Les 7 du Québec
L'endettement mondial gravit de nouveaux
sommets
Robert Bibeau

Mercredi 12 octobre 2016
http://www.les7duquebec.com/...
Différents indices permettent de
détecter l’approche imminente d’une
résurgence de la crise systémique du
mode de production capitaliste. L’un
d’entre eux est l’endettement des
ménages, des entreprises et des États.
Un autre indice est la baisse du taux de
profit des entreprises et un troisième
indice est l’accroissement soudain du
nombre de faillites. Enfin, un quatrième
indice est l’activité de
fusion-concentration des entreprises
oligopolistiques. Les plus grandes
devenant encore plus gigantesques, ce
qui ne réduit pas la concurrence, mais
au contraire l’exacerbe, la guerre
commerciale qui en résulte mettant aux
prises des monstres financiers
gargantuesques. Dans une série
d’articles, nous ferons la présentation
et l’analyse des statistiques récentes
pour chacun de ces indices.
L’endettement croissant
Ainsi,
récemment le Fonds monétaire
international (FMI) a sonné l’alarme à
propos de la croissance de l’endettement
des ménages, des entreprises et des
gouvernements.
« Alors
qu’en début d’année 2016 de nombreux
analystes prévoyaient une année
horrible, s’alarmant de possibles
cataclysmes, le Fonds monétaire
international a indiqué mercredi
(5.10.2016) que la dette mondiale – tant
publique que privée – avait atteint un
montant sans précédent. Elle est
désormais plus de deux fois supérieure à
la richesse économique créée sur le
globe. Selon un nouveau rapport
publié par le Fonds, l’endettement
global s’élevait à la fin 2015 à
152.000 milliards de dollars en dehors
du secteur financier, soit 255%
du produit intérieur mondial exprimé
en nominal » (1).
La
traduction de ce texte donne ceci : le
produit intérieur mondial (la somme des
marchandises* ou des valeurs d’échange
produites dans tous les pays
capitalistes pendant une année), que
l’auteur appel « la richesse économique
créée sur le globe » est sous financé
pendant que des masses de capitaux sont
pourtant disponibles dans les canaux de
circulation et d’enrichissement
évanescents et chimériques. L’économiste
appelle le capital financier « la dette
mondiale ou l’endettement global ». On
aura compris que ce crédit-dette
constitue un emprunt sur la valeur
d’échange (la valeur des marchandises)
qui sera éventuellement produite par le
prolétariat mondial. C’est justement là
où le bât blesse, la crise de
surproduction entraine la réduction de
la production, le chômage et la
diminution des revenus des
consommateurs, retardant d’autant leurs
remboursements.
Pour
les économistes le capital financier est
la différence entre ce crédit-dette
(public et privé) et le produit
intérieur mondial. Ce qu’ils appellent
aussi l’économie « irréelle » qu’ils
opposent à l’économie commerciale et
industrielle « réelle ». Pour les
économistes léninistes, le capital
financier est la somme de ce
crédit-dette (que Lénine appelait
capital bancaire) ajouté au capital
productif représenté par les actifs des
entreprises productrices de marchandises
(que Lénine appelait le capital
industriel). Pour les économistes
léninistes, le capital financier est
donc la somme du capital réel productif
et du soi-disant capital irréel-non
productif. Trouvez l’erreur ?
Chacun
l’aura compris, dans un cas comme dans
l’autre les concepts de capital
financier – de « financiarisation » de
l’économie – d’économie irréelle sont
des métaphores pour indiquer qu’étant
donné qu’une portion de plus en plus
grande du capital argent circulant ne
représente plus aucune valeur d’usage,
ni donc aucune valeur d’échange (aucune
marchandise en somme), une portion de
plus en plus forte de la circulation
capitalistique (toutes formes de
monnaies* confondues) est désormais
financière et spéculative, anciennement
sous forme de billets au porteur –
billets à ordre – obligation et actions
(que Lénine appelait les tondeurs de
coupons) – aujourd’hui, sous forme de
fichiers numériques, transitant sur les
réseaux de télécommunications. La
technologie pour l’échange et la
spéculation est nouvelle, mais pas
l’objet de l’échange. Cette spéculation
sur la valeur existait au tout début du
capitalisme, la phase impérialiste ne
fait que l’accentuer (2).
