Les 7 du Québec
Faut-il détruire les ordinateurs
pour sauver les emplois ?
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 4 novembre 2015
http://www.les7duquebec.com/...
Nous inspirant d’un article
publié par une revue française
spécialisée dans les technologies
numériques nous présentons le point de
vue marxiste à propos de la
numérisation, l’informatisation et
l’automatisation des moyens de
production, caractéristiques
importantes de l’évolution du travail
salarié sous le mode de production
capitaliste (1).
Il y a plus d’un siècle Marx a eu
maille à partir avec les luddites
anglais qui brisaient les machines à
tisser pour s’opposer à la précarité de
leurs emplois de journaliers (2). La
classe prolétarienne ne devrait pas
s’opposer à l’informatisation,
numérisation et automatisation des
tâches et des postes de travail qui
pourraient ainsi devenir moins pénibles,
moins polluantes, demander moins de
temps de travail et laisser plus de
temps de loisirs. Mais comment approuver
l’automatisation quand ces technologies
détruisent les emplois et détériorent
les conditions de vie et de travail des
salariés ?
Les emplois intellectuels
sont aussi menacés
Avec l’arrivée du numérique,
même les emplois intellectuels, après
les métiers ouvriers, sont menacés dès
lors qu’ils correspondent à des tâches
répétitives. C’est ce que montre l’étude
réalisée par le cabinet Roland Berger de
Paris. À l’horizon 2025, le
numérique pourrait supprimer jusqu’à 3
millions d’emplois en France seulement.
Ces suppressions concerneraient non
seulement la production de biens
matériels, mais aussi les services.
C’est ce qu’annonce l’étude «
Think Act : les classes moyennes
face à la transformation digitale »
publiée par la société Roland
Berger (3).
Comment éviter ces
suppressions d’emplois qu’impose
l’informatisation ? En réformant la
formation continue prétendent
les spécialistes du perfectionnement
tout au long de la vie. C’est un peu
comme les policiers de l’État bourgeois
qui matraquent les manifestants et qui
violent les Amérindiennes, qui
pratiquent le trafic de la drogue et
rançonnent les commerçants des
quartiers, alors que les officiers de
police réclament une meilleure formation
pour les limiers afin qu’ils apprennent
à mieux gérer et à mieux dissimuler
leurs activités de ripoux.
Big data, machine
intelligente, numérisation et
informatisation
Quelles sont les causes des
suppressions d’emplois ? Le Big data, la
numérisation, les machines apprenantes
et l’informatisation en général. Ces
technologies sont susceptibles de
transformer profondément les activités
de service et les opérations
intellectuelles qu’on croyait jusqu’ici
protégées de l’automatisation, poursuit
l’étude. Ce qui rend une tâche
automatisable, qu’elle soit manuelle ou
intellectuelle, c’est son caractère
répétitif.
Les sections de la classe
prolétarienne travaillant dans les
secteurs des services tertiaires seront
durement touchées par les techniques
numériques. Des emplois intermédiaires
sont à risque, il s’agit des fonctions
administratives en entreprise, des
métiers juridiques, des
fonctions-conseils et d’expertises
financières, et des fonctions
d’encadrement qui ont été historiquement
pourvoyeuses d’emploi pour la soi-disant
« classe moyenne ». En fait, cette
pseudo « classe moyenne » est formée des
sections de la classe prolétarienne
travaillant dans le tertiaire clérical
qui se sont longtemps cru à l’abri de la
paupérisation, mais qui depuis 2008 en
sont affecté par l’approfondissement de
la crise économique systémique du
capitalisme. Déjà les secrétaires, les
caissières, les commis bancaires ont
subi les contrecoups de
l’informatisation de leurs postes de
travail. Demain, ce seront les
conseillers en assurances et en
placements financiers, etc.
Certes, les analystes prétendent que
l’informatisation-automatisation des
moyens de production ouvre de nouvelles
perspectives d’emplois, notamment dans
les domaines de l’environnement, de la
performance des entreprises, de la
relation avec la clientèle et des
nouvelles technologies qui sous-tendent
cette évolution. Mais l’innovation
technologique s’attaque déjà à ce type
d’emplois tertiaires comme
l’automatisation des centres d’appels le
démontre amplement. Ainsi, l’étude
de Roland Berger pointe vers la
profession de courtier d’assurance comme
étant un de ces métiers susceptibles de
disparaitre. On dispose désormais de
comparateurs d’offres sur internet, et
de systèmes de gestion de portefeuilles.
