Opinion
La Méditerranée :
Une lecture diatonique de l'histoire
René Naba
Samedi 30 novembre 2013
- Conférence
prononcée à Marseille le 18 octobre
2013 à l’invitation de l’association
des universitaires franco algériens.
- Papier publié à
l’occasion de la commémoration du
56me anniversaire du plan de partage
de la Palestine 29 novembre 1947.
La mer médiane
ignore le juste milieu.
La mer médiane
ignore le juste milieu. Deux millénaires
houleux se déploient sous nos regards,
marqués par une succession de journées
fastes, rarissimes, et jours néfastes
ultra fréquents avec leur cortège de
conquête et de Reconquista, de croisades
et contrecroisades de colonisation et de
décolonisation. Deux millénaires et la
houle demeure. Pourquoi tant de houles?
Pourquoi tant de haines?
La permanence du
géotropisme occidental ou le complexe de
Gibraltar
Il serait
fastidieux et vain de dresser une
chronologie de l’Histoire de la
Méditerranée, c’est-à-dire le récit
linéaire des événements tels qu’ils se
sont produits, exercice vain s’il en
est. Il serait plus judicieux de
procéder à une lecture diatonique de
l‘histoire conjuguant les données
spatio-temporelles, de procéder à
lecture d’une histoire problématisée,
c’est-à-dire une histoire qui essaye
d’expliquer les raisons de ces
évènements. Il incombe, pour ce faire,
de procéder à la déconstruction des
mythes fondateurs de la stratégie
occidentale à l’égard de la rive
méridionale de la Méditerranée, sa rive
arabo-musulmane.
A- La théorie du
Vaccum, «le Res Nullus»
L’Europe, qui a
longtemps symbolisé l’Occident, n’a
jamais pardonné aux Arabes non seulement
la conquête de la rive méridionale de la
Méditerranée mais aussi la rive
africaine de l’Océan Atlantique. A une
époque où la navigation maritime
constituait la principale voie de
ravitaillement des Métropoles, la
présence de l’Islam sur les rives
africaines de l’Atlantique a été perçue
par l’Europe une menace stratégique sur
la navigation transocéanique
occidentale, celle reliant l’Europe à
l’Amérique Latine (via Dakar). Au-delà
de la conquête de marchés captifs et des
réserves de matières premières, la
colonisation de la Méditerranée a
répondu au souci de neutraliser cette
menace potentielle ou virtuelle. Cela
quand bien même nulle poussée arabe n’a
été enregistrée en direction de l’Europe
depuis près de quatre siècles, soit pour
les Arabes, depuis la perte de Grenade
en 1492 et la restauration de la
souveraineté catholique sur l’Espagne.
Nulle poussée musulmane, non plus,
depuis le retrait des troupes musulmanes
de l’Empire ottoman des portes de
Vienne, le 13 avril 1683. Sous couvert
d’une motivation religieuse (la
libération du tombeau du Christ à
Jérusalem), les Croisades répondaient à
cette préoccupation. La colonisation
aussi.
Les grands
principes universels découlent rarement
de considérations altruistes. Elles
répondent davantage à des impératifs
matériels. Du temps des Croisades, le
mot d’ordre mis en avant était la
«libération du tombeau du Christ». Le
sac de Constantinople constituera, à cet
égard, selon l’historien Jacques Le
Goff, une des pages honteuses de
l’histoire de l’Occident.
Du temps de la
colonisation, ce sera «le fardeau de
l’homme blanc» et son double corollaire
économique, -la liberté de navigation et
la liberté du commerce et de
l’industrie-, c’est-à-dire la liberté
pour l’Europe de façonner à son image
les territoires conquis, d’asservir les
peuples, et sous prétexte de
civilisation et de modernité, de
coloniser leurs territoires pour son
expansion économique.
Le promontoire de
Gibraltar qui contrôle la jonction Mer
Méditerranée-Océan Atlantique est bien
revenu sous souveraineté européenne, en
fait anglaise, mais les Occidentaux ne
se sont jamais libérés du complexe de
Gibraltar. Gibraltar (Jabal Tareq), qui
tire son nom du conquérant arabe Tarek
Ben Ziad continue de retentir dans le
subconscient occidental comme un
camouflet stratégique majeur.
