Le Mossad et le scandale des
« cables-espions » en Afrique du Sud
Richard Silverstein
Lundi 27 avril 2015
Par Richard Silverstein
(revue de presse : Tikun Olam – 19/3/15
- traduction et synthèse par Xavière
Jardez)*
Des « cables-espions »
(Spycables), obtenus d’une source
sud-africaine du renseignement, ont été
récemment publiés par Al Jazeera
(cf. vidéo) sur les activités du
Mossad dans ce pays.
La plupart de ces documents se
rapporte aux liens entre le Mossad
et la SSA (Agence de renseignements
sud-africaine) et ses activités
dans d’autres pays africains. Ces
révélations ne peuvent être mises en
doute dans la mesure où des évènements
récents intéressant la participation de
l’Afrique du Sud, sont cités.
Les Sayanim
Le Mossad a mis en place un
réseau d’agents dormants à l’étranger
qui recueille des renseignements et
l’assiste dans des opérations locales
d’espionnage. Ces agents, du nom de
sayanim(volontaires en
hébreu), sont différents de ceux
employés par ses agences de
renseignements car ils ne sont pas
payés. Il s’agit de dirigeants de la
communauté juive du pays ou d’hommes
d’affaires dévoués à Israël. En Afrique
du Sud, des membres du Conseil des
Députés, l’institution gouvernementale
la plus haute, en font partie.
« Le détail de factures (de
téléphone mobile) montre que… (nom de
l’agent)… avait des contacts réguliers
avec des membres du Conseil des Députés
» rapporte Al Jazeera.
« Le modus operandi du Mossad est de
recruter dans la communauté juive…
partout dans le monde… pour ses
activités de renseignements. Ce contact
entre (l’agent) et les membres de la
communauté juive sud-africaine prouve
que le Mossad se repose sur eux pour ses
activités occultes ». « De
plus, il a été établi que le même
(agent) a eu des contacts réguliers avec
le Conseil des Députés Juifs d’Afrique
du sud, corps qui a une influence
importante sur la communauté juive et
entretient des liens affectifs forts
avec Israël ».
Le Sayanim joue un rôle tant
mondain que stratégique : il s’occupe de
trouver des logements, une assistance
médicale, arrange la logistique et
finance les opérations au travers des
agents du Mossad. Il doit aussi leur
obtenir le plus d’informations
possibles. « Le Sayanim amasse aussi
toutes les informations possibles,
rumeurs, techniques, radiophoniques,
journalistiques et fournit des pistes
pour les katsas (agents qui recueillent
ces informations) » souligne le
rapport. « L’idée est de toujours
disposer d’un nombre de gens qui peut
fournir les services nécessaires et être
discret par loyauté à la cause ».
Même si les sayanim sont des
personnes ordinaires dans leur
communauté, ils vivent une double vie
intrinsèquement liés aux méthodes
d’espionnage israéliennes. Ils sont des
milliers, peut-être des dizaines de
milliers dans le monde. En
Grande-Bretagne, ils étaient en 1998
quelque 4000 selon le « cable-espion
».
Cette cooptation dans la communauté
juive mondiale en fait un précédent
alarmant. Les juifs sont accusés
(souvent en raison des déclarations de
dirigeants israéliens les impliquant
dans la politique israélienne) de
double allégeance, plus particulièrement
de pencher davantage vers Israël que
vers le pays natal. Dans la plupart des
cas, les juifs récusent cette accusation
comme de la propagande antisémite. Mais
la dénonciation de la culture de
sayan et le recours à des juifs du
pays en tant qu’agents du Mossad
fait que fait que l’antisémitisme relève
une fois de plus sa vilaine tête,, et,
cette fois, avec raison.
El Al, couverture du
Mossad
Le Service de renseignement
sud-africain (SSA) est
particulièrement conscient du rôle
d’El Al en tant qu’agent principal
du système de renseignement israélien.
