MADANIYA
Sykes-Picot: Un siècle calamiteux pour
la France
René Naba
Lundi 16 mai 2016
Ce texte ne
se propose pas de dresser une
chronologie de l’Histoire du
Moyen-Orient depuis un siècle. Autrement
dit de développer un récit linéaire des
événements tels qu’ils se sont produits
depuis la conclusion de l’accord
Sykes-Picot portant partage du
Moyen-Orient par les puissances
occidentales sur les débris de l’empire
ottoman. Il se propose de procéder, non
à une histoire totale, mais à une
histoire problématisée, c’est-à-dire une
histoire qui explique les enchaînements
des événements et tente d’en expliquer
les raisons.
«Il a fait deux séjours assez long en
France, où la cour dans l’idée qu’il
deviendrait un jour un personnage
important dans l’Empire, le traita
parfaitement bien. Isaac Bey a perdu
dans ses voyages, soit en France, soit
en Russie, les qualités solides qui
rendent les Ottomans recommandables et a
contracté, à un haut degré, les défauts
des Européens. Esprit d’intrigue,
légèreté, in-considération, corruption,
tout ce qui caractérise essentiellement
les sociétés de la Cour dans laquelle il
était admis se fait singulièrement
remarquer en lui».
Dépêche du 1 er Messidor an III (19 juin
1795) de Verniac, Ambassadeur de France
auprès de la Sublime porte, in «La vie
de Pierre Rufin, orientaliste et
diplomate (tome 1er)», par Henri
Déhérain, conservateur de la
Bibliothèque de l’Institut- Librairie
orientale Paul Guethner- Paris 1929.
Une cascade de
désastres diplomatiques et de
capitulations militaires jusqu’à la
relégation
Les accords Sykes-Picot paraissent
rétrospectivement comme la première
pantalonnade diplomatique de la France
au XXe. La première d’une série qui
jalonnera le siècle. Sur fond des
désastres de Trafalgar, de Waterloo, de
Fachoda et de Sedan, culminant avec la
capitulation française de 1940 face à
l’Allemagne nazie, elle conduira
l’historien français Marcel Gauchet à
conclure qu’ «en Mai 1940, la France a
brutalement cessé d’être une grande
puissance».
La capitulation de 1940 sera en effet
suivie quatorze plus tard du désastre de
Dien Bien Phu (1954), première défaite
d’une armée blanche d’un pays membre
permanent du Conseil de sécurité face à
un peuple basané, et, deux ans plus
tard, en 1956, du désastre diplomatique
du Suez contre l’Égypte nassérienne.
1916 – Première
pantalonnade: Sykes-Picot
Deux projets étaient en concurrence
dans cette zone pétrolifère: Un projet
français prévoyant la constitution d’une
«grande Syrie», autour de Damas, et un
projet anglais préconisant la
constitution d’un ensemble régional
autour du bassin historique de la
Palestine. Par un tour de
prestidigitation don seule une
diplomatie chevronnée le secret, les
Anglais vont retourner le projet
français à leur profit édifiant un
ensemble régional regroupant l’Irak, la
Jordanie (Transjordanie à l’époque) et
la Palestine, au grand dam de Paris qui
devra se contenter d’un projet de
substitution très en deçà de ses
attentes avec les inévitables rancœurs
qu’une telle défaillance suscitera.
Sous l’impulsion du Colonel T.E
Lawrence, l’ami des bédouins et espion
en chef des Anglais dans la zone, les
hachémites, supplétifs de la Couronne
britannique, chassés d’Arabie par les
Wahhabites, compenseront la perte de
leur magistère sur La Mecque, par deux
trônes, l’un en Irak, l’autre en
Jordanie, avec en prime un accès à la
mer, via Haïfa, en Palestine, sous
mandat britannique. Les juifs
obtiendront, parallèlement, la mise en
œuvre de la Promesse Balfour de Novembre
1917, prévoyant la constitution en
Palestine d’un «foyer national juif»,
noyau du futur état israélien. Mais les
Syriens, en guise de «grande Syrie»
obtiendront une «Syrie mineure»
sérieusement amputée d’une large
fraction de ses provinces.
