Amérique latine
En direct du Venezuela :
La
mayonnaise Guaido ne prend pas
Romain Migus
Jeudi 7 février 2019
Caracas. 7
heures du matin. Le soleil se pose
sur les montagnes de l’Avila entourant
la ville, qui commence à fourmiller. Des
files de personnes descendent la colline
où se perche le barrio El Manicomio pour
rejoindre l’avenue Sucre, l’artère
principale qui se faufile entre les
quartiers populaires de l’Ouest de la
Capitale. Des dizaines d’enfants en
uniforme scolaire, certains cavalant
d’autres aux mains de leurs mamans
prennent le chemin de l’école. Je pense
à ma fille qui elle, en raison d’un
conflit social en France, restera à la
maison. A quelques
encablures de là, des militaires en
armes boivent un café au check point qui
mène à Miraflores, le Palais
Présidentiel. L’image de Caracas
respirant la normalité contraste
brutalement avec celle que l’on peut
avoir d’un pays menacé d’intervention
militaire par l’administration Trump.
Une vie quotidienne
à mille lieux des annonces de la
« révolution vénézuélienne » qui
commence à s’imposer dans nos médias.
Juan Guaido,
nouveau Frankenstein politique crée par
la Maison Blanche, est un produit
médiatique qui se vend surtout à
l’extérieur du pays. Un peu comme nos
mauvais vins, ou les médicaments
anti-paludisme produits par Sanofi. Ça
n’a aucun intérêt pour la population
locale. La majorité des vénézuéliens ne
semblent pas vouloir consommer ce
produit. Croisé par hasard, Alejandro,
un jeune boxeur vénézuélien opposant à
la Révolution Bolivarienne me confiera :
« J’aime pas Maduro, il est nul, mais
vraiment nul. Mais aujourd’hui, on a le
choix entre ça et retourner à
l’esclavage. Il n’y a pas de sortie ».
Alejandro résume assez bien le point de
vue d’une partie de l’opposition. Malgré
l’intransigeance de Guaido, la
guerre civile n’est pas une option.
La mayonnaise
putschiste ne prend pas au pays. Peu
importe, elle est un rouage essentiel
dans la story-telling occidentale
pour justifier un renversement de
régime. Un cynisme absolu, imposé par
les États-Unis, et récemment validé par
le président Macron.
Plus occupé à
résoudre un quotidien affecté
par un infâme blocus économique, les
habitants de la Capitale ne semblent
guère prêter attention aux
gesticulations des députés de
l’opposition, réunis ce mardi 5 février
en session plénière. Sur la place
Bolivar, situés à cent mètres, un
spectacle de break dance capte
l’attention de plusieurs centaines de
personnes.
Le Capitole est un
symbole de la confrontation des pouvoirs
et des tensions de la vie politique
vénézuélienne. Passé l’entrée
principale, les députés à l’Assemblée
Nationale rejoignent l’hémicycle, situé
sur leur gauche. Les députés à
l’Assemblée Nationale Constituante eux
prennent la direction opposée, vers le salón
Elíptico, siège de l’ancien sénat.
Les deux salles se font face, comme pour
ancrer symboliquement le conflit de
pouvoirs et de légitimité. Les députés
des deux assemblées se croisent à
l’entrée, ne se saluent pas, se défient.
« C’est assez symbolique en effet,
nous dit Tania Diaz, vice-présidente de
l’Assemblée Constituante. La seule
chose qui ne l’est pas, c’est que, passé
l’entrée, nous devons aller à droite, et
eux à gauche », ajoute-t-elle en
riant.
Une situation
certes inédite, dans l’histoire de cette
République, mais qui balaie les
accusations d’État failli, de
« dictature totalitaire », ainsi que
tous les éléments de langage mis en
place par Washington et repris à
l’unisson par le système médiatique.
