Irak
Irak-archives secrètes 3/3 : Le
double jeu
des États-Unis contre l’Irak et contre
l’Iran
René Naba
Jeudi 17 janvier 2019
1- L’offre de
Donald Rumsfeld: Reconnaissance d’Israël
en contrepartie de la levée de
l’embargo.
Saddam Hussein a
refusé une offre israélienne, via les
Etats Unis, visant à remettre en
activité l’oléoduc Kirkouk-Haifa en
contrepartie du soutien d’Israël et des
Etats Unis, à la levée de l’embargo
économique qui frappait l’Irak depuis
1990.
L’offre a été transmise par Donald
Rumsfeld à l’époque sous secrétaire
d’état adjoint pour les affaires du
Moyen Oient.
Saddam Hussein a refusé de recevoir
l’émissaire américain, confiant cette
tâche à son ministre des affaires
étrangères Tareq Aziz. L’entretien
Rumsfeld-Aziz a duré dix minutes. En y
mettant un terme, l’irakien conscient de
l’incongruité d’une telle offre, a
déclaré à l’américain: «Si je transmets
une telle proposition à mon président,
je signe mon arrêt de mort».
D’autres
propositions similaires ont été
transmises à l’Irak notamment par des
émissaires arabes, suggérant «la
reconnaissance d’Israël en échange de la
levée de l’embargo économique et de la
réintégration de l’Irak au sein de la
communauté internationale». Mais Saddam
Hussein a rejeté toutes ces requêtes,
tout comme son ministre des affaires
étrangères, Tareq Aziz, a refusé les
offres européennes et arabes visant à le
porter à témoigner contre son président
en échange de sa remise en liberté et
son départ pour l’Europe.
Epilogue de
cette séquence:
Donald Rumsfeld, l’ancien émissaire
américain auprès des irakiens, sera le
ministre de la Défense au moment de
l’invasion irakienne de l’Irak en 2003.
Saddam Hussein a été pendu le 31
décembre 2006 en criant «Vive la
Palestine» et Tareq Aziz, atteint d’une
maladie incurable a préféré mourir en
prison plutôt que de trahir son maitre.
Pour le lecteur
arabophone, le récit complet sur ce lien
:
http://www.raialyoum.com/?p=523357
2 – USA versus
Irak
Les révélations de
Zalmay Khalilzad: Des contacts entre
américains et iraniens prélude à
l’invasion américaine de l’Irak dont
l’objectif visait le renversement de
Saddam Hussein
«Des contacts
irano-américains ont eu lieu, via le
canal de Mohammad Jawad Zarif, le
ministre iranien des affaires
étrangères, à l’époque représentant de
l’Iran auprès des Nations-Unies. «Ces
contacts secrets entre Américains et
Iraniens ont eu lieu en vue d’envisager
l’Irak post Saddam. Ces contacts ont
commencé avant l’invasion américaine de
l’Irak, en 2003, dont l’objectif visait
le renversement de Saddam Hussein et
cela, en vue de prémunir les forces
américaines de toute action hostile
iranienne et de leur garantir en quelque
sorte un sauf conduit», indique Zalmay
Khalilzad, l’ancien ambassadeur
américain à Bagdad, dans ses mémoires
parus en Mars 2016.
«J’ai obtenu la
promesse de Téhéran que l’armée
iranienne n’ouvrira pas le feu contre
les avions de combat américains s’ils
franchissaient l’espace aérien iranien»,
a-t-il ajouté.
«Les négociations
ont été menées du côté iranien par
Mohammad Jawad Zarif et ses contacts se
sont poursuivis jusqu’à la chute de
Bagdad, le 8 avril 2003», a précisé le
négociateur américain.
M. Zarif a donné
son accord sur ce dernier point (sauf
conduit pour l’aviation américaine).
Nous aurions souhaité que l’Iran
encourage ses co-religionnaires chiites
irakiens à contribuer de manière
positive à la mise sur pied d’un nouveau
gouvernement irakien. Mais M. Zarif a
fait valoir les objections de Téhéran
quant aux contours du nouveau
gouvernement irakien et sur «les
modalités du combat contre le
terrorisme», a souligné M. Zalmay.
Vieux routier de la diplomatie
internationale, M. Zarif a été
négociateur en chef aux négociations
internationales portant sur l’accord du
nucléaire iranien. Mohammad Javad Zarif,
dont la traduction de son nom signifie
le «cavalier magnifique» est diplômé des
universités de San Francisco
(Californie) et de Denver (Colorado).
Las des menaces occidentales, il se
leva, un jour en pleines négociations de
Vienne, et fixant son interlocuteur
américain, John Kerry, lui dit
lentement, mais calmement : «Nul ne
saurait contraindre l’Iran».
Zalmay Khalilzad, d’origine afghane de
confession musulmane de la tribu des
Pachtoune, a été ambassadeur des
États-Unis en Afghanistan et en Irak,
les deux points de percussion de la
stratégie néo-conservatrice américaine
post 11 septembre de la «guerre mondiale
contre le terrorisme».