Le projet français ne manquait pourtant
ni d’audace ni de grandeur. En
visionnaire, Aristide Briand, alors chef
de la diplomatie française, avait chargé
Georges Picot, alors Consul général à
Beyrouth, le 2 novembre 1915 des
recommandations suivantes:
- Que «la Syrie ne soit pas un
pays étriqué. Il lui faut une large
frontière faisant d’elle une
dépendance pouvant se suffire à
elle-même»;
- Un tracé frontalier englobant
«la Palestine avec des garanties
données aux autres concernant
Jérusalem et Bethléem»;
- Un territoire qui comprendrait
«Beyrouth, Damas, Alep, la partie du
Wilayet D’Adana située au sud de
Taurus»;
- À l’Est, la frontière suivrait
«la ligne de faîte dans les wilayets
de Diyarbakir et de Van (frontière
turco-irakienne) pour redescendre
vers Mossoul et atteindre l’Euphrate
à la limite de la province de Deir
Ez Zor»;
Les «régions minières de Kirkouk»
devaient figurer dans les frontières de
l’état syrien.
Telle une peau de chagrin, ce bel
ensemble va se rétrécir et la «Grande
Syrie» va déboucher d’une Syrie réduite
à sa plus simple expression.
Ce projet, grandiose, assurait la France
d’une présence pérenne au Moyen Orient,
en même temps qu’il sécurisait son
indépendance énergétique. Une «Grande
Syrie» englobant Jérusalem, Bethléem,
Beyrouth, Damas, Alep, Van Diyarbakir,
jusque même Mossoul et Kirkouk, c’est à
dire un territoire englobant la Syrie,
une partie du Liban, de la Palestine, de
la Turquie et de l’Irak.
Mais face aux habiles négociateurs
anglais, la France capitulera. Reniant
ses promesses, la Syrie, du fait
français, sera réduite à sa portion
congrue au prix d’une quadruple
amputation, délestée non seulement de
tous les territoires périphériques
(Palestine, Liban, Turquie et Irak),
mais également amputée dans son propre
territoire national du district
d’Alexandrette.
Une trahison qui conduira le ministre
syrien de la défense, Youssef Al Azmeh,
en personne, à prendre les armes contre
les Français pour la conjurer à
Mayssaloune (1925), dans laquelle il
périra ainsi que près de 400 des siens
dans la bataille fondatrice de la
conscience nationale syrienne.
1937- Deuxième
pantalonnade: La cession du district
d’Alexandrette à la Turquie
Vingt ans après Sykes-Picot, en 1937,
Alexandrette: Une prime au génocidaire
des Chrétiens d’Orient, Arméniens et
Assyriens.
La France cédera à la Turquie, pourtant
son ennemi de la Ière Guerre Mondiale
(1914-1918), le district syrien
d’Alexandrette, une cession qu’elle
troquera contre la neutralisation
d’Ankara dans une éventuelle future II e
Guerre Mondiale.
Mais la capitulation de la France face à
l‘Allemagne nazie, en moins de 40 jours
de combat, exonérera la Turquie de cet
engagement. Rétrospectivement, la
cession d’Alexandrette est apparue comme
une prime gratuite à l’état génocidaire
des Arméniens et des Assyriens de la
part d’un pays, la France, qui se
présente, pourtant, comme «le protecteur
des Chrétiens d’Orient».
La Syrie vivra douloureusement cette
amputation du Sandjak, désigné dans le
langage populaire sous le vocable d’«Al
Watan Al Salikh- la patrie amputée»,
cadeau empoisonné de la France à
elle-même qui conditionnera pendant un
siècle les relations entre Paris et
Damas.
Un des plus célèbres «non-dits» des
relations internationales, la perte
d’Alexandrette-Iskandaroune, dans la
foulée de l’implantation d’un Foyer
National Juif en Palestine, a constitué
le moteur des revendications
nationalistes et des récriminations
anti-françaises et anti-occidentales
d’un pays hâtivement décrété
«infréquentable», sans que l’opinion
occidentale, particulièrement française,
ne se soit penchée sur le bien-fondé de
cette virulence nationaliste.
