Madaniya
Arabie Saoudite : Un royaume en plein
désarroi,
en pleine convulsion
René Naba
Photo:
D.R.
Samedi 24 janvier 2015
Sur fond de désarroi et de
désespérance, en pleine convulsion
Sixième Roi
d’Arabie, Abdallah Ben Abdel Aziz,
décédé jeudi à 90 ans des suites d’une
lourde pathologie, laisse un Royaume en
plein désarroi, en pleine convulsion,
sur fond d’une guerre de succession
entre les deux principaux clans de la
dynastie wahhabite (le clan Sideiry et
le clan Al shammar), sur fond d’une
désespérance de sa jeunesse face aux
taux élevé d’un chômage
persistant, à l’arrière plan d’un bras
de fer énergétique avec les États Unis
visant à assécher les petits producteurs
de pétrole de schiste, alors que les
deux pays qui ont longtemps fait office
de sas de sécurité du royaume, le Yémen,
dans la décennie 1960 contre Nasser et
l’Irak, dans la décennie 1980 contre
Saddam Hussein, échappe désormais au
contrôle sunnite au bénéfice des
chiites, les rivaux historiques des
sunnites dont la dynastie se veut le fer
de lance au niveau du Monde
arabo-musulman.
Sans doute l’effet
du hasard, qui n’en est pas moins
révélateur, l’annonce du décès du Roi a
été annoncée, alors que le Yémen
plongeait dans le chaos à la suite de la
démission collective du président
yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi de son
gouvernement, sous les coups de butoir
de la milice chiite Ansar Allah et que
Riyad se hâtait de dresser un mur de 900
kilomètres à sa frontière avec l’Irak
pour se protéger d’une invasion par les
djihadistes de l’état islamique
autoproclamé.
Abdallah est le
monarque qui aura exercé le plus long
règne au sein de la dynastie, d’abord en
tant que prince héritier et chef de la
garde nationale, régentant le royaume en
suppléance de son frère Fahd atteint
d’une lourde pathologie, (1995-12005),
puis en tant que souverain (2005-2015),
soit vingt ans. A l’instar de son
prédécesseur, l’homme aura présidé aux
destinées du Royaume, lourdement
handicapé par la maladie (une double
pontage coronarien, doublé de troubles
dorsaux et d’un cancer au larynx), à une
période charnière de l’histoire du Moyen
Orient, marquée notamment par l’invasion
américaine de l’Irak (2003) et la guerre
de Syrie (2011), dix ans plus tard, deux
pays se réclamant de l’idéologie laïque
baasiste, dont la destruction, le
premier l’Irak, a servi de matrice à
l’ossature militaire de l’état islamique
et le second, la Syrie, à la
prolifération du djihadisme dégénératif
erratique.
La construction de
la «Grande Muraille» saoudienne a été
décidée pour se prémunir précisément du
chaos que le Royaume, en partenariat
avec les autres pétromonarchies et leurs
alliés occidentaux du pacte atlantiste
ont infligé aux deux pays se réclamant
de l’idéologie laïque baasiste. Le mur
se composerait d’un mur et d’un fossé
destinés à protéger le royaume wahhabite
des rebelles de l’organisation État
islamique qui contrôlent «une grande
partie de la zone du côté irakien de la
frontière» et lorgnent «la conquête
ultime de l’Arabie Saoudite, qui
renferme les deux mosquées saintes de La
Mecque et Médine, leur objectif
essentiel.
Salman, nouveau
représentant du clan Sideiry au sein du
pouvoir
En application des
prescriptions du Roi, Salman,
représentant du clan Sideiry, lui a
succédé à la tête du Royaume. Agé de 79
ans, prince héritier qu’il cumulait avec
celui de ministre de la Défense, cet
ancien gouverneur de la province de
Riyad pendant 48 ans, un faucon dans la
pure tradition wahhabite passe pour
avoir supervisé la ventilation des
«dons» privés versés tant aux
moudjahidines afghans lors de la guerre
anti soviétique d’Afghanistan, dans la
décennie 1980, qu’aux prédicateurs
salafistes lors de la guerre de Syrie,
dans la décennie 2010.
Souffrant de
déficience mémorielle, le terme
d’Alzheimer a été prononcé, Salman sera
secondé par le prince Moqren, ancien
gouverneur de la province de Médine.
