Opinion
L'Égypte sous dictature militaire
sanglante
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 2 avril 2014
De la révolte à la répression fasciste
Comment s’effectua le déploiement
de la lutte de classe de l’instance
économique vers les instances politique
et idéologique dans le soulèvement de la
classe ouvrière égyptienne entre 2005 et
2014? La lutte de classe des ouvriers
égyptiens, amorcée par des grèves
sauvages illégales, mais légitimes, pour
le maintien du pouvoir d’achat, contre
la misère, se sont enlisée dans le
marécage des combats intercapitalistes
opposants la faction Moubarak et la
faction post-Moubarak, toutes deux
alliées de l’armée soutenues par
l’impérialisme étatsunien ; et d’autres
factions bourgeoises, que faute de mieux
nous identifierons comme «islamistes»,
soutenues par l’Émirat arabe du Qatar et
par le Royaume wahhabite saoudien. La
classe bourgeoise dirige tout dans les
sociétés capitalistes, y compris les
organisations de masses du prolétariat
et la mission de la petite bourgeoisie
infiltrée aux postes de commande du
mouvement ouvrier est de dévoyer les
luttes des ouvriers. La petite
bourgeoisie égyptienne, soutenue par les
médias sociaux et par les ONG de
proximités, est accourue sans déparer
apporter sa duplicité dans la mêlée de
cette échauffourée des ouvriers.
Ce sont ces collabos
petits-bourgeois à la solde qui
répandirent le tumulte à propos d’un
duel religieux archaïque entre les
Frères musulmans, les djihadistes
islamistes et les Salafistes momifiés
affrontant les sous-fifres
«socialistes», laïcs, révolutionnaires
des salons et des balcons, et qui se
termina par le coup d’État qui imposa
les larbins de l’armée d’opérette
(gestionnaire de 40% des ressources
économiques du pays) puisque le peuple
ne se résignait pas à élire l’homme de
paille qu’on lui avait désigné.
C’est la petite bourgeoisie à
travers ses organisations politiques
sociales-démocrates, gauchistes et
islamistes, soutenues par la télé et les
grands médias à la solde qui se sont
acquittés de la mission de détourner le
mouvement ouvrier et le mouvement
populaire afin de lui confisquer la
direction de sa lutte de classe qui
s’était d’abord développée sur le front
économique par des grèves contre la
dépréciation des salaires et les
congédiements ; par des manifestations
contre les hausses de prix, l’érosion du
pouvoir d’achat, la dégradation des
conditions de vie, par des occupations
contre la dégradation des services
publics, le chômage, la faim et la
pénurie de logements. Puis, peu à peu,
la lutte s’est répandue sur le front
politique par la remise en cause du
pouvoir bourgeois nationaliste et
compradore sur l’appareil d’État aliéné.
C’est ici que la bourgeoisie est
intervenue le plus violemment et le plus
efficacement en proposant le mot d’ordre
«Moubarak Dégage!», transformant
idéologiquement et politiquement un
soulèvement qui menaçait de renverser
toute la superstructure d’État en une
revendication pour obtenir des élections
bourgeoises afin que la population
choisisse son tyran parmi quelques
candidats préautorisés, encadrés par
l’armée des milliardaires égyptiens
nationalistes et chauvins et par les
capitalistes compradores.
C’est la Secrétaire d’État des
États-Unis qui au nom de la classe
capitaliste monopoliste internationale
donna son aval au limogeage de Moubarak
et à son remplacement via des élections
«libres» de l’intervention des ouvriers
où elle n’avait aucun doute, les
entreprises américaines organisatrices
professionnelles de manifestations
électorales bidons parviendraient à
orienter le vote de la populace vers
l’un ou l’autre des candidats accrédités
par l’establishment. L’armée pharaonique
égyptienne entérina cette manœuvre et
mit tout en œuvre pour sa réalisation,
réprimant à l’occasion la faction
compradore toujours fidèle au Raïs
déchu.
