Les 7 du Québec
Crises et lutte de classe
Nuevo Curso
Mercredi 23 janvier 2018
Le webmagazine
Les7duquebec.com est fier de vous
présenter ce texte fondamental de nos
camarades espagnoles de
Nuevo
Curso. Tout prolétaire
révolutionnaire devrait se faire un
devoir de lire et d’analyser ce texte
qui lève nombres d’ambiguïtés sur la
question des crises économiques du
capitalisme, des luttes de résistance de
la classe ouvrière mondiale et de
l’élaboration de la conscience de classe
sous les conditions objectives et
subjectives de la révolution sociale. À
notre connaissance jamais depuis
l’Opposition au sein de la IIIe
Internationale un texte d’une telle
clairvoyance n’a été publié en Occident.
Robert Bibeau. Éditeur
http://www.les7duquebec.com
Les grèves et les
luttes de classe peuvent-elles arracher
des concessions qui durent dans le
temps? Existe-t-il une possibilité
d’améliorations « permanentes » ou au
moins intergénérationnelles des
conditions de vie et de travail de la
classe ouvrière? La crise est-elle le
moteur de la combativité ouvrière? Les
luttes augmente-t-elles la puissance de
la classe en arrachant des concessions?
Que pouvons-nous apprendre du
développement des grèves au cours des
cinquante dernières années?
Est-il possible
d’obtenir des concessions qui ne
disparaissent pas immédiatement ?
Le « miracle
espagnol » n’était en rien différent des
autres « miracles » de l’après-guerre.
L’immense destruction de capital fixe
suite à la guerre en Europe, au Japon et
dans d’autres régions hautement
industrialisées a rendu possible un
long cycle d’accumulation qui s’est
achevé dans les années soixante-dix.
Depuis lors, les périodes de récession
et de crise sont fréquentes et durent de
plus en plus longtemps, traduisant la
tendance permanente à la crise et à la
décadence d’un capital qui ne trouve pas
suffisamment de marchés pour réaliser la
plus-value qui lui donne vie et ne
trouve plus de placements profitables
pour valoriser le nouveau capital
accumulé. Un manque de débouchés dont le
capital international ne sort que
temporairement lorsqu’il parvient à
pénétrer de nouveaux marchés
(« l’expansion » latino-américaine des
années 1980, l’expansion chinoise des
années 1990 et l’expansion africaine en
préparation. NDLT), fuyant vers le
crédit facile et produisant une
exubérance de capital fictif (le
« boom » spéculatif des années 2000 et
celui des années 2020 en préparation.
NDLT).
Cela signifie-t-il
que les salaires réels ont diminué? Non.
Jusqu’à la crise actuelle, caractérisée
par la plus longue période de baisse des
salaires depuis l’après-guerre, les
périodes de baisse des salaires moyens
ont été compensées par des augmentations
lors des périodes de croissance. (Image
1)
Bien sûr, il y a
encore un élément: le chômage,
qui a marqué le rythme des difficultés
du capital. Après tout, le chômage est
un pur gaspillage du point de vue
capitaliste, la mesure de l’incapacité
du capital à exploiter toute la
main-d’œuvre disponible et donc à
valoriser le capital et à accumuler. En
termes relatifs par rapport au capital,
ce qui a été constant est le recul des
salaires, le capital variable. En
d’autres termes, le pourcentage des
salaires sur le total de la valeur de la
production est de plus en plus bas et
celui du capital constant (amortissement
et matières premières) de plus en plus
élevé.
Quelle est la
conclusion? Le capital peut augmenter
la masse salariale (capital
variable), à condition que celle-ci
diminue en termes relatifs par rapport
au revenu du capital (plus-value et
profit). Autrement dit, le capital peut
accorder des concessions relativement
durables en termes de salaires – pour
ceux qui restent au travail – et même
globalement (Mais le nombre de salariés
sera réduit et cela suppose des hausses
de productivité importante car la
production devra augmentée même si le
nombre de salariés diminue. NDLT) La
conviction que le capitalisme ne peut ni
créer de richesse, ni octroyer de
hausses salariales une fois qu’il a
atteint sa phase de décadence, est en
train de se transmettre de texte en
texte, de ceux de Lénine et de Trotski à
ceux de l’International et à d’autres
groupes apparentés ou adversaires. Et
depuis lors, encore et encore, les faits
ont montré le contraire. Cela semblait
vrai pendant un certain temps, dans
l’intervalle des guerres impérialistes,
mais cette seconde après-guerre a été
témoin d’un énorme boom de capital fixe
et de capital variable, c’est-à-dire de
la masse salariale. Il y a eu une
augmentation de la consommation de
chaque travailleur, parallèlement à une
paupérisation considérable par rapport à
la totalité de la richesse sociale (ce
que la petite-bourgeoisie caractérise
comme l’injustice distributive du
capitalisme qu’il faudrait réformer.