Ancien chef du
renseignement saoudien et proche
d’Abdallah, Moqren, le nouveau prince
héritier, semble avoir pour tâche de
déblayer la voie à la venue au pouvoir
du premier roi de la troisième
génération en la personne de Mout’eab
Ibn Abdallah, 62 ans, le propre fils du
roi défunt, déjà en place en sa qualité
de chef de la garde nationale
saoudienne, la garde prétorienne du
régime composée de guerriers recrutés
dans les tribus du Royaume.
Acteur-clé au
Moyen-Orient et premier exportateur
mondial de pétrole brut, le Roi
Abdallah, prudent et prévoyant, a ainsi
placé son fils aîné, Mout’eb au poste
stratégique de deuxième vice-président
du conseil, scellant l’ordre de
succession au bénéfice de son fils, sans
possibilité d’en modifier l‘ordre de
succession. Son deuxième fils, Mecha’al,
a été nommé gouverneur de la région de
la Mecque, la capitale religieuse du
royaume et son 3eme fils, Turki,
gouverneur de Riyad, sa capitale
politique et financière. La fratrie
Abdallah conserve dans son giron la
«Garde Nationale», traditionnelle
contrepoids aux forces régulières.
Ultime cadeau d’un
roi octogénaire en phase crépusculaire
de son règne, le Roi Abdallah (88 ans) a
couplé cette démarche en impulsant une
refonte de l’archaïque système éducatif
saoudien, si préjudiciable à l’image du
Royaume, à l’image de l’Islam et à la
stratégie de ses alliés du bloc
atlantiste. Fait sans précédent dans les
annales du Royaume, une dame, Haya Al
Sahmary, a été nommée à une fonction
d’autorité au sein de la haute
administration saoudienne, à la
direction de la formation, en tandem
avec le Prince Khaled Ben Fayçal, le
fils du défunt Roi Fayçal, au poste de
ministre de l’éducation, avec à la clé
un budget de plusieurs milliards de
dollars pour mener à bien cette
opération.
Dans la foulée,
Abdallah a discrètement évacué de la
scène publique, le Mufti As Cheikh, un
authentique représentant de la fratrie
de Mohamad Abdel Wahhab, le fondateur du
Wahhabisme, au profit d’un dignitaire
moins rigide.
Sous couvert de
guerre contre le terrorisme, l’Arabie
saoudite a par ailleurs opéré un
rapprochement tangible avec Israël,
criminalisant la confrérie des Frères
Musulmans, renouant avec Mahmoud Abbas,
dans une tentative de renflouement de la
question palestinienne, la grande
oubliée du «printemps arabe», en vue
d’accompagner le règlement du conflit
israélo-arabe selon un schéma américain
conférant un statut minoré au futur état
palestinien.
Au-delà des
rivalités de voisinage et des conflits
de préséance, la diabolisation des
Frères Musulmans, la matrice originelle
d’Al Qaida et de ses organisations
dérivées, apparaît ainsi comme une
grande opération de blanchissement des
turpitudes saoudiennes et de
dédouanement de la dynastie à son
soutien à la nébuleuse du djihadisme
erratique depuis son apparition dans la
décennie 1980 lors de la guerre anti
soviétique d’Afghanistan. Un parrainage
qui a valu à l’Irak d’assumer, par
substitution, la fonction de victime
sacrificielle d’un jeu de billard à
trois bandes, en 2003, en compensation
au châtiment de l’Arabe saoudite pour sa
responsabilité dans les attentats du 11
septembre 2001 contre les symboles de l’hyperpuissance
américaine.
Soldant sans état
d’âme l’ère Bandar, l’ancien patron de
la nébuleuse islamiste, la dynastie
wahhabite pense avoir signifier aux
rivaux du Royaume, dans l’ordre
subliminal, sur fond de
négociations irano américaines sur le
nucléaire iranien, la permanence et la
solidité du Pacte de Quincy, en dépit
des fritures dans les relations entre le
meilleur allié des États Unis dans le
Monde arabe et le protecteur d’Israël;
en dépit des tentatives de rapprochement
des États-Unis avec l’Iran, l’ancien
super gendarme du Golfe du temps de Chah
et désormais la bête noire de la
dynastie wahhabite.