C’est ainsi que les phalanges
petites-bourgeoises des fronts de gauche
alambiqués se sont mises en marche dans
l’instance idéologique et politique
(média, assemblées, manifestations,
occupations, agitation électorale) afin
de détourner le soulèvement ouvrier
violent vers ce marigot électoraliste du
crétinisme parlementaire. Tout fut mis
en œuvre pour qu’en aucun temps la
conscience de classe «en soi» et la
lutte spontanée sur le front économique
ne débouchent sur une prise de
conscience de la classe «pour soi – pour
elle-même» en une insurrection pour la
conquête de tout le pouvoir d’État
(instance politique et sphère militaire)
par la classe ouvrière égyptienne.
Une fois l’affaire engagée en
direction d’élections bidon tout était
perdu. En effet, à l’occasion d’une
élection démocratique bourgeoise, ce qui
est décisif c’est le contrôle de
l’appareil de gouvernance (processus
électoral), le contrôle de la machine de
propagande et des ressources financières
nécessaires pour une campagne électorale
frauduleuse (des centaines de millions
de dollars sont requis). Sur tous ces
fronts, la classe ouvrière est démunie.
Elle redevenait ainsi spectatrice de son
destin politique, idéologique et
économique.
Plan d’attaque de la communauté
internationale contre l’Égypte
Le plan militaro-étatsunien était
simple. Les meilleurs organisateurs
d’élections bidon (des firmes
américaines de renom) se déployèrent sur
l’Égypte toute entière et menèrent
tambour battant, à force d’argent, une
campagne débridée en faveur de quelques
candidats à leur solde. Leur ex-agent
égyptien des services secrets de
l’Agence internationale de l’énergie
atomique (AIEA), maître El Baradaï,
faisait partie de ce lot sélect.
Cependant, ces «faiseux» d’élection ne
savaient pas comment ce peuple
expérimenté allait voter. Les Égyptiens
boudèrent cette mascarade électorale
déçus d’avoir été floués dans leurs
revendications pour du pain, de l’eau,
du travail, des salaires suffisants, des
logements salubres et des services
municipaux – les véritables
revendications du «Printemps arabe».
Comme il était facile de le
prévoir, les magouilles de l’armée de
métier de la section compradore de la
grande bourgeoisie égyptienne et du
Secrétariat d’État américain firent long
feu et aucun de leurs candidats ne perça
le mur de rejet que le peuple égyptien
opposa à ces brigands électoraux
surfaits. Pendant ce temps les alliés
des Étatsuniens, les royaumes du Qatar
et d’Arabie Saoudite menaient leurs
propres magouilles en sous-main. Les
étatsuniens firent contre mauvaise
fortune bon cœur et complotèrent avec
les nouveaux maîtres «salafistes –
wahhabites » du Majlis Al-Chaab.
La participation aux élections
bidon fut modeste – une large portion
des ouvriers égyptiens ayant compris
qu’on les avait floués de leur révolte
et qu’ils n’avaient rien obtenu contre
le sang versé par leurs camarades sur
les barricades. Grâce à l’argent de
l’Arabie Saoudite et du Qatar, les
cliques islamistes de tout poil,
demeurées sur la touche pendant le
Printemps d’Égypte, recueillirent les
fruits de leur résilience dans
l’opposition officielle au Parlement du
Caire des bouffons discrédités –
l’élection fournit 75 % du vote aux
divers partis islamistes.
L’armée (40 % du PIB national
égyptien), la grande bourgeoisie
pharaonique (sections nationaliste et
compradore) et le Secrétariat d’État
étatsunien ne pouvaient que s’incliner
et attendre, tapis dans l’antichambre,
une chance de reprendre l’initiative
après cette première liquidation de la
«Révolution» dont héritèrent les Frères
musulmans, ces représentants de l’autre
faction de la bourgeoisie égyptienne
dépravée.