Selon un documentaire de la télévision
sud-africaine et un « cable-espion »
: « Toutes les agences de
renseignement sud-africain confirment …
qu’Israël utilise son agence aérienne El
Al comme couverture pour ses services de
renseignement ». « Les espions
(israéliens) conduisent des fouilles
clandestines (aux aéroports) des bagages
des personnes qu’ils jugent suspectes en
violation des lois sud-africaines qui
autorisent seuls la police, les forces
armées ou le personnel employé par le
ministère du transport à accomplir ces
fouilles ». Après qu’un lanceur
d’alerte, ancien agent de sécurité d’El
Al, eut informé, en 2007, la TV
sud-africaine qu’El Al agissait
essentiellement pour le compte du
Mossad, les relations entre les
deux pays furent tendues, l’Afrique du
Sud menaçant d’annuler les droits
d’atterrissage de la compagnie : un
agent de sécurité fut expulsé.
Le « cable-espion » détaille
les méthodes du Mossad
vis-à-vis d’El Al : « … 45
personnes sont employés par El Al comme
agents de sécurité à l’aéroport
international de Johannesburg et 8 le
sont au secteur Cargo et Passager… El Al
a le privilège de ne pas être fouillée
dans les zones réservées et ses
officiels peuvent voyager avec leurs
armes…. Quand un vol arrive de Tel Aviv,
… le personnel d’El Al, utilisant un
équipement radio sophistiqué, se fait
passer pour des passagers. Aux points de
contrôle, ils passent tout simplement
leurs cartes El Al et peuvent circuler
n’importe où dans l’aéroport comme cela
leur est permis par la (sécurité
sud-africaine) ». « Un officier
des renseignements israélien peut entrer
en Afrique du sud … sous l’apparence
d’un membre d’El Al et passer tous les
points de contrôle sans présenter aucun
document ». Les «
cables-espions » précisent que le
dernier chef de la sécurité d’El Al
au dit aéroport était soupçonné
d’être un agent de renseignement.
Les agents de sécurité d’El Al
harcèlent régulièrement les
passagers sud-africains. Un dirigeant du
syndicat des employés municipaux, en
route vers Israël pour participer à une
Conférence contre l’Occupation en
Cisjordanie, a été dénudé et fouillé,
interrogé et détenu jusqu’au départ de
l’avion, puis escorté par des agents de
sécurité israélien, une minute avant le
décollage.
Vol de plans par le Mossad
En 2010, le Mossad, par
l’intermédiaire d’un homme d’affaires
israélien, et vraisemblablement agent du
Mossad, Yitzah Thalia, a acheté
les plans du nouveau Mokopa, un
missile anti-tank air-sol, fabriqué par
l’entreprise d’armement sud-africaine
Denel. Un haut employé de
Denel et le directeur d’un
sous-traitant les offraient à des
agences de renseignement variées
désireuses de les acheter. Après la
découverte du vol et de la vente,
l’Afrique du sud a demandé au Mossad
des informations sur l’obtention et le
retour des documents secrets. L’agence
refusa d’enquêter ou de fournir quelque
information. Mais, elle se montra «
magnanime » en offrant de les
rendre comme un geste de bonne foi et de
reconnaissance des excellentes relations
entre les deux pays. Les services de
renseignements d’Afrique du Sud
gardèrent le secret sur la participation
d’Israël à ce crime jusqu’à ce que le
« cable-espion » d’Al
Jazeera ne le révèle. Même après le
procès des deux inculpés, le rôle joué
par le Mossad a été passé sous
silence ; en fait le procureur général
mentit en disant que les plans n’avaient
jamais été en cause.
Le Mossad et le BDS
sud-africain
Le BDS (Boycott,
désinvestissement et sanctions) en
Afrique du sud dérange particulièrement
le Mossad et Israël. Les
sionistes comprennnent
qu’historiquement, un mouvement du même
genre a contribué au renversement du
gouvernement d’apartheid. Ce précédent
alarmant rend Israël particulièrement
vigilant pour contrecarrer ce qu’il
perçoit comme une menace croissante en
Afrique du Sud contre l’Occupation et
l’Apartheid israéliens.
En juillet 2012, le ministre des
Finances a reçu une lettre mystérieuse,
non postée, en provenance d’un groupe
anonyme d’ex-agents du Mossad
qui revendiquait la création des virus
Stuxnet et Flame et
l’informait qu’il allait les utiliser
dans une cyber-attaque contre les
institutions financières et bancaires du
pays, si la justice et la police
n’écrasaient pas le mouvement BDS
et n’arrêtaient pas ses dirigeants dans
les 30 jours. Le « cable-espion »
notait que la possibilité de passer à
l’action reposait en fait sur les
Israéliens participant à cette opération
qui travaillaient dans les secteurs des
télécommunications et de l’informatique.
