Les 7 du Québec
La hausse du salaire minimum
(SMIC)
n’est pas la panacée
Robert Bibeau

Mercredi 6 février 2018
Au stade où en est
la crise économique systémique du
capitalisme, on pourrait parler d’agonie
des marchés « libres » (sic). Il
n’existe pas de nouveautés prometteuses
qui pourraient laisser espérer une
relance de l’économie mondialisée.
Le dernier voile à tomber est la
hausse du salaire minimum, le
SMIC dit-on en France, comme
panacée pour encourager
l’automatisation, l’innovation et les
hausses de productivité. (1) Depuis 2016, la
désaffection des militants sociaux
devant les discours de la gauche
mondialiste est évidente. C’est l’année
où Donald Trump et le
Brexit ont commencé à
influencer les secteurs les plus
fragiles de la petite bourgeoisie
paupérisée et du prolétariat précarisé,
le moment où les sondages des grands
médias à la solde ont déclaré que la
jeunesse américaine était devenue
« socialiste » (sic) alors que les
démocrates ont récupéré Bernie
Sanders le « socialiste » (sic). Le salaire
minimum (SMIC) a été le sujet
des Primaires démocrates et les facultés
universitaires d’économie ont commencé à
produire toute une littérature qui
présente la hausse du salaire minimum (SMIC)
comme une alternative au
néoprotectionnisme préconisé par
Donald Trump. Ce que nous
avons rapporté dans notre volume: « La
démocratie aux États-Unis. Les
mascarades électorales« .

Récemment, les
Gilets jaunes français
ont récupéré ce cheval de Troie des
mains de l’intelligentsia occidentale.
Les Gilets jaunes
réclament un SMIC à 1300 euros…
Voici ce que la presse à la solde leur
répond; « Pourquoi le SMIC n’a pas
augmenté de 3% le premier janvier 2019 »
:
https://www.rtl.fr/actu/conso/pourquoi-le-smic-n-augmentera-pas-de-3-au-1er-janvier-2019-7795813137
L’idée
socialiste du salaire minimum (SMIC)
Cette idée
« socialiste » va comme suit : la classe
prolétarienne est écrasée sous les
dettes alors que le salaire minimum en
hausse réduirait l’étalement des
salaires et les inégalités sociales, car
un salaire minimum plus élevé modifie la
répartition du capital en orientant les
investissements technologiques vers les
secteurs aux salaires plus élevés,
augmentant d’autant la productivité
sociale globale. Aujourd’hui, les
preuves empiriques réfutent cette thèse.
Pourquoi?
Pourquoi la
hausse du salaire minimum gonfle-t-elle
le nombre de bénéficiaires et très peu
les salaires?
Comme dans toute
théorie économique, les spéculations des
économistes avaient un certain fondement
pratique. Avec une classe ouvrière
disloquée et affaiblie, dans une
conjoncture de crise économique
systémique et de salaires réels à la
baisse, une entreprise préfère embaucher
de nouveaux travailleurs précaires au
salaire minimum plutôt que d’investir
dans de nouvelles machineries et de
nouvelles technologies afin de réduire
les couts de production unitaires. Ce
raisonnement de bon sens économique
capitaliste s’applique non seulement aux
grandes entreprises, mais à tous les
investisseurs.
« Pourquoi une
chaine de restaurants risquerait-elle
d’acheter une fourgonnette de livraison
si elle pouvait engager des travailleurs
qui utilisent leurs propres vélos et
sont prêts à ne facturer quasiment rien
et uniquement pour ce qui est réellement
livré? On le constate la spirale de
la précarisation et de la paupérisation
semble sans fin. Pour régler ce problème
légalement, disait la gauche, il serait
intéressant d’investir socialement. »
(2)
La critique
marxiste est connue. Face à la crise, le
capital s’acharne à accroitre
l’exploitation en valeur absolue,
c’est-à-dire à accroitre la
plus-value absolue (allongement de
la journée de travail, accélération des
cadences, réduction du salaire à la
pièce, etc.), ce qui signifie en moyenne
moins d’heures travaillées pour une même
quantité de marchandise produite. En
augmentant la productivité de la force
de travail – le nombre d’heures
travaillé demeurant égal par ailleurs,
le taux de profit a tendance à chuter,
car la même valeur de force de travail
est extraite grâce une plus grande
quantité de capital. La manière de
compenser cette baisse de rentabilité
relative consiste à « augmenter la masse
des marchandises produites »,
c’est-à-dire à tirer parti de
l’amélioration technologique pour
produire et vendre en plus grande
quantité – à un prix inférieur – jusqu’à
augmenter le profit total en termes
absolus (mais non en termes relatifs/par
unité produite).