Ce mardi,
l’opposition a retouché
et voté sa loi sur la Transition pour
tenter de masquer sous un vernis
officiel la construction de leur
para-Etat. Étrangement, aucune
personnalité politique ni aucun média ne
relève que cette « loi sur la
Transition » autorise l’Assemblée
Nationale à s’arroger illégalement tous
les pouvoirs de la République
Bolivarienne du Venezuela. Comment
appelleriez vous ca ? Un coup d’Etat ?
Dans la novlangue trumpienne, désormais
parlée dans l’Union européenne, on
considère ça comme « une transition
démocratique ». Et qu’importe le Peuple.
Le pouvoir de
Guaido va donc nommer un Pouvoir
électoral parallèle dans le but
d’organiser un simulacre d’élection. Ce
scénario aurait plus de succès sur
Netflix, mais là encore il est
nécessaire pour imposer leur légitimité
dans l’opinion publique internationale.
Soit les politiciens d’opposition
réalisent une élection sans aucun
contrôle, et médiatiquement ils pourront
légitimer un pouvoir fantoche dans
l’opinion publique internationale, soit
ils poussent Nicolas Maduro à interdire
un scrutin illégal et truqué d’avance,
et l’image du président sera dégradée à
l’étranger. Pile ou face, tu gagnes.
Notons au passage,
que le « chavisme critique » soutient
cette tentative de coup d’Etat
institutionnel. Ce mouvement politique
est un regroupement d’universitaires
dont les voix sont abondamment relayées
par leurs pairs européens malgré leur
manque absolu de responsabilités
politiques et de légitimité
démocratique. Lorsqu’ils décident
de soutenir électoralement un candidat,
celui-ci peine à arriver à 0,5%
des voix.
Le 5 février, les
représentants les plus éminents de
l’extrême gauche intellectuelle
vénézuélienne ont rencontré Guaido pour
ne pas être exclus de la partie si
jamais le coup d’Etat réussissait. Cette
réunion met un terme définitif à la
fable d’un « chavisme critique », censé
représenter un courant politique
indépendant. Imagine-t-on un « gaullisme
critique » négocier avec Pétain leur
participation au régime de Vichy ? Cette
« troisième voie » imaginaire tant
promue hors du pays (encore une fois) a
désormais choisi son coté de la
tranchée. Le slogan « Ni Maduro Ni
Guaido », scandés par leurs réseaux
internationaux vient de voler en éclats.
Il serait donc judicieux que les
soutiens étrangers de ce courant de
l’opposition adoptent la position de
leurs mentors vénézuéliens et s’alignent
ouvertement sur les positions de Trump,
de Bolsonaro, d’Uribe, de Macron.
Edgardo Lander,
Gonzalo Gomez, Santiago Arconada, Nicmer
Evans,
OIy
Millan, Hector Navarro se
réunissent avec
Guaido
Comme la marque
Guaido n’arrive pas à s’imposer dans le
marché politique vénézuélien,
l’opposition prépare une nouvelle action
destinée à ternir l’image du président
Maduro au niveau international. La
demande d’aide humanitaire est un
leurre. Les 20 millions de dollars
promis par Trump pour résoudre les
problèmes des vénézuéliens est une
faible aumône. Cette somme représente
l’équivalent de 800.000 caisses de
nourritures CLAP. En comparaison, le
gouvernement bolivarien en achète 6
millions par mois. Et ces miettes ne
sont rien en comparaison des 23
milliards de dollars de pertes
économiques dues aux
sanctions financières et au blocus.
Encore une fois, il
s’agit d’une opération politique visant
à décrédibiliser Nicolas Maduro au
niveau international. Soit le président
autorise le passage de convois et assume
la violation de la souveraineté
territoriale depuis la Colombie, soit il
refuse et les médias ne manquerons pas
de dénoncer l’infâme Maduro,
affamant son peuple. Répétons-le encore
une fois : les pays qui feignent de se
préoccuper du sort des vénézuéliens
ferait bien de lever le
blocus qui les martyrise.
Face à ce scénario,
la grande inconnue reste la patience de
l’Oncle Sam. Quelle sera la prochaine
étape lorsqu’ils admettront que le
médiatique Guaido ne parviendra pas à
s’imposer sur la scène nationale ?
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