Le cœur de l’activité
de courtage peut être automatisé avec le
courtier en ligne (Assur3D).
Et le logiciel de Backoffice
de courtage Pro CRM
tire parti du Big data pour comparer
instantanément un très grand nombre
d’offres. La prise en charge par
logiciel de tâches toujours plus
nombreuses dans ce métier pourrait
réduire de 1800 le nombre de courtiers
en France seulement. Le cabinet Roland
Berger prend comme exemple de la menace
sur les tâches intellectuelles, le cas
du logiciel Quill
qui permet la rédaction de contenus
factuels et simples, impactant forcément
le journalisme sportif ou financier, les
rapports annuels d’entreprise et
l’automatisation de contenus markétings
et promotionnels. Autre cas, le robot
TUG d’Aethon
qui se déplace dans des environnements
imprévisibles permet d’automatiser des
tâches comme la distribution de
médicaments et de repas dans un hôpital,
une tâche jusqu’ici dévolue aux
aides-soignants. Plus de 140 hôpitaux en
sont équipés aux États-Unis affirme la
firme-conseil.
Selon l’étude Roland Berger, trois
grands types d’applications auront un
impact important sur le marché de
l’emploi, au vu des gains de
productivité qu’ils génèrent. Il s’agit
d’abord de l’informatique décisionnelle,
qui repose sur trois technologies, le « Machine
Learning » (logiciel
apprenant), le Big data
et le Cloud (une
invention de la firme IBM), assurant des
tâches jusqu’alors réalisées par
l’homme. De même, les appareils
connectés devraient permettre
d’importants gains de productivité dans
les secteurs de l’assurance, et de
l’énergie. Enfin, la robotique avancée
et en particulier les véhicules
autonomes vont bouleverser le secteur
des transports, taxis y compris. De
fait, l’étude évalue que 42% des corps
d’emploi pourraient être affectés par
l’informatisation, et l’automatisation
des moyens de production.
La « croissance » du digital
L’étude du cabinet Berger reconnait
que les entreprises digitales
connaissent la croissance la plus
importante et que les entreprises
françaises doivent impérativement
s’engager dans la numérisation de leurs
activités. Au Canada, de nombreux
spécialistes ont déjà accroché le grelot
de l’innovation numérique. Comment
expliquer que la numérisation des tâches
et des postes de travail
n’améliore nullement le sort des
travailleurs et ne fait qu’accentuer la
misère de la classe ouvrière ?
Le géant multinational
Amazon utilise de plus en
plus de robots dans ses entrepôts. Le
géant du e-commerce utilise 30 000
appareils Kiva dans ses centres de
traitement des commandes. Le nombre de
machines a doublé depuis 2014. Amazon
avait racheté le spécialiste des
appareils de manutention
Kiva Systems en 2012.
« Le cout en capital de ces robots est
compensé par leur rendement important.
Cet investissement a certes des
conséquences sur notre structure de
couts, mais nous sommes pour l’instant
satisfaits de Kiva », a souligné
Phil Hardin, directeur principal chez
Amazon. Ces robots permettent à Amazon
de diminuer les couts de main-d’œuvre et
de faire baisser les risques de
blessures des salariés du groupe, lui
permettant in fine de réaliser
des économies et surtout d’engranger des
profits (4).
Là où le bât blesse, c’est que cette
hausse dans la composition organique du
capital de la société Amazon
– cette hausse dans son capital constant
global (Cc), compensée par une baisse de
son capital variable (Cv) – les salaires
– entraine effectivement une
augmentation de la plus-value relative
et extra, mais tout cela est temporaire.
Aujourd’hui Amazon obtient un profit
supplémentaire du fait que la valeur de
la force de travail total qu’elle
emploie est dépréciée par rapport au
marché global de l’emploi. Mais demain
les concurrents d’Amazon auront disparu,
ou alors, ils auront intégré ces
innovations technologiques à leur
production abaissant eux aussi la valeur
moyenne de la force de travail engagée,
accroissant d’autant la misère de la
classe ouvrière.
Pas de substitution des
emplois
Pour le cabinet Roland Berger, les
emplois créés ne se substitueront pas
aux emplois détruits, ni en termes de
niveau de compétence requis, ni en
termes de position sur la chaine de
valeur, ni en termes de répartition
géographique. « Conséquence, il faut
lancer dès maintenant une stratégie
volontariste pour parer les
difficultés (lire ici, parer
aux résistances de la classe
prolétarienne à la détérioration de ses
conditions de vie et de travail. NDLR),
et saisir les opportunités
(lire ici, se servir de ces gains de
productivité pour accroitre la
profitabilité du capital investit en
France, sans rien céder aux salariés.
