MADANIYA
De la repentance a minima pour solde de
tout compte
René Naba
Jeudi 12 mai 2016
Une repentance à
minima, en termes allusifs, pour un
délai cinquantenaire. Tel paraît être le
mode opératoire de la France pour purger
son passif post colonial.
La France qui compte à son actif
l’élimination de certains des principaux
opposants du tiers monde hostiles à son
hégémonie, Félix Mounier
(Cameroun-1958), Mehdi Ben Barka (Maroc
1965), de même que les chefs de file du
mouvement indépendantiste Kanak Jean
Marie Tjibaou et Yéwéné Yéwéné, tous
deux assassinés en 1989 en Nouvelle
Calédonie sur un territoire dont elle a
la charge de sa sécurité, ou enfin le
chef de l’opposition tchadienne Ibn Omar
Mahmat Saleh (2008), qui, de surcroît, a
mobilisé la planète entière pour
traduire devant la justice
internationale les meurtriers de Rafic
Hariri, le mécène de son président
Jacques Chirac, fait en effet preuve
d’une timidité de chérubin pour la
reconnaissance de ses méfaits.
L’allusif comme
marque de fabrique des hiérarques
français, particulièrement socialistes
Ainsi Laurent Fabius, ministre
français des Affaires étrangères, en
visite de repentance à Téhéran le 29
juillet 2015, a mentionné, en guise
d’excuse absolutoire, «les souffrances»
du peuple iranien infligé par celui qui
était premier ministre du temps de la co-belligérance
de la France avec l’Irak de Saddam
Hussein contre l’Iran dans la décennie
1980.
«Je pense aux souffrances qui ont été
éprouvées pendant la guerre Iran-Irak
(1980- 1988)», a notamment déclaré celui
que la presse internationale a longtemps
considéré comme le matamore du nucléaire
iranien, qui s’est révélé être le
caniche des Israéliens, le petit
télégraphiste de Benjamin Netanyahu.
«Le plus jeune premier ministre
offert à la France» a ainsi occulté sa
responsabilité particulière dans une
guerre d’un million de morts à l’Iran,
sans compter les handicapés, les veuves
de guerre et les orphelins, les dégâts
matériels et ses coûts financiers qui
ont lourdement fragilisé l’économie
iranienne pendant qu’elle enrichissait
le complexe militaro pétrolier français
de Total à Dassault.
Cameroun
François Hollande a emprunté le même
mode opératoire lors de son voyage au
Cameroun, en juillet 2015, pour briser
le tabou et mettre un terme à une
invraisemblable amnésie de 58 ans
concernant les massacres commis par
l’armée Française dans ce pays central
de l’Afrique.
«Il y a eu une répression dans la
Seine-Maritime en pays Bamiléké et je
veux que les archives soient ouvertes
pour les historiens, a déclaré François
Hollande, ajoutant: «Je tenais à venir
ici au Cameroun, Il y avait presque
quinze ans qu’un président de la
République française n’était pas venu en
visite officielle dans vote pays
Monsieur le président. Je tenais à y
venir aussi parce qu’il y a des liens
humains qui unissent nos deux pays.
Certains de ces liens plongent loin dans
notre histoire. Ils peuvent être
douloureux et la France regarde toujours
avec lucidité son passé pour mieux
préparer son avenir et c’est ce que nous
avons fait».
Le président français s’est borné à
mentionner «La SANAGA maritime, en pays
Bamiléké», sans plus de détails. A
croire que l’allusif est la marque de
fabrique des dirigeants français,
particulièrement des hiérarques
socialistes.
Sétif
Il en a été de même de M. Jean-Marc
Todeschini, secrétaire d’État chargé des
Anciens combattants, à Sétif (19-21
avril 2015). Premier déplacement à ce
niveau de représentation, en Algérie
pour le 70e anniversaire du massacre de
milliers d’Algériens sous la
colonisation française, le ministre a
déclaré avoir fait un « voyage
mémoriel » pour transmettre ce message
du gouvernement français «Aucune mémoire
n’est oubliée, on est dans une mémoire
apaisée», qu’il estime être un «geste
fort et symbolique».