L’Arabie
saoudite, le grand vaincu de la guerre
de Syrie, au même titre que la France
Au delà des propos
postmortem de circonstance vantant les
qualités du défunt roi, «défenseur de la
paix » Stephen Harper-Canada), «grand
homme d’état dont l’action a
profondément marqué l’histoire de son
pays (François Hollande-France),
«dirigeant sincère et courageux» (Barack
Obama- Etats Unis), l’Arabie saoudite
passera dans les annales de la décennie
2010 comme le grand vaincu de la guerre
de Syrie, au même titre que la France,
dont les dérapages se sont répercutés
sur son national par de sanglants
attentats terroristes (Mohamad Merah
2012, Mehdi Nemmouche 2014, les frères
Kouachi (contre Charlie Hebdo en 2015).
Le Gardien des
Lieux Saints de l’Islam a certes financé
la promotion de l’Islam à travers le
monde, mais son prosélytisme religieux
tous azimut s’est souvent confondu avec
une instrumentalisation politique de la
religion comme arme de combat contre les
ennemis de l’Amérique, notamment
l’athéisme communiste, au détriment des
intérêts stratégiques du Monde arabe.
Le chef de file de
l’Islam sunnite a porté le fer aux
quatre coins de la planète pour le
compte de son protecteur américain, mais
le bailleur de fonds des équipées
militaires américaines dans le tiers
monde -de l’Afghanistan au Nicaragua, à
l’Irak et à la Syrie- n’est jamais
parvenu à libérer l’unique Haut Lieu
Saint de l’islam sous occupation
étrangère, la Mosquée d’al Aqsa de
Jérusalem, au point que son leadership
est désormais concurrencé par le nouveau
venu sur la scène diplomatique régionale
la Turquie et sa posture néo ottomane.
Le protégé de
l’Amérique, auteur de deux plans de paix
pour le proche orient, n’a jamais réussi
à faire entériner par son protecteur
américain et son partenaire israélien
les propositions visant à régler le
conflit israélo palestinien, ni à
prévenir l’annexion rampante de
Jérusalem, ni la judaïsation de la 3eme
ville sainte de l’Islam, pas plus qu’il
n’a pu éviter le basculement des grandes
capitales arabes hors de la sphère
sunnite, dans le giron adverse:
Jérusalem sous occupation israélienne,
Damas sous contrôle alaouite et Bagdad
enfin sous partage kurdo Chiite.
Le plus riche pays
arabe, membre de plein droit du G20, le
directoire financier de la planète, a
dilapidé une part de sa fortune à
d’extravagantes réalisations de prestige
et à la satisfaction d’invraisemblables
caprices de prince, sans jamais songé à
affecter sa puissance financière au
redressement économique arabe ou au
renforcement de son potentiel militaire,
bridant au passage toute contestation,
entraînant dans son sillage le monde
arabe vers sa vassalisation à l’ordre
américain.
La dynastie
wahhabite, détournant les Arabes et les
Musulmans de leur principal champ de
bataille, la Palestine, dans de furieux
combats en Afghanistan, n’a jamais tiré
un coup de feu contre Israël, au point
que le meilleur allié arabe des Etats
Unis apparaît, rétrospectivement, comme
le principal bénéficiaire des coups de
butoir israélien contre le noyau dur du
monde arabe, et Israël, comme le
meilleur allié objectif de la monarchie
saoudienne.
Ce royaume quasi
centenaire est par excellence un pays de
passe droit, gouverné par six monarques
(Abdel Aziz, Saoud, Faysal, Khaled,
Fahd, Abdallah). Mais, à une période
charnière de l’histoire du monde arabe,
à l’ère de l’optronique, de la
balistique, du combat disséminé et de la
furtivité de basse tension, aucun des
six monarques n’était détenteur d’un
diplôme universitaire, tous formatés
dans le même moule de la formation
bédouine et de l’école coranique, à
l’instar des autres pétromonarchies
gérontocratiques du Golfe, soit le tiers
des membres de la Ligue arabe et les
deux tiers de la richesse nationale
arabe, alors que la théocratie voisine
iranienne a, d’ores et déjà, accédé au
statut de puissance du seuil nucléaire.
Malgré les
turbulences, la famille Al Saoud a
réussi à sauvegarder son trône, mais
plongé la zone dans une sinistrose quand
Israël sinistrait la zone.
Une illustration
caricaturale de la réalité paralytique
arabe.
Le roi est nu, la
monarchie saoudienne sur la défensive:
La dynastie wahhabite, maître d’oeuvre
sous l’égide américaine de l’islamisme
politique, apparaît rétrospectivement,
au regard de l’histoire, au même titre
que le colonel Mouammar al Kadhafi de
Libye comme l’un des principaux
fossoyeurs du nationalisme arabe et de
la soumission du monde arabe à l’ordre
américain.
