Liban
diaspora 1/2
Liban-Diaspora: La colonisation
occidentale, le plus important
bouleversement démographique de
l’histoire de l’humanité
René Naba
Mercredi 15 janvier 2014
«L’histoire se
rit des prophètes désarmés»,
Machiavel. L’Histoire se rit aussi des
peuples désarmés et déboussolés.
Contribution de
René Naba à l’histoire de l’émigration
libanaise en Afrique occidentale
française à l’occasion de la célébration
du premier centenaire de cet évènement
en 2014 (1).
Prologue: Un fardeau
de l’Homme blanc ou une prédation de la
planète?
«C’était au début
du printemps 1750 que naquit le fils d’Omoro
et de Binta Kinté, dans le village de
Djoufforé, à quatre jours de pirogue de
la côte de Gambie». ((Roots : The saga
of an american family (1976) Alex Haley,
titre de l’ouvrage en français
«Racines». De son vrai nom Alexander
Murray Palmer Haley, né le 11 août 1921
à Ithaca et mort le 10 février 1992 à
Seattle. Ecrivain noir américain, il est
connu notamment grâce à sa collaboration
à l’autobiographie de Malcolm X et
surtout Roots, le livre qui changea la
compréhension du problème noir aux
Etats-Unis).
Curieux
cheminement. Curieux croisement: alors
que l’Africain du Sine Salloum, région
natale de l’auteur de l’ouvrage «Roots»,
en même temps que celle du signataire de
ce papier, était extirpé de ses racines
par les colonisateurs de la Sénégambie
pour se projeter au-delà des océans en
vue de contribuer à la prospérité du
Nouveau Monde, le Libanais, au XVIII
me-XIX me siècle, était conduit à
l’exode sous l’effet des contraintes
économiques.
Un mouvement
parallèle… Le Noir allait peupler
l’Amérique, quand le Libanais et le
Syrien se substituaient à lui sur son
continent, comme intermédiaire entre
colonisateurs et colonisés. Au XIX me
siècle, sous le joug de l’empire
ottoman, le mouvement portait les
Libanais vers l’Amérique latine. Au XX
me siècle, sous le joug colonial, le
mandat français au Levant le bifurquait
principalement vers l’Afrique.
Cinquante-deux
millions de personnes, colons en quête
d’un gagne-pain, aventuriers en quête de
fortune, militaires en quête de
pacification, administrateurs en quête
de considération, missionnaires en quête
de conversion, tous en quête de
promotion, se sont expatriés du «Vieux
Monde», en un peu plus d’un siècle
(1820-1945), à la découverte des
nouveaux mondes, lointains précurseurs
des travailleurs immigrés de l’époque
moderne. Au rythme de 500 000
expatriés par an en moyenne pendant 40
ans, de 1881 à 1920, 28 millions
d’Européens auront ainsi déserté
l’Europe pour peupler l’Amérique, dont
20 millions aux Etats-Unis, huit
millions en Amérique latine, sans
compter l’Océanie (Australie, Nouvelle
Zélande), le Canada, le continent noir,
le Maghreb et l’Afrique du sud ainsi que
les confins de l’Asie, les comptoirs
enclaves de Hong Kong, de Pondichéry et
de Macao. 52 millions d’expatriés, soit
le double de la totalité de la
population étrangère résidant dans
l’Union Européenne à la fin du XX me
siècle, un chiffre sensiblement
équivalent à la population française.
Principal
pourvoyeur démographique de la planète
pendant cent vingt ans, l’Europe
réussira le tour de force de façonner à
son image deux autres continents,
l’Amérique dans ses deux versants ainsi
que l’Océanie et d’imposer la marque de
sa civilisation à l’Asie et l’Afrique.
«Maître du monde» jusqu’à la fin du XX
me siècle, elle fera de la planète son
polygone de tir permanent, sa propre
soupape de sécurité, le tremplin de son
rayonnement et de son expansion, le
déversoir de tous ses maux, une décharge
pour son surplus de population, un bagne
idéal pour ses trublions, sans
limitation que celle imposée par la
rivalité intra européenne pour la
conquête des matières premières.
