MADANIYA
Irak: L’ombre de Saddam Hussein pèse sur
l’Irak
dix ans après sa pendaison
René Naba
Vendredi 16 décembre 2016
Saddam Hussein ne disposait pas d’un
abri souterrain fortifié construit par
les Allemands de l’est et suréquipé d’un
hôpital ultra sophistiqué, de même que
d’une piste d’envol prêt à le déposer
sur un lieu d’exil éventuel, comme se
sont plus à le décrire, avec force
détails, des bonimenteurs cupides en
quête de cachetons, se pavanant sur les
plateaux de télévision de leur titre
galvaudé d’orientalistes de pacotille.
Mieux
l’ancien président irakien n’a pas été
déterré dans un trou à rat, hirsute,
hébété, comme ont souhaité le présenter
les spécialistes de la guerre
psychologique de l’US Army. La vérité
est toute autre, aux antipodes du troll
américain, narrée non par des
fabulateurs, mais par des acteurs du
théâtre d’opération.
Le témoignage de
Firas Ahmad, interprète irakien de
l’armée américaine
Firas
Ahmad est un nom d’emprunt utilisé par
l’interprète irakien lors de son service
auprès de l’armée américaine, opérant en
Irak lors de l’invasion de Bagdad
(2003-2009). Firas Ahmad (41 ans) a
servi auprès de la 101e division
aéroportée, dont la célébrité a été
popularisée par le film «Apocalypse Now»
pour ses «exploits» durant la guerre du
Vietnam. Au terme de sa mission, il a
accompagné le retrait des troupes
américaines vers les États Unis où il a
obtenu la nationalité américaine.
«Saddam
n’a pas été déterré d’un trou. Il a été
arrêté sur délation d’un de ses proches:
Firas Ahmad est formel.
«Le
commandement américain a célébré
l’arrestation de l’ancien président
irakien au cours d’une grande réception
offerte au palais Ar Rahab», ancien
palais présidentiel dans la zone verte
transformé en quartier général
politico-militaire des États Unis en
Irak. Des personnalités politiques
irakiennes y ont été conviées. C’est au
cours des échanges que l’interprète
irakien a appris les circonstances de
l’arrestation de Saddam Hussein.
«La photo popularisée de son arrestation
de même que le récit de sa capture sont
des faux. Il a été intercepté, sur
dénonciation d’un membre de son
entourage, alors qu’il se trouvait dans
un passage souterrain sur lequel avait
été édifié une maison qui lui servait de
salle de réunion avec le commandement
baasiste. «La cache était d’une grande
simplicité et comportait un lit, deux
armes, un tapis de prière, un coran, un
paquet de tabac et des sachets d’aliment
lyophilisés.
«Saddam
n’a pas opposé de résistance. Les
soldats ont défoncé la porte en lançant
des projectiles lacrymogènes et
paralysants. Il a alors perdu
connaissance. Les soldats américains
l’ont alors traîné vers le fameux trou
pour prendre la photo.
«La
photo est un montage. Elle était
destinée à discréditer Saddam.
L’opération de sa capture avait pour nom
de code «Chemin Rouge»
L’interprète assure avoir eu, par la
suite, tant à Washington que dans l’état
du Michigan, des conversations avec les
dirigeants américains, présent en Irak
au moment de l’invasion, qui l’ont
déclaré «avoir regretté (l’invasion et
les événements qui se sont ensuivi) et
qu’ils étaient «désireux de réparer les
dégâts qu’ils ont infligés en Irak». Ces
dirigeants, souligne-t-il, reproche
d’ailleurs à Barack Obama de s’être
retiré d’Irak sans avoir remédié aux
dégâts».
L’interlocuteur assure en outre avoir
«vu des dirigeants islamistes se rendre
auprès des Américains pour leur proposer
la construction d’église ou de monuments
à la mémoire des soldats américains tués
en Irak dans le but de s’attirer leurs
bonnes grâces. D’autres ont plaidé pour
un usage intensif de la force pour
réprimer l’insurrection de la ville de
Falloujah, sans tenir compte des pertes
en vies humaines dans les rangs de la
population civile».
«Les Américains admonestaient leurs
interlocuteurs irakiens dans des termes
tels, que je ne parvenais pas à en
assurer la traduction littérale», a-t-il
dit.
«Les
Américains s’opposaient à la politique
de Noury Malki. Un général américain ne
mâchera pas ses mots à la suite d’une
campagne d’arrestation massive portant
sur plusieurs centaines de personnes.