M. Todeschini avait en effet déposé
une gerbe de fleurs devant le mausolée
de Saal Bouzid, ce jeune scout tué le 8
mai 1945 pour avoir brandi un drapeau
algérien. Ce jour-là, alors que la
France fête la victoire contre le
nazisme, l’histoire tourne au drame dans
l’Est algérien, à Sétif mais aussi à
Guelma et à Kheratta, où les
manifestations sont réprimées dans le
sang. En quelques semaines, des milliers
d’Algériens – entre 10 000 et 45 000,
selon les sources – seront tués, ainsi
qu’une centaine d’Européens.
«En me rendant à Sétif, je dis la
reconnaissance par la France des
souffrances endurées et rends hommage
aux victimes algériennes et européennes
de Sétif, de Guelma et de Kheratta » , a
inscrit le secrétaire d’État dans le
livre d’or du musée de la ville,
appelant Français et Algériens, «au nom
de la mémoire partagée par nos deux
pays (…), à continuer d’avancer ensemble
vers ce qui les réunit».
Auparavant, balisant le terrain,
l’ambassadeur de France en Algérie,
avait évoqué, en 2005, «tragédie
inexcusable», puis trois ans plus tard,
en 2008, le nouvel ambassadeur Bernard
Bajolet avait pointé la «très lourde
responsabilité des autorités françaises
de l’époque dans ce déchaînement de
folie meurtrière», ajoutant que «le
temps de la dénégation est terminé».
Dans une sorte de remise en ordre à
la fin du XXe siècle, la France
reconnaîtra sa responsabilité dans le
génocide juif. Le Président Jacques
Chirac, nouvellement élu, dénoncera, en
1995, «la folie criminelle de
l’occupant, secondée, chacun le sait,
par les Français», invitant ses
compatriotes à assumer la «dette
imprescriptible de la France à l’égard
des déportés juifs». 50 ans pour purger
le passif avec les Juifs, jadis enviés
pour leurs conditions au point d’être
cités en exemple, «heureux comme un juif
en France» qu’ils étaient, avant d’être
abandonnés à leur sort morbide.
50 ans pour purger l’ignominie qui
frappa le général Jacques Pâris de la
Bollardière à la posture singulièrement
prestigieuse, face à l’ensemble de la
hiérarchie politico-militaire française
dévoyée et dévoilée un demi-siècle plus
tard par son double antinomique le
général Paul Aussaresses.
Pour une armée coutumière de sursauts
salutaires et dont le plus illustre
officier rebelle n’est autre que le
Général Charles de Gaulle, en 1940, le
chef de la France libre
anti-capitularde, l’onde de choc
déclenchée par le coup d’éclat du
Général de la Bollardière, qui demandera
à être relevé de son commandement en
Algérie en 1957 en signe de protestation
contre la torture, mettra pourtant 42
ans pour percuter la hiérarchie
militaire. Le devoir de désobéissance
aux ordres manifestement contraires à
l’éthique universelle est désormais
reconnu dans les armées françaises,
consigné dans un document de l’Etat-Major
de l’armée de terre de 1999 portant sur
les «Fondements et principes de
l’exercice du métier des armes dans
l’armée de terre».
50 ans aussi pour commencer à purger
le passif colonial avec la triple
reconnaissance de la France, en 2001, de
sa responsabilité tant à l’égard des
Harkis, qu’à l’égard des anciens
combattants de l’Afrique noire, qu’à
l’égard des civils algériens lors de la
manifestation du 17 octobre 1961 à
Paris, dont près de deux cents auraient
été massacrés au cours de la répression
ordonnée par le Préfet de Police de
l’époque Maurice Papon.
Un demi-siècle pour résoudre le
conflit qui minait la France. Le
lancement à grand fracas des «procès
identitaires» de la fin du XXe siècle
est à cet égard révélateur de la vérité
de l’histoire de France, en faisant
apparaître dans la pleine lumière de
l’histoire les antagonismes de la
société française tiraillée entre le
«devoir de mémoire» et la nécessité de
«l’oubli réparateur».
Les procès Klaus Barbie, Paul Touvier
et Maurice Papon, comme auparavant au
XIXe siècle l’affaire Dreyfus, auront eu
une «fonction cathartique» visant
à libérer la conscience nationale
française de son passé, avancera en
guise de justification tardive
l’universitaire Jean Pierre Royer dans
son «Histoire de la Justice en France».