En cinq siècles
(XVe-XXe), 40 pour cent du monde habité
aura ainsi peu ou prou ployé sous le
joug colonial européen. Prenant le
relais de l’Espagne et du Portugal,
initiateurs du mouvement, la
Grande-Bretagne et la France, les deux
puissances maritimes majeures de
l’époque, posséderont à elles seules
jusqu’à 85 pour cent du domaine colonial
mondial et 70 pour cent des habitants de
la planète au début du XX me siècle,
pillant au passage, le Portugal et
l’Espagne l’or d’Amérique du sud,
l’Angleterre les richesses de l’Inde, la
France le continent africain.
II – L’effet
Boomerang: «L’invasion barbare».
Par un rebond de
l’histoire, dont elle connait seule le
secret, l’effet boomerang interviendra
au XXe siècle. L’Europe,
particulièrement la France, pâtira de sa
frénésie belliciste, avec l’enrôlement
de près de 1.2, millions des soldats de
l’outre-mer pour sa défense lors des
deux guerres mondiales
(1914-1918/1939-1945) et la
reconstruction du pays sinistré. Au
point que par transposition du schéma
colonial à la métropole, les Français,
par définition les véritables indigènes
de France, désigneront de ce terme les
nouveaux migrants, qui sont en fait des
exogènes; indice indiscutable d’une
grave confusion mentale accentué par les
conséquences économiques que cette
mutation impliquait.
L’indépendance des
pays d’Afrique neutralisera le rôle du
continent noir dans sa fonction de
volant régulateur du chômage français.
L’arabophobie se substitue alors à la
judéophobie dans le débat public
français avec la guerre d’Algérie (1954)
et la Guerre de Suez (1956), avant de
muter en Islamophobie avec la relégation
économique de la France à l’échelle des
grandes puissances. La xénophobie
française se manifestera alors d’une
manière inversement proportionnelle à la
gratitude de la France à l’égard des
Arabes et des Musulmans, dans le droit
fil de son comportement post guerre
mondiale à Sétif, en Algérie, en 1945,
et à Thiaroye, en 1946, au Sénégal.
Cinq siècles de
colonisation intensive à travers le
monde n’auront ainsi pas banalisé la
présence des «basanés» dans le regard
européen, ni sur le sol européen, pas
plus que dans l’imaginaire occidental,
de même que treize siècles de présence
continue matérialisée par cinq vagues
d’émigration n’ont conféré à l’Islam le
statut de religion autochtone en Europe,
où le débat, depuis un demi-siècle,
porte sur la compatibilité de l’Islam et
de la République, comme pour conjurer
l’idée d’une agrégation inéluctable aux
peuples d’Europe de ce groupement
ethnico-identitaire, le premier d’une
telle importance sédimenté hors de la
sphère européocentriste et
judéo-chrétienne.
Les interrogations
sont réelles et fondées, mais par leur
déclinaison répétitive (problème de la
compatibilité de l’Islam et de la
Modernité, compatibilité de l’Islam et
de la Laïcité, identité et serment
d’allégeance au drapeau), les variations
sur ce thème paraissent surtout renvoyer
au vieux débat colonial sur
l’assimilation des indigènes, comme pour
démontrer le caractère inassimilable de
l’Islam dans l’imaginaire européen,
comme pour masquer les antiques phobies
chauvines, malgré les copulations
ancillaires de l’outre-mer colonial,
malgré le brassage survenu en Afrique du
Nord et sur le continent noir, malgré le
mixage démographique survenu notamment
au sein des anciennes puissances
coloniales (Royaume-Uni, France,
Espagne, Portugal et Pays Bas) du fait
des vagues successives des réfugiés du
XX me siècle d’Afrique, d’Asie,
d’Indochine, du Moyen-Orient et
d’ailleurs, malgré les vacances
paradisiaques des dirigeants français à
l’ombre des tropiques dictatoriaux;
comme pour dénier la contribution des
Arabes à la Libération de la France; le
rôle de la Libye et de l’Irak de soupape
de sûreté à l’expansion du complexe
militaro industriel français avec leurs
«contrats du siècle», en compensation du
renchérissement du pétrole consécutif à
la guerre d’octobre (1973), le rôle
supplétif des djihadistes islamistes
sous tutelle occidentale en tant que
fers de lance du combat dans l’implosion
de l’Union soviétique, dans la décennie
1980, en Afghanistan, puis dans
l’implosion de la Yougoslavie (Bosnie et
Kosovo), dans la décennie 1990, enfin
contre la Syrie, dans la décennie 2010.