Blessure secrète, elle alimentera
l’animosité des dirigeants syriens, bien
avant l’avènement du parti Baas, contre
l’ancienne puissance mandataire, allant
jusqu’à lui dénier un droit de regard
sur le Liban. Depuis lors, la Syrie a
tenu la dragée haute à la France
s’opposant frontalement à toutes ses
équipées en terre arabe, que cela soit
en Algérie où elle sera le premier pays
arabe à y dépêcher des volontaires
auprès des «Fellaghas»; lors de
l’agression tripartite de Suez, en 1956,
contre Nasser, où elle engagera le
combat sur le front syrien; au Liban,
enfin, dont elle constituera le «verrou
arabe» pendant un demi-siècle, pendant
que la diplomatie atlantiste s’appliqur
un axe tel aviv, le Caire, Beyrouth dans
le prolongement du traité de Camp David.
Le sort des
Chrétiens d’Orient face aux équipées
occidentales
Comment expliquer l’alliance de la
France avec la Turquie contre la Syrie,
c’est-à-dire l’alliance avec l’artisan
du premier état génocidaire du XX me
siècle, contre la Syrie, qui abrite le
mémorial du génocide arménien à Deir
Ez-Zor. Contre la Syrie, le siège des
patriarcats d’orient depuis la chute de
Constantinople. Contre la Syrie, que la
France a amputé du district
d’Alexandrette, cédée à la Turquie en
guise de bonus à son génocide.
Le génocide arménien a produit un fort
courant d’émigration des Arméniens
chrétiens vers la France, les
États-Unis, le Liban et surtout la
Syrie, alors que la Turquie non
seulement a été gratifiée par la France
du district d’Alexandrette, mais hissée
en prime, au rang de partenaire majeur
de l’Occident au sein de l’Otan face au
Monde arabe et à l’Union soviétique à
l’époque de la guerre froide
soviéto-américaine (1945-1989).
Au vu de ce bilan, force est
d’admettre que tous les grands exodes
des Chrétiens d’Orient auront été
consécutifs à des équipées occidentales.
Il en été de la création d’Israël qui a
produit un fort exode des chrétiens
palestiniens vers la Californie et
l’Amérique latine. Il en a été de même
de la guerre civile inter libanaise, une
guerre dérivative à l’échec américain au
Vietnam, qui a provoqué un fort exode
des chrétiens libanais vers le Canada,
l’Australie, la France et les deux
Amériques. Il en a été aussi de
l’invasion américaine de l’Irak qui a
provoqué un fort exode des chrétiens
irakiens (assyro chaldéens). Il en a été
enfin de la destruction de la Syrie
(2011-2015), qui a fait refluer vers
l’Europe les naufragés de la politique
de prédation économique de ce pays.
Force est d’admettre également que
les chrétiens arabes auront toujours été
les grands sacrifiés au bénéfice de la
stratégie israélo américaine et qu’il
importait désormais que le sort des
chrétiens arabes soit scellé dans son
ancrage avec son environnement arabe,
tant il est vrai que les chrétiens
arabes n’ont pas vocation à devenir une
diaspora complémentaire des diasporas
dans les pays occidentaux, à titre de
vestige d’une civilisation perdue.
Protectrice des chrétiens d’Orient, la
France a institutionnalisé et
instrumentalisé le communautarisme tant
au Liban que dans l’ensemble des pays
sous son mandat, au mépris du principe
de la laïcité et de la séparation de
l’église et de l’état, pourtant un des
principes fondateurs de la République
française, au nom de la préservation de
prétendus intérêts supérieurs du pays.
La mise à l’index du président libanais
Émile Lahoud, unique chef d’état
chrétien du Monde arabe, à l’initiative
du président français Jacques Chirac,
n’est pas un cas isolé. Il en a été
auparavant de même du génocide impuni
des Arméniens par les Turcs qui verra la
France gratifier de son forfait la
Turquie, en détachant le District
d’Alexandrette de la Syrie pour l’offrir
à celui qui était son ennemi de la
première guerre mondiale.
Une opération qui s’est révélée une
aberration de l’esprit vraisemblablement
unique dans l’histoire du monde,
pathétique illustration d’une confusion
mentale au nom de la préservation de
prétendus intérêts supérieurs de la
nation au détriment de la victime.
1940 Troisième
pantalonnade: Le syndrome de Vichy avec
en contrecoup une politique
d’humiliation et de punition
L’Allemagne a été battue par une
coalition occidentalo-soviétique; La
France battue malgré la présence à ses
côtés de cette même coalition. Mais, à
l’inverse de la France, depuis sa
capitulation en 1945, l’Allemagne,
divisée, réunifiée, n’a plus jamais
connu ni défaites militaires, ni revers
diplomatiques et, grâce à sa
compétitivité économique, elle est
devenue la première puissance économique
européenne, le moteur de l’Union
européenne.
