Réseau Voltaire
Washington relance le scandale Erdoğan
Thierry Meyssan
Comme si
de rien n’était, le ministre de
l’Économie, Nihat Zeybekçi, et le
vice-Premier ministre, Numan Kurtulmus,
décernent en juin 2015 un prix à l’homme
d’affaire irano-azéri-turc Reza Zarrab,
accusé d’avoir blanchi 2,8 milliards de
dollars pour le compte de l’AKP.
Dimanche 27 mars 2016
Il y a un et demi, deux énormes
scandales secouaient l’administration
Erdoğan, mais l’actuel président turc se
tirait d’affaire en limogeant 350
policiers et magistrats. Or, les
États-Unis et la Russie ont récemment
décidé de faire chuter le désormais
dictateur. C’est dans ce contexte que le
mythique procureur de Manhattan vient de
faire arrêter l’homme d’affaire aux
trois nationalités qui avait organisé un
gigantesque détournement de fonds pour
le compte de l’AKP.
Le 17 décembre 2013,
profitant d’un voyage au Pakistan du
Premier ministre de l’époque, Recep
Tayyip Erdoğan, 91 suspects étaient
arrêtés par la Justice turque, dont 26
furent déférés aux tribunaux. Selon les
magistrats, ils avaient créé une
organisation criminelle pour contourner
l’embargo US vis-à-vis de l’Iran et
blanchir des fonds détournés à la
République islamique.
Parmi les suspects, on trouvait un
homme d’affaire turco-azéri-iranien, les
enfants des ministres de
l’Environnement, de l’Économie et de
l’Intérieur, l’ancien négociateur pour
l’adhésion de la Turquie à l’Union
européenne, le directeur de la
principale banque publique, et un magnat
de l’immobilier.
Entre mars 2012 et juin 2013, les
suspects avaient transféré, directement
ou via les Émirats, 13 milliards de
dollars en or. En retour, ils avaient
écoulé sur le marché international des
hydrocarbures iraniens. Au passage, ils
auraient détourné 2,8 milliards de
dollars de commissions qu’ils auraient
partagé avec des hauts-fonctionnaires
iraniens et des dirigeants de l’AKP
turc.
Côté iranien, l’affaire a été prise
au sérieux. Le 30 décembre 2013, l’un
des plus puissants hommes d’affaire du
pays, Babak Zanjani, était interpellé.
Jugé le 6 mars dernier, il a été
condamné à mort pour vol, corruption,
fraude, contrebande et atteinte à la
sécurité de l’État. Deux autres
Iraniens, Camelia Jamshidy et Hossein
Najafzadeh, sont en fuite.
Cependant quelques jours après cette
première affaire, le 26 décembre, une
seconde éclata : le juge Muammer Akkaş
mit à jour les entretiens secrets du
Premier ministre d’alors, Recep Tayyip
Erdoğan, et de ses deux fils Bilal et
Burak, avec leur ami, le trésorier
d’Al-Qaïda recherché par l’Onu, Yaseen
Al-Qadi. Alors que les forces de l’ordre
étaient requises pour les arrêter, la
police d’Istanbul refusa d’exécuter les
mandats d’amener et le magistrat fut
démis de ses fonctions.
Réagissant à ces enquêtes, Recep
Tayyip Erdoğan dénonça une opération
téléguidée par son ancien allié,
l’islamiste Fethullah Gülen, installé
aux États-Unis, et soutenue voire
téléguidée par l’ambassadeur et ancien
responsable du Renseignement au
secrétariat d’État, Francis Ricciardone
Jr. Allant plus loin encore, il accusa
Gülen et la CIA d’avoir créé une
structure parallèle au sein de l’État.
Il révoqua 350 policiers et magistrats,
qui avaient participé à la création de
l’AKP et y représentaient le courant
Gülen.
Durant cette période, les événements
se succédèrent rapidement. Une vidéo
circula montrant Ali Erdoğan, un neveu
et garde du corps du Premier ministre,
donnant instruction à des policiers de
brutaliser des opposants qui se
trouvaient en détention. Puis un
enregistrement sonore permit d’entendre
le Premier ministre conseiller à son
fils Bilal de planquer 30 millions de
dollars en liquide qu’il détenait à son
domicile avant que la police ne vienne y
perquisitionner. Le commissaire de
police d’Ankara, chargé des affaires de
corruption, Hakan Yüksekdağ, fut
retrouvé mort et ses collègues
conclurent un peu rapidement au suicide.
Etc.
Les cauchemars du désormais président
Erdoğan sont de retour. Le 21 mars 2016,
l’homme d’affaire irano-azéri-turc Reza
Zarrab (ou Riza Sarraf en turc) a été
interpellé à Miami et incarcéré sur
instruction de l’implacable procureur de
Manhattan, Preet Bharara (l’homme qui a
inspiré la série télévisée Billions).
Thierry
Meyssan
Consultant politique,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la
conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage
en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007). Compte
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