90 ans après la
constitution du royaume, le bilan est
sans ambiguïté et ne souffre aucune
circonstance atténuante à en juger par
la décomposition du monde arabe, sa mise
sous tutelle américaine avec le
déploiement d’une demi douzaine de bases
militaires dans l’espace arabe (Arabie
saoudite, Bahreïn, Jordanie, Koweït,
Oman, Qatar), la subversion meurtrière
qui secoue périodiquement le Royaume,
les dérives de ses anciens sujets dont
le plus illustre disciple n’est autre
que l’animateur de la plus importante
organisation clandestine trans-nationale
de l’intégrisme musulman, Oussama Ben
Laden, auparavant serviteur dévoué de la
politique saoudo américaine dans la
sphère musulmane.
Plus grave, allié
inconditionnel et résolu des Etats-Unis,
le bailleur de fonds de toutes ses
équipées dans la zone, même au delà en
Amérique latine et en Afrique, hors de
la sphère de la sécurité nationale
arabe, l’Arabie Saoudite aura été de
surcroît la caution morale et politique
du principal partenaire stratégique du
principal ennemi des Arabes, Israël, le
propagateur zélé d’une politique qui a
abouti, paradoxalement, à la judaïsation
rampante de la quasi totalité de
l’ancien territoire de la Palestine du
mandat britannique en contradiction avec
les voeux d’un des plus éminents
monarques saoudiens, le Roi Fayçal,
assassiné en 1975, avant de réaliser son
souhait de prier à la Mosquée libérée
d’Al-Aqsa de Jérusalem.
Plus que tout
autre, l’Arabie Saoudite aura illustré
jusqu’à la caricature la réalité
paralytique arabe dont elle assume une
lourde part de responsabilité avec un
monarque (le Roi Fahd) hémiplégique
pendant une décennie de 1995 jusqu’à sa
mort en 2005, à la mobilité réduite, à
la lucidité aléatoire, sous assistance
sanitaire permanente animée par une
cohorte de médecins, régnant sur un pays
clé de l’échiquier régional à un moment
charnière du basculement géostratégique
planétaire avec la collusion frontale de
l’hyper puissance américaine avec les
deux plus importants foyers de
percussion de la stratégie régionale
saoudienne, l’Afghanistan et l’Irak, les
deux anciens alliés de l’axe saoudo
américain.
Un scénario
identique s’est reproduit quinze ans
plus tard, en 2009, avec le prince
héritier le prince Sultan Ben Abdel
Aziz, désertant son poste de ministre de
la défense et le royaume pour une
convalescence prolongée au Maroc de plus
d’un an exerçant ses lourdes
responsabilités de prince héritier, vice
premier ministre, ministre de la défense
et inspecteur général des forces armées
royales, de manière fantomatique dans
une zone particulièrement tourmentée en
plein bras de fer américano iranien sur
le dossier nucléaire iranien.
L’Arabie avait tout
pourtant pour être heureuse et son bilan
se promettait radieux : Deux
incomparables atouts naturels, La Mecque
et Médine, les deux Hauts Lieux saints
de l’Islam, référence spirituelle
absolue d’une communauté de croyants de
1,5 milliards de fidèles de la deuxième
religion du monde par son importance, le
pétrole, moteur de l’économie
internationale dont elle détient le
principal gisement énergétique du monde,
une immense superficie qui fait de ce
pays de 2,5 millions de km2, un
quasi-continent de taille comparable à
l’Europe occidentale (France Allemagne,
Belgique, Pays-Bas, Luxembourg), une
faible densité démographique (20
millions d’habitants), enfin, dernier et
non le moindre atout : le bouclier
américain mis en place par le Pacte de
Quincy, dissuasif contre toute remise en
cause interne, toute intervention
étrangère, toute critique
internationale.
A l’ombre des
drones et des Awacs américains, les
avions radars électronique à long rayon
d’action dont l’Arabie était le seul
pays au monde à en abriter hors du
territoire des Etats-Unis, le Royaume
wahhabite pouvait prospérer sans limite,
dans une quiétude que n’altéraient ni la
réclusion féminine, jugée outrageusement
scandaleuse partout ailleurs dans le
monde, ni la ségrégation raciale ou
religieuse, ni les abus de domesticité,
qui alimentaient les chroniques
mondaines de la presse occidentale avide
de scandales, ni les vexations
répétitives d’une institution unique au
monde, la redoutable police religieuse (Al-Moutawa’a),
aussi puissante que sectaire.