Tensions dans le camp de la communauté
internationale
Une explication s’impose. Les
altermondialistes, les gauchistes, les
pseudo socialistes, les thuriféraires
experts universitaires et divers
spécialistes patentés, de fait, tout ce
qui grouille et grenouille à gauche de
l’échiquier politique vous diront que
l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes
Unis sont les bâtards de l’impérialisme
étatsunien et que les chiens qui aboient
ne mordent pas la main qui les pourvoit.
C’est une erreur. Le capitalisme
monopoliste ne signifie jamais la
disparition de la concurrence entre pays
complices, mais, au contraire,
l’exacerbation de la concurrence contre
l’alliance ennemie, mais aussi au sein
même de l’alliance amie – portée à son
niveau suprême – acharnée –
impérialiste. Ainsi, même si l’Arabie
Saoudite et le Qatar font partie du camp
Atlantique, dirigé par les États-Unis
d’Amérique, cela n’empêche pas ces pays
d’avoir des ambitions dans cette région
à travers les Salafistes et les
Wahhabites, jusqu’au point de s’opposer
à leur chef de meute. D’autant plus que
le parrain américain est sur son déclin
et que le vieil impérialisme éventé ne
parvient plus à imposer son autorité sur
sa horde incontrôlée.
Très peu de supposés experts et
analystes occidentaux l’ont souligné,
mais la guerre successorale est
enclenchée dans le camp occidental et le
vieux parrain-requin américain édenté a
de la difficulté à conserver le contrôle
sur son clan et ses affidés. De toute
façon le chef de meute étatsunien a plus
urgent à faire que de contenir un clan
contre une autre tandis que
l’impérialisme chinois ascendant sonne
aux portes de la Jéricho d’Occident.
En Égypte pendant ces malversations
occidentales
Le Frère Morsi s’installa donc au
pouvoir au nom de sa confrérie et de sa
section de la bourgeoisie du pays.
Pendant ce temps le Sphinx militaire
n’était pas démuni. Il attendait
circonspect – impassible – inamovible –
la revanche du prétendant au strapontin.
Ce qui devait arriver arriva et l’armée
ne fut pas fâchée d’alimenter le brasier
des affamés urbains et ruraux et des
ouvriers désœuvrés et sous-payés qui
n’avaient rien gagné du sang versé dans
les échauffourées. Ils revinrent Place
Tahrir réclamer du pain, de l’eau, des
emplois, des salaires décents, des
services et des logements.
Les petits bourgeois aiment à
parler de la lutte pour la dignité, la
justice sociale et la liberté. De quelle
justice sociale, de quelle liberté et de
quelle dignité recouvrée parle-t-on
quand le père ne peut faire vivre sa
famille et que le fils ne peut se marier
et fonder une famille faute de logement
et d’emploi, que la mère ne peut
préparer le dîner faute d’eau dans le
taudis mal famé, et que l’enfant ne peut
fréquenter l’école sans souliers, et que
de toute façon même diplômé le jeunot
sait que le caniveau sera son écot?
Tous les ouvriers et tous les
employés égyptiens savent bien que le
Coran ne fait pas manger et qu’une
mosquée, ça ne nourrit pas. L’armée le
sait aussi et elle maintenait
l’agitation trop heureuse de pêcher en
eau trouble. Ses hommes de main n’ont
pas réussi à chaparder les premières
présidentielles, mais ils comptent bien
se reprendre à l’occasion d’une deuxième
mascarade électorale des
présidentiables.
Ça bougeait au Caire et ça
sautait à Alexandrie. La grogne
populaire et ouvrière ne désemparait pas
et remontait à l’assaut du parlement, du
gouvernement, du Président insignifiant,
alors que l’armée, toujours omniprésente
dans la vie politique, économique,
juridique et militaire du pays, plaçait
ses pions, conservait le ministère de la
guerre et laissait les choses se
dégrader, non sans apporter sa
contribution à propos de «l’islamisme
outrancier» de ce Président qui
représentait la faction opposée de la
bourgeoisie égyptienne et occidentale.