Le
cycle des récessions économiques
L’économiste écrit : « De hauts
niveaux de dette sont couteux parce
qu’ils conduisent souvent à des
récessions financières qui sont plus
marquées et plus longues que les
récessions normales », a estimé pour
sa part Vitor Gaspar, directeur du
département des affaires budgétaires au
FMI. Cette flambée de l’endettement est
la conséquence de la véritable boulimie
d’emprunt qui a frappé le secteur privé,
ce dernier surfant royalement sur la
vague de « l’argent pas cher », courant
alimenté par les politiques monétaires
ultra accommodantes des grandes banques
centrales » (3).
Il
est superflue de distinguer ainsi les
récessions « financières » des
récessions « normales ». En apparence,
toute récession débute par la sphère
financière, puis transfert dans la
sphère de la consommation, puis se
transporte dans la sphère de la
production, c’est-à-dire que l’économie
productive tombe en panne sous le poids
de l’économie parasitaire (boursière)
qui accapare une part croissante de la
plus-value. En apparence seulement, car
dans la réalité concrète, une crise
économique commence toujours dans la
sphère de la production – c’est une
crise de surproduction de marchandises –
une crise de surproduction relative, car
les besoins sociaux humains sont loin
d’être comblé et pourtant les
prolétaires, devenus soudainement des
clients, n’ont pas l’argent requis pour
consommer, le banquier leur prête donc
de l’argent, collectant au passage sa
livre de chair d’intérêt, augmentant
d’autant sa ponction sur la masse de
plus-value jusqu’à ce qu’il « saigne »
son client que le surendettement des
ménages, des entreprises et des
gouvernements ne fait que rendre
apparent.
Toutefois, nous acceptons l’aveu non
sollicité du directeur du FMI à l’effet
que sous le mode de production
capitaliste les sociétés passent d’une
crise à une autre, quelle qu’en soit
l’apparence. La boulimie d’emprunt n’est
pas réservée aux ménages ni au secteur
privé – elle frappe également le secteur
public étatique (États + entreprises
gouvernementaux) démontrant ainsi que
sous le mode de production capitaliste
entreprises privées et corporations
publiques leurs empreintes économiques
sont identiques (voilà pour les
réformistes qui préconisent
la nationalisation-socialisation des
entreprises). Cette boulimie
d’emprunt-crédit-dette est inévitable
puisqu’elle vise à combler le manque à
gagner pour la réalisation de la
plus-value auprès des
clients-consommateurs. En d’autres
termes, ces emprunts-dettes visent pour
les entreprises à encaisser aujourd’hui
la plus-value qui ne sera peut-être
jamais produite demain. En réalité,
cette boulimie de capital « gagé »
emprunte non pas de l’argent, mais du
temps, un sursis, avant le grand
effondrement de l’économie capitaliste.
Et le plus terrible c’est que personne
n’y peut rien, ni les banquiers, ni les
spéculateurs boursiers, ni les
politiciens contrairement à ce que
prétendent les réformistes et les
opportunistes qui aiment bien présenter
les banquiers et les milliardaires comme
des sanguinaires faisant la guerre pour
satisfaire leur désir morbide.
Savez-vous pourquoi les réformistes et
les opportunistes répandent ce mythe des
politiciens et des milliardaires
mortifères ? C’est pour se proposer
comme alternative pour la gouvernance de
l’État des riches et la gestion de
l’économie capitaliste. Pour notre part
nous affirmons qu’il est inutile de
substituer à l’État-major capitaliste
une nouvelle équipe « socialiste »,
c’est le mode de production et ses
institutions qu’il faut abattre sans
rémission.
L’économie de la circulation contre
l’économie de la production !
