Les 7 du Québec
La bataille des régimes et des caisses
de retraite (2)
Robert Bibeau

Mercredi 18 décembre 2019 La
semaine dernière, nous avons expliqué
(ici-même)
qu’un régime de retraite fait partie
intégrante d’une convention de travail
(individuelle ou collective) qui lie
l’employeur (privé ou publique ou
parapublic ou institutionnel) à ses
employés salariés. Peu importe que le
régime de retraite soit administré par
un tiers, un fonds de pension corporatif
ou un organisme paritaire (CNAV, l’ARRCO
et l’AGIRC, la CNRACL, en France, le
RRQ, le REGOP, la Caisse de dépôt au
Canada). Peu importe la structure
administrative, le principe directeur
reste le même : la caisse de retraite
est une portion du salaire de l’employé
mise de côté afin d’assurer la
continuité de la consommation de
marchandises après la phase active –
assurant ainsi la circulation du capital
et sa valorisation. En effet, il n’a pas
fallu longtemps aux marchands pour
constater qu’un travailleur salarié ne
peut pas épargner et qu’il ne peut plus
autant consommer après avoir été
saqué ou « retraité » (!)
Et tant pis si
entretemps les centaines de milliards
d’euros de salaires épargnés servent de
capital de risque aux gestionnaires des
fonds de pension, aux banquiers, aux
boursicoteurs, aux investisseurs et aux
développeurs, tous ces gens qui
ordonnent l’économie financière du grand
capital international. Une contradiction
confronte cependant le système
économique capitaliste. Encourager ou
même forcer l’épargne des salariés
entrainera la réduction de la
consommation immédiate et
l’augmentation de la masse de capital de
risque. Or, présentement, après des
années de laxisme bancaire et de crédit
gratuit, l’économie dispose d’un
excédent de capital de risque et un
apport d’argent neuf ne servira qu’à
accroitre la spéculation boursière
jusqu’à l’éclatement de la bulle
financière. Bref, en Occident l’épargne
est largement suffisante, c’est la
consommation que le grand capital
doit relancer pas la thésaurisation.
Le capitalisme est malade de
surproduction pour cause de
sous-consommation (que les écologistes
se le tiennent pour dit).
Pour que l’État
bourgeois puisse jouer son rôle de
portefaix du grand capital, il doit
dissimuler ses intentions secrètes et
s’afficher comme un juge impartial
au-dessus de la mêlée des intérêts
particuliers, soit des travailleurs,
soit des corporations privées et soit
des institutions publiques. Voyons
comment l’État Macron, au service des
banquiers, a joué sa partition dans le
grand cirque de la réforme des régimes
et des caisses de retraite que l’État de
France – après bien d’autres pays
capitalistes – souhaite exproprier pour
se financer à même les épargnes des
salariés et au bénéfice des fonds de
gestion comme BlackRock.
(1)
Pendant le seul
premier semestre 2019, la dette mondiale
de 250.000 milliards de dollars a
augmenté de 7.500 milliards de dollars.
C’est un comble, selon Jean-Claude
Trichet, l’ancien président de la BCE : « Nous
venons de connaître la pire crise depuis
celle des années 1929-1930 du siècle
dernier. C’était largement une crise de
surendettement, et pourtant le monde
continue de s’endetter ! » D’autant
plus que les taux d’intérêt peuvent
remonter : « Ne prenons pas une
situation conjoncturelle pour un
phénomène structurel. Personne ne sait
combien de temps les taux des prêts
resteront très bas », poursuit
Jean-Claude Trichet. (2)
Chacun aura
constaté que l’État spoliateur parle peu
ou prou des cotisations que
devront verser les millions de salariés
français, préférant discourir à n’en
plus finir sur les régimes de retraite
« spéciaux », sur l’âge pivot (64 ans)
et sur la valeur du « point » dans 30
ans (sic). Le rapport Delevoye prétend
un rendement de 5,5% par année pour les
30 prochaines années sur les épargnes
administrées par la caisse de retraite
universelle. Faut-il rappeler que l’euro
se prête autour de 0% sur les marchés
européens et que 80 % des investisseurs
prévoient une crise financière d’ici 5
ans, alors que 58 % l’annoncent d’ici 3
ans ? Comment les experts et les
politiciens incapables de planifier
l’économie trois années à l’avance
pourraient-ils anticiper l’évolution des
salaires, des rendements boursiers et
des caisses de retraite 30 ans à
l’avance ?
Selon Capital et
le site Sputnik du
9/12/2019, une enquête a été réalisée
par Natixis Investment Managers
auprès de 500 des plus grands
investisseurs institutionnels dans le
monde officiant dans les fonds
souverains et d‘investissements, les
compagnies d’assurance, les caisses de
retraite. Pas moins de 89 % de ces
investisseurs institutionnels sont
inquiets du niveau record de
l’endettement public et privé sur la
planète. Plus de 80 % voient une crise
financière internationale d’ici 5 ans,
58 % d’ici 1 à 3 ans. La question ne se
pose même plus de savoir si nous aurons
des bulles boursières et immobilières
ou pas, des banques qui vont faire
faillite ou pas, si les dettes seront
remboursées ou pas. La seule question
est de savoir quand la crise va
éclater » (3).