En toute impunité,
le souverain pouvait à loisir se livrer
à d’invraisemblables passe-droits
criminels tel l’enlèvement du plus
célèbre opposant saoudien, Nasser
Al-Saïd, mystérieusement disparu en 1979
à Beyrouth. L’opposition
anti-monarchique soutiendra que l’homme
réfugié à Beyrouth a été enlevé par les
services saoudiens avec l’aide de
groupements palestiniens à la faveur de
l’anarchie ambiante régnant dans la
capitale libanaise en pleine guerre
inter factionnelle, embarqué de force à
bord d’un avion militaire saoudien et
jeté par dessus bord au dessus du désert
saoudien. Si l’opposition saoudienne n’a
jamais pu fonder de manière formelle
cette accusation, force est toutefois de
convenir que nul, depuis 26 ans, n’a pu
retrouver sa trace.
Pays rigoriste,
l’Arabie a fait du Coran, son arme
absolue et du prosélytisme religieux son
vecteur d’influence diplomatique,
véritable rente de situation stérilisant
tout débat interne, au point que le pays
aura sombré pendant un demi siècle dans
le «degré zéro de la culture». Le
Royaume a ainsi consacré durant la
décennie 1980-1990 près d’un milliard de
dollars à l’entretien de trente mille
(30.000) lieux de culte et aux quatre
vingt dix (90) universités théologiques
et facultés théologiques, record mondial
absolu par rapport à sa densité
démographique, faisant du pays un fief
intégriste. Un des temps forts du rituel
diplomatique de la dynastie wahhabite,
le pèlerinage de la Mecque, vaste
rassemblement humain annuel de près de
deux millions de personnes, constituait
le moment idéal pour les dignitaires
saoudiens de déployer des trésors de
générosité au service de la Foi, pour
d’incommensurables retombées politiques
au bénéfice du Roi. Sur le plan profane,
le pèlerinage de Riyad constituait pour
les dirigeants occidentaux un rituel
comparable par son importance au
pèlerinage de la Mecque pour les
Musulmans. En plus lucratif.
L’Arabie Saoudite
qui aura effectivement fertilisé son
désert, se dotera, à la faveur du boom
pétrolier générateur de «pétrodollars»,
dotée d’infrastructures sans rapport
avec les besoins réels du pays, à la
grande satisfaction des quémandeurs de
toute sorte, dans une politique
dilapidatrice relevant tout à la fois de
l’ostentation, du clientélisme politique
et de la corruption. A croire que les
lourds investissements, notamment dans
le domaine militaire, n’étaient stimulés
parfois, non pas tant par les impératifs
de sécurité, mais par la perspective
alléchante des commissions et rétro
commissions. A l’indice mondial de la
corruption, l’Arabie Saoudite se situait
hors classement. A croire que les
surfacturations tenaient lieu de «police
d’assurance tous risques» contre
d’éventuelles tentatives de
déstabilisation, de rétribution déguisée
pour un zélé protecteur, une sorte de
mercenariat officieux avant terme.
Dans la foulée de
la première guerre contre l’Irak,
l’Arabie a ainsi consacré en 1992 et
1993, vingt neuf milliards de dollars
pour sa défense contre 26,5 milliards à
l’éducation nationale, une somme
équivalent, compte tenu de sa faible
densité démographique (12,3 millions de
nationaux) et de la faiblesse numérique
de ses forces armées (200.000 entre
armée régulière et garde nationale), à
une dépense moyenne de 75 millions
dollars par an pour chaque militaire,
et, à l’échelle du pays, un million de
dollars par an par habitant, proportion
inégalée partout ailleurs dans le monde.
Gigantisme et morgue vont de pair dans
le royaume, dans ce qui apparaît comme
une sorte de démarche de compensation
face à une abdication de souveraineté
envers les Américains.
Au delà des
apparences, le Royaume, jamais colonisé,
constitue, en fait, une grande prison
dorée pour une dynastie à la marge de
manoeuvre réduite envers ses tuteurs
américains et pour une population en
état de crainte révérencieuse envers ses
vigiles wahhabites, grands dispensateurs
des bienfaits au Royaume. Unique
entreprise familiale au monde à siéger
aux Nations Unies, la dynastie wahhabite
aura versé dans toutes les licences
cautionnant au passage de stupéfiants
trafics, allant même, du moins certains
des membres de l’entourage royal comme
ce fut le cas dans le narcotrafic
saoudien en France, jusqu’à
réquisitionner des appareils de la
flotte aérienne royale pour le transport
de la drogue colombienne. Un trafic
rocambolesque qui paraît quelque peu en
décalage avec les enseignements
rigoristes que le pouvoir saoudien
dispense et qui explique une part de son
discrédit.