Le Conseil d’État ne s’y est pas
trompé en engageant la responsabilité de
l’État dans l’affaire Papon, le
condamnant à payer à parité l’amende
infligée à l’ancien haut fonctionnaire,
considérant que «le rétablissement de la
légalité républicaine par l’ordonnance
du 9 août 1944 n’entraîne pas pour
autant l’irresponsabilité de la
puissance publique», dans la mesure où
«certaines décisions ont permis et
facilité les opérations qui ont été le
prélude à la déportation».
Le mémorial
commémorant l’abolition de l’Esclavage,
un chef d’œuvre de perversion morale.
En termes de repentance, le mémorial
commémorant l’abolition de l’esclavage
érigé au jardin du Luxembourg à Paris
demeure toutefois le chef d’œuvre de
perversion morale:
«Par leurs luttes et leur profond
désir de dignité et de liberté, les
esclaves des colonies françaises ont
contribué à l’universalité des droits
humains et à l’idéal de Liberté
d’Égalité et de Fraternité que fonde
notre République».
Ah l’embrouille ! Cinq siècles de
déportation de déracinement, de
maltraitance, d’exploitation,
d’esclavage, de traite de la chair
humaine, d’exhibitions de zoos
anthropologiques, d’expositions hideuses
de la Venus Callipyge à la curiosité
malsaine du voyeurisme occidental, à la
cristallisation des pensions des anciens
combattants de l’outre -mer colonial,
des djembés et malletes pour que le
génie français perçoive enfin que les
esclaves des colonies étaient animés
d’un désir de dignité et de liberté. Que
n’a-t-on inversé la formulation par la
mise en relief du fait que La France,
Patrie des Droits de l’Homme et du
triptyque républicain (Egalité, Liberté,
Fraternité) a bafoué les principes
fondateurs de la République, par esprit
de lucre.
Sans doute le fait que le panache
français n’est plus ce qu’il était.
Sétif, Cameroun, Iran… 60 ans après la
folle équipée de Suez contre Nasser, la
France, aiguillonnée par un prurit
belligène, s’est lancée dans de
nouvelles aventures post coloniales
aussi hasardeuses qu’aléatoires. La
repentance à minima apparaît
rétrospectivement comme un exercice
obligé, sans conséquence sur le cortex
cérébral français, sans garantie de
rémission, sans garantie d’une
immunisation contre toute embardée
future.
Suez 1956, Iran 1980, Libye, 2011,
Syrie 2012. Rendez-vous dans cinquante
ans pour un nouvel exercice de
repentance… a minima.
L’Allemagne face à
sa responsabilité devant le génocide
hitlérien.
L’attitude française tranche avec le
comportement d’exemplarité de
l’Allemagne dans sa responsabilité du
génocide hitlérien.
Répliquant indirectement au propos du
premier ministre israélien Benyamin
Netanyahou imputant à l’ancien Mufti de
Jérusalem Hajj Amine Al Husseini la
responsabilité de l’extermination des
juifs d’Europe, le porte-parole du
gouvernement allemand Steffen Seibert, a
coupé court à toute tentative
révisionniste, soulignant «la
responsabilité inhérente» de
l’Allemagne:
«Je peux dire au nom du gouvernement
que, nous Allemands, connaissons très
exactement l’Histoire de l’avènement de
la folie raciste meurtrière des
nationaux-socialistes qui a conduit à la
rupture civilisationnelle de la Shoah».
«Je ne vois aucune raison de changer de
quelque manière que ce soit notre vision
de l’Histoire. Nous savons que la
responsabilité allemande pour ce crime
contre l’humanité est inhérente», a- t-
il ajouté.
Selon Benyamin Netanyahou, «Hajj
Amine Al-Husseini a dit à Hitler: Si
vous les expulsez, ils viendront tous
ici, en Palestine. Et qu’est-ce que je
vais en faire? a demandé (Hitler). Il
(le mufti) a dit: Brûlez-les», a déclaré
le premier ministre.
Un démenti allemand formel, net, sans
la moindre ambigüité, ni le moindre
louvoiement, sans la moindre
justification a posteriori. Un exemple à
suivre pour les Français pour peu qu’ils
renoncent à leur posture d’orgueil, si
préjudiciable à leur renom.
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