MADANIYA
Etats-Unis-Monde
arabe :
La «transaction du siècle» une
ritournelle de la diplomatie américaine
à l’égard des Arabes
Jaafar Al Bakli
Vendredi 14 décembre 2018
Ou quand les
États-Unis proposaient «un contrat du
siècle» à Nasser: Le financement du
Barrage d’Assouan en échange de la
reconnaissance d’Israël.
Par Jaafar Al
Bakli
Adaptation en
version française par René Naba,
directeur du site
www.madaniya.info
Universitaire
tunisien, chercheur sur les questions de
l’Islam, spécialiste de l’histoire
politique des pays arabes, notamment les
pays du Golfe.
Nasser: «Les
Américains son capables de t’offrir une
mer en cadeau, mais tu sors d’un
entretien avec eux sans avoir étanché ta
soif».
La «transaction du
siècle», le règlement au rabais du
conflit israélo-arabe, paraît être une
ritournelle des États-Unis à l’intention
des Arabes à en juger par les diverses
offres de la diplomatie américaine
visant à conduire leurs interlocuteurs à
souscrire à des contrats léonins.
Ci-joint l’expérience vécue par Gamal
Abdel Nasser avec l’administration
républicaine du président Dwight
Eisenhower (1952-1960) à propos du
financement du Canal de Suez.
Le titre original
de l’article est «A l’intention de ceux
qui misent sur l’Amérique», une tribune
de l’écrivain tunisien Jaafar Al Bakli,
parue le 28 Mai 2018 dans le journal
libanais Al Akhbar. L’adaptation en
version française de ce texte a été
assurée par René Naba, directeur de
www.madaniya.info
Version arabe
https://www.al-akhbar.com/Opinion/...
1- La méfiance
tenace de Nasser envers les Américains
Nasser se tourna
vers son ambassadeur à Washington, Ahmad
Hussein, et, comme devinant ses pensées,
lui pose tout à tract cette question:
«Pourquoi parier sur l’Amérique, alors
qu’elle va nous décevoir profondemment?
Bougeant sa tête en
forme de dénégation, le diplomate
répond: «Non, Monsieur le Président,
notre problème n’est pas le
gouvernement, mais le congrès. Si nous
souscrivons aux conditions de l’accord,
je suis convaincu que les Américains
honoreront pleinement leurs
engagements».
Nasser éclata de
rire. Fixant au loin les vagues
déferlantes sur les rivages d’Alexandrie
où se tenait la conversation, il se
retourna brusquement vers son
interlocuteur et lui rétorqua: «Tu te
fais des illusions, Ahmad. Ne fais pas
du tout confiance aux Américains. Ils
sont capables de t’offrir une mer en
cadeau, mais tu sors d’un entretien avec
eux sans avoir étanché ta soif. Tu
verras».
L’ambassadeur n’a pas été convaincu par
les arguments de son président et
continua à debattre avec lui pendant une
heure.
Nasser écouta patiemment l’argumentaire
de son ambassadeur. Puis, se levant
brusquement, revêtu d’un short et d’une
chemise de sport, il se mit à effectuer
des exercices physiques comme pour se
dégourdir.
Les convives qui se trouvaient à table
au lieu dit «Cabinet» de la plage «Bourj
Al Arab» d’Alexandrie, avaient retiré
l’impression que le président égyptien
était las de tenter de convaincre son
ambassadeur têtu.
Le silence gagna la tablée. Nasser
rompit le silence, en prenant de revers
son ambassadeur. «Je vais aller jusqu’au
bout de ton raisonnement. Tu vas aller
voir John Foster Dulles (secrétaire
d’état) et lui annoncer que l’Egypte
accepte toutes ses conditions. Et tu
constateras par toi même ce qu’il va te
dire».
Pris de court par le revirement de son
président, Ahmad Hussein a voulu
s’assurer qu’il avait bien compris le
message présidentiel: «Alors vous
acceptez les conditions des Américains
sans négociations» ?
Réponse de Nasser: Non. Va chez les
Américains et dis leur que l’Egypte
accepte tout ce que veut l’Amérique».
