Opinion
Le référendum écossais sans intérêt
Robert Bibeau
Mercredi 24 septembre 2014
Nous venons d’assister à une vaste
mystification lors de ce référendum en
Écosse le 18 septembre dernier. La
question posée lors de cette
consultation ne reflétait nullement
l’enjeu de la rixe électorale entre les
forces en chicane.
Ainsi, la question allait comme suit :
«
Should Scotland be an independent
country ? »
:
Yes or No ? Mensonge et
duperie puisqu’en aucune façon la
population écossaise n’avait
l’opportunité d’accéder par ce vote à
l’indépendance économique, idéologique
ou même politique.
Aucun pays ne
connaît l’indépendance économique,
idéologique ou politique, ni les
États-Unis, ni le Royaume-Uni, ni la
France, ni la Chine, ni la Russie et
encore moins le Canada. Dans cette
économie mondialisée et globalisée,
soumise à la crise systémique depuis des
années, vivant des temps de récession
avant de connaître la grande Dépression
et les politiques d’austérité, l’Écosse
n’a pas plus l’occasion de se sortir de
la crise que quiconque est présentement
plongé dans le système économique
impérialiste cataclysmique.
Sur quoi portait donc ce référendum ?
Dans un pays vivant
sous démocratie bourgeoise un référendum
est un duel non létal ou s’affrontent
deux factions opposées de la bourgeoisie
nationale. Les règles de ce duel –
convenues entre les parties – vont comme
suit :
La première règle non écrite stipule que
les intérêts fondamentaux de l’ensemble
de la classe dominante ne seront jamais
mis en jeux comme un enjeu.
La deuxième loi convient que la faction
qui parvient à embrigader le plus grand
nombre d’électeurs prenne
l’avantage et dicte ses exigences
à l’autre faction.
Les électeurs tranchent le débat même
s’ils n’obtiennent aucun avantage dans
ce combat. Ce qui implique toute une
mystique qui
entoure le référendum afin que le
votant s’exprime en pensant voter pour
autre chose que la triste réalité.
Tous les coups sont permis sauf de
mettre fin arbitrairement à la partie
par un coup d’État militaire.
Chaque faction se soumet à un devoir de
réserve et ne dévoile jamais ces règles
secrètes, ni l’enjeu véritable de la
baston inter capitaliste.
L’enjeu pétrolier
L’enjeu du
référendum n’était donc pas pour l’État
écossais de faire « l’indépendance
nationale du marché mondial »
contrairement à ce que répètent les
médias à la solde.
L’enjeu était pour la
bourgeoisie écossaise de
récupérer les bénéfices des « royalties
» pétrolières de la mer du Nord.
Actuellement, ces redevances payées par
les multinationales aux gouvernements de
Londres et d’Édimbourg avantagent
Westminster au détriment du château
d’Édimbourg.
La véritable
question qu’aucun politicien bourgeois
ne voulait exprimer aurait dû être : «
Voulez-vous que l’ensemble des
redevances sur le pétrole soit accaparé
par le parlement d’Édimbourg pour le
bien-être des milliardaires écossais :
Oui ou NON ? »
Évidemment, le fait
que les royautés pétrolières de la mer
du Nord soient partagées en deux parts
entre Londres et Édimbourg, ou encore,
qu’elles soient accaparées exclusivement
par le gouvernement écossais n’a et
n’aura absolument aucune incidence sur
la population écossaise ou sur la
population britannique.
Seules pourront être incommodées
ceux qui participent déjà à la curée des
redevances, soient la faction
londonienne de la grande bourgeoise
britannique, soit la faction écossaise
de la grande bourgeoisie britannique.
Les salariés eux ne verront pas un kopek
de ces « royalties ».
Nous ne traitons
ici que des royautés versées par
l’expropriateur privé aux gouvernements
concernés. La propriété des oligopoles
pétroliers continue d’être partagée, via
les actions et les obligations, parmi
les grands argentiers et les rentiers du
monde entier, particulièrement les
riches Anglais, les riches Gallois, les
riches Irlandais et les riches Écossais
évidemment. Le référendum ne touche en
rien à l’imbrication serrée des intérêts
économiques hégémoniques entre toutes
les factions du grand capital
international.
