MADANIYA
Suez 1956 ou Le glas de la présence
coloniale franco-britannique au Moyen
orient
René Naba
Photo:
D.R.
Lundi 26 octobre 2015
Ce papier a
été rédigé le 26 octobre 1986 à
l’occasion du 30 ème anniversaire de
l’agression tripartite
franco-anglo-israélienne de Suez, en
réplique à la nationalisation par Nasser
de l’unique ressource financière du
pays, le Canal de Suez, que www.
madaniya.info reproduit à l’occasion du
60 me anniversaire du mouvement des
non-alignés.
Suez-anniversaire | AFP Paris
26 octobre 1986
(AFP) – L’expédition
franco-britannique de Suez, il y a 30
ans, a sonné le glas de l’ère coloniale
et mis fin dans cette région aux
ambitions des grandes puissances
qu’étaient la France et la
Grande-Bretagne, véritable tuteurs du
Moyen Orient pendant un demi-siècle.
Pour les historiens, cette expédition
de par ses retombées militaires et
diplomatiques a également permis aux
États-Unis et à l’Union soviétique de
faire leur entrée sur la scène
proche-orientale.
Conçue en riposte à la
nationalisation du Canal de Suez par
Nasser, l’expédition a été l’œuvre de
trois hommes, tous trois chefs de
gouvernement, mus par des considérations
différentes : le socialiste français Guy
Mollet qui se déclarait « hanté par le
spectre de Munich et le défaitisme
européen » mais qui cherchait en fait à
couper la rébellion algérienne de sa
principale base d’appui dans le Monde
arabe, le conservateur britannique
Anthony Eden, pressé par son ami le
premier ministre de la Monarchie
irakienne Noury Saïd d’en découdre avec
Nasser, nouveau chef de file du
nationalisme arabe militant, ainsi que
l’israélien David Ben Gourion, soucieux
de prévenir l’édification d’une force
militaire du plus grand État arabe,
l’Égypte.
L’opération commence le 29 octobre
1956, alors que le monde entier a les
yeux braqués sur les insurgés de
Budapest. L’armée israélienne franchit
le désert du Sinaï et parvient sur les
rives du Canal de Suez. Cette première
opération fait partie d’un plan secret
anglo-franco-israélien visant à
reprendre le contrôle de la voie d’eau
qui symbolise, aux yeux des Arabes, le
colonialisme. Construit par le Français
Ferdinand de Lesseps, le canal qui
assure la jonction du vieux continent au
sous-continent indien est administré par
un consortium dominé par les
Britanniques.
Paris et Londres, en application de
l’accord de Sèvres, lancent un «
ultimatum » aux Égyptiens et aux
Israéliens. Ils exigent un cessez-le-feu
et « demandent » aux seuls Égyptiens de
« permettre » l’occupation de Port Saïd,
Ismaïlia et Suez, les points-clé du
canal, par les troupes
franco-britanniques.
Nasser refuse. Le 5 novembre, au
lendemain du retour à Budapest des chars
soviétiques, Français et Britanniques
débarquent. Ils occupent Port Saïd et se
préparent à descendre le long du canal
quand Moscou et Washington ordonnent un
cessez- le-feu. Celui-ci devient
effectif le 7 Novembre.
Si l’opération a été une réussite sur
le plan militaire, elle a constitué par
ses conséquences diplomatiques un
désastre tant pour les Français que pour
les Anglais, à l’aube de la
décolonisation et de la montée en
puissance du tiers-monde.
Nasser coule des bateaux dans le
canal pour y entraver la navigation,
obligeant les pétroliers, qui
ravitaillent l’Europe à partir du Golfe,
à faire le long détour du cap de Bonne
espérance (Afrique du sud). C’est la
première utilisation de l’arme du
pétrole au lendemain de la première
nationalisation réussie par un pays du
Tiers monde. L’Europe connaît ses
premières pénuries d’or noir. Pour faire
face au coût supplémentaire du transport
du brut, la France instaure la vignette
auto.
Le Commonwealth, sous la conduite du
bouillant ministre indien de la Défense
Krishna Menon, est au bord de
l’éclatement, tiraillé entre la
solidarité du premier ministre indien
Nehru avec Nasser et la « haine
viscérale » du premier ministre
britannique à l’égard du « Raïs »
égyptien, selon l’expression de Robert
Rhodes James, biographe d’Eden.
Le Monde arabe, à l’exception du
Liban, rompt ses relations diplomatiques
avec Londres et Paris. L’onde de choc de
cette affaire qui a déclenché une
virulente poussée anti-occidentale, se
répercutera deux ans plus tard sur
l’ensemble du Moyen-Orient. L’Égypte et
la Syrie fusionneront en un seul État,
en Février 1958, et forment la
«République arabe unie, la Monarchie
irakienne chutera cinq mois plus tard,
en juillet 1958, conduisant les
parachutistes britanniques à intervenir
en Jordanie pour sauver le Trône
vacillant du Roi Hussein, alors que,
parallèlement, les Marines américains
débarquaient à Beyrouth pour soutenir le
président Camille Chamoun dont le pays
est ravagé par la première Guerre
civile.
