Les 7 du Québec
De la guerre commerciale, à la guerre
monétaire,
à la guerre militaire
Robert Bibeau

Mercredi 4 avril 2018 Tarif douanier
et guerre commerciale
Peu d’économistes
savent qu’une guerre commence par une
échauffourée commerciale, se poursuit en
escarmouche monétaire, se complique par
des altercations politiques et
diplomatiques, et dégénère en
affrontement militaire. L’économiste
Nick Beams observe que : « Le
président américain Donald Trump a fait
un pas important vers le déclenchement
d’une guerre commerciale internationale
en imposant un tarif douanier de 25 %
sur les importations d’acier et de 10 %
sur l’aluminium. Ces mesures
rappellent la loi Smoot-Hawley de juin
1930 qui avait joué un rôle
important dans les conflits économiques,
et finalement militaires, de la décennie
suivante. » (1) Quelques jours
plus tard, le Président en remet et
menace d’imposer des droits
compensatoires antidumpings de 22% sur
le papier journal canadien, un produit
que les États-Unis produisent de moins
en moins (2). Encore quelques jours et
le « possédé » de la Maison-Blanche
menace la Chine, son principal
concurrent, son principal fournisseur,
et son principal créancier, de tarifs
douaniers « punitifs ». (3)
L’observation de Nick Beams
permet de comprendre le sens de ces
menaces décriées par ses concurrents et
par ses alliés.
Ces annonces
belliqueuses font suite à l’ouverture de
plusieurs ententes de libres-échanges
qui loin de manifester des velléités
isolationnistes visent à faire pression
pour la renégociation de ces traités à
l’avantage du capital étatsunien comme
nous l’avons souligné dans notre
dernière publication (ici).
De fait, Donald Trump, en
bon majordome du capital, signera plus
d’accords commerciaux que ses
prédécesseurs, car il en va de la survie
de l’Amérique. (4)
Analysons quelques
déclarations visant à justifier ce
chantage commercial. Le Président
américain déclare : « Quand on en
arrive à un point où notre pays ne peut
plus produire d’aluminium et d’acier,
alors c’est que l’on a pratiquement plus
de pays ». Trump a raison de se
plaindre du sort de l’industrie des
États-Unis, mais produire de l’acier
est-ce le rôle dévolu au capital
financier dans le procès de
mondialisation ?
Auparavant Trump
avait souligné que : « en guerre on
ne peut pas acheter notre acier du pays
contre lequel on se bat », ce qui
est exact et cela constitue un aveu
belliqueux non sollicité. Doit-on en
conclure, comme Nick Beams,
que le Pentagone se prépare à la guerre
mondiale suite au dévoilement de sa
nouvelle doctrine militaire ? (5) Nous y
reviendrons.
La hausse des
tarifs douaniers stoppera-t-elle la
désindustrialisation de l’Amérique ?
Rien n’est moins certain de l’avis du
PDG d’un trust industriel qui déclare
: « Les augmentations massives des
tarifs douaniers augmenteront les coûts
pour des industries américaines
essentielles – l’automobile, la
machinerie, la construction, l’énergie
et bien d’autres. Ce sont des secteurs
importants, et l’effet négatif dépassera
de loin les bénéfices. » Un
autre magnat de l’industrie ajoute : « Le
secteur industriel américain, et en
particulier les compagnies en aval qui
utilisent de l’acier et de l’aluminium,
emploie bien plus d’Américains que
l’industrie sidérurgique et elles
seront directement affectées ».
Suite à ces annonces la bourse
américaine a réagi : « l’indice
Dow Jones Industrial Average a chuté
de 420 points – le troisième jour
successif où il y a eu un déclin de plus
de 300 points – ainsi que des chutes
notables d’autres indices, effaçant
pratiquement tous les gains de l’année. »
Les effets de la
mondialisation sur l’accumulation du
capital.
Dans les années
soixante-dix et quatre-vingt, avant la
plus récente vague de mondialisation, la
comptabilité des flux économiques de
capitaux internationaux s’établissait
sur une base nationale (pays par pays).
