Les 7 du Québec
L'illustration chinoise.
La Chine en mode impérialiste
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 28 octobre 2015
http://www.les7duquebec.com/...
Afin d’illustrer notre propos,
examinons l’exemple de la Chine, une
puissance capitaliste « émergente »
aujourd’hui parvenue au stade
impérialiste de son développement
capitaliste.
Sous le mode de production
capitaliste expansionniste les pays dits
« émergents » ont vocation de se
transformer de régions d’accumulation
primitive du capital en régions
exportatrices de capitaux suite à la
montée en gamme de leur production.
La stratégie de délocalisation des
entreprises multinationales,
migrantes des pays développés vers les
pays sous-développés, contribue
fortement à ce phénomène.
La montée en gamme de la production
requiert la mécanisation, la
robotisation, l’informatisation et la
rationalisation de la production. Cette
impulsion provient soit de source
locale, soit de source internationale,
ou des deux à la fois comme c’est le cas
en Chine au stade impérialiste. Tout
ceci entraine l’accroissement de
l’accumulation de plus-value relative et
extra et la diminution en importance de
l’accumulation de plus-value absolue.
Les analystes le soulignent la
main-d’œuvre pour faire fonctionner ces
robots informatisés (ce capital constant
couteux) doit être qualifiée. Elle est
plus couteuse à produire et elle est
donc plus couteuse sur le marché de
l’emploi d’où les hausses de salaire qui
accompagnent cette évolution de pays
capitaliste émergent à pays capitaliste
accédant au stade impérialiste.
Sans cette mutation industrielle,
financière, commerciale et sociale, les
capitalistes nationaux des pays dits
« émergents » ne sauraient s’imbriquer
dans la toile mondiale des réseaux
intercapitalistes et accéder au statut
de capitalistes monopolistes en phase
impérialiste.
La figure 1 présente l’évolution
comparée des PIB de la Chine et des
autres pays du BRIC en relation avec les
États-Unis, première puissance
économique mondiale (2007-2012).
Figure 1.
Évolution comparative du PIB des BRIC en
relation au PIB des États-Unis.
Source
http://www.robingoodfellow.info/pagesfr/rubriques/Bresil.htm
Nous savons que le niveau des
exportations de marchandise de la Chine
est relativement élevé pour un pays de
cette taille économique. De plus, une
large part des exportations chinoises
(+50%) provient d’entreprises
détenues par des multinationales,
notamment américaines, installées sur
son territoire. On doit aussi souligner
la faiblesse du commerce net qu’illustre
des exemples comme la production de l’iPad
de la firme
Apple où la valeur des
intrants est très près de la valeur du
produit exporté de Chine (cependant
éloigné de la valeur d’échange), ce qui
signifie que l’opération d’assemblage ne
laisse pas grand-chose dans l’économie
chinoise si ce n’est le salaire des
travailleurs (ce qui n’est pas rien).
Cela traduit l’importance des activités
d’assemblage dans les exportations
chinoises, pays où prévaut, encore
aujourd’hui, la production de plus-value
absolue caractéristique de la phase du
« take off » industriel et
d’accumulation primitive du capital.
L’économie capitaliste chinoise est
cependant en pleine mutation alors
qu’elle poursuit son intégration à
l’économie impérialiste mondiale.
La structure de l’économie
chinoise
L’économie chinoise présente à la
fois des reliquats de sa phase de
décollage industriel (production massive
de plus-value absolue) et des
caractéristiques de modernisme et de
production d’une abondante plus-value
relative et extra grâce à
l’intensification de la composition
organique de son capital (innovation
technologique, mécanisation,
robotisation, informatisation et
rationalisation de la production).
Récemment la Chine a haussé de 10% la
valeur de sa monnaie nationale et elle
poursuivra cette augmentation afin de
se conformer aux exigences du FMI qui
intègrera le yuan
aux paniers de devises devant fixer les
droits de tirage spéciaux (DTS), ce qui
constituera une autre mesure
d’intégration systémique de l’économie
chinoise à la sphère économique
impérialiste internationale. De plus, la
hausse de valeur du yuan rend les
marchandises exportées plus onéreuses
et contribue ainsi à équilibrer la
balance commerciale de la Chine
(beaucoup trop excédentaire). La Chine
cherche aussi à augmenter sa
consommation nationale et ainsi se
rendre moins dépendante des exportations
vers l’Occident. C’est aussi une façon
pour les capitalistes chinois de
récupérer la valeur marchande abandonnée
aux ouvriers mieux payés.
Réévaluer ou dévaluer le
yuan ?