Membre du Think
Tank néo-conservateur «Project for The
New American Century» ou PNAC (en
français «Projet pour un nouveau siècle
américain») et fut un des signataires de
l’appel du 26 Janvier 1988 demandant au
président Bill Clinton de procéder au
renversement par la force de Saddam
Hussein et de la mise en place d’une
nouvelle politique pour l’Irak.
Né le 22 Mars 1951 à Mazar-e-Charif, ce
diplômé de l’Université Américaine de
Beyrouth et de l’Université de Chicago,
ancien dirigeant d’une firme pétrolière,
a été successivement ambassadeur des
États-Unis auprès des Nations-Unies
(Avril 2007-Janvier 2009), ambassadeur
américain à Kaboul (Septembre 2003-juin
2005), avant de succéder à John
Negroponte au poste d’ambassadeur
américain à Bagdad (Juin 2005-Janvier
2007).
Ses mémoires, parus en Mars 2016,
portent le titre suivant: «The Envoy:
From Kabul to the White House, My
Journey Through a Turbulent World»-
3 – USA versus
Irak: Le complot américain contre
l’Iran, un piège à long terme contre
l’Irak.
La chute du Chah
d’Iran, en 1979, et la prise du pouvoir
par des religieux radicaux hostiles aux
États Unis et à Israël, ont valu à la
CIA une volée de bois vert de la part du
Congrès pour ce fiasco stratégique qu’il
imputait à la mauvaise gestion de la
crise par la centrale américaine des
renseignements et surtout, son
imprévoyance.
La CIA soutenait à
l’époque que le Chah était en mesure de
juguler la crise, que la situation était
«under control» et qu’en tout état de
cause le nouveau régime ne constituait
pas une menace pour les États Unis.
Jimmy Carter, président au moment des
faits, hanté par le sceptre du Vietnam,
ne souhaitait pas engager l’Amérique
dans une nouvelle aventure aux aux
résultats aléatoires, aux conséquences
incertaines.
Les américains
avaient conçu à l’époque un stratagème
visant à impliquer l’Irak en
substitution à une intervention
américaine contre l’Iran, en vue de
faire chuter le régime khomeiniste de la
République Islamique et de le remplacer
par un régime favorable aux intérêts
occidentaux.
Des faux rapports américains faisant
état de l’affaiblissement de l’armée
iranienne ont été adressées au
commandement irakien l’incitant à tirer
profit de cet affaiblissement pour
tenter de récupérer les concessions
faites par Bagdad au moment de la
conclusion de l’accord d’Alger sur la
délimitation de la frontalière
irako-iranienne (15 Mars 1975). Les
services américains ont passé sous
silence le fait que la grande majorité
de la hiérarchie militaire iranienne
avait fait allégeance à la République
Islamique.
4 -Le sommet des
Non-Alignés de La Havane de 1979
Au sommet des
non-alignés de La Havane, en Septembre
1979, Saddam Hussein réclame à Ibrahim
Yazdi, nouveau ministre iranien des
affaires étrangères, la restitution des
territoires qu’il avait concédés à
l’Iran lors de ses négociations avec le
shah quatre ans plus tôt à Alger. Cette
requête servira d’étincelle à la
déflagration.
Sans nul doute, le
régime khomeiniste souhaitait servir
d’exemple à l’Irak en vue d’aboutir au
changement du régime baasiste.
L’Ayatollah Ruhollah Khomeiny, Guide
suprême de la Révolution Islamique
Iranienne, avait fait parvenir un
message à un dignitaire religieux chiite
irakien Sayyed Mohammad Baqer Al Hakim,
grand penseur musulman, l’invitant à
suivre l’exemple de l’Iran.
5 -L’Irak,
nouveau gendarme du Golfe et protecteur
des pétromonarchies arabes
Entre temps, les
Américains avaient suggéré au
commandement irakien que le «régime des
ayatollahs» s’apprêtait à envahir l’Irak
pour y exporter sa révolution. Cet
argument devait servir de prétexte au
déclenchement des hostilités, selon les
vœux du président américain Jimmy Carter
et du ministre britannique des Affaires
étrangères, Georges Brown.
En direction des
pétromonarchies du Golfe, les Américains
avaient brandi la menace que fait peser
la Révolution islamique Iranienne su la
pérennité de leur dynastie, les
enjoignant à fournir aide et assistance
à l’Irak, en sa qualité de nouveau
gendarme du Golfe et protecteur des
pétromonarchies face l’Iran.
Bagdad et Téhéran
ont rappelé leurs ambassadeurs
respectifs en Mars 1980.
6 – Les ennemis
imaginaires des Arabes
Les Américains ont
constamment veillé à suggérer aux Arabes
des «ennemis imaginaires» -l’URSS en
Afghanistan et l’Iran dans la décennie
1980- pour les détourner de leur
véritable ennemi.
