Opinion
La lutte gréviste
Robert Bibeau
Mercredi 22 octobre 2014
La lutte gréviste semble léthargique
Dès 1918, Rosa
Luxembourg en parlait avec éloquence, à
propos de la seconde révolution russe et
du soulèvement du prolétariat allemand.
Pourtant, de nos jours, les prolétariats
allemand, russe, français, américain,
canadien, japonais, chinois, sont
infiniment plus nombreux, mieux formés,
plus spécialisés, et davantage exploités
et spoliés qu’ils ne l’ont jamais été du
temps de la révolution spartakiste.
Nonobstant ceci, on ne rapporte
pratiquement plus les luttes grévistes
des prolétaires du monde entier. Elles
sont pourtant nombreuses, en Chine
notamment. Serait-ce que les
ouvriers seraient devenus des
«aristocrates ouvriers» (sic), des
corporatistes du système d’exploitation,
des rentiers du capitalisme, des
ploutocrates salariés ? Non,
évidemment !
Exploitation et
spoliation sont en augmentation
L’indice le plus
évident que l’on puisse donner du niveau
accru d’exploitation de la main-d’œuvre
ouvrière est le taux de productivité
horaire moyen. L’indice de productivité
horaire de la force de travail mesure
l’augmentation de la quantité de biens
et de services produits par heure
travaillée. Si l’indice est en hausse
cela signifie que chaque travailleur
produit plus de marchandises pendant
chaque heure travaillée. Comme le salaire ne
constitue qu’une part décroissante de la
valeur des marchandises produites – le
solde constituant la plus-value expropriée
par le propriétaire de l’entreprise –,
la comparaison de l’un et de l’autre
donne le taux d’exploitation moyen de la
main-d’œuvre dans l’économie que voici
pour la France métropolitaine (Tableau
1).
TABLEAU 1
HAUSSE
ANNUELLE MOYENNE DE PRODUCTIVITÉ
DU TRAVAIL SALARIÉ
(France-1960-2012) (1)
|
1960-1974
– 1974-1982 –
1982-1989 – 1989-2007 –
2007-2012
|
5,0 %
2,1%
2,1%
1,3%
0,1%
0,1 %
-0,8%
1,7%
0,2%
-0,9%
|
Ces hausses
constantes de productivité du travail
ont généré des hausses annuelles
moyennes des profits variant entre 0,1
et 1,7%, avec des périodes prolongées de
baisse des profits (- 0,8%/an
de 1974 à 1982 et -0,9% par
année entre 2007 et 2012).
Les hausses continuelles de productivité
enregistrées ne se traduisent pas
nécessairement par des hausses de
profits correspondants. C’est
que ces hausses de productivité sont
parfois la conséquence de l’introduction
de nouveaux équipements industriels
dispendieux et sophistiqués. Elles
proviennent donc d’une
augmentation de la portion de capital
constant (Cc) ce qui augmente la
composition organique du capital (Cc/Cv)
et fait chuter les taux de profits
malgré la hausse de productivité
enregistrée. C’est le capitaliste
monopoliste qui produit et vend la
machinerie qui encaisse la hausse de
profit plutôt que le capitaliste
monopoliste producteur de la marchandise
finale (l’Allemagne, la Chine, la Corée,
la Suède, la Suisse, le Japon sont de
ceux-là). Une démonstration
supplémentaire de la loi marxiste de
la baisse tendancielle du taux de profit.
Par ailleurs, si
l’augmentation de productivité est la
conséquence d’un accroissement de
l’intensité du travail, de l’augmentation
des cadences, ou de l’allongement
de la journée de travail par
exemples, alors la hausse de
productivité générera une hausse des
profits pour les capitalistes de la
production légère (marchandises
destinées à la consommation courante)
comme l’indique la période 1982-1989 sur
le tableau 1.
Cette baisse des
taux moyens de profits amène la classe
capitaliste monopoliste international à
accentuer ses pressions sur le salariat
afin de réduire la part du PIB national
consacré aux salaires, aux bénéfices
marginaux, aux régimes de retraite, et
aux services sociaux (santé, éducation,
sport et loisir, culture) – qui ne
sont rien d’autre que la part du revenu
national consacrée à la reproduction de
la force de travail.
La classe
ouvrière tente de résister à son
expropriation
Donc, tout bien
considéré la classe ouvrière existe
toujours en société impérialiste
avancée. Son travail productif est
toujours l’unique source de profit et le
taux d’exploitation de cette force de
travail va s’accroissant régulièrement
d’une année sur une autre (2). Cette
conjoncture difficile pour le salariat
devrait normalement engendrer une grande
résistance de la part des ouvriers
jusqu’à provoquer des grèves spontanées.