Toutes les voies de
communications maritimes de l’espace
arabe sont ainsi depuis quatre siècles
sous contrôle occidental. Le passage de
Gibraltar qui assure la jonction
Méditerranée-Océan atlantique, est
contrôlé sur la rive nord par le Royaume
Uni, et sur la rive sud par l’Espagne,
deux pays membres de l’Otan. Le roi
Mohamad VI qui a tenté de reprendre le
contrôle de l’îlot Persil sur les rives
du Maroc a fait l’objet d’un sérieux
rappel à l’ordre. Le «Commandeur des
croyants ne commande rien».
Le Canal de Suez,
qui assure la jonction
Méditerranée-Golfe-Océan indien, est
sous contrôle des deux bases de
souveraineté anglaise de Chypre, les
bases d’Akrotiri et de Dékhélia pour la
jonction Méditerranée- Golfe-Océan
indien, ont été aménagées après la perte
du Canal auparavant sous condominium
franco-anglais, Enfin L’île de Massirah,
sous souveraineté britannique, dans le
sultanat d’Oman, contrôle le détroit de
Bab et Mandeb, pour la jonction Golfe
arabo-persique/Océan indien.
La nationalisation
du canal en 1956 par Nasser a d’ailleurs
donné lieu à une expédition punitive
franco-anglo-israélienne, première
opération militaire conjointe
israélo-occidentale contre le Monde
arabe destinée à châtier un dirigeant
nationaliste arabe, Gamal Abdel Nasser,
coupable d’avoir cherché à récupérer sa
principale richesse nationale, le Canal
de Suez.
B – De la
vacuité géographique: Un peuple sans
terre pour une terre sans peuple
Le Foyer National
Juif s’est déployé en Palestine,
précisément, et non à Madagascar ou en
Argentine comme cela était prévu dans le
projet originel pour l’évidente raison
que la mise en place de cette entité
occidentale au cœur du Monde arabe
répondait avant tout à un géotropisme
permanent des puissances coloniales: le
verrouillage de l’espace arabe au
prétexte de la liberté de navigation et
de la sécurité de la route des Indes:
Gibraltar, le Canal de Suez, l’Ile de
Massirah, la côte des pirates auront
ainsi tout au long de l’histoire moderne
constitué autant de jalons de
l’expansion européenne, autant de places
fortes de garnison et de vigiles de
l’Empire britannique.
L’implantation du
Foyer National Juif en Palestine a été
précédée de la conquête de l’Algérie, en
1830, du protectorat de la France sur la
Tunisie, en 1881, du protectorat anglais
en Egypte, en 1882. Elle est
concomitante du Mandat français sur la
Syrie et le Liban, en 1920 et du Mandat
anglais sur l’Irak et la Palestine.
Soixante ans après l’indépendance des
pays arabes, au lendemain de la Deuxième
guerre mondiale, la présence militaire
occidentale est plus forte qu’à l’époque
coloniale.
L’ensemble
arabo-musulman est ainsi enserré dans un
maillage, sans doute l’un des plus
denses au monde. Qu’on en juge: Le
Bahreïn abrite le QG de la Vme flotte
américaine opérant dans la zone
Golfe-Océan indien et le Qatar, le QG du
commandement central, qui couvre une
zone allant de l’Afghanistan au Maroc.
Des bases
occidentales sont implantées à Abou
Dhabi, (base aéro navale française), à
Djibouti (base franco américaine), en
Arabie saoudite (base de drones), au
Sultanat d’Oman (base aéronavale
britannique de Massirah).
Le choix de la
Palestine s’est fait en vertu du
principe de la vacuité géographique.
L’habillage idéologique à cette
entreprise de prédation se résumait par
ce slogan «Un peuple sans terre pour une
terre sans peuple». Un slogan
mystificateur car il revenait à nier
l’existence d’une population dont les
ancêtres s’étaient frottés
victorieusement aux Croisés, en
Palestine, nier l’existence d’une
civilisation, marquée par une économie
agricole réputée pour son huile, ses
vins, le vin de Latroun, ses agrumes,
les oranges de Jaffa célèbre dans
l’ensemble de la Méditerranée, bien
avant la fertilisation du désert par les
vaillants Kiboutznik, autre
mystification de la légende sioniste.