NDLR) » (5).
Évidemment, bureaucrates syndicaux et
gauche bourgeoise réformiste
réclameront une plus juste répartition
des gains de productivité sans en
réaliser l’impossibilité. Le
grand capital national qui cèderait à de
telles réclamations se placerait
aussitôt en situation de vulnérabilité
économique, commerciale et financière
vis-à-vis les multinationales faisant
affaires dans d’autres sphères et dans
d’autres ères du planisphère. La
concurrence internationale
entre les branches et les secteurs du
capital est une caractéristique de la
phase impérialiste du mode de production
capitaliste.
Dans dix ans les gains de
productivité liés à la numérisation des
entreprises pourraient représenter 30
milliards d’euros de recettes fiscales
(sic) et 30 milliards d’investissements
privés additionnels en France seulement
prétend Roland Berger. Selon l’expert,
la France doit engager une stratégie
volontariste d’adaptation de son système
productif aux enjeux du numérique. Le
cabinet Roland Berger s’inquiète devant
le faible taux de robotisation du
secteur manufacturier français comparé à
celui de ses concurrents, ce qui selon
lui n’a pas permis à la France de
« protéger son appareil productif et ses
emplois industriels » (sic). La
perte de compétitivité liée au retard
français aurait détruit plusieurs
emplois industriels. Tous auront compris
le ridicule paradoxe que stigmatise la
firme-conseil. Si le capital français a
perdu des emplois en France
métropolitaine, c’est parce qu’il n’a
pas détruit suffisamment d’emploi par
l’informatisation-automatisation des
tâches, il les a détruits par la
délocalisation des manufactures. Le
capital français, au même titre que le
capital du monde entier, ne souhaitait
pas modernisé l’appareil productif
national quand il pouvait délocaliser et
aller chercher des gains de productivité
– lire de plus-value absolue, relative
et extra – dans les pays « émergents »
où le prolétariat travaillait
ardemment, ployant sous le fouet des
hobereaux locaux – représentants
nationaux d’un camp impérialiste ou d’un
autre, le tout accompagné des chants de
libération nationalistes chauvins et
assassins.
Qu’est-ce qui a donc changé depuis le
milieu des années 2000 pour que tout à
coup les spécialistes français,
canadiens, européens sonnent l’alarme et
réclament encore des hausses de
productivité ? Voilà la véritable
question à laquelle il faut s’attarder
pour comprendre cette croisade des
économistes bourgeois déjantés.
Chômage à 18% en France, et à
combien aux États-Unis ?
Face à ces menaces, l’étude évalue
deux scénarios. Dans le premier, l’État
pourrait être tenté de mettre en place
des garde-fous règlementaires pour
sauvegarder certaines professions
menacées. Une telle stratégie ne serait
efficace qu’à très court terme. Elle
mènerait à une adaptation par le bas, et
vers le « Low cost worker ». Les
conséquences en seraient désastreuses
avec un chômage grimpant à 13% ou 18%.
Second scénario, l’étude préconise du
soutien par l’État bourgeois de la R&D ;
de l’investissement des entreprises ;
des infrastructures numériques ;
l’amélioration de la coopération entre
la recherche publique et privée, ainsi
que le développement de « clusters »
(entreprises innovantes) de taille
suffisante pour lutter à
l’international. De même, elle préconise
le renforcement de l’intégration
européenne afin de disposer d’un marché
d’une taille suffisante. Bref, l’étude
du bureau Roland Berger préconise que
l’État bourgeois joue son rôle de
gouvernance et qu’il ordonnance la
réponse du capital multinational
(section France) au défi que pose la
crise économique systémique qui perdure
et pour laquelle les États-Unis, et la
Chine, les deux grands concurrents de
l’Euroland, ont déjà commencé à apporter
des réponses désespérées. Les
altermondialistes et les gauchistes
bourgeois auront compris que le
« néo-libéralisme antiétatique » (sic)
n’est qu’une fumisterie dont ils sont
chargés d’assurer la crédibilité.
Alors que
l’informatisation-automatisation des
tâches répétitives et ennuyeuses offre
une excellente perspective à la classe
prolétarienne qui devrait s’en réjouir,
ces innovations technologiques sont les
moteurs d’agressions constantes contre
leurs conditions de vie et de travail.