Réévaluer ou dévaluer la monnaie
chinoise pose un problème paradoxal. Du
point de vue de la production de
plus-value absolue (assemblage et
production de produits bas de gamme), un
yuan faible
combiné aux traités de libre-échange
(abattant les barrières tarifaires) sont
les solutions optimales, car ils
permettent d’écouler les marchandises
chinoises à bas prix sur les marchés
occidentaux. Une partie des capitalistes
étatsuniens et européens trouvent le
plus grand avantage à voir figer la
valeur du yuan
et à ouvrir les frontières occidentales
aux importations chinoises, d’autant que
les entreprises multinationales
« occidentales » assument plus de la
moitié des exportations chinoises. Mais,
dès lors que cette production accapare
trop de main-d’œuvre chinoise et menace
la production de plus-value relative et
extra, des pressions protectionnistes se
font sentir visant à réduire les
exportations de produits bas de gamme,
et à bloquer l’importation de produits
haut de gamme (riches en plus-value
relative et extra) et donc à apprécier
la valeur du yuan
par rapport au dollar et à l’euro, signe
évident que la Chine complète sa
mutation vers la phase ultime
impérialiste de son économie.
C’est que le travail du prolétaire
chinois, du fait du développement plus
rapide de sa productivité, reçoit sur le
marché mondial un poids spécifique plus
élevé. Le Renminbi
(yuan)
s’apprécie donc et freine la
compétitivité des produits chinois tout
en ouvrant les marchés de Chine à
la concurrence étrangère.
Développement du marché
intérieur chinois
Considérer la Chine simplement comme
l’atelier du monde impérialiste, soumis
à la demande des régions développées,
serait nier son développement autonome à
partir de son propre marché (1,3
milliard de consommateurs). Si
l’assemblage reste une composante
importante de l’activité exportatrice,
il ne doit pas faire oublier les autres
secteurs de son développement économique
impérialiste. La part des exportations
des marchandises assemblées dans le PIB
est très élevée, mais ces produits ne
constituent pas les seuls composants du
commerce international chinois où l’on
assiste à une montée en gamme de la
production comme le souligne l’extrait
suivant :
« Le gonflement de l’excédent
commercial était aux deux tiers
attribuables aux activités d’assemblage.
Attirés par les faibles couts d’entrée
dans ces activités, les investisseurs
étrangers ont développé en Chine des
sites de production globalisés
étroitement liés à une demande
extérieure en forte expansion (à crédit
il ne faut pas l’oublier NDLR),
notamment dans les biens électroniques.
Mais le « commerce ordinaire » a
contribué aussi à la montée de
l’excédent global en passant d’un léger
déficit à un excédent massif. Ce
retournement de position était
principalement dû aux investissements
des entreprises chinoises dans deux
secteurs de l’industrie lourde :
« Machineries » et « Métaux de base ».
La demande internationale et les
politiques nationales de substitution
aux importations ont alimenté ainsi
l’explosion de l’excédent
commercial »(1).
La nature des exportations ainsi que
des importations montre à l’évidence un
développement croissant de la Chine à
partir de sa propre valorisation et de
sa propre accumulation de capitaux.
Figure 2.
Part dans le commerce manufacturier
mondial des principaux exportateurs de
biens manufacturés. Graphique extrait de
« Le rééquilibrage de l’économie
chinoise : État des lieux ». Françoise
Lemoine et Denis Ünal.
Figure 3.
Solde commercial de la Chine en % du
PIB. Graphique extrait de
« Rééquilibrage de l’économie chinoise :
État des lieux ». Françoise Lemoine et
Denis Ünal.
Figure 4.
Valeur des importations. Extrait de « Le
rééquilibrage de l’économie chinoise :
État des lieux ». Françoise Lemoine et
Denis Ünal
À côté des investissements étrangers,
réaliser pour une bonne part en
partenariat avec l’État chinois, se
développent une industrie nationale, des
entreprises et des banques
multinationales dont le capital initial
est localisé en Chine. Ainsi, le
classement par le magazine Fortune des
500 premières entreprises mondiales
établit que la Chine occupe le deuxième
rang avec 98 entreprises, auxquelles il
conviendrait d’ajouter les entreprises
dont le siège social est situé à Hong
Kong (2).