Après moult échauffourées le 3
juillet 2013, l’État-major des armées
arrête le Président Morsi, s’empare du
pouvoir suprême et transfert le
commandement au tyran d’opérette le
maréchal Sissi la casquette. Un nouveau
coup d’État s’ensuivit comme les
puissances impérialistes nous ont
habitués à en observer dans les pays
néo-colonisés, cette fois au nom de la
laïcité et de la démocratie bourgeoise
bafouée.
Hier c’était pour cause de
possessions d’armes de destruction
massive qui ne se trouvait nullement à
Bagdad, mais bien plutôt sur les
porte-avions étatsuniens amarrés dans le
golfe Persique. Avant-hier c’était pour
stopper Al-Qaïda cet enfant de Belzébuth
que la CIA a enfanté en Afghanistan.
Demain ce sera pour détruire un réacteur
nucléaire de l’autre côté du Golfe du
pétrole que la Septième Flotte souhaite
éventuellement fermer à la circulation
maritime histoire d’étouffer ses
concurrents pétroliers ouest-européens
et gonfler le prix du carburant
étatsunien.
Une partie de la populace
égyptienne, fourvoyée-trompée par les
Frères musulmans et leur camp, s’est
portée de bonne foi à la défense du
Président élu légalement et déchu
illégalement par un coup d’État évident,
tandis que les salariés continuent de
réclamer ce qu’ils ont toujours demandé
– peu leur importe que ce soit Tataoui –
Morsi – Sissi – El Baradai – ou un autre
pion qui leur donne satisfaction, ils
crient pour leur survie.
La go-gauche
réformiste démocratique-laïc et complice
À la remorque de l’armée et de sa
faction d’opposition, soi-disant
démocratique – à condition que les
élections bidon leurs donnent raison –
voilà la go-gauche sans principes,
perdue, éperdue, regroupée derrière
l’armée égyptienne qui a mitraillé les
ouvriers hier et qui les assassinera
demain, sitôt que leur pantin aura été
porté au pouvoir et qu’il ne pourra
pourvoir à aucune des revendications de
ce peuple malandrin.
Voici les plumitifs de la
go-gauche acclamant sans honte l’armée
en jacquerie. L’armée fasciste de
Moubarak (sans Moubarak), qu’incidemment
elle a libéré de prison… Pourquoi
continuer à jouer les justiciers puisque
le coup fourré n’a pas marché «Autant
libérer notre ex-généralissime Moubarak»
se sont écriés les généraux rebellés.
Revoilà la go-gauche hurlant sa
loyauté à la laïcité «démocratique» et
aux phalanges fascistes de cette armée
de meurtriers, et à leurs mercenaires
pseudo-révolutionnaires, recrutés parmi
les djihadistes comme le font tous les
capitalistes de cette contrée pour mener
à bien la reprise en main de l’appareil
d’État.
Tous auront compris que sitôt la
faction des Frères musulmans et les
commettants de Mohammed Morsi
écrasés les canons des fusils de
l’armée, des services secrets, de la
police et des mercenaires importés se
sont tournés contre la rue – les
ouvriers, le peuple affamé, découragé,
trompé, qu’aucun chef d’État égyptien,
élu ou désigné, ne pourra jamais calmer;
la crise économique mondiale est hors de
leur portée et ces gouvernants
galopins-pantins ne songent nullement à
renverser radicalement le capitalisme
pour construire le socialisme.
En lieu et place, ils massacrent…
sous les acclamations des larbins de la
go-gauche : «Le 24 mars, l’Égypte des
militaires a condamné 529 partisans à
mort, pour leur rôle dans les violentes
émeutes de Minya, en Haute-Égypte, en
août dernier. Les émeutes avaient éclaté
après la violente dispersion de sit-in
en soutien au président déchu Mohammed
Morsi. Des centaines de ses partisans
avaient été tués. Un policier était
mort, un crime dont sont accusés et
condamnés à mort 529 manifestants (!)».
Pour s’informer,
le webzine :
http://www.les7duquebec.com/
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