YECHOUROUN
Perversité !
Le nouveau « nouvel antisémitisme »
Richard Falk
Mercredi 26 décembre 2018
Avec
beaucoup d’autres, je suis actuellement
victimisé. Nous sommes qualifiés
d’antisémites et dans certains cas, de
Juifs ayant la haine de soi. Il s’agit
d’un effort sioniste et israélien visant
à nous faire taire et à punir notre
militantisme non-violent, avec un venin
spécial dirigé contre la campagne BDS,
car elle est devenue efficace ces
dernières années.
Cette image
négative de l’opposition est qualifiée
de 'nouvel antisémitisme'. Le
vieil antisémitisme était simplement une
haine des Juifs exprimée par des images
et des attitudes négatives, des
pratiques discriminatoires, des
persécutions et des actes de violence.
Le soi-disant 'nouvel antisémitisme'
est la critique d’Israël et du sionisme.
Cette idée a été
approuvée par des gouvernements amis
d’Israël et poussée par diverses
organisations juives de premier plan,
notamment des personnes associées aux
survivants de l’holocauste et à leurs
souvenirs.
Emmanuel Macron,
Président de la République française, a
exprimé assez clairement ce rejet par
les apologistes d’Israël, même si
c’était sous une forme plutôt
malveillante: «Nous ne nous rendrons
jamais aux expressions de la haine. Nous
ne cèderons rien à l’antisionisme, car
il s’agit de la réinvention de
l’antisémitisme.»
La fausse prémisse
est d’assimiler le sionisme aux Juifs,
faisant automatiquement de la critique
et de l’opposition à l’État israélien
sioniste un antisémitisme.
Déjà en 2008, le
Département d’État des États-Unis était
allé plus subtilement dans un sens
semblable à celui de Macron avec cette
déclaration formelle: «Les motifs
pour critiquer Israël à l’ONU peuvent
découler d’inquiétudes légitimes
concernant la politique ou de préjugés
illégitimes. […] Cependant, quelles que
soient les intentions, les critiques
disproportionnées d’Israël comme barbare
et sans principes, et les mesures
discriminatoires correspondantes
adoptées par l’ONU à l’encontre
d’Israël, ont pour effet d’inciter le
public à associer des attributs négatifs
aux Juifs en général, alimentant ainsi
l’antisémitisme.»
L’erreur est de
considérer les critiques comme
'disproportionnées' sans jamais
tenir compte des réalités du long passé
d’illégalité d’Israël par rapport au
peuple palestinien.
Pour ceux d’entre
nous qui voient la réalité des
politiques et des pratiques
israéliennes, il ne fait aucun doute que
les critiques formulées et les pressions
exercées sont en tous sens
proportionnées.
Un argument
connexe souvent avancé est qu’on soumet
Israël à des normes plus élevées que
d’autres États, ce qui révélerait un
sous-entendu antisémite. Un tel argument
est fallacieux. Suggérer que la
criminalité d’autrui est plus grave
n’est pas une défense.
En outre, les
États-Unis subventionnent Israël pour au
moins 3,8 milliards de dollars par an,
outre son soutien inconditionnel à son
comportement, ce qui cause la
responsabilité d’imposer des limites
conformément au droit international
humanitaire.
De même, l’ONU a
contribué aux épreuves palestiniennes en
omettant de mettre en œuvre la solution
de partage et en laissant des millions
de Palestiniens être soumis aux
structures de domination de l’apartheid
pendant 70 ans. Nul autre peuple ne peut
autant blâmer à juste titre les forces
extérieures pour sa propre tragédie.
En 2014, Noam
Chomsky a expliqué la
fausse logique d’une telle allégation
avec une clarté morale et intellectuelle
typique:
«En fait,
le locus classicus, la meilleure
formulation, a été rédigé par un
ambassadeur auprès des Nations Unies, Abba
Eban, […]. Il avisa la
communauté juive américaine qu’elle
avait deux tâches à accomplir. L’une
consistait à démontrer que la critique
de la politique, ce qu’il appelait
antisionisme - c’est-à-dire les
critiques de la politique de l’État
d’Israël - étaient de l’antisémitisme.