Puis, se ravisant, «attention, ne dis
rien, ne fais rien qui porte atteinte à
notre dignité. Ni ton ami, ni les
Américains ne vont faire droit à la
moindre de tes demandes. Au départ,
d’ailleurs, ils n’en avaient pas
l’intention. Ils nous ont juste fait
miroiter la possibilité d’un
financement. En fait, ils se moquent de
nous. Mais devant ta résistance, j’ai
accepté que tu ailles jusqu’au bout avec
eux».
Réponse de l’ambassadeur: «Soit. Je vais
juste tenter».
Nasser: «Prends tes
aises. Fais ce que bon te semble, mais
je sais pertinemment que cette voie là
est bouchée. Je sais aussi que les
Américains vont se retirer totalement du
projet».
Puis Nasser demande à son représentant à
Washington: «Au fait quand retournes-tu
à Washington»?
Réponse de l’ambassadeur: «Demain».
Nasser: «Avant d’y retourner, tâche de
te procurer dans une librairie, pour ta
documentation , un ouvrage sur le Canal
de Suez».
N’ayant pas saisi visiblement le sens de
cette allusion, Ahmad Hussein demande:
«Que signifie Canal de Suez, Monsieur le
Président»? Nasser sourit, en murmurant
«demain tu comprendras».
Ce dialogue a eu lieu le 8 juillet 1956.
La discussion portait sur le degré de
sincérité des Américains et de leur
détermination à financer le barrage
d’Assouan.
2- Le doigt dans
la mâchoire des Américains
L’affaire du
Barrage d’Assouan avait pris à l’époque
la dimension d’une «cause nationale»
pour l’Egypte. Le projet nécessitait un
important financement pour que l’Egypte
réalise son grand rêve.
Selon les
estimations des experts, le projet était
évalué à un milliard de dollars; une
somme considérable à l’époque, dont
l’Egypte devait avancer de sa poche 400
millions de dollars en devises.
Nul ne pouvait
prêter à l’Egypte une telle somme, sauf
la Banque Mondiale. Mais même cette
institution financière ne pouvait
prendre en charge la totalité du
financement.
Eugene Black,
Président de la Banque Mondiale, eut
alors l’ingénieuse idée de solliciter
l’aide des principaux pays contributeurs
pour financer partiellement le projet
qui s’articulerait selon le schéma
suivant: La BM avancerait 200 millions
de dollars, le reliquat (200 millions de
dollars), serait comblé à parité entre
les Etats-Unis et le Royaume Uni.
Nasser devait
compléter ces facilités par des
négociations directes avec les
Etats-Unis afin qu’ils consentent à
octroyer à son pays le crédit
complémentaire nécessaire au financement
du plus grand projet économique de
l’Egypte de l’époque contemporaine.
Mais le président
égyptien n’était pas enthousiaste à
l’idée de «placer sa main dans la
mâchoire des Américains». Il n’avait
toutefois pas le choix.
La première phase
des négociations a été conduite, du côté
égyptien, par l’ambassadeur d’Egypte à
Washington Ahmad Hussein. Cela s’est
passé à la mi mai 1955. Afin d’aiguiser
la curiosité des Américains, le
diplomate leur a fait miroiter la
possibilité d’un financement soviétique.
Mais John Foster Dulles, nullement dupe
de la manoeuvre, n’a pas mordu à
l’hameçon, sachant pertinement que
l’URSS n’était pas en mesure de produire
un tel effort financier.
3- Nasser brise
le tabou du monopole occidental de la
vente d’armes aux pays du Moyen orient
Les Américains
paraissaient soucieux de ne pas fermer
complètement la porte des négociations.
Ils faisaient le pari d’attirer Nasser
vers eux afin d’éviter son basculement
vers le bloc communiste. Ils étaient
irrités du comportement du président
égyptien qui venait de briser un grand
tabou, le monople occidental de la
fourniture des armes aux pays du Moyen
orient.
Nasser avait en
effet conclu un important accord visant
à l’équipement de l’armée égyptienne par
du matériel soviétique; une transaction
qui a constitué une sévère mise en garde
à l’adresse des Occidentaux.
Nasser ne se
contentera pas de cette démarche. Il ira
plus loin encore dans son rapprochement
avec le bloc communiste, en procédant,
le 20 Mai 1956, à la reconnaissance de
la Chine Populaire, ostracisée à
l’époque par les États-Unis.