Au-delà de la
polémique sur la question de savoir si
«l’Islam est soluble dans la République
ou à l’inverse si la République est
soluble dans l’Islam», la réalité s’est
elle-même chargée de répondre au
principal défi interculturel de la
société européenne au XXI me siècle.
Soluble ou pas, hors de toute
supputation, l’Islam est désormais bien
présent en Europe d’une manière durable
et substantielle, de même que sa
démographie relève d’une composition
interraciale, européenne certes, mais
aussi dans une moindre proportion,
arabo-berbère, négro-africaine, turque
et indo-pakistanaise: Quatre mille
mosquées, douze millions de fidèles, et
2,6 pour cent de la population
européenne est d’origine musulmane,
selon les statistiques officieuses
concernant les 15 pays de l’Europe
occidentale communiquées avant
l’adhésion massive des 12 pays de
l’Europe centrale et orientale. Premier
pays européen par l’importance de sa
communauté musulmane, la France est
aussi, proportionnellement à sa
superficie et à sa population, le plus
important foyer musulman du monde
occidental. Avec près de cinq millions
de musulmans, dont deux millions de
nationalité française, elle compte
davantage de musulmans que pas moins de
huit pays membres de la Ligue arabe
(Liban, Koweït, Qatar, Bahreïn, Emirats
Arabes Unis, Palestine, Iles Comores et
Djibouti). Elle pourrait, à ce titre,
justifier d’une adhésion à
l’Organisation de la Conférence
Islamique (OCI), le forum politique
panislamique regroupant cinquante-deux
Etats de divers continents ou à tout le
moins disposer d’un siège d’observateur.
En comparaison,
pour une superficie de 9,3 millions de
km2 et une population de 280 millions
d’habitants, Les Etats-Unis comptent
près de 12 millions de musulmans dont
3,5 millions d’arabo américains et 1 200
mosquées. La communauté musulmane de
France se décompose comme suit: deux
millions de Maghrébins, deux millions de
nationalité française, la plupart
originaires d’Algérie et rapatriés en
France au moment de l’indépendance de ce
pays, ainsi que 400. 000 africains, 300.
000 turcs et 100.000 asiatiques. En
vingt ans (1980-2000), près de trois
mille associations ont été fondées et
mille cinq cents lieux de culte édifiés,
parmi lesquelles cinq grandes Mosquées,
dont trois dans la région parisienne
Paris, Evry et Mantes-La-Jolie, ainsi
qu’à Lyon et Lille.
Socle principal de
la population immigrée malgré son
hétérogénéité linguistique et ethnique,
avec près de 20 millions de personnes,
dont cinq millions en France, la
communauté arabo-musulmane d’Europe
occidentale apparaît en raison de son
bouillonnement -boutade qui masque
néanmoins une réalité- comme le 28 me
Etat de l’Union européenne. En s’y
greffant, l’admission de la Turquie, de
l’Albanie et du Kosovo au sein de
l’Union européenne porterait le nombre
des musulmans à près de 100 millions de
personnes, représentant 5 pour cent de
la population de l’ensemble européen,
une évolution qui fait redouter à la
droite radicale européenne la perte de
l’homogénéité démographique de l’Europe,
à la blancheur immaculée de sa
population et aux «racines chrétiennes
de l’Europe». Au point que l’UMP, le
parti sarkoziste en France, a institué
une clause de sauvegarde, soumettant à
référendum l’adhésion de tout nouveau
pays dont la population excède cinq pour
cent de l’ensemble démographique
européen.