Anomalie
exorbitante, à l’origine du divorce
entre la dynastie wahhabite et son
ancien serviteur, Oussama Ben Laden, la
présence des troupes américaines sur le
sol du royaume, ainsi que les dérives
mercantiles que la contribution
militaire occidentale a donné lieu lors
de la première guerre du Golfe,
consécutive à l’invasion du Koweït par
l’Irak (Août 1990-Janvier 1991). Au
faite de sa gloire, Oussama Ben Laden
avait proposé au Roi Fahd d’Arabie de
bouter les Irakiens hors du Koweït avec
le seul concours des Moudjahidine, mais
la proposition du vainqueur de l’Armée
Rouge en Afghanistan a été accueillie
sans enthousiasme par les dirigeants
saoudiens effrayés qu’ils étaient qu’un
de leurs sujets disposa de la capacité
de lever des troupes d’une telle
importance pour combattre l’Irak, à
l’époque au sommet de sa puissance.
Le Roi Fahd a
décliné l’offre de Ben Laden, lui
préférant une proposition américaine
plus coûteuse et contraignante à terme,
mais qui avait l’appréciable avantage de
sauver la face des Saoudiens dans la
mesure où la présence des troupes
occidentales avaient aussi pour fonction
de masquer l’impéritie et la corruption
de l’armée saoudienne en présentant la
guerre contre l’Irak comme une opération
de police internationale menée par une
coalition avec la caution des Nations
Unies. Mais, par un effet de pendule, la
présence massive de près de cinq cent
mille (500.000) soldats occidentaux sur
le sol saoudien, dont soixante mille
soldats américains de confession juive,
à proximité des Lieux Saints de l’Islam,
fait sans précédent dans l’histoire, a
été perçue par une large fraction de la
population arabe et musulmane comme une
profanation d’un sanctuaire dont la
dynastie wahhabite a en principe le
devoir de garde et de protection.
Elle a été
ressentie aussi comme la marque de la
collusion du “Gardien des Lieux Saints”
avec les oppresseurs des Musulmans et
servi de justificatif à la rupture de
bon nombre de formations islamistes avec
le Royaume saoudien, leur bailleur de
fonds. Pour prix du concours américain,
l’Arabie saoudite a déboursé la coquette
somme de cinquante milliards de dollars
à titre de contribution à l’effort de
guerre, dont dix sept milliards de
dollars au titre de prime de
débarquement sur le sol saoudien en
prélude aux frappes anti-irakiennes…
Autrement dit, la monarchie saoudienne
aura débloqué cinquante milliards de
dollars à l’Amérique pour l’autoriser à
accentuer son emprise sur le Royaume et
à camoufler la corruption régnante.
Le Général Khaled
Ben Sultan, (57 ans), propre fils du
ministre de la défense, abusivement auto
proclamé commandant en chef de la
coalition internationale anti-irakienne,
alors qu’il n’était en réalité que
l’interface saoudien du véritable
commandant américain, le général Norman
Schwarzkopf, a réussi, dans ces
circonstances dramatiques pour son pays,
le tour de force, de prélever près de
trois milliards de dollars au titre de
commissions sur les transactions sur
l’équipement et le ravitaillement des
troupes de la coalition estimée à
l’époque à 500.000 soldats de 26
nationalités. Une telle ponction,
exorbitante, et à certains égards
indécente au regard des enjeux de
l’époque et de la contribution réclamée
par des tiers pour la défense du
territoire national, aurait été passible
partout ailleurs d’une comparution
immédiate devant la cour martiale. Elle
n’a donné lieu à aucun rappel à l’ordre
familial, tout juste une discrète mise à
l’écart provisoire de l’indélicat, qui
s’est traduite pour l’exilé milliardaire
de Londres par le rachat du journal
«Al-Hayat». Une prime à la prévarication
en quelque sorte.