Israël craint que, s’il n’est pas
bridé, l’activisme pro-palestinien se
développe et pousse l’Afrique du Sud à
rompre ses relations diplomatiques avec
Israël, ce qui aurait le même effet de
dominos que celui qui a entraîné la fin
du gouvernement de l’apartheid.
La communauté juive, selon les «
cables-espions », a été intégrée à
l’agenda israélien de sécurité. Les
juifs sud-africains ont fondé une agence
de consultants, The Community
Security Organisation (CSO) -
Organisation de sécurité de la
communauté - qui fonctionne comme
une organisation para-militaire et
fournit des services de sécurité à des
dirigeants et des institutions juives.
Si la communauté juive devait être
confrontée à des attaques d’éléments
d’islamistes radicaux ou
pro-palestiniens, la CSO,
disent les rapports des services de
renseignement sud-africains, frapperait
ceux qu’elle désigne comme étant la
cause de la violence contre les juifs.
Comme je l’ai noté précédemment, la
fusion des intérêts israéliens avec ceux
de la communauté juive locale pose un
problème sérieux, peu connu. Quand
Israël a bombardé Gaza ou le Liban, ou
assassiné des savants nucléaires ou des
généraux iraniens, ou s’est emparé de
terres palestiniennes, le monde arabe
n’a pas pu faire la distinction entre
les actes d’Israël et ceux de la
diaspora. Si les juifs - et les
dirigeants israéliens – ne font pas
cette distinction, comment
voudraient-ils que les non-juifs la
fassent ?
Activités du Hezbollah et de
l’Iran en Afrique du Sud ?
L’objectif principal du Mossad
en Afrique du Sud est d’identifier les
menaces potentielles des islamistes et
les attaques terroristes. Mais, le
Mossad embarrasse la SSA
en prétendant que le Hezbollah
a planifié en Afrique du Sud la plupart
des attaques de l’aéroport bulgare de
Bourgas.
En 2007, le Mossad a désigné
un Iranien du Cap comme une menace
terroriste en raison de ses contacts
étroits avec un supposé agent du
Hezbollah au Liban. Lors d’une
rencontre entre la SSA et le
Mossad, les Israéliens ont
demandé un compromis : en échange
d’alertes, le Mossad réclamait des
Sud-Africains qu’ils surveillent le
suspect et informent régulièrement
Israël de ses activités. Cela fut refusé
car hors du protocole. L’Israélien a
claqué la porte de la réunion. De plus,
le Mossad pense que certaines
personnalités sud-africaines ont des
sympathies pour l’Iran et la volonté
d’aider à son programme nucléaire. Il
pense aussi que l’Iran a acheté du
matériel pour ses recherches dans ce
pays.
L’agence israélienne surveille des
organisations de charité comme
Al-Aqsa Foundation et
African Muslim Agency qu’elle
considère comme des organes soutenant le
terrorisme palestinien. Afin de
s’assurer de la loyauté des agents
palestiniens ou arabes qu’il recrute en
Afrique du Sud, il a engagé des
prostitués « pour les entretenir ».
Les ébats sont photographiés et
enregistrés au cas où l’agent changerait
d’avis sur sa collaboration.
En 2009, le « cable-espion »
constate que les relations entre les
deux agences de renseignement se sont
détériorées à un point tel que le
Mossad a rappelé son agent et l’a
transféré à Tel Aviv.
Richard Silverstein dirige
Tikun Olam, un blog israélien
centré sur la dénonciation des excès de
l’Etat d’Israël en tant qu’Etat
sécuritaire. Ses recherches ont été
publiées dans Haaretz,The
Forward, le Seattle Times
et le Los Angeles Times. Il a
collaboré à une collection d’essais sur
la guerre du Liban de 2006, A Time
to Speak.
*Source:
Tikun Olam - South African
Intelligence Cables Expose Mossad Africa
Operations
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