Pour un observateur
non averti, le décompte est
impressionnant: l’agglomération
parisienne concentre à elle seule le
tiers de la population immigrée de
France, 37 pour cent exactement, tous
horizons confondus (Africains,
Maghrébins, Asiatiques, et Antillais),
alors que 2,6 pour cent de la population
d’Europe occidentale est d’origine
musulmane, concentrée principalement
dans les agglomérations urbaines. Son
importance numérique et son implantation
européenne au sein des principaux pays
industriels lui confèrent une valeur
stratégique faisant de la communauté
arabo-musulmane d’Europe le champ
privilégié de la lutte d’influence que
se livrent les divers courants du monde
islamique et partant le baromètre des
convulsions politiques du monde
musulman.
Fait désormais
irréversible, l’ancrage durable des
populations musulmanes en Europe, la
généralisation de leur scolarisation,
l’affirmation multiforme de leur prise
de conscience ainsi que l’irruption sur
la scène européenne des grandes
querelles du monde islamique, le
bouleversement du paysage social et
culturel européen qu’elles auront
impliquées au dernier quart du XX me
siècle ont impulsé un début de réflexion
en profondeur quant à la gestion à long
terme de l’Islam domestique. Toutefois,
sous l’effet de la précarité économique
et de la montée des conservatismes,
l’Europe, sous couvert de lutte contre
le terrorisme, en particulier la France,
a pratiqué depuis un quart de siècle une
politique de crispation sécuritaire
illustrée par la succession de lois sur
l’immigration (lois
Debré-Pasqua-Chevènement-Sarkozy-Hortefeux),
apparaissant comme l’un des pays
européens les plus en pointe dans le
combat anti-migratoire, alors même que
sa population immigrée a baissé de 9
pour cent en une décennie (1990-1999).
L’euphorie qui
s’est emparée de la France à la suite de
la victoire de son équipe multiraciale à
la coupe du monde de Football, en
Juillet 1998, n’a pas pour autant résolu
les lancinants problèmes de la
population immigrée, notamment
l’ostracisme de fait dont elle est
frappée dans sa vie quotidienne, sa
sous-employabilité et la discrimination
insidieuse dont elle fait l’objet dans
les lieux publics, avec les conséquences
que comportent une telle marginalisation
sociale, l’exclusion économique et, par
la déviance qu’elle entraîne, la
réclusion carcérale. Les attentats
anti-américains du 11 septembre 2001 ont
relancé la xénophobie latente au point
que se perçoit lors des grands pics de
l’actualité, tel l’attentat de Madrid du
11 mars 2004, une véritable ambiance d’arabophobie
et d’islamophobie.
Trente ans après la
révolution opérée dans le domaine de la
communication, dix ans après la
communion interraciale du «Mundial
1998», les Arabes et les Africains
demeurent en France des «indigènes»,
sous-représentés dans la production de
l’information, d’une manière générale
dans l’industrie du divertissement et de
la culture, et d’une manière plus
particulière dans les cercles de
décision politique pour l’évidente
raison qu’ils sont difficilement perçus
comme des producteurs de pensées et de
programmes, alors que leur performance
intellectuelle ne souffre la moindre
contestation.
Au seuil du III me
millénaire, la France souffre d’évidence
d’un blocage culturel et psychologique
marqué par l’absence de fluidité
sociale. Reflet d’une grave crise
d’identité, ce blocage est,
paradoxalement, en contradiction avec la
configuration pluriethnique de la
population française, en contradiction
avec l’apport culturel de l’immigration,
en contradiction avec les besoins
démographiques de la France, en
contradiction enfin avec l’ambition de
la France de faire de la Francophonie,
l’élément fédérateur d’une constellation
pluriculturelle ayant vocation à faire
contrepoids à l’hégémonie planétaire
anglo-saxonne, le gage de son influence
future dans le monde.