« Il s’agit pour l’essentiel
d’entreprises d’État intervenant dans
l’industrie sidérurgie, automobile,
produits chimiques, etc. ou dans la
finance (Banques industrielles et
commerciales de Chine). Dans le
classement des plus grandes entreprises
chinoises, montre que sur les 123
sociétés qui ont un chiffre d’affaires
supérieur à 100 milliards de yuans on ne
trouve que 16 sociétés privées. Le
numéro 1 est le pétrolier Sinopec suivi
du plus grand producteur national de
pétrole et de gaz (China National
Petroleum Corporation, société mère de
PetroChina). Pour obtenir les dix
premières il faut ajouter State Grid,
Industrial and Commercial Bank of China,
China Construction Bank, Agricultural
Bank of China, Bank of China, China
Mobile, China State Construction et
China National Offshore Oil Corporation,
soit 8 autres entreprises d’État. Ces
entreprises d’État n’ont qu’une
rentabilité relative, comme le montre la
répartition des résultats. Les
neuf banques commerciales chinoises de
ce classement obtiennent plus de 55% des
bénéfices totaux des 98 entreprises
chinoises. Ces faits et les
déséquilibres qu’ils indiquent ne
doivent pas occulter la dynamique des
entreprises privées. En novembre 2013,
la Chine comptait 15,04 millions
d’entreprises (la croissance mensuelle
est supérieure à 1%) pour un capital
social de 95 290 milliards de yuans.
Parmi celles-ci, on trouve 446.400
entreprises à capitaux étrangers dont le
capital social était de 12 320 milliards
de yuans (2 020 milliards de dollars) »
(3).
Aux côtés des entreprises
industrielles et financières
administrées par l’État chinois,
secteurs qui jouent encore un rôle
prépondérant, aux côtés des entreprises
à capitaux étrangers, se développe un
capitalisme privé très dynamique. Il
représente la majorité (61% en 2012) des
investissements chinois à l’étranger. Si
ceux-ci sont loin d’égaler les
investissements étrangers en Chine, les
flux actuels, soient 87,8 milliards de
dollars sortants contre 121 milliards de
dollars entrants (2012), montrent que
l’écart n’est plus que de 40% et va en
s’amenuisant.
Marx n’avait-il pas écrit, il y a
plus d’un siècle, « De nos jours, ces
aspirations ont été de beaucoup
dépassées, grâce à la
concurrence cosmopolite dans laquelle le
développement de la production
capitaliste a jeté tous les travailleurs
du globe. Il ne s’agit plus
seulement de réduire les salaires
anglais au niveau de ceux de l’Europe
continentale, mais de faire descendre,
dans un avenir plus ou moins prochain,
du niveau européen au niveau des
Chinois. Voilà la perspective que M.
Stapleton, membre du Parlement anglais,
est venu dévoiler à ses électeurs dans
une adresse sur le prix du travail à
l’avenir. « Si la Chine, dit-il, devient
un grand pays manufacturier, je ne vois
pas comment la population industrielle
de l’Europe saurait soutenir la lutte
sans descendre au niveau de ses
concurrents » » (4).
La crise systémique du
capitalisme
La crise de 2007-2009 dont les effets
sont loin d’être résorbés a frappé la
Chine comme d’autres groupes
capitalistes monopolistes mondiaux. Le
niveau de l’accumulation du capitalisme
d’État, ainsi qu’une politique de
soutien aux entreprises privées ont
permis de limiter les dégâts. En Chine,
si dépendante des marchés étrangers, les
conséquences de cette crise et des
dépenses de soutien étatique sont loin
d’être surmontées. À mesure qu’elle
grimpe en gamme dans l’échelle
industrielle elle laisse vacants les
échelons inférieurs. Dès lors, que
d’autres pays peuvent produire ce
qu’elle est capable de produire, ils
sont à même de la concurrencer
efficacement. L’Inde notamment, suivra
fidèlement cette filière de mutation
normale du statut de capitalisme
ascendant « émergeant » vers le stade
d’impérialisme descendant « décadent ».
Quelles sont les conséquences de
cette crise qui n’est pas terminée ?
Pour autant que la Chine soit soumise à
des capitaux étrangers, ceux-ci vont
délocaliser une partie de leur
production ailleurs (la Coréenne
Samsung par exemple se
tourne vers le Vietnam, la Chinoise
Foxconn lorgne vers l’Indonésie), tandis
que d’autres, c’est le cas de certaines
entreprises américaines, rapatrient leur
production aux États-Unis où ils ont
créé des conditions de production de
plus-value absolue comme au temps des
premiers développements capitalistes
misérabilistes comme nous le décrivons
ailleurs dans ce livre. Certains
secteurs, comme le secteur du textile,
sont dominés par des capitalistes
autochtones chinois qui délocalisent
leur production vers les pays moins
développés (Inde, Éthiopie), signe
évident de la pleine intégration
impérialiste de l’économie chinoise
maintenant en quête de plus-value
absolue, relative et extra via
l’exploitation d’un nouveau prolétariat
sous-payé. La conséquence est qu’une
nouvelle division internationale du
travail se met en place. Le bas de gamme
tend à être produit dans ces nouveaux
pays industriels émergents tandis que la
Chine impérialiste conserve la
production de produits plus
sophistiqués. Elle s’efforce de
développer des politiques des marques
afin de contrer la concurrence
occidentale, de fournir des produits de
luxe (à forte valeur marchande),
remontant ainsi vers le haut de gamme
tout en entrant en concurrence avec les
pays de la première génération
impérialiste mondiale (les pays
occidentaux). Voilà schématiquement
esquissées les conséquences de
l’application des lois de la valeur, de
la plus-value et de la valorisation de
la plus-value pour la reproduction
élargie du capital sous le mode de
production capitaliste au stade ultime,
impérialiste, de développement.
