Les 7 du Québec
Algérie, l’amorce d’un second «Printemps
arabe»?
Robert Bibeau
Mercredi 10 avril 2018
La complainte
algérienne
Chacun y va de sa
complainte et serine que l’Algérie vit
une sereine révolution. Une révolution
qui ne connaitrait pas encore sa couleur
ni son odeur, mais qui serait impulsée
par de pacifiques balades balisées et
banalisées, sur fond de débonnaires
revendications visant à changer le
visage de la réaction au pouvoir.
Certains osent même évoquer un second «Printemps
arabe» (1). Examinons cette
prétention à travers l’action qui se
déroule en Algérie.
Ainsi, le noble
vocable « Révolution » est
associé à toutes les déflagrations
politiques, particulièrement celles qui
s’apparentent à des pétards mouillés, à
des désordres sporadiques étouffés ou
instrumentalisés par des caciques.
Notamment, par le recours aux mascarades
électorales connues pour leur pouvoir
dissolvant, euphorisant et leur
puissance de «dégagement» (sic). Dans
l’histoire récente, on a eu droit à
l’expression «révolution de velours»,
pour désigner la transition entre la
dictature stalinienne tchèque et la
dictature capitaliste tchèque. On a eu
droit à l’expression «révolution
orange», pour désigner le truquage
des élections en Ukraine. On a eu droit
à la «révolution du jasmin», pour
désigner la transition entre le pouvoir
dictatorial de Ben Ali et la
dictature islamiste tunisienne. Et
enfin, parait que la «révolution
libyenne» aurait permis de
libérer le pays du Guide de la Jamahiriya pour
le remplacer par son lieutenant, le
maréchal d’armée Khalifa Haftar
en route avec ses troupes vers Tripoli
ces jours-ci ?!…
En Algérie, agitée
par de grandes manifestations-parades on
a droit à l’expression «révolution
joyeuse», pour désigner la
transition du pouvoir entre l’ancienne
clique et la nouvelle clique identique.
Entre les récents ministres biberonnés
au sein du FLN et les
anciens apparatchiks exhumés de leur
retraite.
Force est de
constater que les mobilisations massives
de millions d’Algériens n’ont aucunement
ébranlé le régime des affidés. Il faut
reconnaitre que ces derniers résistent
farouchement aux pressions des
apparatchiks candidats à leur
succession. Ça semble un paradoxe que
plusieurs journées de mobilisation
drainant des millions de manifestants
n’aient pas déstabilisé ce régime
toujours aussi fortement installé dans
ses treillis protégeant les institutions
étatiques. À l’exception anodine de la
démission forcée du président zombie
Bouteflika, la même faction gouverne
toujours le pays. Serait-ce l’indice
qu’il ne s’agit pas d’une révolution
économique et sociale, mais plutôt d’une
protestation «citoyenne», appelée à se
lénifier avec le changement de la garde?
Le «blocage» actuel plaide en faveur de
ce dénouement sans perspective.
En effet, les
factieux membres du sérail, qui poussent
à la rue la petite-bourgeoisie excitée
et la populace paupérisée, font germer
des espérances que le grand capital
algérien et international n’a aucunement
l’intention d’honorer. Quand le
prolétariat, mêlé aux gens ordinaires et
aux étudiants dans ces parades
hebdomadaires, réalisera que rien n’est
appelé à changer si ce n’est la façade
du «Village Potemkine»
d’el-Mouradia, rentrera-t-il
sagement à l’atelier sans mots-dires et
sans maudire ceux qui l’auront berné?
Ceux qui usent du
terme Révolution les
abusent et à l’évidence cet usage
immodéré du vocable Révolution vise
à modérer le recours à la révolution,
à rendre illusoire le recours à la Révolution
sociale, et à travestir le sens
de l’expression. Paradoxalement ce sont
les mêmes qui fustigent les authentiques
Révolutions (1789, 1871,
1917, 1949), condamnées pour leur
radicalité, ravalées à l’état de coups
d’État. Ce sont eux qui ont tenté de
présenter le changement de la garde au
Palais el-Orouba pour une
«Révolution» qui aurait accouché du
maréchal-président Sissi,
quelle moquerie.
Pour quelle raison
inavouée les médias s’empressent-ils de
qualifier toute fronde gouvernementale
de «Révolution», sinon pour
disqualifier la Révolution? Celle
qui détruit l’État et ses institutions
pour les remplacer par une nouvelle
forme de gouvernance innovante, portée
par la classe prolétarienne
révolutionnaire, à la suite d’une
période marquée par un double pouvoir et
par l’incapacité de l’État bourgeois. La
Révolution détruira l’ancien mode de
production et instaurera de nouveaux
rapports sociaux de production sur des
fondements économiques radicalement
différents.