Au seuil du XXI me
siècle, la France offre ainsi le
spectacle d’un état aux pouvoirs érodés
tant par la construction européenne que
par la mondialisation, une société
marquée par la désagrégation des liens
collectifs, de partis politiques coupés
des couches populaires, d’une gauche
socialiste à la remorque des thèmes de
mode, d’une droite à la dérive reniant
ses idéaux, les deux dévastés par les
affaires de corruption avec un noyau dur
de l’extrême droite représentant 1/5 du
corps électoral, une nation mimée par la
montée des corporatismes et du
communautarisme ainsi que par
l’exacerbation, sur fond des guerres de
prédation des économies de la rive sud
de la Méditerranée (Libye, Syrie), se
superposant au conflit
israélo-palestinien et à l’antagonisme
judéo arabe sur le territoire national.
Une France plongée dans la pénombre, en
pertes de repères, en quête de sens,
victime des remugles de sa mémoire. Le
contentieux non apuré en France à propos
de Vichy et de l’Algérie continue de
hanter la conscience française, de même
que son passif post colonial. Sur le
flux migratoire mondial au XX me siècle
http://www.renenaba.com/les-colonies-avant-gout-du-paradis-ou-arriere-gout-denfer/
III – La France: «La
tendre mère des Libanais»?
Les faits sont
patents: Quinze millions d’Africains ont
été expédiés «au-delà des océans» pour
faire place dans «l’outre-mer» aux
Espagnols, Portugais, Anglais, Français,
même Allemands, enfin Libanais. Pour des
impératifs économiques non des
considérations humanitaires ou l’effet
du hasard.
L’idée donc que le
Libanais a débarqué en Afrique par
inadvertance du fait d’une erreur de
navigation des cargos-négriers est une
fable et une farce. Si la première
cargaison de Marseille en route pour Rio
de Janeiro a débarqué à Dakar (Sénégal),
par hasard, c’est qu’elle répondait en
fait à une exigence de rentabilité des
compagnies négrières, qui ne sont pas
des dentellières et ne font pas dans la
dentelle. Un trajet infiniment plus
court que la traversée de l’Atlantique
sud, une rotation plus fréquente, une
rentabilité plus grande.
Le déroutement vers
l’Afrique du flux migratoire libanais
s’amplifiera prenant un tour
systématique avec l’instauration du
Mandat Français sur le Liban et la
Syrie, répondant à un double objectif:
-Réduire
l’importance numérique chiite dans le
recensement démographique visant à la
répartition sur une base confessionnelle
du pouvoir dans le système
constitutionnel libanais en vue de
confier les rênes du gouvernement au
tandem maronite sunnite en vue de faire
du Liban le point de jonction de l’Islam
et de la chrétienté à un moment
charnière de l’expansion économique
européenne vers le flanc sud de la
Méditerranée.
Avec pour objectif
ultime de conférer un primat maronite au
«pays des cèdres, du lait et du miel»,
non pour en faire un réduit chrétien
comme se sont appliqués à le faire les
milices chrétiennes durant la guerre
interconfessionnelle (1975-1990), mais
«un Foyer National Chrétien» symétrique
au «Foyer National Juif» de la promesse
Balfour (1917) de la Grande Bretagne.
-Placer les
Libanais émigrés d’Afrique en situation
d’intermédiaires entre colons et
colonisés, entre les blancs résidant
dans les grandes villes côtières et les
noirs peuplant la brousse africaine. A
ce titre l’émigration libanaise en
Afrique a été une émigration
d’exploitation, celle d’Amérique latine
une émigration de peuplement.
Une lecture
fractale de cette séquence historique
révèlera que la France «La tendre mère»
des Libanais n’a pas été si tendre que
cela, ni maternelle. Le pays qui a
institutionnalisé et instrumentalisé le
confessionnalisme du Liban aura procédé
à une répartition du travail dans ses
colonies sur une base raciale.
