Politique
L'évolution du capital
sous les «plateformes numériques»
Robert Bibeau

Mercredi 24 mai 2017
Nombre
d’économistes tentent de démontrer que
la « nouvelle économie » capitaliste –
l’économie de la « plateforme
numérique » permet d’amasser du capital
dans des proportions phénoménales alors
que l’économie générale va de plus en
plus mal et produit de moins en moins de
marchandises. Les fermetures d’usines,
l’explosion du chômage, l’accumulation
des invendus, la propagation de la
pauvreté, la généralisation de la
précarité en étant des manifestations
avérées. Au milieu de cette
misère, un certain nombre d’entreprises
technologiques de type
« plateforme numérique » amasseraient le
pactole à la bourse et sur les marchés.
Est-ce crédible ? Que cache vraiment
cette fabrication de valeur virtuelle,
de capital et de richesse
boursière éphémère ?
Les entreprises
de « plateforme numérique ».
Qu’est-ce qu’une
plateforme numérique ? Il s’agit,
sur le plan général, d’une
infrastructure numérique de
télécommunication permettant
l’interaction entre deux ou plusieurs
groupes d’utilisateurs. Elle se
positionne comme intermédiaire qui
rassemble des utilisateurs différents :
clients, publicitaires, prestataires de
services, producteurs, fournisseurs,
marchands, voire des objets physiques
mis en interactions pour la production
et la livraison d’un bien ou d’un
service. En usines, ce que l’on appelle
la quatrième révolution industrielle, la
Plateforme d’industrie regroupe des
systèmes cyberphysiques (SCP) embarqués
qui utilisent des capteurs pour
récupérer des données pour interagir sur
des processus physiques au moyen de
commandes. Ces systèmes sont connectés
les uns aux autres via des réseaux
digitaux (numériques). Ils utilisent
toutes données et services disponibles
mondialement (télécommuniquant) et
bénéficient d’interfaces
personnes-machines multimodales.
Ces plateformes
numériques sont créatrices de valeur
c’est-à-dire qu’elles participent à la
valorisation du capital en produisant de
la plus-value relative via
l’augmentation de productivité du
travail salarié, source unique de valeur
marchande sous le mode de production
capitaliste.
De manière très
concrète, cette industrie des
plateformes numériques a vu le jour au
cœur de l’économie politique la plus
avancée de l’humanité, là où se
concentrent au niveau le plus élevé les
contradictions de ce mode de production.
Les experts lui ont donné le nom de
GAFANATuM pour Google, Apple,
Facebook, Amazon, Netflix, Airb&b,
Tweter, Uber et Microsoft, toutes
des entreprises étatsuniennes si une
telle appellation a encore un sens en
cette « Ère » de mondialisation où
chacune de ces entreprises
multinationales possède des actifs et
des actionnaires dans un grand nombre de
pays et fait transiter ses profits par
les paradis fiscaux offshores.
Certains croient
que ces « plateformes numériques »
seraient devenues une menace pour le
capital historique, le capital
industriel et productif. Ainsi, depuis
quelques années l’Union européenne, la
Chine et la Russie légifèrent afin de
contrer la mainmise de ces géants sur
les données sensibles de leur économie
respective. La menace que représentent
ces mégaentreprises dites « plateformes
numériques » n’est pas différente de
celle que représentaient Ford, GM,
Boeing, General Électrique, ou IBM
au siècle dernier. C’est la menace d’une
super puissance hégémonique dans sa
concurrence pour s’accaparer les moyens
de production et les marchés afin
d’accumuler le maximum de capital (que
d’aucuns préfèrent appeler argent ou
monnaie) objectif essentiel de toute
activité économique.
Pour le moment la
numérisation sous plateforme a largement
pénétré le domaine des services, de la
commercialisation et des communications,
mais désormais, elle déborde et s’étend
à des secteurs qui semblent plus
difficiles à conquérir du fait de
barrières règlementaires, technologiques
et juridiques.
La numérisation
de l’industrie difficile, mais
inévitable.
La grande crainte
des capitalistes industriels est de voir
s’introduire les trublions de la
Silicone Valley dans le partage des
profits. En effet il suffit de voir
comment le phénomène des « plateformes
numériques » s’est accaparé une large
part des profits des industries
touristique, des communications, de la
publicité, de l’édition, de l’immobilier
et bientôt de la finance (bourse, banque
et assurance). En tant qu’intermédiaire
la plateforme s’impose comme une
infrastructure indispensable visant une
position monopolistique comme condition
de son efficacité et de sa rentabilité.
Les procès qu’intentent les banques et
les firmes d’assurance ne visent pas
tant à freiner la pénétration des
plateformes numériques dans leur secteur
et dans l’industrie qu’à négocier le
partage des bénéfices de productivité
escomptés.
Contrairement à la
France et au Royaume-Uni, l’Allemagne,
la championne des biens d’équipements et
des industries chimique et mécanique, se
tenait à l’écart non pas du numérique –
qui a déjà pénétré l’industrie classique
–, mais de l’industrie des
« plateformes » qui constitue une
modalité de livraison des services de
communication. Cependant la numérisation
et l’informatisation ne connaissent pas
de frontières géographiques ni
techniques. Malgré leur réticence, les
industriels allemands (les plus en
pointe en Europe) se trouvent contraints
bon gré mal gré d’entrer dans la danse
de l’invasion des plateformes
numériques. Une des caractéristiques de
ces innovations est la mise en réseau de
tous les éléments du processus de
production afin de construire l’usine
ultra connectée du futur. Autrement dit,
la quatrième révolution industrielle
lancée aux États-Unis et diffusée au
Japon, en Chine et en Allemagne, repose
sur l’interconnexion de machines
intégrées dans un univers éclaté,
parcellisé, mais mondialisé appelé
Système productif cyberphysique qui
impose d’avoir une approche globale et
transversale des différents composants
techniques. Une sorte d’architecture en
toile d’araignée s’auto régulant à
l’échelle de l’entreprise d’abord, puis
à l’échelle mondiale ensuite, car les
marchés de ces mégaentreprises de
fabrication sont à cette échelle
désormais. Les machines, les pièces
usinées ayant la capacité d’interagir et
de se reconnaitre mutuellement par
pilotage intégré et de se diriger là
elles sont réclamées. Une superstructure
gigantesque qui agira mondialement par
le truchement des télécommunications,
par l’emploi de capteurs, de puces RFID,
tout interconnectées et ordonnancées via
l’industrie des plateformes numériques
mondialisée.