La notion de
vacuité s’est depuis lors déclinée dans
toutes ses variantes. De la vacuité
géographique nous sommes ainsi passés à
la vacuité culturelle puis à la vacuité
politique. La Palestine a été décrétée
en situation de vacuité par application
de la théorie de Metternich «le Res
Nullus» (1), tout simplement parce
qu’elle a eu la mauvaise idée de se
situer du mauvais côté de la frontière
et de l’imperium européen: «En dehors
des frontières de la civilisation, il
était loisible d’insérer librement, au
milieu des populations plus ou moins
arriérées –et non contre elles- des
colonies européennes qui ne pouvaient
être que des pôles de développement».
Autrement dit, la
Palestine n’était pas un territoire vide
démographiquement, mais culturellement,
vide d’une sorte de vacuité culturelle,
car ne répondant pas au standard
européen. Près de cent ans plus tard,
l’Irak était, à son tour, frappé de
«vacuité politique», qu’il importait de
lui appliquer la démocratie américaine,
avec les déplorables conséquences que
l’on constate quotidiennement sur le
terrain.
-La vacuité
politique: La théorie de la vacuité
palestinienne s’applique d’ailleurs
d’une manière discontinue depuis 1948
sur le plan politique. L’absence de
progrès dans la recherche de la paix a
toujours été imputée à l’absence de
volonté de paix chez les Arabes, ce qui
a été vrai un certain temps, mais qui
n’est plus vrai depuis 1982 (adoption du
plan de Fès-Maroc), et surtout à
l’absence d’interlocuteurs palestiniens,
ce qui n’a jamais été vrai. Des «animaux
à quatre pattes», selon l’expression de
l’ancien premier ministre Golda Meir,
aux «cafards» d’Avigor Liberman, le chef
de file de la droite radicale, les
Palestiniens ont rarement été identifiés
pour eux-mêmes, pour ce qu’ils sont, des
Palestiniens, les habitants originels de
la Palestine.
La promesse Balfour
est en fait une promesse faite, le 2
novembre 1917, par le ministre anglais
des Affaires étrangères Arthur James
Balfour à Lors Walther Rotschild
d’aménager un «Foyer National Juif en
Palestine». Arthur Koestler, un écrivain
nullement suspecté d’antisémitisme, en
tirera un accablant constat qui se passe
de commentaires: «Pour la première fois
dans l’histoire, écrira, cet auteur
hongrois anticommuniste philosioniste,
«une nation promet solennellement à une
autre (nation en gestation) le
territoire d’une troisième nation». (2)
Une fraction de la Palestine est promise
aux Juifs non pour les dédommager des
atrocités commises à leur égard par les
Palestiniens ou les Arabes, mais en
compensation des persécutions qu’ils ont
eu à subir en Europe. En somme, comme
cela se dit vulgairement, c’est à dire
dans le langage populaire, «on les
dédommage sur le dos de la bête».
Plus cruellement,
l’Occident chrétien a pensé purger son
passif avec le judaïsme et lui témoigner
sa solidarité expiatoire en créant
l’Etat d’Israël en vue de normaliser la
condition juive diasporique dans des
composantes nationales claires (Abraham
B. Yehoshua). Mais il a dans le même
temps transmuté son contentieux
bimillénaire avec une religion longtemps
considérée comme «déicide» en un conflit
israélo-arabe et un conflit islamo-judaique,
en négation avec la symbiose andalouse.
Ce faisant,
l’Occident a transféré en terre arabe
les problèmes lancinants de
l’antisémitisme récurrent des sociétés
occidentales.
L’histoire du Monde
arabe contemporain demeurera
incompréhensible à quiconque ne prendra
en considération la blessure originelle
représentée par l’implantation de l’Etat
d’Israël en Palestine tant il est vrai
que de toutes les grandes dates qui
jalonnent l’Histoire des Arabes, la date
du 15 Mai 1948, est sans doute la plus
traumatique.
Au-delà des
considérations bibliques, la création
d’une entité occidentale au coeur du
Monde arabe à l’intersection de sa rive
asiatique et de sa rive africaine,
scellait la rupture définitive de la
continuité territoriale de l’espace
national arabe, la rupture du point
d’articulation entre la voie
continentale et la voie maritime de la
«Route des Indes», la voie marchande des
caravanes reliant le couloir
syro-palestinien à son prolongement
égyptien, une rupture stratégique du
continuum au point de confluence des
voies d’eau arabes (le Jourdain, le
Yarmouk, le Hasbani et le Zahrani) et de
ses gisements pétroliers, source de sa
richesse, de son décollage économique et
de sa puissance future.