L’économiste poursuit : « Mais
désormais, à l’heure d’une croissance
atone, cet endettement constitue un
lourd handicap pour de nombreuses
entreprises, notamment en Chine
où la situation devient de plus en plus
préoccupante. Une dette privée excessive
constitue un grand frein à la reprise
mondiale et un risque pour la stabilité
financière », a estimé quant à lui M.
Gaspar » (4).
Comment espérer la stabilité monétaire
et financière au milieu de la crise de
surproduction planétaire ? L’économiste
tente ici d’accréditer le mythe qu’il y
aurait l’économie industrielle et
primaire productive réelle d’un côté et
l’économie financière monétaire bancaire
boursière irréelle de l’autre et qu’il
faudrait s’organiser pour qu’une forme
de l’économie ne déstabilise pas l’autre
forme de l’économie. Ces soi-disant
« deux économies » (bancaires et
industrielles comme les appelaient
Lénine) n’en forment qu’une seule –
inextricablement et dialectiquement –
liée et « l’économie financière des
emprunts, des dettes et de la
spéculation » n’est que le reflet de
l’économie réelle en cavale. L’économie
de la circulation du capital « ou sphère
de la circulation » ne peut être que
l’image de l’économie de la production
du capital « ou sphère de
la valorisation » puisqu’il ne se
produit aucune valeur nouvelle pendant
la phase de circulation du capital
contrairement à ce que laissent penser
le système de prêt avec intérêt et le
système de spéculation boursière et de
fusion d’actifs. La Deutsche Bank
l’apprendra bientôt à ses dépens comme
toutes les autres banques incidemment.
Vous
savez qu’elle est la preuve et la
conséquence de cette imbrication entre
ces deux sphères de l’économie ? C’est
qu’au moment où l’économie de la
valorisation-production du capital
s’effondre, les acquisitions, les
fusions et la concentration
monopolistique sont en pleine expansion
(5). C’est que le capital financier est
soudainement trop abondant pour le
capital productif circulant (industriel,
primaire, construction, transport) qu’il
est censé représenter. Ceux qui
contrôlent ce capital financier – en
profite pour s’emparer d’entreprises qui
demain feront faillites, ce que les
économistes bourgeois appelleront une
« correction boursière ».
Les
États capitalistes en faillite
L’économiste ajoute : « Le FMI
souligne par ailleurs que les pays
ont également vu leur dette publique
gonfler et souffrent eux aussi de la
conjoncture économique morose, ce qui
restreint leur capacité à réduire ce
fardeau. Selon les nouvelles projections
du FMI, la dette du Japon devrait
atteindre 250% de son produit intérieur
brut cette année, celle de la Grèce
183% tandis que celle de la France
devrait frôler les 100%. À la fin de
l’année 2015, la dette publique de la
Grèce atteignait d’ores et déjà 176% du
PIB, tandis que le ratio d’endettement
du Japon s’élevait à 248%. De quoi
rendre quasiment impossible un
remboursement » (6).
À des
degrés divers, c’est la situation de
tous les pays sur Terre. Aucun
remboursement conséquent n’est
envisageable ni de la part des
entreprises privées ni de la part des
gouvernements, d’où la conséquence
assurée d’une débandade (correction)
boursière et bancaire suivit d’une
dévaluation monétaire, l’or devenant la
valeur refuge, et la misère le lot des
prolétaires de la planète toute entière.
C’est essentiellement cela la phase
impérialiste ultime du mode de
production capitaliste. Nous verrons la
semaine prochaine comment se déroule ce
phénomène à partir de l’analyse de la
faillite appréhendée de la Deutsche
Bank. Puis nous analyserons le
phénomène de fusions-acquisitions de
titres boursiers surévalués avant de
dévaluer.
Les fonds « vautours » menacent les
« requins » de la finance
L’analyste persiste : « On comprend
d’autant mieux pourquoi, lors
des soixante ans du Club de Paris, le
1er juillet dernier, la directrice du
FMI, Christine Lagarde a appelé tous les
acteurs officiels à se mobiliser pour
améliorer les dispositifs de faillite
des États. La dirigeante a pointé le
problème posé par le volume
monstrueux de dette souveraine ne
contenant aucun bouclier contre
des créanciers agressifs. Dès le début
des années 2000, l’idée de clauses
d’action collective (CAC)* a
commencé à germer. Les instances
internationales cherchaient alors des
moyens pour mieux protéger les États
surendettés contre
des créanciers procéduriers du type
fonds « vautours », capables d’échapper
à toute initiative collective
d’effacement de dette » (7).