L’argent n’a pas
d’odeur ni de nationalité c'est bien
connu. Les capitalistes, une fois le
rideau tiré sur la
kermesse référendaire, n’ont pas
de nationalité et transigent dans le
monde entier. British Petroleum (BP) a
des intérêts en mer du Nord, mais aussi
dans le golfe du Mexique et en
Californie, aussi bien qu’en Libye.
Le monde parcellaire, stressé dans ses
identités
communautaires, que ces
milliardaires tentent de nous faire
gober, ne correspond à rien pour eux.
Une fois les bouffonneries référendaires
légitimaires passées, ils retournent à
leurs affaires mondialisées et
globalisées. Les trémolos
nationalistes chauvins sur «
l’indépendance nationale pour être
maître chez nous » servent
à distraire la galerie et à
mobiliser les salariés pour défendre les
intérêts de ceux venus les exploiter,
les exproprier de Londres et
d’Édimbourg.
Le déroulement de la bataille
référendaire
Au début du
référendum, que la clique londonienne
croyait gagné d’avance, seule la faction
nationaliste écossaise mena campagne
avec vigueur – soulevant l’ardeur de ses
partisans petits-bourgeois (cette
section de salarié dont une large
portion vit des prébendes et des emplois
de l’État bourgeois). Toute la panoplie
du folklore écossais fut exhumée afin de
mobiliser suffisamment de thuriféraires
pour arracher la captation exclusive des
« royalties » pétrolières.
Évidemment, les
travailleurs ne sont pas dupes dans
cette affaire. Ils rejetèrent ces
fallacieux arguments. L’accaparement
d’une plus grande partie des revenus du
pétrole n’aurait aucune incidence sur
leur revenu, sur leur vie, sur leurs
taxes, et sur leurs impôts. Pas
davantage demain dans un État bourgeois
pseudo « indépendant », qu’hier dans
l’État écossais dépendant de l’économie
mondiale en crise.
La passivité de la
faction capitaliste écossaise
pro-Royaume-Uni et l’activisme de la
faction capitaliste écossaise
pro-récupération des « royalties » fit
en sorte que tout au long de la campagne
la faction « souverainiste » accrue ses
appuis parmi la petite bourgeoisie en
cours de paupérisation et prête à
adhérer à toute illusion pour se sortir
du chômage et des politiques
d’austérité, adopter à Westminster aussi
bien qu’à Édimbourg.
Londres est contraint de se mouiller
pour sauver ses « royalties »
Une semaine avant
le vote fatidique la clique capitaliste
de Londres et d’Édimbourg – pro
unioniste fut contrainte de sortir de sa
léthargie et de jeter quelques promesses
à la volée afin de renverser les
prévisions des sondages. Si la clique de
Londres s’était abstenue d’intervenir
dans la consultation c’était justement
pour éviter d’avoir à faire des
promesses d’accorder une plus grande
part des redevances au Parlement
écossais. Du moment que Londres
s’impliquait dans le référendum pour
sauver sa mise, la clique de Westminster
ne pouvait que lâcher du lest et
abandonner des points de taxation en
même temps que des champs de compétence
gouvernementale.
En d’autres termes,
la clique du Château d’Édimbourg avait
gagné son pari à partir du moment où le
premier ministre Cameron est intervenu
pour s’engager à abandonner des champs
de compétence et de taxation.
Si Londres
s’avisait de ne pas tenir ses promesses
il serait aisé pour les nationalistes de
reprendre le collier et de recommencer
le chantage à la souveraineté. La
victoire du NON est cependant suffisante
(55,4%) pour permettre à Londres de
négocier très serré la dévolution des
pouvoirs et des champs de taxation.
La classe ouvrière
britannique vivant en Écosse n’a pas
mordu à l’hameçon nationaliste du
chauvinisme écossais pas plus qu’à
l’Union Jack britannique et elle s’est
soit abstenue (15% d’abstention) soit
elle à voter pour le statu quo histoire
de ne rien chambouler dans le rapport
des factions bourgeoises en présence. Il
n’est pas mauvais pour la classe
ouvrière britannique que ces deux
factions capitalistes s’entrent
déchirent et s’affaiblissant
mutuellement. Mais pour la classe
ouvrière britannique, il n’y a aucun
intérêt à prendre part à ce chantage à
la sécession nationaliste bourgeoise.
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