La reconnaissance
de la Chine a représenté aux yeux des
Américains la 2e faute majeure commise
par Nasser en moins d’un an. L’homme, de
leur point de vue, se devait donc de
payer le prix de sa provocation.
Les circonstances
ont voulu que Nasser se retrouve entre
les crocs de l’Amérique pour financer le
plus important projet économique de son
pays.
Le plan de
Washington était à la fois simple et
hypocrite et se résumait à cette
formule: Le rêve de l’Egypte à se doter
du barrage conduira à la fin politique
du son président. Il constituera le nœud
coulant avec lequel les Américains
chercheront à étrangler l’Egypte ou à la
domestiquer.
John Foster Dulles
fait part au ministre égyptien des
Finances Abdel Moneim Al Qayssouni de
l’accord des Etats Unis à aider l’Egypte
à financer son barrage.
En fait, Dulles
avait enrobé et camouflé ses véritables
intentions par des considérations
humanitaristes: «Le Monde libre offre à
l’Egypte son arme pour la vie, alors que
les communistes leur vendent les armes
de la mort. Et si vous y réfléchissez
bien, vous saurez alors qui sont vos
véritables amis», dit-il avec emphase à
son interlocuteur égyptien.
Et l’Américain de
poursuivre: «Le gouvernement américain
ne peut établir un chèque en blanc à
l’Egypte; Cela nécessite l’accord
préalable du Congrès. Or le Congrès ne
consentira à octoyer le moindre dollar à
l’Egypte avant que votre pays ne fasse
preuve de sa bonne conduite». Cette
première condition signifiait tout
simplement que l’Egypte devait se placer
sous la tutelle des Etats Unis pour
obtenir les crédits américains.
Complétant sa
pensée, John Foster Dulles, signifie à
son interlocuteur la position
américaine: «Nous ne pouvons débloquer
d’un seul trait 200 millions de dollars.
Nous allons échelonner cela sur dix ans.
Vous n’ignorez pas que les crédits
américains sont soumis à l’approbation
du Congrès. Le déblocage de chaque
tranche de 10 millions nécessitera un
vote du Congrès, chaque année.
Cette deuxième condition signifiait tout
simplement que l’avenir du peuple
égyptien sur dix ans serait à la merci
d’un groupe de parlementaires dont la
composition variera en fonction du
renouvellement partiel du Congrès. De
surcroît, aléa supplémentaire, le
nouveau Congrès dans sa nouvelle
composition ne seras pas lié par les
engagements du congrès précédent.
La Banque Mondiale
devra excercer un droit de regard sur
les importations de l’Egypte afin que
les créanciers soient assurés de la
solvabilité des Egyptiens.
Herbert Hoover, assistant John Foster
Dulles, prend alors le relai de son
patron et s’adresse en ces termes à
l’ambassadeur d’Egypte Ahmad Hussein:
«L’Egypte doit s’engager, par un
communiqué officiel, à s’abstenir de
conclure de nouveaux contrats avec
l’Union soviétique. C’est un point
important afin de permettre à notre
gouvernement de s’assurer que le vôtre
pourra honorer ses engagements
financiers, plutôt que d’hypothéquer sa
production de coton pour payer le prix
de l’armement soviétique».
Cette dernière condition est à
proprement fallacieuse, résultant de la
pure imagination des Américains en ce
que l’Egypte n’a jamais hypothéqué son
coton en faveur de quiconque.
À la fin de
l’entretien, les Américains se
décidèrent à révéler leurs véritables
intentions: «Si vous voulez vraiment
nous aider, il vous faut conclure la
paix avec Israël; Une paix,
soutiennent-il, qui sera dans l’intérêt
de l’Egypte car si le gouvernement
égyptien est réellement soucieux de
bâtir l’Egypte, il lui faudra dissiper
les causes de tension et de la guerre».
C’est ainsi que les Américains ont
introduit, subrepticement, la condition
Israël, parmi les clauses figurant
désormais dans les négociations avec les
pays arabes.