Infamie suprême, la capitulation de la
France en rase campagne devant les
troupes du Reich s’est doublée d’un
sabordage de la flotte française en rade
de Toulon, fait sans précédent dans les
annales maritimes internationales.
Plutôt que de subir stoïquement, à
l’exemple du Royaume Uni, les
bombardements aériens de Londres; Plutôt
que de rebondir à l’instar des
États-Unis après la destruction de sa
flotte à Pearl Harbour par le raid
surprise de l’aviation japonaise, ou de
prendre exemple sur l’Union Soviétique
sacrifiant 20 millions de personnes pour
épargner à Stalingrad le déshonneur de
la capitulation.
Plutôt que de lancer ses cuirassés à
l’assaut des blindés des divisions Das
Reich, en 1942, la France capitulera
avant de recourir à ses supplétifs
coloniaux, pour la 2e fois au XXe
siècle, fait dans précédent dans
l’histoire, pour laver son honneur
perdu.
Face à cette succession de défaites
retentissantes, survivance de la
diplomatie de la canonnière, la France
réagira par une politique d’humiliation
et de punition de Sétif (Algérie-1945) à
Thiaroye (1946-Sénégal) au Cameroun
(Sanaga 1957) à Bizerte (1958).
L’effondrement des deux piliers de la
stratégie atlantiste sur la rive sud de
la Méditerranée (Zine Al Abidine Ben Ali
(Tunisie) et Hosni Moubarak (Égypte),
les deux béquilles arabes du projet
sarkozyste de l’Union pour la
Méditerranée, sur fond d’effondrement
bancaire du système capitaliste
occidentale, a fait resurgir les
pulsions belligènes des deux anciennes
puissances coloniales de la zone, le
Royaume Uni, particulièrement la France,
dans ses anciennes chasses-gardées, la
Libye (2011) et la Syrie (2012).
Récidiviste, incorrigible, la France,
renouant avec ses vieux démons,
réactivera son vieil attelage avec la
Turquie, en se lançant la destruction de
la Syrie, cadeau compensatoire au
néo-ottoman pour le refus de l’Union
Européenne de l’admettre en son sein.
Au regard de la duplicité française et
de la voracité turque, le parrainage
franco turc a grandement obéré la
crédibilité de l’opposition syrienne
off-shore dans sa contestation du régime
baasiste.
Tout au long de cette séquence, la
France a été médiatiquement pro-arabe,
mais substantiellement pro-israélienne.
Les courbettes des dirigeants français
devant les princes arabes ne doivent pas
faire illusion. Fusent-elles d’un
«cheval fougueux» elles sont de peu de
poids face à Dimona, le symbole de la
supériorité technologique et le gage de
l’hégémonie militaire absolue
israélienne sur l’espace national arabe
depuis 60 ans. Excepté la parenthèse
gaulliste , (1958-1981), la politique
française dans ses deux composantes
chiraco-sarkozyste et hollando
fabusienne a été une politique
philo-sioniste enrobée du vocable
prétentieux de «grande politique arabe»,
articulée sur des «hommes
providentiels»: Saddam Hussein (Irak)
dans la décennie 1970-1980, Rafic Hariri
(Liban) dans la décennie 1990-2000, le
Qatar dans la décennie 2010, avant que
le dévolu français ne soit jeté sur la
dynastie sans doute la plus
obscurantiste de la planète, la dynastie
wahhabite saoudienne.
Mai 1940 marque aux yeux de
l’historien français Marcel Gauchet le
moment où «la France a brutalement cessé
d’être une grande puissance». Le
syndrome de Vichy gangrène la politique
intellectuelle de la France depuis la
défaite de 1940. Episode calamiteux, il
sera suivi de deux autres catastrophes
jamais entièrement assimilées: Dien Bien
Phu et l’Algérie. Contrecoup funeste de
son obsession pour la période 1940-1944,
«le sentiment collectif en France a été
mis à mal par la désagrégation du mythe
de la Résistance», soutient
l’universitaire mauricien Sudhir
Hazareesingh, professeur à Oxford (2).