Le Grand capital
allemand craint pour le partage de ses
profits.
Néanmoins la vraie
menace, l’épouvantail que dresse chaque
manifestation de la 4e
révolution industrielle en Allemagne,
reste Google, présenté comme le
concurrent n°1. Les industriels
allemands craignent qu’à l’aune d’autres
secteurs comme l’édition, l’hôtellerie,
le tourisme, les géants de l’internet et
du numérique n’imposent une relation
exclusive avec le client final. Détenant
l’accès aux données d’usage et des
interfaces guidant le choix des
consommateurs, ils seraient alors en
position de force pour capter une part
importante des marges de profit, quand
ils ne chercheraient pas directement à
concurrencer les industriels ou à
intensifier la concurrence entre eux.
Récemment le
constructeur automobile Porche a
pris les devants « Selon Lutz Meschke,
l’essor de l’autopartage et des services
de type VTC, voiture de transport sans
chauffeur devrait à terme, d’ici 7 à 10
ans, rendre l’utilisation à temps
partagé d’une voiture aussi commode que
le fait d’en posséder une ». Une
tendance qui d’après lui devrait
impacter le volume des ventes de
véhicules neufs.
Ce qu’il faut bien
comprendre c’est que ces batailles
d’arrière-gardes entre consortiums
industriels européens résistants aux
conglomérats des plateformes numériques
étatsuniens sont inévitables –
incontournables et que ce sont les
seconds qui gagneront la partie, car
tout ceci ne relève pas de conflits
politiques nationaux ou multinationaux,
mais s’inscrit dans l’évolution des
moyens de production, d’échanges et de
communication propre à ce mode de
production.
À la poursuite
de gains de productivité.
Rappelons
simplement que la finalité de l’activité
de toutes ces entreprises classiques et
numériques n’est pas de produire des
marchandises, mais de valoriser et de
reproduire le capital. Si elles
pouvaient atteindre cet objectif en ne
produisant aucun produit elles le
feraient. Autre point important, ces
mégaentreprises sont interreliées non
seulement par les réseaux de
télécommunications, mais surtout par les
réseaux financiers, l’actionnariat, et
leurs conseils d’administration
multinationaux cooptés. C’est surtout
cela la mondialisation.
De ce qui précède
on doit conclure que la numérisation et
la technologisation de la production
industrielle (là où se produit
l’essentiel de la plus-value) est un
processus concret inévitable auquel
les plateformes numérisées (GAFANATuM)*
participent poussées qu’elles sont par
les lois de l’économie-politique qui
exigent des hausses de productivité en
ces périodes de baisse de rentabilité.
Ces hausses de productivité que
garantissent ces plateformes numériques
interconnectées sont autant de réduction
du quantum de capital variable (baisse
des salaires réels) et de hausse de la
portion de capital constant
(immobilisations) entrainant une
augmentation de la composition organique
du capital qui entrainera éventuellement
l’effondrement du mode de production
capitaliste. La guerre se posera alors
comme ultime alternative pour perpétuer
ce mode de production moribond. Veuillez
noter qu’une telle guerre mondiale ne
sera pas le résultat d’un complot
machiavélique de méchants complotistes
psychopathes et suicidaires, mais
l’aboutissement de l’évolution des
contradictions inhérentes à ce mode de
production.
La question de la
valeur boursière des actifs de ces
plateformes numériques (en février 2016
la valeur de ces GAFANATuM était
supérieure à 1650 milliards de dollars
US, bien à delà de la valeur de leurs
actifs réels) n’est que la manifestation
en bourse, c’est-à-dire la résultante
dans l’économie financière, du fait que
les hausses de productivité sont
désormais devenues dépendantes des
avancées technologiques du numérique
(alors qu’il y a cent ans ces
avancées résultaient des progrès
mécaniques en usines ou alors de la
taylorisation de la production et du
fordisme sur les chaines de montage).
Il faut cependant
réaliser que cette valorisation
phénoménale des actions boursières de
ces plateformes est basée sur une
activité de « cavalerie » – une pyramide
de Ponzi – selon l’arnaque que
l’investissement suivant garanti le
dividende de l’investissement précédent,
si bien qu’un jour cet échafaudage
bancal va s’effondrer. En effet, la
vitesse à laquelle les actions de ces « start-ups »
se valorisent est bien supérieure à
celle à laquelle ils peuvent accaparer
les profits des industries.
La classe
prolétarienne n’a rien à faire dans
cette affaire de capital financier sur
laquelle elle n’a aucune prise, surtout
pas via les potiches politiques ou
l’État capitaliste fétiche. Elle doit
simplement mener une guerre de
résistance farouche partout où le
capital de plateforme numérique saque
les travailleurs, réduit les heures de
certains pour augmenter celles des
autres, attaque les régimes de pension
ou fait pression à la baisse sur les
salaires réels des ouvriers.
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