Lors d’un entretien qui s’est déroulé
dans la zone verte, le général américain
s’adressera en ces termes au premier
ministre chiite de l’époque : «La
situation va exploser et vous favorisez
l’extrémisme et la haine. Nous ne sommes
pas disposés à être partie prenante
d’une nouvelle civile en Irak».
A propos de la chute
de Bagdad: La trahison, un facteur
déterminant
«Je n’ai
pas grande chose à dire. Mais j’en suis
venu à la déduction que la trahison a
été un facteur déterminant de la chute
de Bagdad.
Firas Ahmad songe à rédiger ses mémoires
sur cette période de l’histoire de
l’Irak. Un ouvrage qu’il signera de son
vrai nom, et non du pseudonyme qu’il
s’est choisi «Firas Ahmad» pour des
raisons de sécurité du temps de son
emploi auprès de l’armée américaine.
Trois suicides parmi les collaborateurs
«La
plupart des Irakiens qui ont assisté les
Américains ou facilité leur tâche ont
obtenu la nationalité américaine. Il
n’empêche qu’ils vivent dans un état
psychique de réclusion et de culpabilité
au vu de l’échec de leur pari et des
bains de sang dont l’Irak est le
théâtre.
Trois irakiens se sont suicidés dans
trois états différents de l’Union.
Personnellement, je suis retourné à
Bagdad pour retrouver ma quiétude. En
vain. «La monture s’est effondrée et le
massage est désormais sans effet».
Le témoignage de
Ala’a Nameq: «C’est moi qui ait creusé
le trou pour lui»
Nameq
évite d’aborder ce sujet difficile à en
maîtriser tous les aspects. Les yeux
remplis de fierté, il finit par lâcher:
«C’est moi qui ait creusé le trou pur
lui que tout le monde connaît du nom de
«trou de l’araignée», une petite pièce
sous notre jardin, d’où les forces
spéciales américaines ont déterré Saddam
Hussein, le 13 décembre 2003.
Nameq et
son frère Quays évoquent rarement la
manière dont ils ont œuvré pour
dissimuler la plupart des dirigeants
irakiens pourchassés par les Américains
durant les neuf mois qui ont suivi
l’invasion américaine de l’Irak.
Sirotant
son thé dans e café qu’il a ouvert l’été
2013, non loin du «trou», Nameq qui
connaissait Saddam Hussein de longue
date, se met à raconter :
« Il est venu. Il a demandé de l’aide,
et j’ai dit oui ». Il a alors rétorqué :
« Vous pourriez être capturé et
torturé ». Mais dans notre tradition
tribale arabe, en vertu d’une loi
islamique, quand quelqu’un a besoin
d’aide, on l’aide », explique l’homme de
41 ans.
Saddam
est natif d’un village proche de Tikrit,
dans le nord de l’Irak, un village situé
sur les bords de l’Euphrate. Lors de sa
traque par les Américains, tout le monde
pensait qu’il allait chercher refuge
auprès de sa tribu à Tikrit, au milieu
des plantations de palmiers-dattiers,
des vergers d’orangers et de coings.
Nameq
assure que son frère et lui ont été
arrêtés en même temps que Saddam et
emprisonnés pendant six mois au camp
d’Abou Ghraib. Ancien chauffeur et
ancien officier d’ordonnance de Saddam
Hussein, Ala’a Nameq est devenu
chauffeur de taxi, le temps de faire des
économies pour acheter le
café-restaurant.
«Je ne raconterai pas tout. Il est
possible que j’écrive un jour un livre
ou réalise un film, mais c’est sûr que
je ne dirai pas tout lors de cet
entretien, martèle-t-il. «Ma famille, en
fait son frère Quays et lui-même, ont
aidé Saddam à changer de domicile à
diverses reprises pour échapper aux
Américains.
La vie de Saddam
Hussein dans la clandestinité
Saddam
ne faisait jamais usage du téléphone car
il savait que les Américains veillaient
à intercepter ses communications.
C’était un gros consommateur de livres,
tant dans des poésies que des romans. Sa
bibliothèque a d’ailleurs été emportée
par les Américains.
«Saddam
a écrit des lettres à sa femme et à ses
deux filles mais ne les a jamais reçu du
temps de sa clandestinité. Ces deux
seuls visiteurs auront été ses deux
fils, Quoussaye et Oudaye, dont la venue
a été assurée par Nameq lui-même pour
rencontrer leur père.