Ce serait le secret
du développement des capitalistes
chinois qui réinvestissent leurs
bénéfices dans la production et dans
l’amélioration de la productivité ce qui
entraine une hausse des salaires et
renforce à son tour la demande
intérieure.
Qu’en est-il de
ce modèle en pays émergents?
Mais la gauche et
les économistes ont oublié quelque chose
d’important: il ne suffit pas de
produire plus de marchandises, encore
faut-il vendre ces produits afin de
réaliser la plus-value qu’ils renferment. La
plus-value doit être réalisée et
l’existence même d’un profit sur toute
marchandise suppose que la demande est
extérieure au travailleur qui a produit
cette marchandise, car ces travailleurs
n’ont pas le pouvoir d’achat pour
absorber cette production excédentaire.
En d’autres termes,
s’il n’y a pas de nouveaux marchés à
conquérir pour absorber l’augmentation
de production, l’amélioration de la
productivité provoquera une
surproduction et ne fera que créer de
nouveaux problèmes pour le
capital. C’est pourquoi la mécanisation
– la robotisation – et la numérisation
de la production sont habituellement
implantées au début du cycle
d’accumulation capitalistique, lorsque
la conjonction du crédit facile – qui
crée une demande non solvable – et de
l’accès à de nouveaux marchés permet
d’écouler une production massive.
L’impérialisme
économique et militaire
L’impérialisme
peut être défini comme la résultante de
l’impossibilité pour le capital national
de réaliser toute la plus-value produite
sur son marché intérieur où les
travailleurs forment la grande majorité
des consommateurs et ne peuvent acheter
toute la marchandise qu’ils produisent
(sinon où serait la plus-value?). Le
capital national réagit alors en se
lançant à la conquête de nouveaux
marchés (guerre commerciale) et à la
fin, une puissance impérialiste peut
être conduite à détruire de grandes
capacités productives (moyens de
production et force de travail) dans une
guerre meurtrière.
Prenons l’exemple
de la Corée et de
Taiwan pays émergents qui se
sont beaucoup développés dans les années
soixante-dix et quatre-vingt. Pour des
raisons géostratégiques de guerre froide
contre le bloc soviétique les États-Unis
leur ont accordé un libre accès à leur
immense marché intérieur. De même pour
l’immense Chine (1,3 milliard
d’individus) qui a bénéficié de
la réduction globale des barrières
douanières permettant aux entreprises
occidentales de délocaliser leurs usines
vers la Chine d’où elles approvisionnent
leurs ex-marchés nationaux. C’est ce que
les économistes bourgeois appellent la
« mondialisation – globalisation » de
l’économie impérialiste qui a permis de
généraliser ces pratiques commerciales à
l’échelle de la planète. Maintenant
qu’il a été placé sous contrôle par le
néoprotectionnisme américain, la
machine productive chinoise trouve
difficile de maintenir des taux de
croissance à deux chiffres.
La valorisation du
capital par la production de
plus-value relative (amélioration
des procédés de fabrication) ne
fonctionne que lorsqu’il existe de
nouveaux marchés pour assurer la
demande. C’est pourquoi la menace
protectionniste américaine et européenne
remet en question la croissance chinoise
et c’est pour cette raison que, dans une
perspective historique, le mode de
production capitaliste
industriel-urbanisé et financiarisé a
quitté sa phase ascendante, caractérisée
par la croissance constante des forces
productives, des moyens de production et
de la production, lorsque les marchés
émergents sont devenus insuffisants.
Car, si
l’investissement est bien, à terme, la
clé de la croissance, comment
peut-on espérer que cet investissement
se développe quand la consommation
reste bridée? On le voit, la
question de la répartition des revenus
est centrale pour maintenir la dynamique
économique d’un pays. Espérer qu’en
favorisant les plus riches on relance
l’investissement ignore cette vérité
vieille comme l’économie qu’il n’y a
d’investissement que si les entreprises
anticipent une hausse de la consommation.