NDLT). Nier une réalité c’est du
pseudo-matérialisme, faire correspondre
les faits à une idée préconçue est un
préjugé.
Le désordre
théorique révolutionnaire de 1973
Bien entendu, en
période de crise, lorsque les revenus du
capital diminuent, les salaires réels
baisseront plus que proportionnellement
et le chômage augmentera (inflation et
dévaluation de la monnaie NDLT). Si à
ces moments la résistance à l’usine et
les combats de classes sont farouches,
les concessions du patronat seront comme
dans les années 70 grugées par
l’inflation et les fermetures d’usines
(chômage comme dans les années 80 et
perte des « acquis » comme disent les
bureaucrates syndicaux menacés dans
leurs emplois de larbins. NDLT).
Existe-t-il une
possibilité d’améliorations
« permanentes »?
Le fait est que ces
périodes de crise s’allongent et
qu’après elles, il faut de plus en plus
de temps pour récupérer les salaires et
l’emploi perdu. Dans l’ensemble, le
résultat observé est que, bien qu’il ne
soit pas vrai que « rien ne puisse
être créé ou concédé par le capitalisme« ,
les concessions et les améliorations
obtenues par la classe dans son ensemble
s’érodent gravement lors de crises de
plus en plus longues, et elles ont
tendance à disparaître. C’est pourquoi
il ne faut plus croire cette vieille
maxime : « les enfants vivent mieux
que les parents et ceux-ci que leurs
grands-parents« . Les tendances
permanentes à la crise trouvent leur
origine dans la nature même de la
plus-value: le marché dont le
capitalisme a besoin pour pouvoir
réaliser la valeur créée et poursuivre
l’accumulation est toujours plus
important que celui généré par les
salaires. Et en tant que système, il
vient un moment ou le capitalisme n’a
nulle part où «s’étendre». (Il a alors
atteint la limite de ses capacités
d’expansion – de valorisation productive
du capital – cette loi est inscrite dans
la nature de ses rapports de production
sociaux et marque le début de sa
décadence qui peut s’étendre sur nombre
d’années et plusieurs crises de
surproduction. NDLT). Le capital
ne peut que se dévorer, c’est-à-dire
nous dévorer (les forces productives
sociales devenues en partie inutiles.
NDLT). Le capitalisme ne peut éviter les
crises de la même manière qu’il ne peut
empêcher sa propre forme d’organisation
d’évoluer vers le capitalisme d’État
provoquant une exacerbation des
tendances à la guerre. Les périodes de
crise s’allongent et mangent les
améliorations précédemment obtenues par
toute la classe. Comme il n’y a pas de
réforme possible pour éviter les
crises, nous ne pouvons penser à des
améliorations intergénérationnelles pour
les salaires ou les conditions de
travail.
La crise
est-elle le moteur de la combativité?
On a toujours
tendance à penser que la crise,
lorsqu’elle génère des réductions de
salaires, des licenciements et des
précarisations, est le facteur
déterminant de la combativité. Mais la
vérité est que ce n’était même pas le
cas dans les années de «bonanza»
d’après-guerre.
Comment se peut-il
qu’en 1967 et 1970, les années de
croissance économique sont celles d’une
combativité accrue, même dans les
conditions de répression du régime
franquiste? La plupart des tendances
politiques de l’époque ne le
comprenaient pas et n’avaient même pas
compris pourquoi, en 1962 en Espagne
et en 1968 en France, sans crise, une
vague mondiale de grèves de masse
s’était ouverte. Ils ne comprennent
pas qu’il peut ne pas y avoir de
soulèvement du prolétariat et de
l’insurrection populaire, mais une
catastrophe économique qui produit
nécessairement une conscience
révolutionnaire chez des millions et des
millions de travailleurs affamés. Ils
envisagent la révolution comme une
conséquence du non-fonctionnement du
système, au lieu de la voir comme une
réponse à son fonctionnement, dit
avec plus de précision, une réponse à
l’outrecuidance des caractéristiques
fonctionnelles du capitalisme. Pour
cette raison, parce qu’il est incapable
de maintenir l’esclavage salarié à son
niveau actuel, le capitalisme est déjà
une sorte de civilisation néfaste qui
menace l’avenir immédiat de l’humanité
(et ceci n’a rien à voir avec le
réchauffement climatique et l’empreinte
écologique. NDLT). La décadence se
manifeste en ce que les vertus d’hier
deviennent, ainsi que ses défauts,
autant de plaies purulentes qui
revendiquent le fer cautérisant de
l’action prolétarienne.
Désordre
révolutionnaire. 1973
De plus, la vague
de soulèvement s’est maintenue avec la
réapparition de la crise en 1973.
