Les 7 du Québec
La grève des cheminots français
Robert Bibeau

Mercredi 11 avril 2018 La grève des
cheminots français est exemplaire sous
bien des aspects; elle scinde la société
française en deux camps opposés,
irréconciliables; elle ralentit
l’économie de Paris et de tout le pays,
et elle fait perdre des profits au grand
capital qui, sans « maudire », espère
que l’État en finira avec la résistivité
de ce carré d’ouvriers non privatisé.
Selon les lois de l’économie capitaliste
la privatisation assure l’exploitation
maximale de la force de travail, elle
réduit les coûts sociaux de reproduction
de cette force de travail et elle
augmente les rendements sur
investissement.
Les forces en
présence
D’un côté de la
barricade sociale se tient le grand
capital et son état-major gouvernemental
charger de superviser l’attaque en
faisant appel à toutes les institutions
étatiques : législatif, justice, police,
armée, pénitencier, l’objectif étant de
privatiser les restes de l’un des
derniers services dits « publics ». Pour
ce faire l’abolition du « statut de
cheminot » est nécessaire tout comme
la diminution des salaires et la
détérioration des conditions de travail
afin d’obtenir une plus grande
flexibilité, productivité et
profitabilité des salariés.
Du même côté de la
barricade sociale se tiennent, les
médias à la solde et les maisons de
sondage, propriétés du grand capital. À
leur côté, les partis politiques de
droite chargés de mener la charge afin
de mobiliser « l’opinion publique
bourgeoise » contre les cheminots et
contre tous les grévistes
Du même côté de la
barricade sociale se tiennent les partis
politiques de gauche et la bureaucratie
syndicale, cheval de Troie charger de
miner le front uni des grévistes,
d’isoler les plus militants et de
liquider le mouvement de l’intérieure en
ayant l’air de le soutenir. Un jeu de
fumiste compliqué dans laquelle sont
passés maitres ces sous-fifres surpayés.
De l’autre côté
de la barricade sociale
De l’autre côté de
la barricade sociale se tiennent les
cheminots, les employés d’hôpitaux, les
éboueurs, le personnel d’Air France, les
travailleurs du gaz, les camionneurs,
les ouvriers du privé, les étudiants des
universités, les enseignants paupérisés,
les retraités, et combien d’autres qui
ne demandent qu’à se joindre au
mouvement.
Au fil du temps et
des luttes, les cheminots ont été
présentés comme le dernier bastion de
résistance en France : « À tort ou à
raison, le mythe est là et le
gouvernement Macron et, derrière lui,
tout l’appareil de l’État capitaliste
français, veut l’abattre. La bourgeoisie
française veut aussi ranger
définitivement le souvenir des grandes
grèves, 1995 ou encore 1968, et la
menace qu’elles représentent pour elle,
dans le tiroir de l’histoire. L’heure
n’est plus aux hésitations face au
prolétariat si le capital français veut
rattraper son “ retard ” sur ses
concurrents. » (1) Le Président
Macron ne disait-il pas : « La France
n’aura aucune capacité motrice si elle
ne porte pas un discours clair et un
regard lucide sur le monde. Mais elle ne
l’aura pas non plus si elle ne renforce
pas son économie et sa société. C’est
pourquoi j’ai demandé au gouvernement
d’enclencher les réformes fondamentales
qui sont indispensables pour la France.
Notre crédibilité, notre efficacité,
notre force sont en jeu. Mais la force
de quelques-uns ne peut se nourrir
longtemps de la faiblesse des autres.
L’Allemagne qui s’est reformée il y
a une quinzaine d’années constate
aujourd’hui que cette situation n’est
pas viable. Mon souhait est donc que
nous puissions construire une force
commune. » (2)
Cette politique de
Macron comporte deux risques pour le
front uni du capital : premièrement,
elle expose l’État bourgeois au
jugement de la populace et elle
expose les collabos de l’État au
jugement du prolétariat.
Deuxièmement, cette politique
belliqueuse risque de lui faire perdre
la bataille de l’opinion
prolétarienne et ainsi de lui faire
perdre la guerre de classe, à long
terme.
L’État bourgeois
mis à nu
La bourgeoisie
présente l’État capitaliste comme
un arbitre impartial – au-dessus de la
mêlée de la lutte de classe – ayant
mission de réconcilier les intérêts
sociaux divergents au bénéfice de la
patrie et de la société civile, suivant
les orientations dictées par « l’opinion
publique démocratique » (sic),
voilà résumé le mythe étatique fétiche.
L’État bourgeois en situation de
crise économique, et donc de crise
politique et sociale, est forcé de
montrer son visage hideux de proxénète
au service exclusif des riches.
L’État doit reprendre, non pas des
acquis – sous le capitalisme il n’y a
jamais d’acquis pour la classe ouvrière
– mais, plutôt, des concessions
accordées au « dernier bastion de
résistance » que l’État veut mater.
Le gouvernement devra aller jusqu’au
bout de ses « réformes », la crise
économique lui ordonne et le patronat
exige des résultats du soldat Macron.
En France
spécifiquement, l’État et ses « services
publics » ce sont 5 200 000
employés, que l’OCF décrit
ainsi : « Ces employés de l’État ou
des collectivités locales par leur
existence même laissent à penser au
reste de la population que l’État «