(3)
L’ogre étatique, ce
super consommateur surendetté est au
bout de sa laisse et ne peut envisager
d’accroitre sa consommation alors que sa
consommation représente déjà plus de la
moitié du PIB national. Voyons le cas de
la France :
« L’État
français obèse et spoliateur employait
5.666.000 fonctionnaires au 31 décembre
2017, soit une hausse de 47 %
depuis 1980, alors que la croissance de
la population n’a été que de 24 %. Les
dépenses publiques atteignent le chiffre
démentiel de 57 % du PIB. La
France représente 1 % de la population
mondiale, 3% de la production mondiale,
mais, à elle seule, 15 % des aides
sociales de la planète » (4)
Ce capitalisme,
celui de l’impérialisme et
du déclin économique ne pourra être
sauvegardé très longtemps, et on peut
s’attendre que tout naturellement – sans
qu’il soit question de psychopathes
assoiffés du sang prolétarien – ce monde
désespéré s’engage dans des destructions
massives – équivalente à celle de la
dernière guerre mondiale – afin
d’éliminer le trop plein de capital
fixe. Comprenez bien, cette guerre
mondiale en préparation ne sera pas le
résultat d’un complot ourdi par des
banquiers malfaisants, mais le fruit des
lois incontournables du mode de
production capitaliste. Inutile de
chercher à changer d’attelage
gouvernemental au milieu du gué… c’est
le système en entier qu’il faudra
éradiquer.
Et les
« libéraux » que disent-ils?
« Les libéraux
d’aujourd’hui ne sont pas les champions
du libre-échange et du capital ascendant
qu’ils étaient au XIXe
siècle. Ce sont les représentants,
affublés de la rhétorique du XIXe
siècle, des intérêts monopolistiques les
plus réactionnaires au sein
du capitalisme d’État dominant. Sa
mission va toujours et sans ambigüité
dans le sens de l’attaque directe contre
les conditions de vie et de travail de
la classe ouvrière. »
« Que disent les
libéraux (de gauche comme de droite) à
propos de tout ceci? Ils font leurs
calculs et arrivent à la conclusion que
fixer un salaire minimum proche du seuil
de pauvreté ne peut que… créer davantage
de pauvreté, de chômage. En outre,
confirmant que, comme nous l’avions
prévu, l’augmentation du salaire minimum
augmentera le nombre de travailleurs
ayant des salaires plus bas, la Banque
d’Espagne estime que la hausse de 22% du
SMI ne fera que faire augmenter le
salaire moyen de 0,8%. » (5)
La mécanique
capitaliste à but lucratif est tellement
cassée, tellement dysfonctionnelle et
sans empathie pour la société et pour
l’humanité, que le fameux « équilibre »
qui permettait la reproduction du
capital en mouvement ne peut plus
valoriser suffisamment le capital pour
rémunérer la dépense supplémentaire en
force de travail. En payant en dessous
de ce qu’il en coute pour assurer la
reproduction de la force de travail –
comme dans le cas de plus en plus
répandu des travailleurs pauvres – le
capital met sa propre survie en
danger. En d’autres termes, la survie
d’une « économie nationale viable »
passe par la paupérisation du
prolétariat et cela ne changera pas.
Conclusion
Quelle conclusion
tirer de tout cela? Qu’il n’y ait pas
d’illusions sur les correctifs et
les réformes. Il n’y a aucun
moyen de «redémarrer» le
capitalisme sans passer par une guerre
impérialiste. Il est temps de se lever
et d’imposer nos besoins prolétariens
sans se préoccuper des avantages du
capital. Nous ne pouvons pas attendre
que le capital «soit profitable» comme
disent les syndicats. Nous devons nous
battre pour des réductions du temps de
travail et pour des augmentations de
salaire pour tous et pour l’embauche de
tous les chômeurs. Si le capital ne peut
le réaliser, cela signifie que le
capitalisme est devenu inacceptable pour
la société en général.

NOTES
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-
http://www.les7duquebec.com/actualites-des-7/rebond-boursier-dans-lattente-de-lexplosion-a-venir/
-
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Reçu de Robert Bibeau pour
publication le 9 février
2019
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