La permanence de la
dénomination de rues baptisées du temps
du mandat français au Liban (1923-1943),
telles qu’Ernest Renan, le grand
déchiffreur du mystère libanais pour le
compte des services français, Maurice
Barrès, le chantre de l’identité
française, thématique récurrente du
débat public en France avec son cortège
de stigmatisations, ou encore du Général
Henri Gourraud, artisan du grand Liban,
mais dépeceur du bassin historique de la
Palestine, ou enfin Georges Picot, le
négociateur maladroit face à Sykes du
partage du Levant en zones d’influence
franco-britanniques, témoignent de la
persistance d’une certaine forme de
servitude volontaire du Liban à l’égard
du legs colonial.
Particulièrement
Henri Gouraud et Georges Picot, sur des
grandes artères de la capitale
libanaise, artisans de la balkanisation
du Monde arabe. Gouraud, l’homme qui
captura, en 1898, Samory Touré, le chef
mandingue, qui s’opposait aux
colonisateurs du Soudan français (Mali),
Gouraud, l’une des figures importantes
de l’histoire de la colonisation
française, l’homme qui colonisa le
Niger, le Tchad et la Mauritanie,
l’homme qui sonna la charge contre les
résistants syriens à la bataille de
Mayssaloune (1925), dans laquelle périra
le ministre syrien de la défense,
Youssef Al Azmeh, ainsi que près de 400
des siens dans la bataille fondatrice de
la conscience nationale syrienne.
Cent ans après la
première vague d’émigration libanaise en
Afrique, il importait que ce fait soit
souligné et qu’il soit procédé à une
décolonisation des mentalités.
Particulièrement les Chrétiens en ce que
«La fille ainée de l’Eglise et
protectrice des chrétiens d’orient» aura
été l’un de leurs plus importants
fossoyeurs. Aux antipodes du rôle de la
Russie, véritable protectrice de
l’orthodoxie orientale. De
l’expédition de Suez, en 1956, contre
l’Egypte nassérienne, qui a provoqué
l’exode des chrétiens d’Egypte, à
l’expédition de Syrie, 57 ans après, qui
a entrainé l’exode des chrétiens de
Syrie, deux opérations dont la France a
eu un rôle aiguillon, à la caution du
génocide arménien en Turquie, par
l’amputation du district d’Alexandrette
à la Syrie et son attribution à la
Turquie en prime de son forfait.
Oyez manant. Le
centenaire est un âge adulte, un âge de
vérité. Réveillons-nous de notre sommeil
dogmatique dans lequel nous nous berçons
par paresse mentale: Le tryptique
républicain (Liberté, Egalité,
Fraternité) a constitué le mythe
fondateur de l’exception française en ce
que la colonisation a été est le
fossoyeur de l’idéal républicain en ce
que la liberté du colonisateur a été la
négation de la Liberté du colonisé;
L’égalité, bafouée
par la codification discriminatoire
fondée sur le «gobino-darwinisme
juridique» avec le «Code Noir» de
l’esclavage, sous la Monarchie et le
«Code de l’indigénat» en Algérie, sous
la République, et leur prolongement, les
«expositions ethnologiques», ces « zoos
humains» dressés pour ancrer dans
l’imaginaire collectif des peuples du
tiers monde l’idée d’une infériorité
durable des «peuples de couleur». Enfin,
la Fraternité, si la fraternisation sur
les champs de bataille a bien eu lieu,
la fraternité jamais. La cristallisation
des salaires des anciens combattants
d’outre-mer en fait foi. Et le Bougnoule
demeurera à jamais la marque de
stigmatisation absolue, le symbole de
l’ingratitude absolue.
Pour une
décolonisation des esprits et la
déconstruction de la notion du
«Rôle positif de la colonisation de la
France.»
IV – Les
ambivalences libanaises
Le sentiment de
supériorité des Libanais est un fait
patent, de notoriété publique. Un
libanais, téméraire ou inconscient ?, en
fera le diagnostic clinique dans une
étude au titre ravageur «Le syndrome de
supériorité, étude sur un pays en phase
de coma». Explicite et expéditif.
http://lebaneseexpatriate.wordpress.com/2012/06/27/lebanon-a-braindead-country/
Au survol des
siècles s’offre en effet au regard, un
panorama à deux dimensions, télescopage
des ambivalences libanaises.