Le 17 septembre 1980 Saddam Hussein
proclame l’abrogation de l’accord
frontalier irako-iranien de mars 1975
d’Alger. Cinq jours plus tard, le 22
septembre, les hostilités contre l’Iran
étaient déclenchées.
Obéissant aux injonctions américaines,
la quasi totalité des pays arabes se
rangèrent du côté de l’Irak, à la
notable exception de la Syrie et de la
Libye. Un flot d’armes américaines se
déversera aussitôt sur l’Irak convoyé
par des équipes de la CIA et de la DIA (Defense
Intelligence Agency, les renseignements
de l’armée américaine.
Les Awacs, avions-
radars, stationnés en Arabie saoudite,
alimentèrent le commandement irakien
d’images sur le déploiement des troupes
iraniennes, les casernes et le
déploiement des gardiens de la
révolution «PASDARAN», épine dorsale du
régime.
7 – Pas de
gratuité dans les relations
internationales: le jackpot pour Israël.
Saddam Hussein
n’avait vu que du feu, ne mesurant que
tardivement la gravité du piège qui lui
a été tendu. Il apprendra trop tard, et
à ses dépens, que la gratuité n’a pas
cours dans les relations internationales
et que les États Unis perçoivent
toujours le prix de leurs prestations.
Le jackpot sera pour Israël. En fait
l’état Hébreu percevra les dividendes du
soutien américain à l’intervention
irakienne contre l’Iran par la
destruction du centre nucléaire irakien
de Tammouz (Juillet 1981). L’escadrille
israélienne survolant la Jordanie à très
basse altitude pour échapper aux radars,
a anéanti la totalité du programme
nucléaire irakien.
L’administration
américaine veillera à calmer la colère
irakienne en compensant cette perte
stratégique par la fourniture d’armes
chimiques et bactériologiques, de gaz
toxiques et de photos satellitaires. En
guise de représailles à la violation du
droit International, le successeur de
Jimmy carter, le néo conservateur
républicain Ronald Reagan offrira à
Israël les chasseurs bombardiers
américains ultra-sophistiqués à
l’époque, les F16.
8 – Irak-Iran:
La guerre à outrance
Selon les
estimations des experts occidentaux, le
conflit Irak-Iran a considérablement
affecté le potentiel économique des deux
pays pétroliers, jadis parmi les plus
prospères du tiers-monde et hypothéqué
leur développement à l’horizon de l’an
deux mille, non nonobstant son coût
humain.
Ni les villes, ni les installations
économiques n’ont été épargnées dans ce
conflit, le plus meurtrier de la fin du
XX me siècle, avec un million de
victimes dans les deux camps (300.000
morts et 700.000 blessés).
Cinq cents millions
de dollars ont été consacrés en moyenne
par chacun des belligérants par mois
pour soutenir leur effort de guerre,
soit depuis le début des hostilités, le
21 septembre 1986, 36 milliards de
dollars. Cette somme a été
principalement affectée à l’achat
d’armes de plus en plus sophistiqués:
Avion français Mirage F1 à long rayon
d’action et missiles Exocet pour l’Irak,
Missiles SS-20 pour l’Iran, à l’achat de
munitions et de matériel aussi, dont
l’usage était si abondant dans les duels
d’artillerie quotidiens et les
gigantesques batailles qui opposent les
deux pays sur un front de près de deux
mille km allant du Golfe d’Oman à
l’intersection de l’Océan Indien et de
la Mer Rouge jusqu’aux confins de la
Turquie.
Depuis le début de
1986, qui a été marquée par une
intensification et une extension du
conflit, cinq cent missiles ont été
tirés par l’Irak et l’Iran, à raison de
deux par jour en moyenne, contre les
villes et les objectifs économiques,
alors que la «guerre des pétroliers» a
provoqué en tonnage des pertes maritimes
du même ordre que celles enregistrées
pendant la deuxième Guerre mondiale
(1939-1945), autour de vingt millions de
tonnes.
Parallèlement à la guerre Irak-Iran,
près de 25.000 arabes afghans se
lançaient dans le djihad en Afghanistan,
au prétexte de combattre l’athéisme de
l’Union soviétique, à six mille km du
principal champ de bataille des arabes,
la Palestine, sans tirer le moindre coup
de feu contre Israël, théoriquement
l’ennemi officiel du Monde arabe.
Pour aller plus
loin sur ce sujet
Iran/Irak, La guerre à outrance
Le Golfe arabo persique, piège militaire
L’extraordinaire sang-froid de Saddam
Hussein face à ses bourreaux, face à la
mort
Le quiproquo à propos du délateur de
Saddam Hussein
Illustration
-
https://nara.getarchive.net/media/us-army-gen-george-casey-left-the-honorable-donald-h-rumsfeld-secretary-of-af3934
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