’abord, Cuba est confrontée à un
renouvellement générationnel. En effet,
par les lois de la nature, la génération
qui a fait la révolution va céder le
pouvoir dans les années qui viennent. Il
reste un an de présidence à Raúl Castro.
Ensuite, il y a le défi de
l’actualisation du modèle économique.
Enfin, le troisième défi est la nouvelle
relation avec les Etats-Unis.
Néanmoins, il convient de rappeler que
dès le triomphe de la Révolution cubaine
en 1959, le pays a été confronté à des
défis titanesques. Le premier a été,
bien entendu, l’hostilité des Etats-Unis
qui dure jusqu’à aujourd’hui, malgré la
politique de rapprochement entreprise
par le Président Obama en décembre 2014.
Les Cubains, au cours de leur Histoire,
ont toujours répondu avec beaucoup
d’intelligence aux nouvelles réalités.
Notons que les principales aspirations
de la jeunesse cubaine d’aujourd’hui ne
sont pas d’ordre politique mais
matériel. Les Cubains, y compris les
catégories les plus insatisfaites – qui
existent, bien entendu, comme dans toute
société – ne sont pas prêts à négocier
la souveraineté nationale,
l’indépendance qui est la principale
conquête de la Révolution cubaine. Cette
jeunesse n’aspire pas non plus à un
changement du système politique. Quand
on discute avec les nouvelles
générations, on se rend compte qu’il n’y
a pas de revendications d’ordre
politique. La jeunesse cubaine aspire à
avoir un meilleur confort matériel.
C’est une aspiration légitime du peuple
cubain qui a beaucoup souffert, surtout
depuis la Période spéciale après
l’effondrement de l’Union soviétique et
la recrudescence des sanctions
économiques de la part des Etats-Unis.
En 1992, au lieu de normaliser les
relations avec Cuba – puisque l’ennemi
historique, l’URSS, avait disparu –
Washington a accru l’hostilité et
l’agression contre Cuba. Il faut
rappeler que les sanctions économiques
constituent le principal obstacle au
développement du pays.
Les Cubains ont atteint un niveau de
développement humain similaire à celui
des pays les plus riches et ont résolu
les nécessités de base. La grande
différence entre la réalité cubaine et
la réalité latino-américaine et du
Tiers-monde est qu’à Cuba les besoins
basiques ont été satisfaits. Tous les
Cubains mangent trois fois par jour, ont
accès à un logement, à l’éducation, à la
santé, à la culture, au sport – qui est
fondamental pour le développement
physique et intellectuel du citoyen. Ces
acquis à Cuba sont encore des
aspirations dans les pays d’Amérique
latine et du Tiers-monde.
Cela dit, les Cubains aspirent à un
meilleur confort matériel. Pour cela, il
faut que l’économie cubaine augmente sa
production. Pour cela, il est
indispensable que le principal obstacle
au développement du pays soit levé et
que les Etats-Unis mettent un terme aux
sanctions économiques. Il y a un nouveau
président aux Etats-Unis dont le
discours à l’égard de Cuba a été quelque
peu contradictoire. Dans un premier
temps, il a salué la lucidité du
Président Obama qui a reconnu que la
politique d’hostilité était un échec et
qui a décidé de dialoguer avec La
Havane. Par la suite, le discours de
Trump a évolué.
Il convient de rappeler que depuis 1959
les autorités cubaines ont toujours fait
part de leur disposition à dialoguer
avec les Etats-Unis à condition que
trois principes soient respectés : la
non-ingérence dans les affaires
internes, l’égalité souveraine et la
réciprocité. Les Cubains ont toujours
exprimé la volonté de résoudre de
manière pacifique et cordiale les
différends qui opposent Washington à La
Havane.
Je crois donc que le nouveau défi auquel
est confrontée Cuba est la question
économique. Il faut améliorer la
production. J’insiste une fois de plus :
je ne crois pas qu’il y ait de
revendication de changement de système
économique. Les Cubains sont lucides et
cultivés. Ils connaissent les réalités
du monde. Quand on leur propose un
changement de modèle, leur première
question est la suivante : « Quel modèle
proposez-vous ? ». S’agit-il du modèle
en vigueur dans les pays occidentaux où
l’on voit, par exemple, qu’un pays aussi
riche que la France, cinquième puissance
mondiale, compte neuf millions de
pauvres ? Propose-t-on la réalité
mexicaine ou latino-américaine aux
Cubains ? Les Cubains ne souhaitent pas
de changement de modèle et aspirent à
améliorer le leur.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage s’intitule Fidel
Castro, héros des déshérités, Paris,
Editions Estrella, 2016. Préface
d’Ignacio Ramonet.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
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