«Saddam
a enregistré plusieurs messages incitant
ses partisans à combattre l’occupant
américain. Il enregistrait ses messages
sur un mini magnétophone, et, sachant
que les Américains allaient décrypter
ses enregistrements pour y déceler des
indices pour sa localisation, Nameq se
dirigeait en voiture jusqu’à une dizaine
de km de Samara, et, là, en bordure de
l’autoroute, la voix de Saddam couverte
par le trafic autoroutier, il procédait
à la diffusion des messages. «Je voulais
plonger les Américains dans la
perplexité et la confusion», lui a
expliqué Saddam.
L’ancien président irakien, lucide,
«savait qu’il allai être capturé et
condamné à mort. Il savait aussi que
tout était perdu et qu’il n’était plus
président de l’Irak».
Par la
suite, «j’ai été incarcéré à Abou Ghraib
et soumis, quotidiennement à
interrogatoire, à propos des
emplacements des armes de destruction
massive et de la cache des autres
dirigeants irakiens.
«La
chambre dans laquelle vivait Saddam
était constamment plongée dans la
pénombre. Les vigiles arrosaient
constamment la terre adjacente pour lui
conserver une certaine fraîcheur.
«A son
interception, les Américains ont couvert
la tête de Saddam d’un linge et ont
laissé les chiens le mordre. Il a, par
la suite, fait l’objet d’un simulacre
d’exécution, et était constamment baigné
dans une musique Rock assourdissante.
J’ai supporté la torture et les morsures
de chiens, mais la musique Rock était
insupportable», poursuit-il.
Commandement américain: Les
circonstances de l’arrestation de
Saddam, entouré d’une barrière de
secret.
Le
porte-parole du commandement américain
s’est abstenu de confirmer les détails
de l’arrestation de Nameq, indiquant
qu’il sera «difficile d’avoir accès aux
registres de la prison d’Abou Ghraib.
«La majeure partie des détails
concernant la capture de Saddam Hussein
demeure entourée d’une barrière de
secret», a-t-il précisé.
La version de Khalil Al-Douleimy,
avocat de Saddam
Khalil
Al-Douleimy, avocat de Saddam Hussein,
dans un ouvrage paru en 2009 sur
l’ancien président irakien, confirme
qu’il connaissait personnellement la
famille de Nameq depuis 1959, soit dix
ans avant l’arrivée au pouvoir de Saddam
Hussein et que cette famille a bien aidé
SaddamSaddam à entrer dans la
clandestinité.
Toutefois, l’avocat pointe du doigt la
responsabilité du frère cadet de Nameq,
Quays, dans la dénonciation de l’ancien
président irakien. Quays qui a refusé de
participer à l’entretien, a démenti ce
fait.
La famille Nameq bénéficie d’un prestige
comparable à celui d’une famille royale
pour avoir offert l’abri à une
personnalité jouissant d’un prestige
certain au sein de la population de la
région.
Le témoignage du général
Mahmoud Hassan, responsable de la police
du secteur d’Ad Dour
Le
général Mahmoud Hassan, responsable de
la police d’Ad Dour, considère que ce
qu’a fait la famille Nameq est «un acte
de bravoure».
«Cela ne
concerne pas exclusivement la famille
Nameq. Son acte de bravoure toute la
population d’Ad Dour, car cette bourgade
aimait Saddam. Les membres de cette
famille sont traités avec considération
en ce qu’elle a été longtemps au service
de l’ancien président irakien soit comme
cuisiniers, soit comme pêcheurs. Ils
sont désormais traités avec davantage de
respect».
Saddam
Hussein a été enterré près d’Aujah, son
village natal. Noury Al Malky, à
l’époque Premier ministre, conscient de
l’écrasante popularité de l »ancien
président, a interdit l’accès à sa tombe
de crainte qu’elle ne se transforme en
lieu de pèlerinage.
La ferme
où s’était caché Saddam Hussein,
notamment «le trou de l’araignée»,
située près d’un palmier, est désormais
difficilement identifiable à distance.
Elle a été recouverte par un pigeonnier
long de 4 mètres et d’une cage de
perroquets.
© madaniya.info -
Tous droits réservés.
Reçu de René Naba pour publication
Le sommaire de René Naba
Le dossier
Irak
Les dernières mises à jour
|