Nasser a très vite
compris que les conditions posées par
les Américains répondaient à deux
objectifs: Soit le maintenir sous leur
coupe et le manipuler à leur guise selon
leurs besoins; Soit embourber l’Egypte
dans un marécage profond.
Le président égyptien avait le
pressentiment que les Occidentaux se
retireraient du projet dès le début des
travaux de manière à placer la totalité
de la partie méridionale de l’Egypte
sous la menace d’un engloutisement et
laisser Nasser en plan.
Nasser aurait été
alors emporté par les difficultés
générées par le flot des alluvions se
déversant sur le pays avec leur cortège
de sites archéologiques anéantis et de
masses rocheuses dégagées pour déblayer
le site du barrage. Un amas qui se
transformerait en autant d’obstacles
infranchissables.
4- Robert
Anderson et la transaction du siècle: Le
financement du barrage d’Assouan en
contrepartie de la paix avec Israël
Le 8 décembre 1955,
Dwight Einsenhower dépêche auprès de
Nasser son émissaire spécial Robert
Anderson pour l’encourager à conclure
«la transaction du siècle»: Le
financement du barrage d’Assouan en
contrepartie de la paix avec Israël.
Nasser rencontre
l’émissaire américain le lendemain de sa
venue en Egypte. L’entretien se déroule
au palais «At Tahira» du Caire.
Robert Anderson
sort de sa poche les dépêches des
agenses de presse internationales
faisant état des instructions données à
ses conseillers par Einsenhower leur
réclamant d’envisager les diverses
modalités de financement du barrage
d’Assouan en prévision d’une demande
d’autorisation de crédit en ce sens
auprès du Congrès américain.
Nasser: «Je remercie le président
Einsehower et lui souhaite plein succès
dans sa démarche».
Robert Anderson a
jugé bon alors de saisir la balle au
bond pour vanter les mérites de son
président et lancer son projet: «IKE
(diminutif d’Eisenhower) sait comment
procéder pour parvenir à ses fins. Après
avoir mené victorieusement la guerre
contre les nazis, il cherche à apporter
la paix en Terre Sainte».
Puis s’adressant directement à Nasser
lui demande de manière abrupte: «Pouvez
vous, Monsieur Le Président, faire la
paix avec Israël»?
Surpris, Nasser rétorque: «La question
de Palestine n’est pas du ressort
exclusif de l’Egypte, mais de la
responsabilité collective des Arabes»,
ajoutant que s’il lui était «permis de
parler au nom du gouvernement égyptien,
il accepterait la Résolution de l’
Assemblée générale de l’ONU (Résolution
181) sur le Plan de Partage portant
création de deux états (Israël et
Palestine), sous réserve que soit inclus
dans cette résolution le rapport du
Comte Bernadotte».
(NDT: Le comte Bernadottte, –de
nationalité suédoise, émissaire spécial
de l’ONU sur la Palestine, assassisné
par les Israéliens– avait préconisé dans
son rapport d’inclure Sahra’ Al Naqab,
le désert du Neguev, dans la portion du
territoire de la Palestine en ce que cet
espace désertique assurait la jonction
géographique entre les deux versants du
Monde arabe, le versant oriental et le
versant occidental, la rive asiatique et
la rive africaine du Monde arabe.
Sur le
fonctionnement du Conseil de sécurité de
l’ONU et le comte Bernadotte
https://www.madaniya.info/2017/02/02/conseil-de-securite-de-l-onu-un-instrument-obsolete/
R. Anderson: «La
mise en oeuvre de la résolution de l’ONU
est une requête raisonnable. Nous
veillerons à trouver un arrangement à
propos du désert du Neguev»……. Puis,
après un bref silence, l’émissaire
américain demande tout à trac au
président égyptien: «Accepteriez vous de
rencontrer Ben Gourion afin que vous
puissiez regler directement cette
affaire entre vous»?
Contenant mal son agacement, Nasser
réplique sur ton ton empreint de
fermeté: «Cela m’est impossible. Ni le
peuple égyptien, ni l’armée égyptienne
n’autoriseront cela».
Anderson: «Mais ce sont les dirigeants
qui dirigent leur peuple».
Nasser: «Les dirigeants dirigent leur
peuple dans un sens qui fasse droit à
leurs aspirations, non à décevoir leurs
ambitions».