Un siècle calamiteux
pour le Monde arabe
Calamiteux pour la France, les
accords Sykes-Picot l’ont été aussi pour
le Monde arabe particulièrement la
Palestine.
La promesse d’un«Grand Royaume Arabe»,
-un leurre pour benêt miroité par les
Anglais aux Hachémites-, a débouché sur
la «Promesse Balfour, c’est-à-dire la
promesse de création d’un Foyer National
Juif en Palestine, puis avec le
consentement complice des pays
occidentaux à la prolifération et la
consolidation de bantoustans sous
occupation israélienne, autour des
grandes agglomérations urbaines
palestiniennes (Ramallah, Bethléem,
Naplouse, Hébron et Djénine).
Une prolifération en guise de Foyer
National Palestinien ayant vocation à
constituer le futur état palestinien en
guise de solde de tout compte occidental
d’un conflit centenaire dont la
responsabilité première incombe
exclusivement aux pays occidentaux..
La promesse Balfour s’est révélée être
une mèche à combustion lente qui a
gangréné tout le long du XXe siècle dont
les répercussions retentissent encore de
nos jours sur la vie internationale
viciant complètement la relation entre
le Monde arabe et l’Occident. Opérant
avec la promesse Balfour, «une
compensation sur bien d’autrui», la
forme pernicieuse d’une perversion
triangulaire, le Royaume Uni a justifié
pleinement son titre de «perfide
Albion».
Avec Sykes-Picot, en 1916, la France
a capitulé face à son allié anglais. Un
quart de siècle plus tard, en 1940, la
France a capitulé face à son «ennemi
héréditaire» allemand, avant de
capituler quinze ans plus tard, en 1955,
face à son ancien colonisé vietnamien, à
Dien Bien Phu.
Mode opératoire de la France depuis
deux siècles, la capitulation est le
trait majeur des campagnes militaires et
diplomatiques françaises du XIX et XX me
siècle: Face aux Anglais à Waterloo, en
1815; Face à l’Allemagne, en 1870, à
Sedan; De nouveau face à l’Allemagne
nazie en Mai 1940; Face au Vietnamiens,
quinze ans plus tard, Dien Bien Phu en
1954, soit quatre capitulations en deux
siècles. Du jamais vu dans les annales
de la stratégie militaire mondiale.
Cible privilégiée des djihadistes,
pourtant ses alliés objectifs contre le
président syrien Bachar Al Assad -avec
le double carnage de Charlie Hebdo
(janvier 2015) et de Paris (13 novembre
2013)- la France apparaîtra
rétrospectivement parmi les grands
perdants de la guerre de Syrie, et selon
l’expression de Marcel Gauchet «parmi
les grands perdants de la mondialisation
et parmi les grands perdants de
l’Européanisation».
Un couple
turco-allemand en substitution du couple
franco-allemand: Vers une victoire des
anciens vaincus de la 1 ère Guerre
mondiale.
À un siècle d’intervalle, la France
récidivera dans l’affaire syrienne sa
connivence avec la Turquie avec les
conséquences désastreuses qui se sont
ensuivis pour les deux équarisseurs de
ce pays anciennement sous leur mandat.
Errare Humanum Est Set PERSEVERARE
DIABOLICUM.
Perspective cauchemardesque qui
démontre l’inanité de la politique
française au Moyen Orient: «Une
éventuelle intégration de la Turquie à
l’Union européenne entraînerait un
recentrage des pays des Balkans par
rapport au barycentre actuel de l’UE
situé aujourd’hui en Allemagne, en ce
que l’adhésion de la Turquie profiterait
surtout à ce pays le plus peuplé de ce
futur nouvel ensemble eurasiatique. La
Turquie passerait ainsi devant
l’Allemagne en termes de droit de vote
au Conseil européen et en
représentativité au Parlement de
Strasbourg.
«Cette adhésion serait un formidable
tremplin de puissance pour la Turquie,
laquelle pourrait retrouver son rôle de
«pont» entre les deux continents comme à
l’époque ottomane de la Turquie d’Europe
où son influence se faisait ressentir
jusqu’à Vienne. La communauté turque
d’Allemagne est la plus importante
d’Europe. Nouvelle société
germano-turque, l’Allemagne, si elle
acceptait l’entrée de la Turquie dans
l’UE, verrait son identité binationale
s’accentuer. Le couple franco-allemand
céderait la place au couple
turco-allemand en quelque sorte»,
soutient Hadrien Desuin (3).