Trente ans après cette expédition,
plusieurs questions restent sans réponse
et notamment la question de savoir quel
fut l’élément déterminant dans
l’instauration du cessez-le-feu du 7
Novembre : les menaces soviétiques
d’employer l’arme atomique ou les
pressions américaines ?
Pour Robert Rhodes James, il n’y a
aucun doute : c’était le refus américain
d’intervenir pour soutenir la Livre
sterling qui a semé une « quasi-panique
» à la City de Londres. Pour d’autres,
il s’agissait de l’irritation du
Président Dwight Eisenhower devant
l’incartade de ses alliés qui a terni sa
réélection triomphale. Pour les Arabes,
la menace du Kremlin a été déterminante.
Le retrait franco-britannique de Suez
a fait de Nasser le champion de la Cause
arabe, et dans l’imaginaire des peuples
colonisés, un héros à l’égal de Mao
Zedong, Nehru et Tito. Israël, après ce
coup d’épée dans l’eau, apprît à
connaître sa marge d’autonomie face aux
États-Unis.
Quant aux populations arabes, elles
vécurent cette «agression tripartite»
comme une illustration de la « collusion
entre Israël et les puissances
occidentales ». Pendant une décennie,
l’épisode de Suez va donner un élan aux
Guerres de Libération Nationale dans le
Tiers-Monde.
Épilogue
Cinquante ans plus tard, en juillet
2006, Israël soutenu cette fois par les
États-Unis, la nouvelle puissance
occidentale dominante de la zone,
déclenche sa guerre de destruction
contre le Liban, en représailles à la
capture de deux de ses soldats par le
mouvement chiite libanais « Hezbollah ».
Suez s’est conçue comme une «
expédition punitive » à l’encontre de
Nasser, le nouvel « Hitler contemporain
», selon l’expression des commentateurs
politiques de l’époque. La guerre du
Liban, en 2006, visait à imposer des «
mesures coercitives » contre le
Hezbollah, selon l’expression du
président français de l’époque Jacques
Chirac.
En 2011, la France, récidiviste, de
concert avec le Royaume Uni prennent, à
nouveau, la tête d’une nouvelle
offensive contre les pays à structure
républicaine du Monde arabe, (Libye et
Syrie), au prétexte d’y instaurer la
démocratie, dans le prolongement de
l’invasion américaine de l’Irak (2003).
Le socialiste François Hollande
reprendra les mêmes arguments que son
prédécesseur socialiste Guy Mollet : «
le spectre de Munich » et sa hantise que
le peuple syrien ne soit les « Sudètes
du XXI me siècle », détournant ainsi
l’attention sur la Palestine, en
focalisant sur la Syrie, occultant
magistralement la responsabilité du
Royaume Uni (Promesse Balfour), de la
France (Dimona) et d’une manière
générale des pays occidentaux dans la
tragédie palestinienne, le véritable
sudète du XXI me siècle.
Cette guerre de « prédation
économique », à l’identique de Suez, a
tourné au désastre pour les assaillants
occidentaux en ce que la Libye est
devenue une pétaudière à ciel ouvert,
gros exportateur de migrants clandestins
du continent africain vers l’Europe
occidentale en crise systémique, l’Irak
et la Syrie, les principaux foyers
d’exportation du djihadisme erratique à
l’échelle planétaire.
Cinquante-neuf ans après, les
réflexes coloniaux demeurent tenaces
dans les pays occidentaux à l’égard de
toute velléité indépendantiste des pays
arabes, de surcroît avec la même
constance : l’alliance d’Israël avec la
principale puissance occidentale du
moment et le même revers militaire dans
la satisfaction des objectifs
stratégiques du camp occidental.
François Hollande prendra
définitivement acte de la déconfiture
française de Suez de son prédécesseur
socialiste Guy Mollet en co-président
avec le Maréchal Abdel Fattah Al Sissi,
le 6 Août 2015, la cérémonie
d’inauguration de l’élargissement du
Canal de Suez. En s’affichant
ostensiblement avec l’héritier de
Nasser, le social libéral français
s’imagine pouvoir gommer et de la
mémoire et l’ignominie de son
prédécesseur et son alliance honteuse
avec les régimes les plus régressifs
arabes.
Sophistication suprême: La
recolonisation du Monde arabe par le
bloc atlantiste, sous couvert de «
l’open society » et du mal nommé «
printemps arabe » se fait cette fois
avec le consentement servile de leurs
supplétifs arabes, les pétromonarchies
du Golfe, la constellation la plus
obscurantisme, la plus répressive de la
planète, dont les Occidentaux en sont
devenus, paradoxalement, les mercenaires
dans leur guerre de survie dynastique.
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Reçu de René Naba pour publication
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