Pour « s’enrichir », le grand capital
« national » devait tenter de réduire
ses importations et d’augmenter ses
exportations puisque l’échange de biens,
de services et d’actifs se faisait d’une
entreprise à une autre, impliquant un
transfert de capitaux – de « richesse »
ou de valeur (valeur ajoutée ou
plus-value) –. La mondialisation et la
relocalisation des entreprises,
répondant à des impératifs de
productivité et de profitabilité, ont
rendu cette comptabilité nationale
caduque. Depuis les années
quatre-vingt-dix, les capitalistes
calculent en termes de « chaine de
valeur ». Ainsi, la localisation
géographique d’une usine de
production-transformation ou d’une
entreprise de services n’a plus
d’importance puisque l’échange de
marchandises ne signifie pas
nécessairement le transfert de
« richesses » (capital, valeur ajoutée
ou plus-value) d’une entreprise à une
autre, mais plutôt d’une filiale à une
autre.
La plupart des
échanges se produisent d’une filiale à
une autre de la « chaine de valeur »
de reproduction-valorisation du capital
d’une vaste entreprise multinationale
verticale (trust) ou horizontale
(monopole) pour laquelle les
législations et les juridictions
nationales sont des entraves qu’elle
cherche à abolir ou à pervertir
(corruption, paradis fiscaux). C’est ici
que s’inscrit la mission des larbins
politiciens pour aplanir toutes
contraintes à la circulation du capital.
Pour l’investisseur, détenteur de
dix-millions d’actions de la firme
Apple ou Amazon
il importe peu que son dividende de 10
pour cent sur investissement origine de
la filiale chinoise, du Bangladesh, de
France ou de la maison mère en
Californie si cette délocalisation est
la condition de ce rendement. Si
l’action d’Apple ou d’Amazon valorise de
10% à la bourse l’actionnaire ne saura
dire qu’elle « nation » est responsable
de quelle portion de cette valorisation.
À l’évidence la comptabilité
d’entreprise est désormais la seule qui
rend compte de l’accumulation de
richesse sous la mondialisation. (6)
Dans ce monde
capitaliste « unipolaire », parce que
mondialisé, les PME, les agents
financiers, et les politiciens
« protectionnistes-nationalistes-isolationnistes »
doivent comprendre que les entités
nationales interdépendantes sont
soumises aux courants commerciaux
internationaux, et n’ont d’autre choix
s’ils abandonnent une alliance (une
bannière dirait un marchand) que de
s’arrimer à une autre alliance (un autre
bloc ou une autre bannière) pour ne pas
être exclu de la chaine de productivité
et de profitabilité internationalisée.
C’est la raison pour laquelle les pays
de l’Europe de l’Est ont rallié l’Union
européenne sans tarder après
l’effondrement de l’Union Soviétique.
La crise
économique cyclique et systémique
La question n’est
pas de savoir à quel bloc ou à quelle
alliance un pays adhère, ni même la
hauteur de la « ristourne » que
l’adhérant national sacrifie à sa
bannière, le drame contemporain c’est
que toutes les bannières s’écroulent
parce qu’elles sont toutes interreliées,
toutes basées sur le même modèle
financier alambiqué, toutes fondées sur
le même mode de production moribond.
Si l’on considère
les graphiques de la dette cumulative
mondiale, de l’indice Dow Jones,
de l’or et des obligations
gouvernementales, on constate que la
« folie douce » (l’utilisation de la
planche à billets pour relancer
l’économie) a commencé à envouter
l’économie dans les années 1990-1995,
avec des courbes qui grimpent à la
verticale à une vitesse hallucinante. « La
dette mondiale était de 30.000 milliards
de dollars en 1994 ; elle s’élève,
aujourd’hui, à 250.000 milliards de
dollars. Le PIB de l’économie réelle est
le seul graphique qui se traine
lamentablement vers le bas à un rythme
trop lent. Cela sent donc
à plein nez le chaos et l’écroulement
des actions à venir. » (7)
« La dette
mondiale s’élève donc à 250.000
milliards de dollars ; les engagements
non provisionnés dans les bilans des
entreprises représentent un montant
équivalent ; quant aux produits
dérivés des banques dans le monde,
ils atteignent le montant faramineux de
1.500.000 milliards de dollars, soit un
passif global de 2 millions de
milliards de dollars US. Le PIB
mondial (l’actif) s’élevant à 80.000
milliards de dollars, il en résulte que
le passif mondial représente 2.500 % du
PIB international. » (8)
Le marché
spéculatif des produits dérivés
Plus gigantesque
qu’en 2008, le marché des produits
dérivés représente aujourd’hui 1.070
fois la valeur de l’or détenu par
l’ensemble des banques centrales dans le
monde, soit 1.400 milliards de dollars.