Ce Royaume des
trois silences «ne pas parler, ne pas
voir, ne pas entendre», avait affecté à
sa magnificence les plumes les plus
réputées du monde arabe, édifiant, en un
temps record, et avec l’aide des
capitales occidentales, un complexe
multimédia, se hissant en l’espace d’une
décennie au rang d’un géant de la
communication, à l’égal des conglomérats
occidentaux, dans une stratégie
offensive dont le but non avoué était
d’aseptiser les ondes de toute pollution
anti-saoudienne, en vue de faire pièce à
la contamination révolutionnaire dans la
sphère musulmane préjudiciable à son
leadership. Le plus grand marché de
consommation du monde arabe avec des
investissements publicitaires de l’ordre
d’un milliard de dollars par an,
(Chiffre de 1995), l’Arabie saoudite a
favorisé la libéralisation du
consommateur, au détriment du citoyen,
et l’uniformisation de ses désirs et de
ses repères institutionnels par la
consommation. Avec des conséquences
dramatiques sur sa démographie qui
affiche le chiffre record de dix pour
cent (10%) d’obèses et de diabétiques et
un taux élevé de harcèlement sexuel de
l’ordre de 68 pour cent parmi les
couches cultivées de la population, dont
17,32 pour cent de nature incestueuse,
et 20 pour cent sur les enfants.
Au delà de cette
surcharge pondérale, l’empire médiatique
saoudien, pour performant qu’il ait été,
cachait toutefois de sérieuses lézardes.
Le plus grand diffuseur de son et
d’images de l’hémisphère sud s’est
trouvé, de par son monopole de fait, son
plus grand censeur. Signe patent de
l’échec de la stratégie médiatique
saoudienne se révèle dans le succès de
ses jeunes concurrents, notamment la
chaîne transfrontière du Qatar «Al-Jazira»
et le quotidien pan arabe de Londres
«Al-Qods al-Arabi», dont le prestige
sous la direction du journaliste
palestinien Abdel Bari Atwane, au sein
de l’élite intellectuelle arabe, a
surpassé de loin tous les médias pro
saoudiens, tous vecteurs et toute
périodicité confondus.
Fausse bonne idée
donc que ce pacte de Quincy. En
confortant la dynastie wahhabite dans
son impunité et son faux sentiment de
quiétude et de supériorité, il l’a
hypothéqué politiquement. Conclu en
février 1945 sur le croiseur américain
Quincy entre le président démocrate
Franklin Roosevelt et le fondateur de la
dynastie saoudienne, le Roi Abdel Aziz
Al-Saoud, «The Quincy Agreement » est
une parfaite illustration de l’alliance
contre nature entre une puissance qui se
veut la plus grande démocratie libérale
du monde et une dynastie qui se
revendique comme la plus rigoriste
monarchie théocratique du monde. En
contrepartie de la protection
inconditionnelle de l’Arabie saoudite,
considérée comme relevant des «intérêts
vitaux» de l’Amérique, les Wahhabites
ont garanti le ravitaillement
énergétique américain à prix compétitif.
Ce pacte a assuré
la stabilité du ravitaillement
énergétique mondiale et la prospérité
économique occidentale, parfois au
détriment des intérêts des autres
producteurs, sans pour autant donner
satisfaction aux revendications
légitimes arabes notamment à propos de
la question palestinienne, encore moins
aux aspirations démocratiques des
peuples arabes. En application de ce
pacte, qui a donné lieu aux plus
invraisemblables dérives, l’Amérique a
assumé un rôle étymologiquement
rétrograde, en négation avec les valeurs
qu’elle professe, mais en conformité
avec les souhaits de son protégé
saoudien.
Parangon de la
démocratie et du libéralisme dans le
monde, elle s’est posée en «parrain» du
royaume le plus hermétique de la
planète, s’opposant aux expériences de
modernisation et de démocratisation du
tiers-monde, comme ce fut le cas en
Iran, en 1953, lors de la
nationalisation des installations
pétrolières par le dirigeant
nationaliste Mohammad Mossadegh, en
Egypte, en 1967, contre le chef de file
du nationalisme arabe Gamal Abdel
Nasser, ou encore dans le pré carré des
puissances occidentales: l’Afrique et
l’Amérique latine.