Pourquoi, en dépit du fait que les
observations démontrent le contraire
certains économistes soutiennent-ils la
thèse que l’impérialisme préserve la
division internationale du travail en
maintenant la production de plus-value
absolue dans les pays sous-développés et
la production de plus-value relative
dans les pays avancés pour maintenir le
« taux de profit global » ? Il n’y a
pourtant pas de « taux de profit
global mondial » de la totalité du
capital social. On ne peut pas confondre
le niveau d’abstraction que Marx réalise
quand il fait abstraction du commerce
extérieur en étudiant le capital en
général, avec la compréhension du
capital comme un deus ex machina,
comme une totalité abstraite. Même dans
le Livre II du Capital quand Marx
analyse les schémas de reproduction à un
haut niveau d’abstraction pour étudier
certains phénomènes et pour lequel on
pourrait imaginer un État-nation unique
couvrant le monde entier, et un marché
unique sans commerce extérieur, Marx
laisse clairement entendre qu’il s’agit
d’un modèle abstrait et que le commerce
extérieur est un moment nécessaire du
cycle de reproduction capitaliste (5).
L’ultime phase impérialiste
du capitalisme moribond
Considérer l’existence d’un « taux de
profit global mondial » implique
d’assumer l’existence d’une égalisation
(péréquation) des taux de profits
nationaux à l’échelle internationale,
comme si les États-nations étaient des
régions économiques d’un seul et unique
« État multinational », regroupant
l’ensemble du capital mondial. Pour Marx
cette égalisation n’existait pas au XIXe
siècle. Or, l’égalisation des taux de
profit entre divers segments nationaux
et secteurs économiques du capital
suppose une similitude dans les taux de
productivité et dans l’intensité du
travail entre les branches du capital
d’un marché national. Mais sur le marché
mondial prévaut au contraire l’inégalité
de la productivité et de l’intensité du
travail entre les États-nations qui à la
longue comme nous venons de le démontrer
dans l’illustration chinoise finiront
par s’égaliser, vers le bas (baisse
tendancielle des taux de profits). C’est
exactement cela l’ultime phase
impérialiste du mode de production
capitaliste.
C’est ainsi qu’entrainés par ses lois
de développement c’est-à-dire par la
poursuite de la valorisation du capital
et la production de plus-value (absolue,
relative et extra), pourtant de plus en
plus difficile à reproduire, le mode de
production capitaliste entre en phase
impérialiste quand il est forcé de
conquérir de nouveaux espaces de
production, d’harnacher de nouveaux
marchés et d’acquérir de nouvelles zones
d’exploitation de la force de travail,
d’arracher de nouvelles concessions au
travail salarié pour assurer sa
reproduction élargie. Les premiers pays
développés sont bientôt dépassés par les
aspirants de la seconde vague, qui
seront eux-mêmes dépassés par les
soupirants suivants, et ainsi de suite
jusqu’à ce que la planète tout entière
ait été réaménagée, déchirée, défigurée
par le capital incapable de surmonter
ses contradictions internes et externes
(relativement à l’environnement). La
menace d’une grande dépression, suivit
d’une guerre de destruction des moyens
de production sont alors éminent.
Nous y sommes. Voici la rose, ouvriers,
danser maintenant !
(1) «Le rééquilibrage de
l’économie chinoise : État des lieux ».
Françoise Lemoine et Denis ünal. http://www.insee.fr/fr/insee-statistique-publique/connaitre/colloques/acn/pdf14/acn14-session2-4-diaporama.pdf.
Voir aussi :
http://www.insee.fr/fr/insee-statistique-publique/connaitre/colloques/acn/pdf14/acn14-session2-4-texte.pdf
et
http://www.contrepoints.org/2014/03/04/158423-le-rebalancement-de-leconomie-chinoise
(2)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fortune_Global_500#Classement_2014
(3)
http://www.robingoodfellow.info/pagesfr/rubriques/Bresil.htm
(4) Marx, K. Le Capital, Livre I,
Pléiade, T., p.1106-1107.
(5) Gérard Bad. Théorie de la
décadence, théorie de l’effondrement,
cours catastrophique du capital en crise
finale. Paris. Janvier 2009.
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