Anderson s’est alors tu visiblement
contrarié par la détermination de
Nasser. Puis inflléchissant son discours
pour tenter de renouer le dialogue, il
avance une nouvelle proposition que
Nasser, pensait-il, pouvait accepter.
«Votre problème est
qu’Israël brise la continuité
géographique entre les deux versants du
Monde arabe. Et si nous édifions un pont
allant d’Eilat, au sud d’Israël, dans le
Golfe d’Akaba, qui relierait l’Egypte à
la Jordanie.
Un pont dont la
partie supérieure reléverait de la
souveraineté arabe et la partie
inférieure de la partie israélienne. Une
telle solution permettrait de réaliser
la continuité géographique du Monde
arabe».
Nasser n’a pas été
dupe de cette proposition, en apparence
séduisante et équitable. Anderson avait
pris Nasser pour un naîf, occultant le
fait que l’accès au pont sera contrôlé
par les Israéliens et la circulation par
les Arabes. Anderson sachait pertinement
que celui qui commande l’accès commande
le tout.
Reprenant sur un ton ironique la
proposition de l’émissaire américain,
Nasser rétorque: «Ainsi donc, M.
Anderson, la partie supérieure
relèverait de la souverainneté arabe et
la partie inférieure de la souverainneté
israélienne. Soit.
Mais que faire
alors si un Arabe, depuis la partie
supérieure du pont, est pris subitement
d’un pressant besoin naturel et urine
sur l’Etat d’Israël ou sur un de ses
ressortissants. Une guerre
éclaterait-elle à ce moment là entre
Arabes et Juifs»?.
La réponse de
Nasser a plongé dans le dépit Robert
Anderson qui avait compris que le
président égyptien tournait en dérision
ses idées novatrices pour régler le
conflit du Moyen Orient.
À son retour à
Washington Robert Anderson informa le
président Dwight Eisenhower que «les
Egyptiens n’étaient pas prêts à faire la
paix».
5- La
suppression de la clause fondamentale de
la «paix avec Israël» et les
représailles américaines
La clause
fondamentale concernant la paix avec
Israël, un préalable absolu par les
Américains pour financer le barrage a
ainsi été évacuée des négociations. Avec
l’occultation de cette clause,
l’enthousiame américain à l’égard de
l’Egypte s’est refroidi.
Nasser avait
compris depuis longtemps qu’il ne
fallait rien espérer des Américains.
Mais bon nombre d’Egyptiens persistaient
à leur faire crédit, convaincus que les
Américains finiraient par tenir leur
promesse de financer le barrage.
À son retour à
Washington, l’ambasssadeur égyptien,
Ahmad Hussein, assura à la presse que
«L’Egypte acceptait toutes les
conditions posées par les pays
occidentaux pour financer le barrage;
qu’elle sollicitait leur aide pour la
réalisation de ce giganteque projet et
qu’elle comptait sur cette assistance».
Nasser se mit en
colère en apprenant que son ambassadeur
avait annoncé que l’Egypte avait accepté
les conditions occidentales. La colère
de Nasser a redoublé de violence en
relevant que la requête de son
représentant à Washington avait pris le
ton d’une supplique.
Le 18 juillet 1956,
Ahmad Hussein fait son entrée au siège
du Département d’Etat, à Wahsington,
pour y rencontrer John Foster Dulles. A
peine a-t-il franchi le seuil du
ministère que le porte-parole du
département d’état, Lincoln White,
annonçait à la presse le retrait des
Etats Unis du projet du barrage
d’Assouan.
De son côté, John
Foster Dulles, enpruntant un ton
méprisant, signifia à l’ambassadeur
égyptien le retrait des Etats Unis du
projet égyptien: «Nous ne vous aiderons
pas à édifier le barrage d’Assouan. Ce
projet est au dessus de vos capacités
financières. Vous ne pourrez supporter
son coût. Si vous persistez, vous serez
épuisé par les charges de la dette».
Puis, malicieux, le
chef de la diplomatie américaine conclut
en ces termes: «En tout état de cause,
l’Amérique laisse à l’Union Soviétique
le plaisir d’édifier le haut barrage… Si
toutefois Moscou accepte d’assumer ses
charges financières».