Étant entendu qu’en dernière alternative
– le seul moyen de lutte dont dispose le
salariat contre le patronat – ce sont
les bras croisés, c’est-à-dire le refus
de l’ouvrier de vendre sa force de
travail contre salaire, privant le
capitaliste de sa précieuse plus-value –
c’est-à-dire du travail non payé et
exproprié. La lutte gréviste sur le
front économique de la lutte de classe
est nécessaire pour qui souhaite
soulever la lutte politique de classe.
La lutte gréviste disait Rosa Luxembourg
est l’arme ultime du mouvement ouvrier.
La grève générale illimitée étant
l’amorce de l’insurrection, le
capharnaüm du capitalisme et le sépulcre
du patronat.
Force est pourtant
de constater que depuis nombre d’années
la lutte gréviste des masses ouvrières
va s’essoufflant alors que les
conditions de travail et de vie du
prolétariat se détériorent. Pourquoi ces
deux mouvements qui se devraient
concomitants sont-ils divergents ?
Le mainstream
médiatique à la solde des riches a pour
mission de nous entretenir à propos des
grossesses de la princesse, des fugues
extra-conjugales du Président, du
prochain spectacle d’un humoriste, des
dernières frasques de Sarkozy, de Sam
Amad ou du député de Beauce et de taire
toute information relative à ces
impudiques grèves ouvrières. Saviez-vous
que les enseignants de
Colombie-Britannique ont fait grève
pendant des mois et qu’ils ont affronté
la police et la justice des riches ?
Depuis trente
années la bourgeoisie a retiré –
contingenté – encadré – bridé – légiféré
afin de contrecarrer le droit de grève
des ouvriers ainsi que des salariés sous
le regard compassé des officiers
syndicaux hébétés, quand ce n’était pas
avec leur approbation empressée.
On doit admettre que la résistance
ouvrière à ces attaques répétées leur
retirant tout moyen légal de combattre
n’a pas été à la hauteur de l’attaque
généralisée contre leurs droits, et
leurs combats, profanant la pseudo
«démocratie bourgeoise» tant appréciée
des bobos exaltés. Pourquoi ?
L’étouffement
légal du droit de grève «légal»
La crise économique
systémique du capitalisme oblige l’État
des riches à sortir de sa réserve
hypocrite et à plonger au cœur de la
mêlée afin de secourir la classe sociale
dominante, celle qui assure la
gouvernance. L’État ne peut plus
prétendre être neutre, impartial,
équitable, champ du combat «citoyen»
pour sa conquête «démocratique»
électoraliste. Le masque étatique tombe
malgré les efforts que déploie la
go-gauche «démocratique» – participative
– altermondialiste – écologiste –
protestataire et citoyenne
«progressiste». Cet État est
celui de la classe dominante (pas celui
du peuple tout entier) et il doit
assurer la perpétuation du système
capitaliste en l’état. Il s’y emploiera
coûte que coûte même s’il ne peut
pas sauver ce mode de production et ces
rapports de production moribonds (3).
Au Québec, comme
dans bien d’autres entités, l’État a
d’abord encadré le droit de grève des
employés de la fonction publique et des
secteurs para publics jusqu’à rendre le
recours à la grève totalement inopérant.
Ainsi, la loi sur les services
essentiels exige le maintien de services
dits essentiels pendant les débrayages.
Ces services «essentiels» sont si
imposants qu’ils requièrent plus
d’employés en service pendant la grève
qu’en période de travail normal. Dans
certains pays, une
loi anti-scabs a été promulguée à la
demande des bureaucrates syndicaux et
des sociaux-démocrates de la go-gauche
bourgeoise «réformiste». Cette loi n’a
servi qu’à démoraliser les salariés, à
leur faire croire à l’équité de l’État
des riches. Cette loi a servi à
démobiliser les ouvriers sur les lignes
de piquetage, et à justifier les
bureaucrates syndicaux de ne pas
organiser la résistance contre les «scabs»
sous prétexte que la justice des riches
sévira contre ces derniers (peut-être,
des années plus tard, après que la grève
aura été liquidée).
La classe ouvrière
a rapidement perçu que c’est la machine
étatique au grand complet qui se
mobilisait pour écraser chaque grève
spécifique. Loi encadrant le piquetage,
spécifiant le moment du déclenchement de
la grève et dans de nombreux secteurs
les conditions de son exécution
(services essentiels, ligne de
piquetage, préavis de débrayage). Lois
spéciales retirant le droit de grève à
des travailleurs décrétés indispensables
pour l’économie capitaliste. Injonctions
des tribunaux pour pénaliser les
grévistes grevés de lourdes amendes,
pour empêcher le piquetage, pour
interdire la fermeture des
installations, des institutions
(hôpitaux, bureaux administratifs,
universités et CÉGEP). Injonction
interdisant d’entraver la production
réalisée par des scabs extérieurs ou par
des cadres scabs de l’intérieur. Les
médias qui se déchaînent contre les
luttes grévistes laissant croire que les
travailleurs doivent assujettir leurs
actions au désidérata de la soi-disant
«opinion publique» telle que rapportée
par les sondages truqués et les médias
propriétés de richissimes
milliardaires.