Certes le Liban
peut s’enorgueillir de son legs
biblique, du fait que le nom Liban
apparait 75 fois dans l’ancien
testament, de même que le Cèdre
l‘emblème national du Liban, dont le
bois servit à la construction du Temple
de Salomon. De son héritage historique
et archéologique aussi. Seul pays arabe
à ne pas disposer de désert, il compte
néanmoins quinze fleuves ou rivières
(Oronte, Zahrani, Hasbani, Awali,
Bardaouni etc..).
Occupé à travers
l’histoire par 16 états ou peuples
(Egyptiens, Hittites, Assyriens,
Babyloniens, Perses, Byzance, les
Croisés, la conquête arabe, l’empire
ottoman la France et Israël; sa
capitale, Beyrouth, détruite et
reconstruite sept fois dans l’histoire,
lui vaut le qualificatif de Phénix. A la
jonction de deux mondes, Occident et
Orient, elle figure parmi les dix
destinations préférées des touristes au
Monde pour la qualité de son accueil,
mais aussi pour son patrimoine
archéologique. Beryte et sa faculté de
droit de l’époque romaine, la première
au monde, Baalbek, la cité du soleil,
son Temple de Jupiter et de Bacchus;
Byblos (de la bible), dont la légende
lui attribue la paternité du premier
alphabet au Monde), Cana où s’est
produit le miracle de la transformation
de l’eau en vin selon le récit chrétien,
enfin Tyr et Sidon, à qui l’on attribue
le mérite de la découverte du gouvernail
de la navigation, dont les Phéniciens,
les habitants originels du pays, en
feront un usage judicieux pour la
conquête de Carthage (Tunisie actuelle).
De sa diversité et
sa pluralité (18 communautés
religieuses, dont 40 pour cent de
chrétiens, la plus forte proportion dans
le Monde arabe), de sa presse (quarante
quotidiens), de son fort coefficient de
diplômés (47 universités, dont 70 pour
cent des étudiants formés dans des
instituts privés), de son système
bancaire (une centaine de banques de
plein exercice, sans compter leurs
succursales dans les divers quartiers
des grandes villes et des
provinces libanaises), une des plus
fortes concentrations au Monde pour un
pays de 10.452 km carrés et 4,5 millions
d’habitants.
Sur la
contribution des libanais à la
civilisation, notamment dans le domaine
de l’esprit:
Il n’en demeure pas
moins de fortes réserves sur ce bilan
contrasté: Si l’homme le plus riche du
Monde est un Libanais, Carlos Slim
(Mexique), son pays d’origine bien que
gouverné depuis près de trente ans par
des milliardaires (Rafic et Saad Hariri,
Najib Mikati) n’en abrite pas moins une
population dont 30 pour cent se situe
au-dessous du seuil de pauvreté. Certes,
deux ministres de l’écologie dans les
pays d’émigration, l’un en Afrique Ali
Haidar (Sénégal) et Viviane Abdel Baki
(Amérique latine), sont d’ascendance
libanaise, mais leur pays d’origine fait
depuis longtemps office de dépotoir des
déchets toxiques des pays
industrialisés.
Certes aussi, deux
sommités médicales internationales, Pete
Medawar (Brésil Royaume Uni, codétenteur
du Prix Nobel de physiologie 1968 pour
les greffes d’organes), et Michael E. De
Bakey (Texas-chirurgie cardiaque),
libanais d’ascendance, sont issus d’un
pays qui possède une forte structure
médicale, -un docteur pour 10
personnes-, mais les tarifs anarchiques
et dissuasifs que la corporation
pratique découragent les porteurs des
plus lourdes pathologies, faisant du
Liban, un pays de médecine de
riche pour riches patients.