Les fonds propres de la Deutsche Bank,
JP Morgan Chase et Citibank
représentent respectivement seulement
0,15 %, 0,6 % et 0,5 % de leurs
engagements sur les marchés des produits
dérivés. (9)
Qui peut imaginer
un instant que ce passif cumulatif
pourra un jour être remboursé ou alléger
pour laisser émerger la reprise
économique espérer ?
Pétroyuan contre
pétrodollar
Voici que
différentes puissances économiques
(entreprises et gouvernements,
indifféremment) cherchent une porte de
sortie avant l’apocalypse. Depuis dix
ans l’Iran subit les
pressions des États-Unis
non pas pour son opposition à
Israël, comme le proclame les
géostratèges « israélites », mais parce
que ce pays fut le premier à mener des
pourparlers pour sortir de l’arnaque des
pétrodollars. Cependant, l’Iran
n’avait pas la puissance suffisante pour
entamer le monopole du dollar sur le
marché mondial. L’Irak et
la Libye ont payé cher
leur témérité. La France
et l’Arabie Saoudite –
autres pays ayant jonglé avec cette
éventualité – ont vite déchanté et
rejoint les rangs des pays soumis. Mais
voici que la Chine relance
le projet de monnaies alternatives pour
les échanges internationaux. Il faut
savoir que la valeur du dollar dépend
largement de son utilisation en tant que
moyen de règlement du pétrole.
Lorsque cela disparaîtra, nous
assisterons à une dévaluation du dollar.
Le pétrole est le
marché des matières premières le plus
important et le plus stratégique. Comme
le montre la Figure 1, le pétrole
éclipse toutes les autres matières
premières.
Retour en 2015,
lors de la dernière des tentatives de la
Chine de déloger le pétrodollar. Gazprom
Neft, le troisième producteur de pétrole
russe a décidé d’emboiter le pas.
L’Iran a suivi la même année,
utilisant le yuan et d’autres devises
pour la vente de son pétrole. Au cours
de la même année, la Chine a mis de
l’avant la Route de la soie, tandis
que le yuan commençait à s’implanter sur
les marchés européen et américain suite
aux déficits du commerce étatsuniens
(Figure 2).
Mais en 2015 le
pétrodollar pouvait encore résister
parce que les importations de pétrole de
la Chine étaient modestes. (10) Le
marché pétrolier est si énorme qu’il
sert de référence au commerce
international. Si les pays utilisent
déjà le dollar pour acheter leur
pétrole, il leur est facile d’utiliser
le dollar pour les autres échanges
internationaux. En plus des ventes de
pétrole, le dollar américain est utilisé
dans 80% des transactions
internationales. Cela donne aux
États-Unis un levier économique
incomparable. Ils peuvent sanctionner ou
exclure pratiquement n’importe quel pays
du système financier basé sur le dollar
américain. Par extension, ils peuvent
également isoler n’importe quel pays de
la majorité du commerce international.
C’est d’ailleurs la tactique que
l’Amérique utilise contre la
Russie ce qui perturbe davantage
Moscou que la guerre dans le
Donbas ukrainien, la guerre en
Syrie ou la guerre
génocidaire au Yémen.
Cependant, les
choses changent dans le mauvais sens
pour la Maison-Blanche. Tant que
l’Amérique générait de 40% à 50% des
échanges internationaux, elle était bien
placée pour imposer sa devise à ses
fournisseurs et à ses clients. Depuis
2015 la Chine est devenue
le premier consommateur mondial de
pétrole, conséquence combinée de sa
croissance économique et des mesures
d’autarcie programmées par l’Amérique
désireuse de se dégager de l’emprise de
ses fournisseurs (Figure 3). (11) La
Chine est déjà le premier producteur
d’acier, d’aluminium, et d’une foule
d’autres produits essentiels dans une
économie industrielle. Enfin, les
capitalistes chinois sont les premiers
commerçants du monde. Tout ceci place la
Chine en capacité d’imposer la devise de
son choix pour ses transactions.