C’est la première tâche.
La deuxième
tâche, si la critique était faite par
des Juifs, leur tâche était de montrer
que c’est une haine de soi névrotique
nécessitant un traitement psychiatrique.
Il a ensuite
donné deux exemples de cette dernière
catégorie. L’un était I.F. Stone.
L’autre était moi. Nous devions donc
être traités pour nos troubles
psychiatriques, et les non-Juifs doivent
être condamnés pour antisémitisme, s’ils
critiquent l’État d’Israël. Il est
compréhensible que la propagande
israélienne prenne cette position. Je ne
reproche pas particulièrement à Abba
Eban de faire ce que les ambassadeurs
sont parfois supposés faire. Mais nous
devons comprendre qu’il n’y a pas
d’accusation raisonnable. Pas de charge
raisonnable. Il n’y a rien à répondre.
Ce n’est pas une forme d’antisémitisme.
Il s’agit simplement de critiquer les
actions criminelles d’un État, point
final.»
L’une des
caractéristiques des accusateurs du
'nouvel antisémitisme' est leur
silence face aux allégations bien
établies de crimes contre l’humanité
formulées par ceux/celles qu’ils
qualifient d’antisémites. Ces ardents
partisans d’Israël poussent-ils vraiment
leur sens de l’impunité à un point tel
que le silence est autorisé à rester une
défense adéquate?
Ce sens de
l’exceptionnalisme israélien, une vision
du droit pénal international qu’il
partage avec l’exceptionnalisme
américain, sous-tend un déni de l’idée
même de responsabilité juridique et de
responsabilité morale. Ceux qui adhèrent
à un tel exceptionnalisme prétendent
être scandalisés par la seule
implication qu’un tel gouvernement
pourrait être soumis aux normes énoncées
dans le statut de la Cour pénale
internationale ou de la Charte des
Nations-Unies.
L’exceptionnalisme
israélien a ses racines propres dans la
tradition biblique, en particulier dans
une lecture laïque des Juifs en tant que
'le peuple élu' mais elle repose
en réalité sur une zone de confort créée
par le parapluie géopolitique qui
protège de la surveillance mondiale ses
mouvements les plus contraires au droit.
La récente
résolution de l’Assemblée générale des
Nations-Unies déclarant nulles et non
avenues les démarches israéliennes en
vue de l’annexion du plateau du Golan a
été un bon exemple de ces mesures de
protection. Seuls Israël et les
États-Unis ont voté 'non' contre
151 membres de l’ONU votant 'oui'.
Si nous prenons
juste une minute pour consulter le droit
international, nous trouvons le sujet si
évident qu’il ne mérite pas de
discussion sérieuse. Un principe
cardinal du droit international
contemporain, souvent affirmé par l’ONU
dans d’autres contextes, est
l’interdiction d’acquérir un territoire
par la force des armes. Il est
incontestable que les hauteurs du Golan
faisaient partie du territoire souverain
syrien jusqu’à la guerre de 1967 et
qu’Israël a acquis le contrôle qu’il
exerce depuis lors par suite d’une
occupation forcée.
Les ironies du
nouveau 'nouvel antisémitisme'
Une ironie
opportuniste est présente. Les
accusateurs du 'nouvel antisémitisme'
ne semblent pas avoir de mal à donner
l’accolade aux sionistes chrétiens
malgré leur hostilité envers les Juifs,
qui est couplée à leur dévotion
fanatique pour Israël en tant qu’État
Juif.
Quiconque a
regardé un exposé sioniste chrétien sait
que leur lecture du Livre des
Révélations contient une interprétation
selon laquelle J reviendra une fois que
tous les Juifs seront rentrés en Israël
et que le Temple très saint de Jérusalem
sera restauré.
Le processus ne
s’arrête pas là. Les Juifs sont alors
confrontés à un ultimatum pour se
convertir au christianisme ou à la
damnation éternelle. Et donc, il existe
parmi ces amis fanatiques d’Israël une
véritable hostilité à l’égard des Juifs,
tant en voulant insister sur la fin de
la diaspora juive en tant qu’impératif
religieux pour les chrétiens, qu’en
prévoyant le sort lamentable qui attend
les Juifs qui refusent de se convertir
après la Deuxième Venue.