Pourquoi ? Parce que sous le mode de
production capitaliste l’innovation
technologique dans les méthodes et les
moyens de production ne visent pas à
alléger le fardeau des esclaves salariés
ni à améliorer les conditions de vie et
de travail des employés. L’étude du
cabinet-conseil le répète à satiété,
l’innovation technologique doit servir à
accroitre la productivité et l’intensité
du travail afin d’assurer la position
concurrentielle des monopoles
multinationaux et leur permettre
d’accroitre leur production de
plus-value et la profitabilité du
capital immobilisé. Hors de cette loi
d’airain point de salut. L’étude le
souligne, les États-Unis ont déjà
entrepris cette métamorphose et les
grands capitalistes américains ont
commencé à rapatrier sur le territoire
américain des entreprises assurant
l’extraction de plus-value absolue,
relative et extra, exigeant de la classe
prolétarienne américaine qu’elle se
saigne pour conserver le privilège
d’être exploité dans des « sweatshops »
à peine moins insalubres que ceux que
l’on retrouve dans les pays
« émergents » (6). Aux États-Unis les
revenus (salaires et allocations
gouvernementales) d’une portion de plus
en plus importante des salariés sont
sous les conditions de reproduction de
leur force de travail (7). C’est là une
autre caractéristique du stade
impérialiste du mode de production
capitaliste.
Il ne faut pas oublier que dans tous
les pays capitalistes ayant atteint le
stade d’évolution impérialiste
l’informatisation-automatisation des
postes de travail s’ajoute à la
précarisation des emplois conséquence de
la réduction, d’abord relative et
aujourd’hui absolue, des dépenses
gouvernementales consacrées à la
reproduction de la force de travail.
C’est ainsi que les services éducatifs,
les services de santé, les services de
loisirs, sportifs et culturels sont
partout comprimés suite aux déficits
gargantuesques grevant les finances
publiques.
Faut-il s’attaquer au
symptôme ou à la maladie ?
Faut-il que les classes
prolétariennes américaine, française,
canadienne, russe, chinoise et mondiale
s’opposent à
l’informatisation-automatisation de la
production et des postes de travail ?
Évidemment non ! Ce serait s’aligner sur
ces gauchistes bourgeois qui voudraient
abolir les structures étatiques supra
nationales issues de la mondialisation
impérialiste (ONU, FMI, BM, OCDE, OACI,
SWIFT, Union européenne, ALENA, traité
Trans Pacifique, etc.) stigmatisant la
plaie purulente qui atteste
effectivement que l’organisme est
profondément déficient. C’est
l’organisme dans son entier qu’il faut
purger et changer pour construire un
nouvel organisme – un nouveau mode de
production socialisé – plutôt que de
tenter de réformer ce qui ne peut être
réparé, mais devrait être éradiqué. Le
problème qui confronte la classe
capitaliste monopoliste française et
européenne, tout autant que la
bourgeoisie américaine et canadienne
c’est de savoir si la classe
prolétarienne acceptera ces conditions
de perdition sans broncher ou si les
services de répression parviendront à
écraser la résistance des
ouvriers. La première manche de ce
combat épique, classe contre classe, est
déjà engagée, elle consiste, pour la
gauche bourgeoise, à mystifier ces
questions afin de désarmer la classe
ouvrière devant son ennemi antagoniste.
Puisque le mode de production
capitaliste ne sait pas assurer la
reproduction élargie de leur société –
capital – plus-value – moyen de
production et force productive salarié –
alors il devrait être renversé et
remplacé par un nouveau mode de
production appropriée (8).
-
Source de l’article. La revue du
digital. Publié le
28 octobre 2014 par
http://www.larevuedudigital.com/2014/10/28/3-millions-demplois-menaces-en-france-a-cause-du-numerique/
-
https://fr.wikipedia.org/wiki/Luddisme
-
http://www.larevuedudigital.com/wp-content/uploads/2014/10/Roland_Berger_TAB_Transformation_Digitale-201410301.pdf
-
http://www.usinenouvelle.com/la-redaction/lelia-de-matharel.5235
-
http://www.larevuedudigital.com/2014/10/28/3-millions-demplois-menaces-en-france-a-cause-du-numerique/
-
http://www.les7duquebec.com/actualites-des-7/le-taux-de-chomage-avoisine-0-aux-usa/
-
http://www.les7duquebec.com/7-au-front/le-capitalisme-aux-soins-intensifs/
-
Robert Bibeau (2014).
Manifeste du pari ouvrier.
Publibook. Paris. 183 pages.
http://www.publibook.com/librairie/livre.php?isbn=9782924312520
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