D’autant mieux que les déboires de
l’économie américaine en débandade
présage d’une dévaluation du dollar. La
dévaluation du dollar signifiera que
tous les détenteurs de pétrodollars
seront floués et verront leur fortune
s’évaporer, aussi sont-ils nombreux à
chercher à s’en débarrasser.
Pourtant,
Donald Trump comprend que s’il
entrave le commerce mondial non
seulement il n’améliore pas le bilan
commercial de l’Amérique, mais il
précipite la dévaluation du dollar. Mais
n’est-ce pas la mission qu’il a reçue ?
Vous comprenez maintenant pourquoi il
s’entoure de faucons et de
va-t-en-guerre et pourquoi il adresse
des menaces à ses concurrents et à ses
alliés pour les intimider.
Le round final
Comme nous l’avons
prédit dans notre récent ouvrage « La
démocratie aux États-Unis ».
Donald Trump a été placé
derrière le bureau ovale pour réaliser
ce que « popette » Obama a été incapable
d’accomplir, hausser les taux d’intérêt
et jeter des millions d’Américains
surendettés sur le pavé. Or, voici que
Jay Powell (Présidente de
la FED) vient d’augmenter de 0,25 % les
taux d’intérêt aux États-Unis et elle
envisage de les augmenter encore trois
fois en 2018. Pourtant « La
dette des ménages est excessive par
rapport à leurs revenus et le marché
immobilier trop cher n’est qu’une bulle
de plus. Le pouvoir d’achat des ménages
américains est même inférieur de 6 à 7 %
à celui de 2008. » (12) C’est que la
FED n’a pas le choix si elle veut
rapatrier les capitaux au pays et éviter
la surchauffe de l’économie elle devra
hausser le « prime rate ». Si elle ne le
fait pas c’est l’économie américaine qui
s’effondre et si elle le fait c’est
l’économie américaine qui s’effondre…
Ainsi vont les lois imparables de
l’économie politique capitaliste.
NOTES
-
http://www.les7duquebec.com/7-dailleurs-2-2/le-krach-aura-lieu-des-cygnes-noirs-de-partout/
et
http://www.les7duquebec.com/7-de-garde-2/la-prochaine-crise-systemique-est-deja-la/
-
http://www.journaldemontreal.com/2018/03/13/les-etats-unis-imposent-un-droit-de-douane-pour-le-papier-journal-canadien
- « Pour autant,
en dépit d’un élan résolument
protectionniste, le solde
chroniquement déficitaire des
échanges de biens et de services
avec le reste du monde a atteint
566 milliards de dollars en 2017,
soit une hausse de 12,1 % sur un an,
sous l’effet de l’appétit des
consommateurs américains, friands de
marchandises bon marché en
provenance de l’étranger. »
https://www.capital.fr/economie-politique/trump-reitere-ses-menaces-commerciales-contre-la-chine-et-la-coree-du-sud-1271971
- Robert Bibeau.
La démocratie aux États-Unis
(les mascarades électorales)
(2018). L’Harmattan.
http://www.les7duquebec.com/7-au-front/la-democratie-aux-etats-unis-les-mascarades-electorales/
-
http://www.les7duquebec.com/7-au-front/la-nouvelle-politique-militaire-des-etats-unis-attention-danger/
et
http://www.les7duquebec.com/7-de-garde-2/la-guerre-commerciale-prealable-a-la-guerre-militaire/
-
https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/l-effarante-chasse-aux-sorcieres-202426
-
http://www.les7duquebec.com/7-dailleurs-2-2/le-krach-aura-lieu-des-cygnes-noirs-de-partout/
-
http://www.bvoltaire.fr/marche-produits-bancaires-derives-hyper-casino-dont-banque-va-sauter/
-
http://www.bvoltaire.fr/marche-produits-bancaires-derives-hyper-casino-dont-banque-va-sauter/
-
http://lesakerfrancophone.fr/petrodollar-changement-de-donne
et
http://www.les7duquebec.com/actualites-des-7/la-chine-detronera-le-petrodollar/
-
https://reseauinternational.net/la-chine-a-quelques-jours-de-detroner-le-petrodollar/
-
http://www.bvoltaire.fr/marche-produits-bancaires-derives-hyper-casino-dont-banque-va-sauter/
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