Au paroxysme du
conflit israélo-arabe alors qu’Israël
entreprenait le détournement des eaux du
Jourdain pour anticiper ses besoins
hydrauliques futurs, l’Arabie se livrait
à une opération de diversion en tentant
de déstabiliser la jeune équipe baasiste
de Syrie fraîchement parvenue au pouvoir
en 1966. Les révélations d’un des
conjurés, le Colonel Salim Hatoum, sur
une contribution royale saoudienne de
l’ordre d‘un million de dollar à cette
opération de déstabilisation de la
Syrie, en pleine ébullition nationaliste
consécutive au détournement des eaux du
Jourdain, entraînera l’éviction de Saoud
au profit de son frère cadet Fayçal au
trône d’Arabie, sans que cette sanction
ne mette un terme à ses pratiques.
Enivrée par sa
promotion au rang de puissance régionale
à la suite de la chute de la monarchie
iranienne, le Royaume, récidiviste,
fondera en 1979 avec la France, l’Egypte
et le Maroc, le «Safari club», se
donnant ainsi l’illusion de «jouer dans
la cour des grands», non sur le champ de
la confrontation israélo-arabe, mais à
des milliers de kilomètres de là, non
pour la récupération des Lieux Saints de
l’Islam, mais pour le maintien au
pouvoir d’un des dictateurs les plus
corrompus de la planète le Zaïrois
Mobutu, agent attitré des Américains
dans la zone centrale de l’Afrique, en
butte à la subversion interne.
Si le Royaume a
brandi «l’arme du pétrole » en 1973
contre les pays occidentaux soutenant
Israël en guerre contre l’Egypte et la
Syrie, il n’a pour autant jamais privé
les Etats-Unis, pourtant principal
soutien de l’Etat Hébreu, du
ravitaillement pétrolier nécessaire au
corps expéditionnaire américain dans ses
opérations de guerre contre le Vietnam
du Nord communiste.
Mieux, dans les
années 1980, au plus fort de la rivalité
soviéto-américaine consécutive à la
perte du Vietnam (1975) et de l’invasion
soviétique en Afghanistan, l’Arabie
saoudite apportera son soutien matériel
et financier à la plus grande opération
de déstabilisation d’un régime
socialiste, situé au delà des océans,
dans la lointaine Amérique latine, le
Nicaragua du régime sandiniste de Daniel
Ortega, dans l’unique souci de complaire
à son complice américain. L’affaire des
«contras», qui mettra en oeuvre la plus
grande opération de toxicomanie de masse
de la communauté noire de Los Angeles à
la faveur du trafic du Crack (drogue à
charge démentielle), débouchera sur le
plus grand scandale politico financier
de l’ère Reagan (1980-1988), «l’Irangate»
et le châtiment de deux fusibles
subalternes, un officier supérieur
américain le lieutenant colonel Oliver
North et un richissime intermédiaire
saoudien de renom Adnane Kashoogi, jeter
en pâture pour calmer la vindicte
populaire.
Afghanistan, Irak,
Syrie…….. des guerres meurtrières aux
coûts faramineux de l’ordre de trois
mille milliards de dollars, pour gommer
toute trace de coopération souterraine
saoudo américaine, aux points de
percussion de la confrontation
soviéto-américaine au plus fort de la
guerre froide ont entrainé la fin d’un
monde unipolaire, le déclassement des
Etats Unis au profit de la Chine au
titre de première puissance économique
du Monde et la fin de son
unilatéralisme, plaçant du coup l’Arabie
saoudite sur la défensive. Décidément le
pacte de Quincy, aura été une fausse
bonne idée en ce que l’Arabie saoudite,
ce royaume des ténèbres aura place
l’Islam en otage du wahhabisme.
«L’Arabie saoudite, un
royaume des ténèbres ou l’islam, otage
du wahhabisme»
René Naba
Editions Golias
Novembre 2013
Le plus jeune Royaume parmi les
grands décideurs de la planète, l’Arabie
saoudite, se voulait un phare d’un monde
marqué par la renaissance de la sphère
musulmane, après quatorze siècles de
léthargie ottomane et de sujétion
coloniale. Mais ce pays quasi
centenaire, constamment gouverné par des
gérontocrates depuis sa fondation en
1929, aura été l’incubateur absolu du
djihadisme erratique dans toutes ses
déclinaisons, Idiot utile de la
stratégie atlantiste, destructeur des
Bouddhas de Bamyan et des sanctuaires de
Tombouctou, la meilleure justification à
l’islamophobie occidentale.
Le meilleur alibi à l’impunité d’Israël
et à sa sanctuarisation. Médine, Al
Madina Al-Mounawara, la ville illuminée,
sous-tend un royaume des ténèbres.
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Reçu de
René Naba pour publication
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