L’ambassadeur
égyptien a accueilli ses propos
comminatoires, bouche bée. A sa sortie
du département d’état, les flashs des
journalistes ont saisi le diplomate
égyptien, l’index de sa main droite sur
sa bouche, comme pour signifier aux
journalistes qu’il ne fera aucun
commentaire. Motus et bouche cousue.
De retour de
Belgrade où il avait rencontré le
président yougoslave, le Maréchal Josip
Broz Tito, Nasser prit connaissance de
la déclaration de John Foster Dulles,
dans l’avion où il vovageait en
compagnie du premier ministre indien le
Pandit Nehru.
Lecture faite de la
déclaration Dulles, Nasser tendit la
dépêche au dirigeant indien. Nehru la
lut en silence, puis murmura sur un ton
où perçait la colère: «Quels êtres
méprisables et indignes ces gens là».
Nasser bouillonnait
de rage. Non seulement les Américains
n’ont pas tenu parole, ni même procédé à
un retrait unilatéral d’un accord
international. Pis, ils ont tenu des
propos qui s’apparentaient à une claire
incitation à une action hostile contre
le régime égyptien.
Nasser décida alors
d’asséner aux ennemis de son pays une
leçon qu’ils regretteront amèrement par
la suite.
La riposte ne tarda pas. Une semaine
après le refus américain, Nasser décréta
la nationalisation du Canal de Suez,
symbole de la mainmise étrangère sur
l’Egypte.
Pour rappel à
l’ordre, à l’intention du lecteur
arabophone, le code de conduite édicté
par Nasser à l’égard des menées
impérialistes:
http://www.youtube.com/watch?v=DdgivvmnZGA&feature=youtu.be
Et pour le lecteur francophone le résumé
suivant: Répliquant à une menace
américaine de lui couper l’assistance
financière, Nasser a proclame «Les
Américains menacent de nous affamer. Eh
bien on mangera quatre jours sur sept,
un jour sur deux, un repas sur deux.
—
Les revenus du Canal permirent à
l’Egypte de se doter d’un stock de
devises étrangères pour financer la
construction du barrage d’Assouan. Les
soviétiques apportérent leur aide,
prouvant par là même qu’ils étaient de
véritables amis.
Pour aller plus
loin sur ce sujet, ce lien: Suez ou le
glas de la présence coloniale franco
britannique au Moyen Orient
https://www.madaniya.info/2015/10/26/suez-1956-ou-le-glas-de-la-presence-coloniale-franco-britannique-au-moyen-orient/
Epilogue
Sans remonter au
légendaire Lawrence d’Arabie, le Moyen
Orient a été le théâtre d’exploits de
grands espions occidentaux de Kermitt
Roosvelt, le propre petit neveu de
l’ancien président américain Théodore
Roosvelt, à Miles Copland, un des
artisans de l’opération Overlord, le
débarquement allié en Normandie lors de
la II me guerre Mondiale, en juin 1944,
à Kim Philby, l’agent double anglo
soviétique.
Pour aller plus
loin sur ce sujet, ce lien, Beyrouth, un
nid d’espion
https://www.renenaba.com/le-tribunal-special-sur-le-liban-a-lepreuve-de-la-guerre-de-lombre/
La préservation des
monarchies du Moyen Orient et la
déstabilisation correlative des pays
arabes à structure républicaine ont
constitué une constante de la diplomatie
américaine en ce que ces dynastes si
décriés, juchés sur leur nappe de
pétrole, ont fait preuve d’une
remarquable servilité envers les oukazes
américains, y compris dans la
destabilisaiton des autres pays arabes,
alors que les Républiques bordant le
champ de bataille de la Palestine était
mu par l’objectiif de la libération de
la Palestine, propulsé par un courant
nationaliste indépendantiste.
De surcroit,
particulièrement les pétromonarchies du
Golfe sont passés sans coup férir du
protectorat britannique à l’imperium
américain, sans le moindre sas de
récupération, troquant une dépendance
par une autre plus lourde et exigeante.
Sur ce lien, un
exemple de la coopération souterraine
saoudo américaine
https://www.madaniya.info/2016/03/16/cia-arabie-saoudite-nom-de-code-timber-sycomore/
Kermitt Roosevelt,
Miles Copland..