La valeur du «
point » dans 30 ans ou son cout l’an
prochain?
Combien d’euros
coutera le « point » le
lendemain de la mise en application de
la réforme ? Et ce cout risque-t-il
d’augmenter au cours des années si
l’économie s’effondre ? Ce n’est pas de
la valeur du « point » dans trente ans
dont les salariés doivent s’inquiéter,
mais de son cout et de sa valeur l’an
prochain. Voilà un aspect crucial de
cette réforme que personne n’interroge –
même pas les syndicats – et qui pourtant
impactera directement le pouvoir d’achat
immédiat du salarié, qui comme le disait
un Gilet jaune « ne
boucle pas sa fin de mois », cette
question est toujours d’une brulante
actualité. (4)
Les caisses de
retraite appartiennent aux salariés
Une chose est
certaine cependant : les argents des
caisses de retraite ne sont pas un
cadeau des patrons ou de l’État
employeur accordé aux salariés. Les
caisses de retraite sont du salaire
ouvrier épargné, que les travailleurs
mettent de côté pour leur retraite. Eux,
et eux seuls devraient avoir le droit de
décision sur la gestion de ces fonds –
peu importe que l’employeur soit
étatique ou privé, c’est le même
principe qui s’applique. La négociation
des conventions collectives ou des
contrats d’embauche est le moment où les
vis-à-vis s’affrontent pour fixer les
modalités de travail, les salaires et
les conventions de retraite. L’État n’a
pas la légitimité d’ouvrir
unilatéralement les conventions de
travail pour imposer de nouvelles
conditions de travail, de salaire et de
retraite aux salariés.
«La retraite :
en aurons-nous les moyens ?»
On classe les
régimes de retraite collectifs en deux
catégories : les régimes de retraite
universels (gouvernementaux) et les
régimes de retraite d’entreprises
(publics, parapublics ou privés). Voyons
si nous pourrons collectivement non pas
« réformé » les régimes de retraite,
mais simplement les « réchappés » de la
crise économique imminente.
Il est frauduleux
de poser le problème des régimes de
retraite – publics ou privés –
collectifs ou individuels – en ces
termes : «La retraire : en
aurons-nous les moyens ?» Cette
question, poser par les agitateurs
médiatiques laisse entendre que les
travailleurs ont des choix à faire et
qu’ils ont un quelconque pouvoir de
décision politique et des capacités
d’intervention économique. Tout ceci
n’est que fumisterie. Les travailleurs
n’ont pas la capacité d’interférer sur
le déroulement de la crise économique
mondiale qui commande la performance de
cette énorme tirelire que constituent
les caisses de retraite des salariés
(qu’en Amérique nous appelons aussi
« fonds de pension » publics ou
privés).
On ne peut pas
traiter de la question des régimes de
retraite – des fonds de pension – de
l’épargne des salariés en définitive –
sans prendre en compte l’état général de
l’économie capitaliste. Pire, dans ce
monde globalisé et mondialisé, on ne
doit pas se restreindre à l’économie
nationale, mais il faut tenir compte des
paramètres économiques mondiaux si l’on
souhaite comprendre ce qui advient des
régimes de retraite et du rendement des
fonds de pension qui leur sont attachés.
Ne soyons pas dupes, l’intérêt
obsessionnel de l’État des riches pour
nos régimes de retraite n’est pas de la
mansuétude, mais expose son appétit
insatiable pour de nouvelles sources de
financement qu’il souhaite arracher aux
gagnes petits- pour renflouer ses
coffres.
Voici la véritable
question qui confronte le prolétariat
mondial : «L’économie capitaliste
mondiale nous laissera-t-elle les moyens
d’une retraite sécurisée?» À
l’évidence, la réponse est « NON ». Un
exemple suffira à le démontrer. Tant que
l’économie mondiale était en croissance
relative, les médias ne parlaient jamais
des régimes et des caisses de retraite.
Pourtant, les actuaires savaient que la
population vieillissait, que la période
de retraite s’allongeait (on part à la
retraite autour de 64 ans et l’on meurt
en moyenne à 80 ans), dans les pays
occidentaux du moins. Les actuaires
calculaient les cotisations à payer par
les employés, par les employeurs privés
(à même la plus-value générée par les
employés) et par l’État employeur.
Enfin, les actuaires estimaient les
revenus (rendements) que ces caisses
(fonds) de pension et d’investissement
pouvaient générer. Cette portion de
l’équation étant cependant la plus
volatile. Et voici que l’économie réelle
a rattrapé l’économie virtuelle
spéculative… et les deux économies
s’effondrent. Le système économique
capitaliste, totalement anarchique,
s’étiole et les rendements sur
investissements plongent, et la crise
économique s’approfondit et voici que
les caisses de retraite ne génèrent plus
assez de profits pour payer les pensions
des retraités.