L’industrie du
syndicalisme et la taxe syndicale
En société
capitaliste, l’appareil syndical est
totalement intégré à l’appareil
gouvernemental dont il constitue un
appendice chargé de négocier les
conditions de vente «raisonnable» de la
force de travail des salariés. À partir
des paramètres établis par les boss
syndicaux et par les boss patronaux, en
collusion, les conditions de vie et de
travail de toute la classe ouvrière sont
ajustées dans l’ensemble du pays. Si le
contexte l’exige, les bureaucrates
syndicaux pourront même organiser des
Fronts communs syndicaux pour ne rien
faire et s’assurer de paralyser les
salariés qui voudraient appeler à la
grève générale illimitée.
Afin de maintenir
leur «membership» de cotisants à la taxe
syndicale les différentes agences de
recrutement syndical se maraudent
mutuellement et jouent parfois les gros
bras pour impressionner les ouvriers.
Les bureaucrates syndicaux monteront le
ton à l’occasion et si la pression
devient trop grande, qu’une grève
sectorielle risque d’éclater hors de
leur autorité, alors les appareils
syndicaux appelleront à une grande
manifestation de frustration, casserole
en goupillon, un samedi matin pour ne
pas perturber la productivité ni la
circulation sur les ponts. Un débrayage
symbolique sur l’heure du midi ou en
soirée. Une marche pour les pieds
nickelés. Ils convoqueront un Forum
social des peuples populaires, citoyens
et citoyennes. Ils en appelleront à la
population pour qu’elle vote pour un
opposant de façon à punir le député
récalcitrant. Une fois la saute d’humeur
passée, une fois l’élection bidon
terminée, chaque bureaucrate syndical
trottine rétablir les ponts de la
collaboration de classe avec ses amis de
la magistrature, de la justice, de la
politique, et de la police. Espérant que
la prochaine bouffée de fièvre gréviste
de ses membres ne surviendra pas avant
longtemps. Ils ne souhaitent pas être
dérangés dans leur bureau feutré et
climatisé.
Dans tout ce manège
anti-ouvrier, les «syndicalistes»
accrédités se font les courroies de
transmission des médias et des menaces
du capital contre le salariat.
S’il le faut, l’État s’en prendra aux
officiers syndicaux et aux organisations
syndicales richissimes. Il menacera
de saisir les biens du syndicat, de lui
imposer des contraventions qui
l’acculeront à la faillite s’il ne
démobilise pas de suite les ouvriers
grévistes. L’État menacera de mettre fin
aux ententes fiscales ayant transformé
le bureaucrate syndical en hommes
d’affaires gestionnaires de fonds de
pension (Fonds de la FTQ et de la CSN).
L’État oblige ainsi la bureaucratie
syndicale à se mettre au service du
patronat pour calmer les ardeurs
grévistes de leurs membres.
L’État se
compromet et compromet ses agents dans
le milieu
Par ces multiples
interventions législatives et
juridiques; par la prévarication des
officiers syndicaux à sa solde; par ces
lois contraignantes empêchant l’exercice
du droit de grève, l’État capitaliste se
démasque et crée les conditions
objectives et subjectives du soulèvement
gréviste. Car chaque ouvrier
individuellement, chaque section
d’entreprise, chaque contingent salarié
esseulé, comprend bien que seul ou
par petits groupes ils risquent
d’échouer à faire reculer l’État des
riches. De là à conclure que seule une
grève générale illimitée fera reculer
l’État capitaliste au service du
patronat, et frappera le capital à
l’endroit qui lui fait mal –
la plus-value et les profits – il
n’y a qu’un pas que la Gauche communiste
a le devoir de franchir. C’est à
travers la lutte gréviste que la
solidarité de classe se forgera et se
consolidera (4).
À
LIRE EN COMPLÉMENT POUR L’ORGANISATION
OUVRIÈRE :
http://www.publibook.com/librairie/livre.php?isbn=9782924312520
(1)
http://hussonet.free.fr/gainprod50.pdf
(2)
http://www.les7duquebec.com/actualites-des-7/la-classe-ouvriere-nexiste-pas/
(3)
http://www.les7duquebec.com/7-au-front/contradictions-dans-la-reproduction-du-capital-1/ et
http://www.les7duquebec.com/7-au-front/contradictions-dans-la-reproduction-du-capital-2/
(4)
http://www.les7duquebec.com/7-au-front/le-prix-dun-homme/
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