La destabilisation du Moyen Orient par
la CIA est une vieille histoire.
Cela a été le cas
de Mohamad Mossadegh en Iran, en 1953,
avec la chute du Chah et la
nationalisation des installations
pétrolières iraniennes, première
nationalisation du tiers monde, qui sera
toutefois mise en échec par les services
américains.
Connue sous le nom
de Code Ajax TP – Ajax par allusion au
nettoyeur AJAX de la firme Palmolive
(Procter and Gamble) et TP pour Toudeh
Party, le parti communiste iranien- elle
voulait signifier une opération de
nettoyage de l’Iran en vue de
l’aseptiser de toute contestation
possible de l’alliance entre la dynastie
Pahlévi et de l’Occident. Le maître d’oeuvre
de cette destabilisation anti
républicaine n’était autre que Kermitt
Roosvelt.
Cela a été aussi le
cas de l’Egypte avec Miles Copland, un
des actifs agents de l’opération
OVERLORD et surtout du premier coup
d’état en Syrie qui évinça du pouvoir le
président d’alors Chucri Kouatly, au
profit du colonel Hosni Zaim, 1949,
davantage sensible aux intérêts du
consortium pétrolier américano saoudien
Aramco.
Pour aller plus loin sur la Syrie, ce
lien
https://www.madaniya.info/2016/04/05/extraits-de-l-article-de-robert-f-kennedy-jr-a-la-revue-politico/
La «transaction du
siècle», la paix avec Israël en échange
du paradis sur terre, c’est à dire la
normalisation de la présence israélienne
en terre arabe sur les débris de la
Palestine, a constitué l’appât majeur de
la diplomatie occidentale tout au long
du XXe siècle.
La dynastie
wahhabite, gardienne des Lieux Saints de
l’Islam, la première, a bradé la
Palestine dès le début du XXe siècle,
par une note manuscrite signée du
fondateur de la dynastie, le Roi Abdel
Aziz, au representant anglais dans le
Golfe en contrepartie de la pérennité de
son trône.
Sur ce lien, la
copie de la renonciation des wahhabites
à la Palestine
https://www.madaniya.info/2017/12/06/la-dynastie-wahhabite-et-le-bradage-de-la-palestine-1-2/
Deux autres
monarques le roi Hussein de Jordanie,
chef de la dynastie hachémite, la
descendance du prophète, et le Roi
Hassan II du Maroc, commandeur des
croyants, ont pactisé avec les services
américains pour la survie de leur trône,
le jordanien émargeant, toute honte bue,
au budget de la CIA, et le marocain
copinant avec le Mossad dans une forme
de forfaiture rarement égalée.
https://www.renenaba.com/la-jordanie-et-le-maroc-deux-voltigeurs-de-pointe-de-la-diplomatie-occidentale/
Abou Dhabi s’est
engouffré dans la clause pour obtenir
l’accord du congrès à la fourniture de
chasseurs bombardiers américains à un
émirat aux ambitions démesurées qui
passe pour être l’un des plus belliqueux
de la planète. En toute impunité du fait
de la proximité d’Abou Dhabi avec
Israël, à qui il a confié la protection
de ses champs pétrolifères.
Nasser, lui, n’a
pas mordu à l’hamecon, tout comme la
Syrie, seul pays arabe en état de
belligérance avec Israël avec le Liban.
Nasser sera châtié, à deux reprises, en
1956, par une agression tripartite
occidentale prenant prétexte de la
nationalisation du Canal de Suez, et dix
ans plus tard, en 1967, par une guerre
éclair, qui sonnera le glas du
nationalisme arabe.
La Syrie, elle non
plus, n’a pas cédé aux sirènes
américaines. Elle n’a cessé depuis lors
d’être la cible des opérations de
destabilisation de la part des services
américains, comme en témoigne ce récit
d’un membre éminent de l’establishment
américain, Robert Kennedy Jr, le propre
fils du sénateur Robert Kennedy et neveu
de l’ancien président John Fitzgerald
Kennedy, tous deux assassinés.