Il y a là une
perversité révélatrice. Contrairement
aux soi-disant 'nouveaux antisémites'
qui n’ont aucune hostilité envers les
Juifs en tant que peuple, les sionistes
chrétiens accordent la priorité à leur
enthousiasme pour l’État d’Israël, tout
en étant prêts à perturber la vie des
Juifs de la diaspora et même finalement
des Juifs israéliens et sionistes.
Peut-être est-ce
moins de la perversité que de
l’opportunisme. Israël n’a jamais hésité
à soutenir les dirigeants les plus
oppressifs et dictatoriaux des pays
étrangers, à condition qu’ils achètent
des armes et n’adoptent pas une
diplomatie anti-israélienne. Le message
de félicitations de Netanyahu à Jair
Bolsonaro, le dirigeant brésilien
nouvellement élu, n’est que le cas le
plus récent, et Israël a été rapidement
récompensé par l’annonce de la décision
de se joindre aux États-Unis pour
déplacer son ambassade à Jérusalem.
En réalité, les
accusateurs du soi-disant 'nouvel
antisémitisme' sont à l’aise à la
fois avec le sionisme chrétien et avec
les dirigeants politiques étrangers qui
manifestent des inclinations fascistes.
En réalité, un œil
aveugle sur la réalité fondamentale du
véritable antisémitisme est une
caractéristique du nouvel antisémitisme
tant prôné par les sionistes militants.
Pour une documentation abondante, voir
le livre important de Jeff Halper, War
Against the People : Israel, the
Palestinians and Global Pacification (2015).
Dans un tel
contexte, nous avons besoin d’un terme
descriptif qui identifie ce phénomène et
rejette ses affirmations insidieuses. Je
propose ici l’expression inélégante
suivante: «le nouveau ‘nouvel
antisémitisme’».
L’idée de cette
expression est de suggérer que ce sont
ces nouveaux antisémites et non les
critiques et les militants critiques
d’Israël qui sont les véritables
porteurs de la haine envers les Juifs en
tant que Juifs.
Ce rejet de la
campagne visant à discréditer, voire à
criminaliser les soi-disant 'nouveaux
antisémites' contient deux sortes
d’arguments. Premièrement, cette
campagne détourne les critiques de la
persistance d’une réalité alarmante, du
calvaire persistant de l’apartheid
imposé à l’ensemble du peuple
palestinien dans son ensemble, ce qui
devrait devenir la préoccupation majeure
de tous ceux qui souhaitent ce qu’il y a
de mieux pour l’humanité. Deuxièmement,
elle détourne délibérément ou non
l’attention des objections à un
véritable antisémitisme en acceptant de
la part de l’État d’Israël son
attachement aux sionistes chrétiens (et
aux évangéliques), et avec des
dirigeants fascistes qui prêchent des
messages de haine ethnique.
En conclusion,
nous qui sommes attaqués en tant que
soi-disant 'nouveaux antisémites'
essayons réellement d’honorer notre
identité humaine et de rejeter les
loyautés tribales ou les alignements
géopolitiques, dans notre engagement
pour la réalisation des droits des
Palestiniens, et surtout de leur droit à
l’autodétermination.
En tant que Juifs,
tenir Israël responsable en vertu des
normes utilisées pour condamner les
dirigeants politiques et militaires
nazis survivants revient à honorer
l’héritage de l’holocauste et non à le
souiller. En revanche, quand Israël vend
des armes et offre de la formation en
contre-insurrection dans le monde entier
à des gouvernements dirigés par des
fascistes ou reste prêt à accepter
l’Arabie saoudite post-Khashoggi comme
un allié précieux, il masque la nature
malfaisante de l’holocauste d’une
manière qui pourrait hanter Israël et
même les Juifs de la diaspora à
l’avenir.
Richard Falk -
Source:
Aurdip
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