Le prolétariat
est la clé de la véritable Révolution
Le prolétariat se
tient à l’écart de cette fronde
politique commanditée par certaines
puissances impérialistes et ourdie par
une clique de caciques. Dans ce scénario
la populace est utilisée comme
chair-à-manifesté et chair-à-matraqué
dans le cadre d’une opération de lifting
politique prise en charge par les
puissances internationales, appelant à
une mascarade électorale revampée.
Pour les peuples
des pays précités, notamment la Tunisie
et l’Égypte, leurs
conditions économiques et sociales ne se
sont pas améliorées, bien au contraire,
elles ont périclité. En Algérie ces
temps-ci, il s’agit d’un soulèvement
contre le système FLN.
Mais, au-delà du rejet d’une des cliques
qui monopolise le pouvoir et la
plus-value dans le pays, on n’entend
aucune revendication pour la défense des
conditions de vie et de travail, pour le
pouvoir d’achat et pour l’augmentation
des salaires. C’est que la
petite-bourgeoisie contrôle le message
de la rue et quémande la tenue
d’élection libre… libre de quoi?
Le truc est éculé, une élection a pour
fonction de désamorcer une crise au sein
de la classe dirigeante, de ramener la
paix sociale troublée par cette crise,
et d’assurer le maintien de l’ordre
établi dominé par le mode de production
capitaliste. Quelle que soit l’issue du
scrutin, l’élection sera remportée par
des candidats au service du capital,
sinon l’élection sera prorogée.
Les causes
profondes du soulèvement algérien
demeurent sociales et économiques, et
elles sont insolubles dans le cadre du
système capitaliste : chômage,
production atone, logement précaires,
insécurité du travail, salaire de
misère, inégalités sociales, oppression
et exploitation – tant de misère que
l’on occulte et qui ne demande qu’à
émerger constitue une menace pour les
apprentis sorciers qui jouent à la
révolution d’opérette. Le général Gaïd
Salah n’a pas manqué de le
rappeler dans une de ses déclarations
comminatoires : «L’armée est la
colonne vertébrale de l’Algérie et elle
est garante de la stabilité et de la
sécurité de la patrie. L’armée
«partage» avec le peuple algérien «les
mêmes valeurs et principes». «Se
rejoignent (…) entre le peuple et son
armée (…) tous les fondements d’une
vision unique du futur de l’Algérie»…
capitaliste (2). En termes explicites :
en cas de changement de régime, la
nouvelle clique politique devra
partager la vision unique en termes de
fondements économiques. Ainsi, dans la
perspective de la rédaction d’une
nouvelle Constitution, la nouvelle
classe politique devra s’astreindre à ne
pas outrepasser le seuil des réformes
acceptables dans le cadre du système
économique capitaliste, sinon l’armée,
colonne vertébrale du système, se
chargera de leur rappeler la source du
pouvoir étatique.
Pourtant, la partie
n’est pas gagnée en Algérie révoltée. Le
régime FLN n’a pas désarmé. L’impotence
du pouvoir ne présume en rien de sa
réaction. Comme en Égypte, au Venezuela,
au Nicaragua, au Soudan, ou à Gaza, et
même dans la France «démocratique» qui
réprime violemment les Gilets
jaunes, tous ces régimes aux
abois ont prouvé de quelle férocité
répressive, ils sont capables. Tout
laisse présager que le régime algérien
n’aura d’autre solution que la
répression. Il revient au prolétariat
algérien révolté contre le système
capitaliste d’éviter cette sanglante
perspective par la radicalisation de sa
lutte et son autoorganisation politique,
sociale et économique à l’échelle
nationale et continentale lui donnant
une force collective invincible.
NOTES
- Abdel Bari
Atwan– « Il existe des
différences majeures entre la vague
actuelle de manifestations et les
bouleversements de 2011. Les
manifestations populaires observées
dans le monde arabe ces derniers
mois – en Algérie, au Soudan, en
Jordanie et dans la bande de Gaza –
ont été décrites comme une
« deuxième vague » du prétendu
printemps arabe, ou une version
modifiée de celui-ci. Cette première
vague avait débuté en Tunisieen
2011, puis s’est étendue en Égypte,
en Libye,
au Yémen, en Syrie et
ailleurs. Elle avait entraîné le
basculement de certains régimes (en
Tunisie et en Libye [dans ce dernier
cas par une massive
campagne de bombardements de
l’OTAN – NdT]) et d’autres
partiellement (Égypte et Yémen),
tout en échouant en Syrie. Dans
d’autres pays tels que le Maroc,
Oman et la Jordanie, l’impact a été
absorbé à un stade précoce par
l’introduction rapide de mesures de
réforme et par une gestion prudente
de la crise. » Source :
http://www.chroniquepalestine.com/un-second-printemps-arabe/
-
http://www.les7duquebec.com/7-au-front/revolution-ou-evolution-avant-la-cinglante-sanglante-reaction/
et
http://www.les7duquebec.com/7-au-front/le-degagisme-petit-bourgeois-nest-pas-de-lengagisme-proletarien/
Reçu de Robert Bibeau pour
publication le 15 avril
2019
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