Allemagne-Turquie: Une revanche des
anciens alliés vaincus de la 1e Guerre
Mondiale, en somme. Au terme de ce
siècle, si cette éventualité de
concrétisait, la France aura eu tout
faux.
Précurseur, la France l’a souvent été
au cours de son histoire, mais cette
spécificité nourrie d’une conception
hiératique de l’universalisme de sa
mission versera dans la spéciosité au
point de devenir un mode de
comportement.
Aux chemins de crête qu’elle
ambitionnait d’arpenter, elle
substituera parfois les méandres fangeux
des chemins tortueux, réduisant à néant
les bénéfices de cette posture
anticipatrice.
Faute d’un sursaut, à défaut de
revisiter son histoire par une lecture
critique de son récit historique, la
France pourrait bien être la risée de la
communauté diplomatique internationale;
Atteinte d’un phénomène d’hystérésis, «à
l’insu de son plein gré». Un astre mort
qui continue de briller de sa luminosité
d’antan, sans la moindre vitalité
Pour aller plus loin
-À Propos de l’Algérie et du non dit
de la défaite et de l’amputation du
territoire national/ Interview d’Alexis
Jenni coauteur avec Benjamin Stora de
«Mémoires dangereuses».
Références
- Paris 2 novembre 1915 (Archives
du ministère des affaires
étrangères) Instructions d’Aristide
Briand, ministre des Affaires
étrangères (1862-1932) à Georges
Picot, consul de France à Beyrouth.
Document publié dans «Atlas du Monde
arabe géopolitique et société» par
Philippe Fargues et Rafic Boustany,
préface de Maxime Rodinson (Editions
Bordas)
- Sudhir Hazareesingh, professeur
à Oxford, «Ce pays qui aime les
idées- Histoire d’une passion
française» Flammarion collection au
fil de l’histoire-Juillet 2015.
- Hadrien Desuin http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2015/10/20/31002-20151020ARTFIG00254-turquie-ue-comment-erdogan-tord-le-bras-aux-europeens.php
-
http://oumma.com/222558/l-accord-secret-sykes-picot-a-partage-monde-arabe-ent?utm_source=Oumma.com&utm_campaign=47c55733d4-RSS_EMAIL_CAMPAIGN&utm_medium=email&utm_term=0_91de0eee48-47c55733d4-80991593
Hadrien Desuin est ancien élève de
l’École spéciale militaire de St-Cyr
puis de l’École des officiers de la
Gendarmerie nationale. Il est titulaire
d’un master II en relations
internationales et stratégie sur la
question des Chrétiens d’Orient, de
leurs diasporas et la géopolitique de
l’Égypte, réalisé au Centre d’Études et
de Documentation Économique Juridique et
social (CNRS/MAE) au Caire en 2005.
Les accords de Sykes Picot
Les accords Sykes-Picot sont
des accords secrets signés le 16
mai 1916, entre la France et la
Grande-Bretagne (avec l’aval des
Russes et des Italiens),
prévoyant le partage du
Proche-Orient à la fin de la 1
ère Guerre Mondiale, en
plusieurs zones d’influence au
profit de ces deux puissances
coloniales, dans le but de
contrer les revendications
ottomanes.
L’accord
Le 16 mai 1916, fait suite à un
travail préparatoire épistolaire
de plusieurs mois entre Paul
Cambon, ambassadeur de France à
Londres et Sir Edward Grey,
secrétaire d’État au Foreign
Office. L’accord Sykes-Picot est
conclu entre la France et le
Royaume-Uni à Downing Street
entre Sir Mark Sykes et François
Georges-Picot. Il prévoit un
découpage du Proche-Orient,
c’est-à-dire l’espace compris
entre la mer Noire, la mer
Méditerranée, la mer Rouge,
l’océan Indien et la mer
Caspienne, alors partie
intégrante de l’Empire ottoman.
La Russie tsariste participe aux
délibérations et donne son
accord, comme l’Italie, aux
termes du traité secret.