Dans des registres
différents, deux êtres aux antipodes
figurent également au palmarès de par
leur parcours: Ralph Nader (Etats-Unis),
initiateur de l’écologie économique dans
une posture qui fait honneur au courage
en politique, et, Robert Bourgi
(Sénégal), convoyeur des djembés et
mallettes, dans une démarche qui fait
tout à la fois honte à l’Afrique, à la
France et au Liban en ce qu’il
n’appartient pas au tiers monde
arabo-africain de soutenir le train de
vie de l’élite politico-médiatique
française et ses vacances paradisiaques,
sur le budget du contribuable des
peuples affamés. Une honte à l’Afrique
de nourrir ses bourreaux en ce que la
vénalité française et la corruption
africaine, constituent une combinaison
corrosive, dégradante pour le donateur,
avilissante pour le bénéficiaire.
Un spectacle à deux
dimensions. L’une des plus fortes
diasporas au Monde sur cinq continents
exploite, pour sa domesticité, le lumpen
prolétariat du sous-continent indien
dans des conditions si drastiques
qu’elles s’apparentent à la traite
négrière d’antan.
L’un des plus
importants réceptacles des populations
marginalisées de l’histoire, des
réfugiés palestiniens aux réfugiés
syriens, soit le tiers de la population
nationale, extirpés de leur lieu de vie,
victimes des pulsions mortifères des
puissances occidentales, qu’une large
fraction des Libanais continue de
chérir, au-delà du raisonnable,
particulièrement notre «tendre mer». Une
société contestataire en contiguïté avec
un système reposant sur le clientélisme
confessionnel, se perpétuant au pouvoir
selon la tradition de successorale de la
féodalité clanique depuis l’indépendance
du Liban en 1943, il y a soixante-dix
ans, intégrant les aléas des rapports de
forces régionaux.
Nabih Berry, un
chiite, originaire d’un village
diamantifère de Sierra Leone,
propriétaire d’un important patrimoine
immobilier et présidant depuis 20 ans le
parlement libanais, en concomitance avec
le clan Hariri (Rafic et Saad), façonné
par le wahhabisme de l’Arabie saoudite,
principal latifundiaire du Liban et
président le gouvernement libanais
depuis la même période que le chiite,
enfin, érigeant en industrie, toute
classe politique et clivage
confessionnelle confondues le
martyrologue Libanais.
De Patrice Lumumba
(1961, Congo Kinshasa) à Steve Biko
(1977, Afrique du sud) à John et Robert
Kennedy et Martin Luther King
(1963-1968, Etats-Unis), à Ernesto Che
Guevara De La Serna (1967, Bolivie) et
Salvador Allende (1973, Chili), à Bobby
Sands (1981-Irlande du Nord), au Mahatma
Gandhi (1948) et Indira Gandhi (1984,
Inde), à Zulficar Ali Bhutto (1973) et
Benazir Bhutto (2007, Pakistan): Tous
les continents regorgent en effet de
personnages charismatiques, héros
mythiques tombés sur le champ d’honneur
du combat politique.
Mais nulle part
ailleurs qu’au Liban le culte des
martyrs ne prend une telle ampleur. Au
point que la vénération posthume des
chefs de clan, la plupart fourvoyés dans
des causes perdues, ressortit d’une
industrie du martyrologe, une rente de
situation pour les ayants droits, un
passe-droit permanent. Le martyr est
commun à tous les peuples de la planète,
mais sa redondance est une spécialité
libanaise. Peu de famille demeure dans
la sobriété. Beaucoup verse dans
l’ostentation. Le martyr est brandi
comme un trophée, sous le halo du martyr
couve en fait une vaste mystification.
Une spécialité purement libanaise,
équivalent en France à «l’exception
française». Une spéciosité des peuples
spécieux.
Notes
1–Contribution de
René Naba (natif de Kaolack, dans la
région du Sine Salloum (Sénégal) à
l’histoire de l’émigration libanaise en
Afrique occidentale française à
l’occasion de la célébration du premier
centenaire de cet évènement. Prestation
présentée dans le cadre d’un Mémoire de
Melle Marie Joanna Abi Jaoudé en vue de
l’obtention du diplôme Master pro en
information et communication.
Département de sociologie et
d’anthropologie de l’Université Saint
Joseph-Beyrouth Liban-Juillet 2013
Beyrouth.
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