Pire, le chômage
endémique réduit drastiquement les
cotisations glanées aux employés de même
que la portion du salaire soutirée par
les employeurs et déposée sous forme de
cotisation au régime de pension. Pire,
les taux d’intérêt anémiés plombent les
rendements des placements. Le capital
spéculatif boursier (auquel participent
les fonds de pension) se volatilise et
les bulles financières éclatent (2008 en
étant l’exemple récent).
L’allongement de
l’espérance de vie et de la durée de la
retraite (!)
Il est totalement
faux de prétendre que l’allongement de
la vie des retraités est une variable
nouvelle, étonnante et imprévisible. Les
actuaires et les démographes savent tout
cela depuis des décennies et leurs
calculs des contributions des salariés
aux fonds de pension tiennent compte de
ce paramètre parfaitement connu et
prévisible. Les déficits hyperboliques
des caisses de retraite partout dans le
monde sont causés par deux variables
indépendantes. Premièrement, le
sous-financement des caisses de retraite
par les employeurs étatiques,
parapublics et par les employeurs
privés, qui ont négligé de verser leur
quotepart dans la cagnotte et
aujourd’hui ils voudraient être
acquittés de leur dette. Deuxièmement
les taux d’intérêt nuls ou négatifs qui
ont tétanisé les rendements des
placements boursiers créant des déficits
impossibles à combler.
Catastrophe
économique prévisible et fonds de
pension dévalisés inévitables
La présente crise
économique est une crise de
surproduction pour cause de
sous-consommation des marchandises
(biens et services). Il y a trop de
capacités de production, trop de
marchandises en circulation compte tenu
des capacités de payer des consommateurs
dont le salaire moyen réel (une fois
l’inflation défalquée) a diminué de 18%
au Canada entre 1973 et 2010, et il en
est ainsi en France et partout en
Occident. De plus, les périodes de
chômage s’allongent alors que les
périodes de prestations d’assurance
emploi (sic) raccourcissent (seuls 35%
des chômeurs touchent des prestations et
peuvent continuer à consommer, pour un
temps limité du moins). Après la période
de chômage, c’est le secours direct qui
attend la famille du chômeur et une
nouvelle baisse du pouvoir d’achat et
donc encore moins de consommation et
davantage de surproduction d’où
davantage de chômeurs et moins de
contribution aux caisses de retraite.
Les différentes
économies capitalistes, des pays
d’Occident notamment, ont réagi à la
diminution drastique du pouvoir d’achat
des ménages en ouvrant le crédit à
profusion, soutenant temporairement la
consommation. Mais l’endettement des
ménages approche d’un plafond
irréversible (165% du revenu annuel brut
en moyenne au Canada). Les vannes de
l’endettement seront bientôt fermées par
les banquiers qui savent déjà qu’ils ne
pourront récupérer ce qu’ils ont prêté.
Tout ceci entrainera un effondrement de
la consommation déjà très mal en point.
Et voici que l’État français propose de
soutirer des milliards d’euros de la
sphère de la consommation qui iront
grossir la masse de capital parasitaire
inflationniste, inemployée sur les
marchés boursiers où la disponibilité de
capital de risque est déjà trop élevée
et où cet argent ne servira qu’à gonfler
la bulle spéculative qui n’en subira
qu’une plus forte dévaluation le jour de
l’implosion du système de capitalisation
bidon.
Bref, épargner et
planquer son argent dans un régime de
retraite ne fera qu’approfondir la
crise systémique de
surproduction-sous-consommation et
entrainera l’économie encore plus
profondément dans la déprime ce qui
plombera encore davantage les régimes de
pension et minera le pouvoir d’achat des
retraités.
Que faut-il
conclure de ce cercle infernal qui
entrave le développement du capital
international – et de nos caisses de
retraite par la même occasion ? Il faut
en conclure que tant que la classe
prolétarienne sera enchainée à l’enclume
de l’esclavage salarié et de ses caisses
de capital pour retraiter à « point » ou
sans « point » elle devra partager le
sort de son maitre paralysé. C’est
l’esclavage salarié qu’il faut abolir
pour satisfaire les besoins de tous les
humains.

NOTES
-
http://www.alterinfo.net/Voici-les-recommandations-de-BlackRock-fonds-de-gestion-15-jours-avant-la-remise-du-rapport-Delevoye-sur-le-projet-de_a151694.html
-
http://www.les7duquebec.com/actualites-des-7/80-des-investisseurs-prevoient-une-crise-dici-5-ans-58-dici-1-a-3-ans/
-
http://www.les7duquebec.com/actualites-des-7/80-des-investisseurs-prevoient-une-crise-dici-5-ans-58-dici-1-a-3-ans/
- AUTOPSIE DU
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