s’occupe de nous », qu’il gère un
soi-disant « service public ». Il leur
semble qu’ils ont un rôle important et
les avantages de leur statut (stabilité
de l’emploi, salaires assurés) les
éloigne peu à peu de la lutte de classe
pour s’orienter vers l’électoralisme
puisqu’après tout l’État est leur
patron, et ce quels que soient les
partis au gouvernement ! C’est cette
couche sociale qui va garnir, jusqu’à
nos jours, les rangs de tous les partis
dits de gauche. C’est cette couche
sociale qui se sent désormais inutile et
veut en revenir « au bon vieux temps
» et qui ne comprend pas l’évolution du
capitalisme. Le capital financier n’a
plus besoin d’illusions ni
d’illusionnistes politiques pour gérer
« son État ». Mais c’est aussi cette
couche sociale qui est largement
responsable de la collaboration de
classe qui a conduit à la
marginalisation puis la disparition de
la classe ouvrière en tant que force
politique. » (3) L’approfondissement
de la crise économique systémique
entrainera la paupérisation et la
prolétarisation de la majorité des
fonctionnaires, la « réforme » des
restes de la SNCF en est le signe
évident.
La bataille de
« l’opinion publique » bidon
Nombre de militants
ouvriers contaminés par la
petite-bourgeoisie syndicale et par la
gauche radicale craignent de perdre la
« bataille de l’opinion publique ».
Pourtant, ça n’existe pas « L’opinion
publique ». Ce qui existe c’est
l’opinion publique bourgeoise et
petite-bourgeoise que l’on nous
présente comme étant « l’opinion
publique ». Elle est le résultat
d’un matraquage médiatique ahurissant où
les médias people, de
formatage et de gouvernance
jouent chacun leur rôle spécifique en
amont de « l’opinion publique » et que
les maisons de sondage récupèrent en
aval du mouvement comme nous
l’expliquons dans notre dernier ouvrage
« La
démocratie aux États-Unis (les
mascarades électorales) ».
(4) Inutile de s’agiter camarades, cette
« opinion publique bourgeoise »
qui subit à la fois ce matraquage
médiatique et les effets désagréables de
la grève ne sera jamais favorable aux
grévistes et ces derniers ne possèderont
jamais les gigantesques moyens
médiatiques pour façonner cette
« opinion ». Les ouvriers doivent s’en
désintéresser tout comme de la
propagande des médias à la solde ainsi
que les mascarades électorales. Ce sont
les petits-bourgeois infiltrés dans les
rangs ouvriers qui proposent de mener la
« bataille de l’opinion publique »
bidon, assurés qu’ils sont de perdre ce
combat inégal, ce qui leur servira
ensuite de prétexte pour dénoncer les
grévistes et capituler.
Cependant, il
existe une opinion « publique »
prolétarienne que les maisons de
sondage enquêtent, mais dont elles ne
publient pas les résultats. Cette
opinion prolétarienne est d’emblée
favorable aux résistants et son soutien
ne dépend pas des médias que le
prolétariat a appris à mépriser, mais de
la détermination des grévistes, du
bienfondé de leurs revendications, et de
la justesse de leur tactique.
La tactique de
lutte des cheminots
À ce propos, la
revue Révolution ou Guerre
écrit : « La tactique que les
syndicats ont mise en place isole
d’avance le combat des travailleurs de
la SNCF dans la corporation et dans un
planning de journées de grève qui ne
peut que les enfermer encore plus dans
une grève sans autre perspective que de
la faire durer “jusqu’au bout ”… ce qui,
très rapidement, provoquera la division
au sein même des grévistes entre ceux
qui voudront et pourront faire grève et
ceux qui ne le pourront pas, ou moins,
et qui se décourageront. » (5)
La tactique mise en
œuvre dans la grève des cheminots
illustre la façon dont louvoie la
cinquième colonne des bureaucrates
syndicaux stipendiés, des ONG
subventionnées, et de la gauche
sectarisée dans le mouvement ouvrier.
Malheureusement, nous possédons peu de
moyens de contrer l’influence de cette
bureaucratie. Les militants prolétaires
révolutionnaires doivent exposer ces
incongruités et proposer des mots
d’ordre et des tactiques alternatives,
puis laisser le prolétariat juger et
décider sans dénigrer. Il se peut que
plusieurs mauvaises expériences
consécutives soient requises avant que
le prolétariat décide qu’assez, c’est
assez, et qu’il prenne en main sa lutte
de classe sur tous les fronts.

NOTES
-
http://www.les7duquebec.com/7-au-front/greve-des-cheminots-en-france-ca-continue/
- Emmanuel
Macron, interview à des
journaux européens le 21 juin 2017.
Rapporté dans la revue
Révolution ou Guerre
http://igcl.org/Pour-une-riposte-proletaire
- OCF
(2018). QUEL AVENIR POUR LE
MOUVEMENT SOCIAL EN COURS ?
http://polpresse.blogspot.ca et
http://www.les7duquebec.com/7-dailleurs/quel-avenir-pour-le-mouvement-social-en-cours-en-france/
- Robert
Bibeau (2018) La
démocratie aux États-Unis (les
mascarades électorales).
L’Harmattan. Paris. 156 pages.
http://www.les7duquebec.com/7-au-front/la-democratie-aux-etats-unis-les-mascarades-electorales/
Disponible en cinq (5) langues
directement sur notre webmagazine.
- Rapporté dans
la revue Révolution ou Guerre
http://igcl.org/Pour-une-riposte-proletaire
Reçu de Robert Bibeau pour
publication
Le sommaire de Robert Bibeau
Les dernières mises à jour

|