Carte des accords
Sykes-Picot
Le Proche-Orient est découpé,
malgré les promesses
d’indépendance faites aux
Arabes, en cinq zones:
- zone bleue française,
d’administration directe
formée du Liban actuel et de
la Cilicie
- zone arabe A,
d’influence française
comportant le nord de la
Syrie actuelle et la
province de Mossoul
- zone rouge britannique,
d’administration directe
formée du Koweït actuel et
de la Mésopotamie
- zone arabe B,
d’influence britannique,
comprenant le sud de la
Syrie actuelle, laJordanie
actuelle et la future
Palestine mandataire
- zone brune,
d’administration
internationale comprenant
Saint-Jean-d’Acre, Haïfa et
Jérusalem. La
Grande-Bretagne obtiendra le
contrôle des ports d’Haifa
et d’Acre
À la suite de la Révolution
d’Octobre qui renverse l’État
tsariste et installe le
pouvoir bolchevik, le nouveau
gouverneur de Pétrograd découvre
dans les archives du ministère
des affaires étrangères une
copie du texte du traité
Sykes-Picot qu’il porte, en
janvier 1918, à la connaissance
du gouvernement ottoman,
toujours possesseur des
territoires concernés.
Le pouvoir ottoman transmet
alors ces informations au chérif
Hussein de La Mecque à qui avait
été promis, un «Grand Royaume
arabe». Promesse faite en 1915,
par les Britanniques dans une
série d’échange avec Sir Henry
McMahon le haut-commissaire
britannique au Caire, en
contrepartie du dégagement
chérifien de la coalition
ottomane. Dès la nouvelle
connue, la colère gronde chez
les Arabes. Désagréablement
surpris par la lecture du
traité, Hussein transmet le
texte au gouvernement
britannique avec une demande
d’explications.
Le 18 février 1918 le
gouvernement britannique répond:
«Le gouvernement de sa Majesté
et ses alliés n’ont pas
abandonné leur politique qui
consiste à apporter leur
concours le plus entier à tous
les mouvements qui luttent pour
la libération des Nations
opprimées. En vertu de ce
principe, ils sont plus que
jamais résolus à soutenir les
peuples arabes dans leur effort
pour instaurer un Monde arabe
dans lequel la loi remplacera
l’arbitraire ottoman et où
l’unité prévaudra sur les
rivalités artificiellement
provoquées par les intrigues des
administrations turques.
Le gouvernement de Sa Majesté
confirme ses promesses
antérieures concernant la
libération des peuples arabes.»
Aux États-Unis, le président
Woodrow Wilson, tentant de
mettre en avant l’argument de
l’autodétermination des peuples,
ne participe pas aux accords
Sykes-Picot et cherche à obtenir
un mandat de la Société des
Nations elle-même en organisant
dans le cadre d’une commission
une consultation des peuples
concernés. Les Français et les
Britanniques sentant la
situation leur échapper quittent
la commission et se mettent
d’accord sur les frontières à la
conférence de San-Remo en avril
19201.
Application de
l’accord
L’accord est entériné et
légalisé avec un mandat en bonne
et due forme de la Société des
Nations lors de la Conférence de
San Remo. La France reçoit
mandat du Liban et de la Syrie,
la Grande-Bretagne de l’Irak
(agrandi de Mossoul cédée par
les Français en échange d’une
participation aux bénéfices
pétroliers du bassin de Kirkouk),
de la Transjordanie et de la
Terre Sainte, désignée sous son
nom romain de Palestine.
L’accord franco-britannique
doit faire face à une double
opposition: l’insurrection
nationale turque de Mustafa
Kemal Atatürk en Anatolie, en
opposition au traité de Sèvres,
et l’installation du pouvoir des
Hachémites, s’appuyant sur les
nationalistes arabes, en Irak et
en Syrie.
À Damas, que l’accord rattache à
la domination française, Fayçal,
fils du chérif Hussein, est
proclamé roi du «Royaume arabe
de Syrie». Les Français sont
chassés d’Anatolie par les
kémalistes à l’issue de la
campagne de Cilicie mais
parviennent à battre Fayçal et à
lui faire quitter Damas, les
Anglais, en compensation,
l’installant sur le trône
irakien. Le traité de Lausanne,
en 1923, entérine l’intégration
du sud-est anatolien à la
nouvelle république de Turquie.
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Reçu de René Naba pour publication
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