Que
faut-il comprendre de ce galimatias
ésotérique ? Que les vautours
financiers ont commencé à se
cannibaliser. La dame Lagarde
signale à un clan capitaliste qu’un
autre clan capitaliste se prépare à se
jeter sur certaines proies (États) déjà
dépecées par un clan concurrent sans
respecter l’ordre de préséance dans le
carnage. C’est le sauve-qui-peut
financier anticipé. Ces fameuses clauses
d’action collective sont des mesures
visant à répartir les impayées entre les
différents créanciers afin que l’un
d’entre eux ne s’effondre pas emportant
les autres dans sa chute. Ces clauses ne
sont qu’un palliatif servant à retarder
l’effondrement sans pouvoir l’empêcher
comme va le démontrer le démantèlement
de la Deutsche Bank allemande
(8). Il faut comprendre que cette
faillite pourrait être le premier acte
« financier – bancaire – monétaire »
résultant de la présente crise
économique systémique du mode de
production capitaliste (9).
Le
directeur du FMI renchérit : « Fin
2014, le directeur juridique du FMI
insistait d’ores et déjà quant à lui sur
la nécessité d’agir également sur la
dette plus ancienne. « Nous avons un
stock d’obligations souveraines (d’une
valeur de 900 milliards de dollars) qui
ne contient pas les nouvelles clauses (CAC
renforcé), dont une grande part ne
va pas expirer avant 10 ans »,
s’alarmait alors Sean Hagan, dans une
note, mettant en garde contre les
risques liés à cette dette « héritée » (legacy
bonds) dans le cas où des
restructurations s’imposeraient »
(10).
Qu’est-ce donc que ces restructurations
qui s’imposent selon le directeur
juridique du FMI ? Ce sont des
renégociations – rééchelonnement de
vieilles dettes souveraines, surtout si
l’État débiteur tente de s’esquiver et
de ne pas rembourser. Les autres États
capitalistes sont intimés de se saisir
des avoirs de ces États insolvables – ou
des avoirs de ses ressortissants sur
leur sol national et dans les paradis
fiscaux offshore – afin de rembourser
les créanciers vautours floués.
Bienvenue dans l’insoutenable monde
des requins de la finance.
En
définitive cet article du FMI illustre
le branlebas de combat qui présage d’une
intensification extrême de la crise
systémique du mode de production
capitaliste dont l’expansion du
« capital financier » ne constitue qu’un
miroir aux alouettes mystifiant les
« économistes » en goguette.
NOTES
*
Marchandise, tout bien ou service offert
sur le marché, que ce soit une
machine-outil, du pétrole ou du pain.
* Monnaie, tout document sur quelque
support que ce soit servant à
représenter une valeur d’échange.
Argent, or, papier à ordre,
papier-monnaie, fichier numérique, etc.
* Une clause d’action collective
(collective action clause en Anglais)
permet à une majorité qualifiée des
détenteurs d’une émission obligataire
d’accepter une restructuration de la
dette qui sera juridiquement
contraignante pour l’ensemble des
détenteurs. La clause doit être stipulée
dans le prospectus d’émission de
l’obligation et utilisée dans le cas de
la dette souveraine de certains pays
émergents.
(1)
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(3)
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(4)
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(5)
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(6)
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(7)
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(8)
https://www.euractiv.fr/section/euro-finances/interview/financial-expert-deutsche-bank-bailout-would-be-expensive-for-all-of-us/
(9)
http://www.huffingtonpost.fr/2016/09/30/deutsche-bank-banque-allemagne-finance-europe_n_12263584.html
(10)
http://www.les7duquebec.com/7-dailleurs-invites/le-fmi-salarme-du-niveau-record-de-lendettement-mondial/
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