Un choc à tous
égards traumatique. Il sera vécu à juste
titre comme tel, comme une amputation du
patrimoine national, une spoliation de
l’identité arabe. Il conditionnera
durablement la relation du Monde arabe
et de l’Occident à l’époque
contemporaine et explique une large part
de sa nature conflictuelle, de ses
dérives successives, de ses
déflagrations répétitives, et, enfin
dernière et non la moindre des
conséquences, l’aversion révulsive et la
méfiance instinctive que continue de
nourrir le camp arabe face à toute
initiative occidentale.
La rive sud stratégie
de prédation
La rive sud de la
méditerranée a fait office de zone de
compensation aux déboires européens
particulièrement français sur le théâtre
européen
La dernière
victoire militaire française remonte à
Austerlitz (1805) suivie par une
succession de défaites (Waterloo,
Fachoda, expédition du Mexique en fin
Sedan 1870), défaites entrecoupées de
conquêtes: Algérie 1830, quinze ans
après Waterloo, Expédition du Liban
Tunisie 1860, et Liban au nom de la
défense des Maronites chrétiens contre
les Druzes), quand bien même les
chrétiens arabes ont considérablement
pati des interventions occidentales en
terre arabe.
L’Occident a, en
fait, procédé à une OPA sur la
chrétienté arabe, mais les Chrétiens
arabes ont été les principales victimes
des coups de butoir de l’Occident dans
la sphère arabe. La création de la
Palestine (1948) a entrainé l’exode des
chrétiens palestiniens, l’expédition
d’Egypte (1956), l’exode des coptes
d’Egypte, la guerre d’Irak (2003) celui
des Chrétiens irakiens et la guerre de
Syrie (2012), celle des chrétiens
syriens.
Il en sera de même
lors du printemps arabes 2011-2013:
L’Europe en crise systémique
d’endettement se projettera en Libye et
en Syrie pour compenser la perte de
l’Union pour la Méditerranée: une
structure destinée à sanctuariser Israël
et à ostraciser l’Iran par l’acceptation
de facto de l’état hébreu au sein d’une
organisation conjointe groupant
conjointement Arabes et
Israéliens.
La Méditerranée :
Ligne de démarcation
La Méditerranée
constitue, au seuil du XXI me siècle,
une triple ligne de démarcation!
- A- La Ligne de
fracture entre deux mondes
(Nord-Sud, Islam Occident). Un
concentré des conflits majeurs du XX
et XXI me siècle focalisés autour de
la Palestine.
- B- La ligne de
démarcation d’un nouveau Monde
multipolaire. La ligne Algérie-Pirée
est la ligne invisible d’une
nouvelle délimitation des zones
d’influence entre le BRICS et
l’Occident atlantiste. Le Maghreb
est l’ultime digue de retenue de la
poussée africaine de la Chine et du
contournement de l’Europe par
l’Afrique.
- C- La Ligne de
cassure politique et mentale du
Monde arabe. Implorer ses anciens
colonisateurs pour bombarder un pays
arabe qui a participé à trois
guerres contre Israël (Qaradawi)
rend obsolète et caduque
l’accusation de croisade
occidentale.
Le salut du Monde
arabe résultera de la constitution d’une
masse critique à l’effet d’induire une
structure paritaire dans ses rapports
avec l’Europe, et partant, des rapports
d‘égalité entre les deux rives de la
Méditerranée.
Pour aller plus
loin
http://www.renenaba.com/le-29-novembre-1947-une-nuit-funeste-pour-les-arabes/
-Rashid Khalidi: “Brockers of deceit,
How The US has undermined peace in the
Middle East”. Beacon Press
Boston MA
www.beacon.org
«La compensation de
la victime par un tiers, une perversion
triangulaire» par Karim Jbeily,
psychanalyste libano canadien.
Titre:
Compenser des victimes avec le bien d’un
tiers, perversion triangulaire (2
clicks)
Légende: Karim Richard Jbeili,
Psychanalyste
Nom du fichier:
La-perversion-triangulaire.pdf
Taille: 163 kB
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