Pour aller plus
loin sur la Syrie, ce lien
https://www.madaniya.info/2016/04/05/extraits-de-l-article-de-robert-f-kennedy-jr-a-la-revue-politico/
L’Irak a eu droit à
son tour à une offre concernant la
transaction du siècle.
L’offre a été transmise par Donald
Rumsfeld à l’époque sous secrétaire
d’état adjoint pour les affaires du
Moyen Orient et se résumait à cette
équation: «Reconnaissance d’Israël en
contrepartie de la levée de l’embargo
sur l’Irak».
Saddam Hussein a refusé cette offre
israélienne, formulée via les Etats
Unis, visant à remettre en activité
l’oléoduc Kirkouk-Haifa en contrepartie
du soutien d’Israël et des Etats Unis, à
la levée de l’embargo économique qui
frappait l’Irak depuis 1990.
Saddam Hussein a
même refusé de recevoir l’émissaire
américain, confiant cette tâche à son
ministre des affaires étrangères Tareq
Aziz. L’entretien Rumsfeld-Aziz a duré
dix minutes. En y mettant un terme,
l’irakien conscient de l’incongruité
d’une telle offre, a déclaré à
l’américain: «Si je transmets une telle
proposition à mon président, je signe
mon arrêt de mort».
Un demi siècle
après l’offre à Nasser, la «transaction
du siècle» a été remise sur le tapis par
le plus philosioniste président de
l’histoire américaine Donald Trump,
transmise aux dirigants arabes par son
gendre, Jared Kushner, très actif membre
du lobby juif américain. Mohamad Ben
Salman, l’impétueux prince héritier
saoudien, s’en est emparé avec
empressement, pensant ainsi consolider
son pouvoir par un gigantesque parapluie
israélo-américain….En contrepartie du
bradage totale de la Palestine et
l’attribution en guise de substitut,
d’un état croupion sous forme de
bantoustan.
Des coups de feu
tirés sur cet ambitieux personnage dans
les enceintes feutrés des palais royaux
saoudiens ont retardé la mise en route
de cet acte d’infamie. Cela s’est passé
en avril 2018 au retour d’une tournée
triomphale du prince aux États-Unis où
il avait reconnu publiquement, le droit
à l’existence d’Israël à l’intérieur de
frontières sûres… sans la moindre
mention de la Palestine.
Songeant au sort
funeste du Roi Abdallah 1 er de
Jordanie, assassiné, en 1948, dans
l’enceinte même de la Mosquée d’Al Aqsa,
et du président égyptien Anouar El
Sadate, mitraillé dans la tribune
présidentielle lors du défilé de la
victoire le 6 octobre 1981, –deux
dirigeants qui avaient tous les deux
pactisé avec Israël–, son père, le Roi
Salmane convoquera le lendemain de ces
propos imprudents, un sommet
extraordinaire arabe à Ryad qu’il
baptisera «Sommet de la Palestine»,
réaffirmant la position traditionnelle
arabe dans le conflit israelo-arabe.
L’alerte aura été chaude.
Mahmoud Abbas, le chef de l’autorité
palestinienne, désormais méfiant, après
avoir longtemps parié sur l’Amérique,
dépité de surcroîtt par le comportement
des occidentaux, notamment les
Américains, s’est résolu à exhorter les
Arabes en ce termes: «Ne faites jamais
confiance aux Américains. Si vous voulez
récupérer vos droits, adressez-vous aux
Russes». http://www.al-akhbar.com/node/202185
Parole d’expert de
la part d’un des grands artisans des
accords israélo-palestiniens d’Oslo,
1993, qui s’en mord les doigts d’avoir
trop longtemps cru au mirage américain.
https://www.madaniya.info/2017/10/16/les-deux-fautes-strategiques-majeures-du-mouvement-national-palestinien/
Les précédentes
contributions de Jaafar Al Bakli
A propos des
Wahhabites
A propos des
Hachémites
https://www.madaniya.info/2017/03/06/cherif-hussein-de-la-mecque-fondateur-de-la-dynastie-hachemite-2-https://www.madaniya.info/2017/03/11/cherif-hussein-ben-ali-schizophrene-menteur-insignifiant-tetu-cupide-pretentieux-3-3/
Reçu de René Naba pour publication
Le sommaire de René Naba
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