Pourtant, dans l’histoire des grèves
depuis 1975, nous constatons l’impact
immédiat de la transition et de
l’illusion démocratique sur la vague de
grèves des années 1970, reprise dans
les années 1980. Vague de grèves pour
faire face aux
reconversions-délocalisations et qui
s’effondre devant le piège syndical de :
« il n’y a rien à gagner si
l’entreprise n’est pas rentable »
pour récupérer, brièvement, dans une
série de grèves qui ont orné la
négociation des départs à la retraite
anticipés de la deuxième reconversion
industrielle des années 90. Depuis
lors, la corrélation avec le PIB
disparaît, avec le chômage, avec les
salaires réels, etc. Et ensuite
qu’est-ce qui fait avancer la lutte des
classes si les conditions objectives
sont données? Ce sont les conditions
subjectives.
Les conditions
objectives et subjectives
Les conditions
objectives de la révolution
communiste ne suffisent pas pour
garantir la victoire et les conditions
subjectives ne seront pas nécessairement
engendrées par la première. Les
conditions subjectives ne sont rien
d’autre que la conscience théorique de
l’expérience précédente et des
possibilités maximales offertes au
prolétariat; c’est la connaissance
désireuse de l’action humaine et prête à
transformer son existence subjective en
existence objective.
État-parti,
stalinisme, révolution. 1976
Et ce qui
fonctionne pour la révolution fonctionne
tout au long du processus. Ce qui compte
dans l’évolution des grèves des années
50 à aujourd’hui, c’est que l’élément
principal de la lutte de classe
aujourd’hui est la perspective,
l’intuition, l’espoir matériel de ces
« possibilités maximales offertes au
prolétariat ». Mais alors… L’expérience
des années 1960 nous montre qu’il
n’existe aucune relation mécanique entre
les épidémies de crise et les luttes de
classe, notamment sous la forme de la
grève ouvrière. Il n’y a pas de
combativité sans l’intuition minimale
d’une perspective qui dépasse
(transcende NDLT) le capitalisme.
La conscience
augmente-t-elle lors de l’obtention de
concessions ?
Une autre leçon de
l’évolution des combats et de la
combativité est que la conscience de
classe n’est ni évolutive ni cumulative.
Les leçons ne conduisent que les luttes
dans leur propre sein, c’est-à-dire au
cours de la même lutte ou de la même
vague de luttes. La continuité et
l’accumulation ne se produisent que dans
la mesure où les groupes militants
capables de servir d’enzymes sont mis en
mouvement et servent d’accélérateurs
dans le prochain mouvement, et ainsi de
suite. La combativité de la classe
se gère irrésistiblement (explosive à
certains moments plus calme à d’autres)
de son propre contexte historique. Cela
se cristallise dans des faits qu’elle
(la classe) ne pense qu’après coup et
elle lui donne sa base et son énergie
pour de futurs progrès. Il procède donc,
tant dans les faits que dans la
conscience, par des sauts de
développement, la continuité de la
discontinuité que doit assurer son
secteur délibérément révolutionnaire.
La victoire décisive elle-même sera pour
la majorité de la classe une réalisation
plutôt qu’une intention consommée.
Ce n’est pas en vain que la classe
révolutionnaire s’est forgée par
l’histoire malgré l’oppression et le
dirigisme intellectuel qui
l’accompagnent dans sa vie quotidienne.
C’est pour cette raison que, dans le
noyau des travailleurs révolutionnaires,
il y a plus de 150 ans, une tâche
décisive a finalement été prise en
charge.
Conscience
révolutionnaire et classe pour soi
C’est pourquoi
Macron a joué pour faire des
concessions avant l’éruption d’un
mouvement de classe des « Gilets
jaunes« , pour cette raison – et
parce qu’il a un retard – de Sanchez à
Bolsonaro à augmenter le salaire
minimum. Pendant les périodes de
non-crise, nous avons vu la même chose
avec les syndicats à plusieurs reprises.
L’important est, à ce stade de la
décadence et de la crise capitaliste,
plus le comment que le combien, plus le
qui que le quoi. Il est préférable de
perdre une lutte pour nous-mêmes qu’un
« triomphe » syndical ou parlementaire
qui sera tôt ou tard annulé par
l’inflation, les coupures et la
précarisation. Même une modeste
revendication de salaire – tôt ou tard,
si pas encore obtenue – a une
signification diamétralement opposée,
telle qu’obtenue par la représentation
capitaliste-syndicale ou par une grève
sauvage qui n’est pas prise en charge ni
restituée à la société. L’importance de
ces mouvements réside, beaucoup plus que
dans leurs revendications, dans la
mesure où ils contribuent à briser le
lien qui les unit à leurs maîtres et à
rendre au prolétariat son autonomie et
son agressivité potentiellement
invincible. Aujourd’hui les syndicats
bloquent le chemin qui mène aux luttes
révolutionnaires, la défaite d’une grève
antisyndicale vaut mieux que toute
victoire accordée par l’ennemi de
classe.
Traduit de
l’espagnole par Robert Bibeau
pour le webmagazine
http://www.les7duquebec.com
Reçu de Robert Bibeau pour
publication le 24 janvier
2019
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